Texte intégral
Q - Vous lancez ce dimanche un nouveau courant politique européen. Pourquoi ?
R - Il manque un grand parti démocrate en Europe, qui ne soit ni conservateur ni socialiste et reprenne l'esprit des p ères fondateurs.
Depuis des années, les gouvernements emploient à satiété les mots européens, mais dans la réalité leur projet européen est illisible. Trois exemples : je fais la collection des déclarations vibrantes qui annoncent des progrès sur la défense européenne. Dans la réalité, rien n'a vraiment bougé. En politique étrangère, le drame irakien a montré que les gouvernements choisissaient le chacun pour soi.
Enfin, en matière budgétaire, on dit que l'Europe doit s'occuper de défense, de recherche, d'aménagement du territoire, mais lorsqu'on décrète que son budget ne devra pas dépasser 1 % du produit intérieur brut européen, on la condamne à l'inexistence et l'impuissance. Quand il y a une telle distance entre les mots et les actes, le discours devient une eau tiède qui ne recouvre aucun élan et aucune vérité. Nous voulons bâtir un parti européen qui ait les idées claires.
Q - Avec qui allez-vous faire équipe ?
R - De Francesco Rutelli, leader de la Margherita en Italie, à Bronislaw Geremek et son parti en Pologne, une dizaine de leaders de partis européens sont intéressés par cette démarche. Je suis persuadé que l'attente d'un nouveau courant politique est très forte. On le voit dans de nombreux pays : 12 % pour l'UDF aux dernières régionales, 14 % pour la Margherita, 25 % pour les libéraux-démocrates en Grande-Bretagne. Si cette démarche prend corps, c'est une construction de long terme, qui ne concernera pas seulement les prochaines élections européennes, mais l'organisation politique de l'Europe en ce premier quart de siècle.
Q - Les chrétiens -démocrates et les sociaux-démocrates, qui ont fait l'Europe pendant quarante ans, ne portent plus le destin européen ?
R - Le PPE et le PSE se sont tous les deux laissé coloniser de l'intérieur par des forces puissantes qui se détournent du projet européen. Par exemple, les eurosceptiques conservateurs siègent au PPE. Et M. Berlusconi défend l'adhésion de la Turquie, de la Russie, du Maghreb, d'Israël. Ce n'est pas l'idée de l'Europe unie, homogène, acteur sur la scène du monde qui inspirait les fondateurs. Or il y a urgence. Le surgissement des Empires-continents, qui selon moi succèdent désormais aux Etats-nations, va conduire à une immense rivalité entre les Etats-Unis et la Chine, voire l'Inde. C'est cela, le nouveau visage de la planète. Et cela exige une capacité politique puissante, qui ne peut pas se limiter à l'entente franco-allemande et aux relations tantôt froides et tantôt démonstratives entre Schröder et Chirac.
Q - La CDU, qui domine le PPE que vous pourriez quitter, a aussi abandonné l'esprit d'Adenauer et de Kohl ?
R - Les convictions européennes héritées d'Adenauer et de Kohl restent fortes chez les chrétiens-démocrates allemands. Mais, dans leur ardeur à rassembler toutes les droites contre la gauche, ils ont ouvert le PPE aux forces eurosceptiques, le privant de cohérence et d'inspiration.
Q - Votre critique du couple Chirac-Schröder est-elle aussi un rejet des noyaux durs en Europe ?
R - Je suis très réservé face à l'Europe à géométrie variable, qui conduit naturellement vers l'Europe intergouvernementale. Dans l'Europe à géométrie variable, les institutions s'effacent. Or seules les institutions pourront faire l'Europe volontaire et démocratique.
Q - Mais cette Europe à plusieurs vitesses existe déjà avec l'euro et Schengen...
R - Face à l'euro, il manque une politique économique, précisément parce qu'il n'y a pas les institutions pour la porter. Dans Schengen, la politique de surveillance des frontières et la lutte contre le terrorisme sont évanescentes pour la même raison. Et rien de tout cela n'est lisible par les citoyens européens. Or l'illisibilité et l'absence de démocratie sont pour l'Europe des virus mortels. Les citoyens ont l'impression que les décisions sont prises à leur insu. Ils pensent que l'Europe est une bureaucratie alors que, les initiés le savent, le nombre de fonctionnaires européens est dérisoire. Au bout du compte, c'est le rejet.
Si l'on veut sauver le projet européen, il faut deux orientations : que l'Europe s'occupe de l'essentiel et pas de l'accessoire, de la défense mais pas du foie gras. Deuxièmement, que toute décision d'importance soit prise de manière transparente, au terme d'un débat public o ù les citoyens pourront se sentir engagés.
Q - N'est-ce pas le cas avec Jacques Chirac, qui a affirmé que les citoyens auraient le dernier mot sur la Turquie ?
R - L'idée qu'on pourra encore dire non lorsque les négociations auront été ouvertes et auront abouti est une tromperie. Il faut rechercher pour la Turquie un statut particulier, mais elle ne doit pas devenir membre de l'Union. Car plus l'Europe sera hétérogène, plus elle sera faible.
Q - Pourtant, vous cherchez à vous rapprocher des libéraux-démocrates britanniques, qui sont favorables à l'entrée de la Turquie...
R - Sur ce sujet essentiel, qui tient à l'identité de l'Europe, j'essaierai de convaincre. Il demeure que les "lib-dems" sont le plus européen des partis britanniques. Quand Adenauer, Schuman et De Gasperi se sont lancés dans la construction de l'Europe, ils n'étaient pas d'accord sur tout, mais ils voulaient relever ensemble le défi le plus important.
Q - Approuvez-vous la Constitution qui va renforcer le poids de l'Allemagne au conseil sans réviser à la baisse le nombre de députés ?
R - La France a perdu deux fois : à Nice, nous avons cédé sur le nombre de sièges au Parlement pour conserver la parité avec l'Allemagne au conseil. Ensuite, dans le projet de Constitution, nous avons cédé sur notre poids au conseil. C'est une démarche de défense des intérêts de la France surprenante. Mais l'essentiel est la fixation du seuil pour prendre les décisions à la majorité qualifiée. C'est ce qui fera que l'on peut prendre ou non des décisions, et donc avancer.
Q - Tony Blair n'a-t-il pas déjà torpillé cette Constitution en annonçant un référendum ?
R - Je suis pour le référendum. On ne peut pas décider du destin des peuples dans leur dos. Il faut mettre les peuples en face des vrais choix. Je crois qu'on gagnera ces référendums, y compris en Grande-Bretagne. Et les hommes politiques britanniques qui prendront la responsabilité de défendre le "yes" deviendront des hommes d'Etat.
Propos recueillis par Christiane Chombeau, Arnaud Leparmentier et Rafaële Rivais
(source http://www.udf.orf, le 10 mai 2004)
R - Il manque un grand parti démocrate en Europe, qui ne soit ni conservateur ni socialiste et reprenne l'esprit des p ères fondateurs.
Depuis des années, les gouvernements emploient à satiété les mots européens, mais dans la réalité leur projet européen est illisible. Trois exemples : je fais la collection des déclarations vibrantes qui annoncent des progrès sur la défense européenne. Dans la réalité, rien n'a vraiment bougé. En politique étrangère, le drame irakien a montré que les gouvernements choisissaient le chacun pour soi.
Enfin, en matière budgétaire, on dit que l'Europe doit s'occuper de défense, de recherche, d'aménagement du territoire, mais lorsqu'on décrète que son budget ne devra pas dépasser 1 % du produit intérieur brut européen, on la condamne à l'inexistence et l'impuissance. Quand il y a une telle distance entre les mots et les actes, le discours devient une eau tiède qui ne recouvre aucun élan et aucune vérité. Nous voulons bâtir un parti européen qui ait les idées claires.
Q - Avec qui allez-vous faire équipe ?
R - De Francesco Rutelli, leader de la Margherita en Italie, à Bronislaw Geremek et son parti en Pologne, une dizaine de leaders de partis européens sont intéressés par cette démarche. Je suis persuadé que l'attente d'un nouveau courant politique est très forte. On le voit dans de nombreux pays : 12 % pour l'UDF aux dernières régionales, 14 % pour la Margherita, 25 % pour les libéraux-démocrates en Grande-Bretagne. Si cette démarche prend corps, c'est une construction de long terme, qui ne concernera pas seulement les prochaines élections européennes, mais l'organisation politique de l'Europe en ce premier quart de siècle.
Q - Les chrétiens -démocrates et les sociaux-démocrates, qui ont fait l'Europe pendant quarante ans, ne portent plus le destin européen ?
R - Le PPE et le PSE se sont tous les deux laissé coloniser de l'intérieur par des forces puissantes qui se détournent du projet européen. Par exemple, les eurosceptiques conservateurs siègent au PPE. Et M. Berlusconi défend l'adhésion de la Turquie, de la Russie, du Maghreb, d'Israël. Ce n'est pas l'idée de l'Europe unie, homogène, acteur sur la scène du monde qui inspirait les fondateurs. Or il y a urgence. Le surgissement des Empires-continents, qui selon moi succèdent désormais aux Etats-nations, va conduire à une immense rivalité entre les Etats-Unis et la Chine, voire l'Inde. C'est cela, le nouveau visage de la planète. Et cela exige une capacité politique puissante, qui ne peut pas se limiter à l'entente franco-allemande et aux relations tantôt froides et tantôt démonstratives entre Schröder et Chirac.
Q - La CDU, qui domine le PPE que vous pourriez quitter, a aussi abandonné l'esprit d'Adenauer et de Kohl ?
R - Les convictions européennes héritées d'Adenauer et de Kohl restent fortes chez les chrétiens-démocrates allemands. Mais, dans leur ardeur à rassembler toutes les droites contre la gauche, ils ont ouvert le PPE aux forces eurosceptiques, le privant de cohérence et d'inspiration.
Q - Votre critique du couple Chirac-Schröder est-elle aussi un rejet des noyaux durs en Europe ?
R - Je suis très réservé face à l'Europe à géométrie variable, qui conduit naturellement vers l'Europe intergouvernementale. Dans l'Europe à géométrie variable, les institutions s'effacent. Or seules les institutions pourront faire l'Europe volontaire et démocratique.
Q - Mais cette Europe à plusieurs vitesses existe déjà avec l'euro et Schengen...
R - Face à l'euro, il manque une politique économique, précisément parce qu'il n'y a pas les institutions pour la porter. Dans Schengen, la politique de surveillance des frontières et la lutte contre le terrorisme sont évanescentes pour la même raison. Et rien de tout cela n'est lisible par les citoyens européens. Or l'illisibilité et l'absence de démocratie sont pour l'Europe des virus mortels. Les citoyens ont l'impression que les décisions sont prises à leur insu. Ils pensent que l'Europe est une bureaucratie alors que, les initiés le savent, le nombre de fonctionnaires européens est dérisoire. Au bout du compte, c'est le rejet.
Si l'on veut sauver le projet européen, il faut deux orientations : que l'Europe s'occupe de l'essentiel et pas de l'accessoire, de la défense mais pas du foie gras. Deuxièmement, que toute décision d'importance soit prise de manière transparente, au terme d'un débat public o ù les citoyens pourront se sentir engagés.
Q - N'est-ce pas le cas avec Jacques Chirac, qui a affirmé que les citoyens auraient le dernier mot sur la Turquie ?
R - L'idée qu'on pourra encore dire non lorsque les négociations auront été ouvertes et auront abouti est une tromperie. Il faut rechercher pour la Turquie un statut particulier, mais elle ne doit pas devenir membre de l'Union. Car plus l'Europe sera hétérogène, plus elle sera faible.
Q - Pourtant, vous cherchez à vous rapprocher des libéraux-démocrates britanniques, qui sont favorables à l'entrée de la Turquie...
R - Sur ce sujet essentiel, qui tient à l'identité de l'Europe, j'essaierai de convaincre. Il demeure que les "lib-dems" sont le plus européen des partis britanniques. Quand Adenauer, Schuman et De Gasperi se sont lancés dans la construction de l'Europe, ils n'étaient pas d'accord sur tout, mais ils voulaient relever ensemble le défi le plus important.
Q - Approuvez-vous la Constitution qui va renforcer le poids de l'Allemagne au conseil sans réviser à la baisse le nombre de députés ?
R - La France a perdu deux fois : à Nice, nous avons cédé sur le nombre de sièges au Parlement pour conserver la parité avec l'Allemagne au conseil. Ensuite, dans le projet de Constitution, nous avons cédé sur notre poids au conseil. C'est une démarche de défense des intérêts de la France surprenante. Mais l'essentiel est la fixation du seuil pour prendre les décisions à la majorité qualifiée. C'est ce qui fera que l'on peut prendre ou non des décisions, et donc avancer.
Q - Tony Blair n'a-t-il pas déjà torpillé cette Constitution en annonçant un référendum ?
R - Je suis pour le référendum. On ne peut pas décider du destin des peuples dans leur dos. Il faut mettre les peuples en face des vrais choix. Je crois qu'on gagnera ces référendums, y compris en Grande-Bretagne. Et les hommes politiques britanniques qui prendront la responsabilité de défendre le "yes" deviendront des hommes d'Etat.
Propos recueillis par Christiane Chombeau, Arnaud Leparmentier et Rafaële Rivais
(source http://www.udf.orf, le 10 mai 2004)