Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "La Montagne" du 8 juillet 2003, sur la politique régionale européenne, la future Constitution de l'UE et la place de la coopération franco-allemande dans le cadre de de la construction européenne.

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Média : La Montagne

Texte intégral

Q - Le but de votre visite dans notre région ?
R - Ma visite s'inscrit dans le cadre des "Rencontres pour l'Europe" qui me conduisent à aller faire le tour de la France pour parler de l'Europe au quotidien. Mes premiers interlocuteurs sont les élus, en tant qu'acteurs majeurs des futures échéances européennes, mais je m'attache aussi à dialoguer avec les différentes catégories socioprofessionnelles et plus largement avec le public, en particulier les jeunes. Ces déplacements, au rythme d'un par semaine, me permettent de voir comment l'Europe est déjà présente dans nos régions. Cette présence est surtout visible en Auvergne qui proportionnellement à sa population, est en tête des régions bénéficiaires en France des "fonds structurels", c'est-à-dire des aides régionales distribuées par l'Union européenne, avec trois grandes réalisations : Vulcania, d'abord, dont la renommée est internationale, la Grande Halle, ensuite, enfin le tunnel du Lioran. Ces exemples soulignent le lien qui existe entre la politique régionale européenne et les grandes infrastructures dont dépend le dynamisme de notre économie.
Q - Quelle appréciation portez-vous sur les travaux de la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing qui vient de proposer un projet de Constitution pour l'Union européenne ?
R - La contribution du président Giscard d'Estaing à la construction de l'Europe revêt une portée historique, d'autant qu'il n'était pas du tout acquis que la Convention serait capable de présenter comme elle l'a fait un seul projet de Constitution largement consensuel. Sur le fond, chacun s'accorde à reconnaître que ce projet est bon. Il ménage en effet un équilibre institutionnel qui ne heurte ni les partisans du tout communautaire ni les tenants de la suprématie des Etats. Toutes les institutions sont renforcées, sans qu'aucune d'entre elles n'apparaisse injustement favorisée. Il n'y a ni gagnant ni perdant. Le Conseil européen hérite d'un président stable et qui aura donc le temps d'en préparer les réunions, et d'un ministre des Affaires étrangères qui pourra représenter à travers le monde la voix de l'Europe. Le Parlement européen devient véritablement législateur. La Commission voit conforté, comme le souhaitait la France, son monopole d'initiative et disposera de pouvoirs accrus en matière de surveillance budgétaire pour éviter certains dérapages économiques qui pourraient mettre en danger l'euro.
Q - Mais une telle Constitution vous semble-t-elle adaptée à une Europe comptant 25 membres ?
R - La France aurait souhaité que davantage de décisions puissent désormais être prises à la majorité qualifiée. Car, qui dit unanimité dit pouvoir de veto de n'importe quel Etat, y compris le plus petit. Il est dommage que l'unanimité demeure la règle en matière fiscale et sociale. Mais, par ailleurs, je me félicite qu'un pas important ait été franchi dans les domaines de la justice et de la sécurité, préoccupation majeure des Européens. On s'oriente, ce qui est nouveau, vers un droit pénal européen avec la définition "d'eurocrimes", la création à terme d'un parquet européen et une harmonisation même de certaines procédures judiciaires. Cela va dans le bon sens. Rappelez-vous qu'il a fallu les événements dramatiques du 11 septembre 2001 pour voir instituer - enfin - le mandat d'arrêt européen !
Dans un autre ordre d'idées, je me réjouis que la France ait obtenu une base juridique qui permettra de fixer les règles des services publics marchands. A côté de la logique du marché, il faut ménager l'accessibilité de tous à ces services essentiels que sont les transports ferroviaires, la distribution d'eau, de gaz et d'électricité, la poste et les télécoms.
Q - En quoi la coopération franco-allemande peut-elle être utile au succès de l'élargissement de l'Europe ?
R - L'un des enjeux de la coopération franco-allemande est d'assurer ensemble la réussite de l'élargissement. L'Allemagne est mieux préparée que nous à cette échéance, grâce à son expérience de réunification et à sa proximité géographique des pays de l'Est. Mais la France rattrape son retard de façon éclatante. Elle est par exemple aujourd'hui le premier investisseur en Pologne, en Hongrie et en Roumanie. Autre enjeu de cette coopération : construire des compromis qui puissent être utiles à toute l'Europe. C'est ce que nos deux pays viennent de faire en traçant la voie d'une réforme de la politique agricole commune qui en préserve la pérennité.
Le couple franco-allemand ne doit pas être assimilé à un noyau dur, exclusif de toute autre alliance. Il doit surtout continuer de fonctionner comme une force d'entraînement capable de proposer des compromis acceptables par tous les partenaires européens. Ainsi le grand sujet à venir est la négociation sur les perspectives financières de l'Europe pour les années 2007-2013. Combien les Etats sont-ils disposés à verser au budget européen pour financer les politiques communes ? Une discussion sur le sujet dans un cadre franco-allemand sera certainement utile
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juillet 2003)