Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur l'adaptation du Code civil à l'évolution de la société, sur sa modernisation et sur le souhait de voir la codification du droit communautaire s'inspirer du code civil, Paris le 29 avril 2004.

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Circonstance : Colloque "Vivre et faire vivre le Code civil" au Sénat le 29 avril 2004

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Premier Président,
Mesdames et Messieurs les Hauts Représentants des professions judiciaires,
Mesdames et Messieurs,
C'est un très grand honneur pour moi de vous accueillir toutes et tous au Sénat ce matin, pour la deuxième des trois manifestations consacrées aux célébrations du Bicentenaire du Code civil, qui se tiendront cette année au sein de la Haute Assemblée.
La première, qui a eu lieu les 3 et 4 avril dernier, à l'initiative de l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains, était consacrée à l'avenir de la codification en France et en Amérique Latine. La troisième, organisée conjointement avec l'Institut des Hautes Etudes pour la Justice, se tiendra en novembre prochain : elle portera sur la genèse philosophique, historique et politique du Code civil.
Le destin et le rôle tout à fait exceptionnels joués par ce code dans la société française, en Europe et même dans le monde, justifiaient que le Sénat, considéré à juste titre comme une assemblée de légistes, ou comme l'assemblée des légistes, le célébrât autant.
" De bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir ; elles sont la source des murs, le palladium de la prospérité, et la garantie de toute paix publique et particulière : si elles ne fondent pas le gouvernement, elles le maintiennent ; ... Elles sont souvent l'unique morale du peuple, et toujours elles font partie de sa liberté ".
Ainsi s'exprimait Portalis dans son très célèbre " Discours préliminaire ", dans lequel il exposait aux citoyens l'intérêt de disposer d'une loi écrite et uniforme.
C'est peu de dire que le Code civil a rempli la " mission " qui lui était ainsi assignée ! Il l'a fait sans nul doute, bien au-delà des espérances de ses auteurs, y compris de Bonaparte, qui pensait devoir le réviser à échéance de 40 ans !
Dans un style d'une clarté, d'une limpidité et d'une simplicité à ce jour inégalées, les rédacteurs du Code civil ont réussi, là où pour des raisons différentes, l'Ancien Régime et la Révolution avaient échoué : donner une législation commune à l'ensemble de la Nation et accessible à tous.
Réalisant une incroyable synthèse entre les droits coutumiers de l'Ancien Régime, le droit romain, le droit naturel et les idées révolutionnaires, le Code civil est un carrefour idéologique et juridique construit autour de valeurs fondamentales telles que la liberté, l'égalité, la responsabilité, la volonté et la laïcité.
Ces valeurs ont " cimenté " la société française depuis 1804 et lui ont apporté la stabilité que les régimes politiques ne lui offraient pas. En un mot, le Code civil a fait entrer la société française dans la modernité.
C'est pourquoi il demeure, en dépit des nombreuses modifications qu'il a subies depuis la deuxième moitié du 20ème siècle, le droit " mère de tous les autres ", comme le disait le regretté Doyen Carbonnier. Le droit civil reste celui auquel les autres secteurs du droit viennent " demander leur outillage juridique ".
Le Code civil a été et demeure également un modèle pour les autres codes nés depuis.
Pourtant, les changements ont été dans certaines de ses parties comme le droit de la famille, très substantiels. L'égalité des filiations, celle des époux et l'autorité parentale conjointe ont peu à peu succédé à l'incapacité de la femme mariée, à l'autorité maritale et à la puissance paternelle.
Mais chaque fois, si le contenu a changé, la structure a été conservée. Le Code civil s'est ainsi remarquablement adapté à l'évolution de la société.
Le Président de la République a annoncé le 11 mars dernier que le droit des contrats et des sûretés devait à leur tour être adapté, dans les cinq ans à venir. Une fois encore, il s'agira de moderniser le Code civil pour le renforcer, nullement de le remettre en cause.
Il a également annoncé l'achèvement de la réforme du droit de la filiation, par voie d'ordonnance. Le parlementaire que je suis, s'il en comprend les raisons, le déplore profondément.
A la nécessité de moderniser le Code civil et notre droit en général, s'ajoute celle de poursuivre le travail de codification, engagé il y a maintenant plus de 10 ans, et dont l'actualité ne s'était sans doute jamais fait autant ressentir depuis 1804. A une époque où les sources du droit tant internes qu'internationales se sont considérablement diversifiées, au point d'être, selon certains, " éclatées ", l'instrument de simplification et de démocratisation que constitue la codification, a en effet conservé toute sa pertinence et a même acquis une très grande acuité.
S'il faut certes rester lucide sur la portée des codifications modernes, dont un certain nombre ressemblent davantage à des compilations mises à jour, qu'à des uvres de synthèse créatrices d'une ère nouvelle ; ces codes constituent cependant des instruments de connaissance et de diffusion de notre droit. Ce sont des atouts majeurs, pour être " compétitif ", face à la concurrence d'autres écoles, comme le droit américain ou le droit anglais.
C'est pourquoi je partage le souhait du Président de la République de voir les institutions européennes s'atteler à la codification du droit communautaire, afin d'en renforcer la connaissance et l'influence.
Pour revenir au droit français, je crois qu'un droit modernisé et codifié nous donne toutes les raisons d'être sereins, face à la perspective de voir s'élaborer un droit civil européen. Nous avons la possibilité d'en faire un droit de forte inspiration française.
En tout état de cause, les praticiens du droit que vous êtes ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel à chaque étape de la vie du Code civil, et au-delà, du droit français en général.
En effet, et commençons par rendre à César ce qui lui appartient, c'est vous qui avez très largement rédigé le Code civil ! Non seulement parce que, comme chacun sait, ses quatre rédacteurs : Portalis, Tronchet, Maleville et Bigot de Préameneu, étaient tous avocats, aux barreaux d'Aix-en-Provence, de Paris et de Bordeaux ; mais aussi parce que leur premier projet a été enrichi par les abondantes observations du Tribunal de Cassation et des 29 tribunaux d'appel de l'époque, auxquels il avait été adressé, avec un délai de trois mois pour y répondre.
C'est vous surtout, avocats, magistrats, notaires, huissiers, commissaires-priseurs, qui faites vivre au quotidien le Code civil, qui lui donnez corps.
C'est ainsi que vous repérez les imprécisions, les failles ou les manques qui apparaissent dans le Code civil et le droit en général, au fur et à mesure des évolutions sociologiques, économiques ou technologiques. Le juge, chaque fois qu'il le peut, met à profit la remarquable plasticité du Code civil, pour l'adapter à son temps sans avoir à le modifier. L'uvre accomplie par la jurisprudence dans le domaine de la responsabilité du fait des choses ou celle du fait d'autrui est à cet égard exemplaire.
Au-delà du rôle primordial joué par la jurisprudence, toutes vos professions constituent pour le pouvoir exécutif, mais aussi pour le Parlement, des forces de proposition irremplaçables.
C'est pourquoi le Sénat qui, j'ai plaisir à le souligner, travaille dans l'hémicycle sous le regard de Portalis, prend toujours beaucoup de soin, dans le cadre des travaux de ses commissions, à auditionner un grand nombre de vos représentants.
Ainsi, vous avez accompagné et enrichi toutes les grandes réformes du Code civil, au 20ème siècle, et continuerez de l'être dans les prochains chantiers, notamment celui que j'ai évoqué tout à l'heure : le droit des contrats et des sûretés.
Mais votre rôle est parfois moteur dans certaines réformes, comme ce fut le cas sur la question de la signature électronique, objet d'un texte adopté en mars 2000, et celle plus récente encore de la dématérialisation de l'acte authentique.
Enfin, les nombreuses initiatives que les notaires, les huissiers et les avocats ont prises depuis une dizaine d'années pour faire connaître leur profession et au-delà, pour exporter le droit français, notamment dans les pays dits d'Europe de l'Est, ont montré que la concurrence et la domination des droits anglo-saxons n'étaient pas une fatalité. Notre droit et nos professions sont très appréciés lorsqu'ils sont connus. Sachez que le soutien du Sénat vous est acquis dans ces entreprises.
Telles sont les raisons pour lesquelles je me réjouis que parmi toutes les manifestations consacrées au bicentenaire du Code civil, une journée entière soit dédiée aux praticiens du droit, aux hommes et aux femmes de terrain qui vivent chaque jour le Code civil et permette de rendre hommage à leurs actions et à leurs talents.
Je vous souhaite de fructueux travaux.
(source http://www.senat.fr, le 3 mai 2004)