Texte intégral
A. Hausser-. La croissance donne des signes de reprise, mais en même temps, cette reprise est menacée par un euro trop fort qui bloque les exportations... Alors, qu'est-ce qui va l'emporter ?
- "Non, vous ne pouvez pas mettre sur le même plan les signes positifs concernant la reprise dans le monde, que ce soit en Chine, aux Etats-Unis, en Europe, donc aussi en France, et les problèmes qui sont quand même d'un second ordre, concernant les exportations, menacées à travers un euro un peu trop fort actuellement."
Vous dites : "de second ordre" ?!
- "C'est de second ordre par rapport au principal, qui consiste à constater que, l'économie européenne est en train de repartir, tous les indicateurs sont à la hausse. Il y en a même certains qui sont excessivement optimistes. Mais nous sommes probablement au début d'une reprise qui nous permettra l'année prochaine, en 2004, y compris d'ailleurs le dernier trimestre maintenant, de constater qu'on revient quand même à un comportement plus normal des investisseurs et des consommateurs. Les consommateurs ont bien consommé, même plus en 2003 qu'en 2002 en France. Et les investisseurs, qui avaient quelques états d'âme, sont en train, à travers les industriels, de se rendre compte qu'il est temps de se remettre à investir. Donc ça devrait aller mieux. Mais le sujet de l'euro..."
Cela vous préoccupe un peu quand même, on vous a entendu en parler pas plus tard qu'hier...
- "Oui. Au sujet de l'euro, premièrement, la réévaluation de l'euro permet d'importer moins cher. Personne n'en parle, bien entendu. Mais après tout, c'est une bonne nouvelle. Le pouvoir d'achat à l'importation pour tout ce qui n'est pas dans la zone euro est augmenté. Deuxièmement, c'est vrai a contrario, les marges des exportateurs sont un peu moins confortables, puisque ces exportateurs se battent avec des concurrents qui sont soit des Japonais, soit des Américains. Donc, ils sont obligés de freiner leurs marges. Mais enfin, ceci n'est quand même pas dramatique, et sauf si l'euro s'installait durablement à un niveau qui me paraît élevé - le niveau actuel de 1,20 par rapport au dollar -, il ne faut pas s'affoler. Et je ne considère absolument pas qu'il y a risque d'asphyxie de la reprise à travers cette remontée de l'euro."
"Durablement", cela voudrait dire combien de temps ?
- "Cela voudrait dire l'année, si vous voulez."
Et le bon niveau, ce serait quoi par rapport au dollar ?
- "Il n'y a pas de bon niveau, puisque c'est le résultat de l'offre et de la demande. Et c'est un vote de confiance ou de défiance du marché par rapport à l'économie américaine, à l'économie européenne... Ceci étant dit, on avait le sentiment que, aux alentours de 1,10, c'était une situation raisonnable. Le 1,20, c'est une pointe. On est en train de retomber apparemment un peu en-dessous. Ce qui est intéressant aussi, c'est qu'il ne faut pas raisonner uniquement euro-dollar. Il faut se rendre compte qu'il y a d'autres monnaies et que le yen, lui aussi, s'est réévalué par rapport au dollar, même s'il s'est réévalué un peu moins. Donc, la pénalisation à l'exportation n'est pas aussi grande et aussi mécanique que le rapport euro-dollar peut le faire penser."
Il y a le yuan...
- "Et le yuan, mais ça c'est autre chose."
Ce sont des Cassandre ceux qui disent que "les Etats-Unis et la Chine s'entendent sur notre dos", au niveau de la monnaie ?
- "C'est un résumé un peu simple, si vous voulez. Les Chinois sont en train, depuis dix ans, et pour 20 ans encore, de connaître un parcours fondamentalement de croissance, celui qu'a connu le Japon il y a 40 ans. A l'arrivée, nous aurons une Chine qui aura retrouvé un niveau de vie comparable à peu près à ceux des pays occidentaux, et compte tenu de sa population, ça sera quand même la puissance importante - je ne dis pas qu'elle sera dominante. Dans ce contexte-là, les exportations actuelles de la Chine permettent aussi, de générer des importations, car, au cas où vous ne sauriez pas, la Chine est devenue très rapidement, le premier marché, par exemple pour des pays comme le Brésil, comme l'Argentine, qui découvrent que, certes, le monde est ouvert à leurs exportations, mais que la Chine est un nouveau monde. Donc je ne considère pas du tout que l'évolution de la croissance économique chinoise soit un danger. Au contraire, c'est une opportunité pour nous, y compris en Europe, y compris en France."
Restons en Europe. La semaine prochaine, vous retournez à Bruxelles, une fois de plus...
- "Tous les mois, madame !"
Tous les mois ! Mais, cette fois-ci, il faudra dire : "Regardez ce que nous avons fait pour que nous ne soyons pas pénalisés par la Commission". La maîtrise des dépenses de l'Etat, c'est votre grand argument ?
- "La maîtrise des dépenses de l'Etat est effectivement notre argument. En plus, c'est un fait, nous avons, en 2003, réussi à ne pas dépenser plus que ce qu'on avait été autorisés à dépenser par l'Assemblée. Nous refaisons la même chose en 2004 puis en 2005, puis en 2006. Sachant qu'en 2004 et les années suivantes, nous avons décidé de bloquer globalement les dépenses de l'Etat, en termes de pouvoir d'achat - Cela s'appelle "le zéro volume" -, et ceci malgré un certain nombre de hausses normales ou choisies à l'intérieur des dépenses de l'Etat. Ce qui entraîne que d'autres dépenses vont baisser."
"Zéro volume", cela ne veut pas dire aussi "plan d'austérité" ?
- "Ce n'est pas une question de plan d'austérité ou pas, c'est une question de discipline. Nous savons que nous devons éviter quand même une trop forte croissance de notre déficit, qui entraîne une croissance de notre dette, c'est-à-dire de la dette des générations futures. Et donc, pour maîtriser cela, il faut que pendant un certain temps, le supplément de recettes lié à la croissance ne soit pas affecté à un supplément des dépenses. Donc, on maintient les dépenses au niveau actuel et les recettes permettent de diminuer le déficit. C'est simple !"
C'est "simple", et dans ce cas-là, il ne faut pas trop baisser les impôts ?
- "Non, la baisse d'impôts est un moyen de générer de la croissance. Alors, c'est vrai que vous commencez par baisser les impôts et vous perdez une recette fiscale, donc vous aggravez optiquement votre déficit. Mais en sous-terrain, implicitement, vous créez les conditions pour que, quelques années plus tard, la machine économique française tourne plus fortement, donc soit plus dynamique, donc rapporte plus de recette fiscales. Donc nous continuerons d'une manière organisée, d'une manière adaptée aux circonstances, y compris à l'intérieur du "zéro volume", à avoir l'ambition de baisser les prélèvements et les impôts sur l'activité économique, quitte à choisir des méthodes qui soient aussi efficaces que possible, par rapport à l'objectif qui est de relancer la machine."
Ce qui veut dire que la méthode actuelle n'est pas tout à fait efficace, n'est pas assez efficaces ?
- "Non, la méthode actuelle fait partie des moyens nous permettant de redonner confiance..."
Et elle a montré ses limites ?
- "Ce n'est pas une question de limites, parce qu'on pourrait continuer à baisser l'impôt sur le revenu si on décide de le faire. Mais on va regarder tous les autres prélèvements sur lesquels le rendement serait plus fort en termes de résultats économiques."
Lesquels ?
- "C'est un vaste sujet..."
Sujet, dont vous ne voulez pas parler ce matin ?!
- "Non, mais qui va nous occuper longtemps avant de pouvoir afficher une politique."
Il y a une question qui est toujours en suspens à Bruxelles, c'est la baisse de la TVA sur la restauration. C'est un des éléments de négociation ?
- "Non, ce n'est pas un élément de négociation, c'est un autre sujet. Vous savez que ces éléments de TVA sont soumis à une décision unanime. Autant actuellement, personne ne remet en cause la prolongation de la baisse de la TVA sur les travaux à domicile et dans le bâtiment, même si on aura peut-être un peu de difficulté à trouver le véhicule juridique pour qu'il en soit ainsi. Autant aujourd'hui, compte tenu des autres demandes et des autres positions des autres pays, pour ce qui concerne d'autres baisses ou consolidations de taux de TVA réduits, on ne peut pas dire qu'on va avoir rapidement satisfaction sur la restauration."
Le Point titre : "Chirac, qu'est-ce qui cloche ?". Est-ce que ça "cloche" ?
- "Je ne sais pas ce qui cloche, je n'ai pas lu Le Point de toute façon ! Mais je considère que le Gouvernement, du moins, travaille bien, il a sa méthode pour travailler, qui consiste à faire les choses les unes après les autres, à les annoncer et à délivrer à peu près ce qu'il a annoncé. Vous regardez ce qu'on aura fait en 2003, en-dehors de reprendre le contrôle des dépenses. Deux réformes : la réforme retraites qui est majeure pour le futur, et la deuxième réforme qui va passer en discussion à l'Assemblée, à l'initiative toujours de F. Fillon, c'est-à-dire la formation tout au long de la vie et la rénovation du dialogue social. C'est majeur."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 novembre 2003)