Texte intégral
Q - Dans la revue de presse européenne, il a été beaucoup question de la Convention sur l'avenir de l'Europe, de la future Constitution de l'Union - Valéry Giscard d'Estaing en a d'ailleurs remis une copie à Silvio Berlusconi il y a quelques jours. Il a aussi beaucoup été question de divisions entre la vieille et la nouvelle Europe, entre les tenants de la guerre en Irak et ceux qui la refusaient, entre les défenseurs du multilatéralisme et du rôle politique de l'Europe et ceux qui estiment qu'une hyperpuissance dans le monde - les Etats-Unis -, suffit largement. Et dernier fait important de cette année : l'opinion publique européenne. Elle a été massive, très visible, prête à manifester en nombre contre la guerre en Irak. Reste à savoir maintenant dans quel espace public cette opinion trouvera les moyens de peser, de se faire entendre On va parler de tous ces sujets et de bien d'autres également en votre compagnie, Noëlle Lenoir. Bonjour.
Vous êtes ministre déléguée aux Affaires européennes. 2002, 2003 ont été riches en projets et en divisions et c'est vrai que l'Europe parlant d'une seule voix sur la scène internationale, cela n'a pas encore été pour cette année ?
R - Il faut regarder ce qui s'est réellement passé durant l'année qui vient de s'achever. Il y a eu des échéances européennes extrêmement importantes qui ont été franchies avec beaucoup de succès : la fin des négociations d'adhésion des dix nouveaux pays qui vont nous rejoindre au 1er mai 2004 - cet élargissement est financé à un coût très raisonnable -, la présentation, vous venez de l'indiquer, du premier projet de Constitution européenne - alors que l'on pouvait penser que la Convention, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, n'arriverait pas à un consensus. Il y a eu la naissance d'une Europe de la Défense. C'est vrai que la politique étrangère a connu quelques turbulences mais l'Europe de la Défense existe, en République démocratique du Congo, en Macédoine. Et l'an prochain, les forces européennes vont se déployer en Bosnie-Herzégovine. Ceci montre qu'il y a des perspectives européennes, qui sont entièrement nouvelles, de présence sur la scène mondiale. Et puis, quatrième point, il y a un sujet qui nous intéresse nous, Français, c'est la pérennisation d'une des politiques communes fondatrices de l'Europe : la politique agricole. Pour que le "pouvoir vert" soit partagé entre le continent américain, le continent européen et les autres.
Q - Comment se fait-il que ce soit sur la politique étrangère qu'il soit le plus difficile de s'entendre ? Vous avez dressé effectivement la liste d'un certain nombre de dossiers qui ont avancé, d'étapes qui ont été franchies. Mais sur l'affaire de la guerre en Irak, il y a eu des divisions extrêmement fortes entre des visions du monde, pratiquement, plus qu'entre des prises de position politiques ?
R - La politique étrangère est devenue, pour partie, une compétence européenne très récemment, en 1992, dans le Traité de Maastricht. Les pères fondateurs de l'Europe n'avaient jamais imaginé - sauf ceux qui pensaient aux "Etats-Unis d'Europe", c'est-à-dire à la création d'un Etat ou d'un "super-Etat européen" - que les types d'intervention que l'on entend promouvoir vis-à-vis des autres pays, seraient dans l'escarcelle de l'Union européenne. C'est chose faite : il y a aujourd'hui une prise de conscience de l'existence politique de l'Europe. La guerre en Irak en a été le révélateur parce que, certes, il y a eu des divisions. Certains pays ont considéré que l'alliance avec les Etats-Unis primait sur tout le reste, d'autres ont considéré, au contraire, qu'il ne fallait pas y aller. Ces divisions se sont manifestées mais l'Union européenne a fait entendre d'une seule voix, au moins, ses principes : ses principes d'action autour de l'idée que la communauté internationale doit avoir une existence forte, que les Nations unies ne doivent pas disparaître dans leur raison d'être, simplement parce que tous les Etats membres permanents du Conseil de sécurité ne sont pas entièrement d'accord.
Q - Vous le disiez à l'instant, dans la suite de la guerre en Irak, et je parlais de divisions philosophiques entre les différents partenaires européens, on a vu l'Angleterre dire, effectivement, que le multilatéralisme politique, le fait d'exister politiquement sur une scène internationale, n'était absolument pas une évidence pour l'Europe, et que l'on pouvait imaginer une Europe sur un mode mineur, au moins sur ce plan là, et que les Etats-Unis suffisaient largement à réguler les grands problèmes du monde, les grands problèmes politiques.
R - Ce que je trouve tout à fait nouveau - et l'on sent qu'à l'heure actuelle, nous sommes en train de franchir une étape -, c'est que c'est la première fois que les dirigeants européens ont une réflexion globale sur les équilibres mondiaux au regard du rôle que l'Europe peut jouer. C'est vrai que le Premier ministre britannique a considéré que l'unilatéralisme pouvait s'accommoder d'un partenariat avec les Etats-Unis. J'ai assisté à la télévision au discours qu'il a fait devant le Congrès américain où il a insisté sur un partenariat sans soumission. Nous, Français, et le président de la République tout particulièrement, pensons que la vision réelle du monde est celle d'un monde multipolaire, qui n'est plus bipolaire. Car il n'y a plus cette division entre deux régimes politiques : le monde libre d'une part, et le communisme, d'autre part.
Q - On voit bien qu'il y a donc différents calendriers dans cette question de la politique étrangère : il y a eu une crise, des choses sont en train de se mettre en place. Peut-être que de la douleur et de la difficulté émergera une politique étrangère plus unie. En même temps, il y a un calendrier à très court terme : c'est l'Italie aujourd'hui qui dirige et a la présidence de l'Union et c'est Silvio Berlusconi qui a été reçu dans le "ranch" de George Bush, en "santiags", dans une grande décontraction, entre deux vieux amis qui avaient été solidaires au moment de la guerre Il porte aussi l'Union européenne, Silvio Berlusconi en ce moment, et là c'est une certaine lecture de cette Union et de l'épisode de la guerre qui a été porté sur la scène internationale...
R - C'est vrai. Mais je crois qu'il ne faut pas guetter la moindre visite comme signifiant que l'on s'écarte d'une ligne européenne
Q - Sur le concept déjà fondateur d'anti-totalitarisme comme moyen de définir ce qu'est l'Europe aujourd'hui ?
R - L'Europe, telle qu'elle a été fondée après la dernière guerre mondiale par les Jean Monnet, Robert Schuman et autres pères fondateurs, répond à cette définition. Chacun connaît le livre de Stefan Zweig, "Souvenirs d'un Européen", où il dit que le nationalisme est la peste des pestes qui a été la maladie la plus répandue en Europe depuis le XIXème siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, et que cela nous a conduits à notre perte. Ce sont des Etats nations mais des Etats nations qui repoussent la tentation du nationalisme, de l'hégémonie, puisqu'il y a eu de nombreuses tentatives de constituer l'Europe à travers les empires, par les armes et par le sang. Nous faisons autre chose : nous nous posons en nation responsable avec des citoyens qui donnent mandat à leurs dirigeants pour s'accorder ensemble, pour prendre des décisions ensemble, qui sont peut-être un peu plus lointaines mais qui, au moins, modèrent les ardeurs des uns et des autres à vouloir dominer leurs voisins, leurs partenaires. C'est un nouveau mode de gouvernement. Ce n'est peut-être pas l'Etat nation tel qu'on l'a constitué à l'époque de Bodin. C'est autre chose. Mais cela ne nie pas les nationalités, l'identité nationale, cela nie le nationalisme et les tentatives hégémoniques. Et je trouve que c'est une bonne chose.
Q - Juste un mot sur l'OMC. Le destin économique de l'Europe lui échappe partiellement ?
R - Non. Il y a des instances d'arbitrage quasi juridictionnelles. Il y a maintenant la Cour pénale internationale. Je crois que l'on a besoin, lorsque l'on veut éviter la guerre, du droit. Alors, jusqu'où en a-t-on besoin ? Et, au non du droit, peut-on faire la police des nations en dehors de ses frontières ou du continent européen ? "That is the question", si je puis dire. En tous les cas, il y a une évolution qui essaie de trouver une alternative à la puissance telle qu'en elle-même, c'est à dire à l'intervention par la force. Et cela, c'est un peu l'inspiration européenne. ()
Q - Et la Cour pénale internationale ?
R - Le sujet n'est pas facile néanmoins puisque c'est une juridiction qui juge pour des faits politiques : des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre mais qui sont inspirés par des objectifs politiques, des hommes politiques qui ont une responsabilité sans limite puisqu'il n'y a plus de prescription - ce sont des crimes imprescriptibles - devant une juridiction composée de juges. C'est entièrement nouveau dans notre système international et je pense que c'est un très grand enjeu de dialogue entre les Etats-Unis et l'Europe.
Q - Dernière question : Alain-Gérard Slama parlait tout à l'heure de l'anti totalitarisme comme valeur cardinale pour définir l'Europe. Ne pensez-vous pas que le concept de service public soit une autre valeur très importante, un modèle social européen à préserver, à sanctifier, à élargir justement, au lieu d'accepter des Europe à deux, trois, quatre vitesses, en fonction des cultures sociales des entrants ? L'universalité du service public, qui est défendue par justement une série d'associations comme celles qui participent au Forum social européen, c'est là aussi tout de même une valeur forte compromise dans un certain nombre de décisions européennes.
R - Deux points sur le sujet. Premièrement la France est tout à fait satisfaite des conclusions de la Convention sur l'avenir de l'Europe, puisque figure dans le projet de Constitution européenne cette notion de services publics économiques, qui répondent à des obligations particulières, par exemple faire circuler les trains y compris dans les régions les plus reculées, faire acheminer le courrier y compris dans des zones difficilement accessibles, et permettre à chacun d'avoir le droit à l'énergie, le droit à l'eau potable par exemple. Et aussi évidemment les télécommunications qui doivent fonctionner en réseau suivant un système de maillage de l'ensemble du territoire. Cela, ce sont des principes qui sont le service du consommateur pour des biens tout à fait essentiels et qui figurent maintenant dans la Constitution européenne, dans le projet de Constitution ; on espère bien que ceci va être maintenu. J'ajoute que, pour ma part, j'ai constitué un groupe présidé par Christian Stoffaes, qui est un économiste, expert auprès d'EDF, bien connu, qui a fait un excellent rapport sur la régulation des services d'intérêt économique général, autour de l'idée que les années 80, 90 ont été celles de la dérégulation, de la création de la monnaie unique, donc c'était vraiment la libéralisation, et l'accent a été mis sur la question monétaire, sur l'union monétaire. Maintenant il faut songer à la croissance, il faut songer à la régulation, et à la régulation au service de la croissance, au service du public, parce qu'on ne peut pas imaginer qu'en Europe éclate une crise comme celle que l'on a connue en Californie, où, pour des raisons purement de rentabilité ou d'absence de rentabilité, les compagnies d'électricité ne fonctionnaient plus, c'est-à-dire que les gens vivaient dans le noir parce que cela n'était plus rentable de fournir l'électricité. Et bien l'Europe, ce n'est pas ce modèle-là. Il faut songer à une régulation qui permette à nos services publics, même du secteur marchand, d'offrir des conditions de vie qui répondent à nos aspirations européennes
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2003)
Vous êtes ministre déléguée aux Affaires européennes. 2002, 2003 ont été riches en projets et en divisions et c'est vrai que l'Europe parlant d'une seule voix sur la scène internationale, cela n'a pas encore été pour cette année ?
R - Il faut regarder ce qui s'est réellement passé durant l'année qui vient de s'achever. Il y a eu des échéances européennes extrêmement importantes qui ont été franchies avec beaucoup de succès : la fin des négociations d'adhésion des dix nouveaux pays qui vont nous rejoindre au 1er mai 2004 - cet élargissement est financé à un coût très raisonnable -, la présentation, vous venez de l'indiquer, du premier projet de Constitution européenne - alors que l'on pouvait penser que la Convention, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, n'arriverait pas à un consensus. Il y a eu la naissance d'une Europe de la Défense. C'est vrai que la politique étrangère a connu quelques turbulences mais l'Europe de la Défense existe, en République démocratique du Congo, en Macédoine. Et l'an prochain, les forces européennes vont se déployer en Bosnie-Herzégovine. Ceci montre qu'il y a des perspectives européennes, qui sont entièrement nouvelles, de présence sur la scène mondiale. Et puis, quatrième point, il y a un sujet qui nous intéresse nous, Français, c'est la pérennisation d'une des politiques communes fondatrices de l'Europe : la politique agricole. Pour que le "pouvoir vert" soit partagé entre le continent américain, le continent européen et les autres.
Q - Comment se fait-il que ce soit sur la politique étrangère qu'il soit le plus difficile de s'entendre ? Vous avez dressé effectivement la liste d'un certain nombre de dossiers qui ont avancé, d'étapes qui ont été franchies. Mais sur l'affaire de la guerre en Irak, il y a eu des divisions extrêmement fortes entre des visions du monde, pratiquement, plus qu'entre des prises de position politiques ?
R - La politique étrangère est devenue, pour partie, une compétence européenne très récemment, en 1992, dans le Traité de Maastricht. Les pères fondateurs de l'Europe n'avaient jamais imaginé - sauf ceux qui pensaient aux "Etats-Unis d'Europe", c'est-à-dire à la création d'un Etat ou d'un "super-Etat européen" - que les types d'intervention que l'on entend promouvoir vis-à-vis des autres pays, seraient dans l'escarcelle de l'Union européenne. C'est chose faite : il y a aujourd'hui une prise de conscience de l'existence politique de l'Europe. La guerre en Irak en a été le révélateur parce que, certes, il y a eu des divisions. Certains pays ont considéré que l'alliance avec les Etats-Unis primait sur tout le reste, d'autres ont considéré, au contraire, qu'il ne fallait pas y aller. Ces divisions se sont manifestées mais l'Union européenne a fait entendre d'une seule voix, au moins, ses principes : ses principes d'action autour de l'idée que la communauté internationale doit avoir une existence forte, que les Nations unies ne doivent pas disparaître dans leur raison d'être, simplement parce que tous les Etats membres permanents du Conseil de sécurité ne sont pas entièrement d'accord.
Q - Vous le disiez à l'instant, dans la suite de la guerre en Irak, et je parlais de divisions philosophiques entre les différents partenaires européens, on a vu l'Angleterre dire, effectivement, que le multilatéralisme politique, le fait d'exister politiquement sur une scène internationale, n'était absolument pas une évidence pour l'Europe, et que l'on pouvait imaginer une Europe sur un mode mineur, au moins sur ce plan là, et que les Etats-Unis suffisaient largement à réguler les grands problèmes du monde, les grands problèmes politiques.
R - Ce que je trouve tout à fait nouveau - et l'on sent qu'à l'heure actuelle, nous sommes en train de franchir une étape -, c'est que c'est la première fois que les dirigeants européens ont une réflexion globale sur les équilibres mondiaux au regard du rôle que l'Europe peut jouer. C'est vrai que le Premier ministre britannique a considéré que l'unilatéralisme pouvait s'accommoder d'un partenariat avec les Etats-Unis. J'ai assisté à la télévision au discours qu'il a fait devant le Congrès américain où il a insisté sur un partenariat sans soumission. Nous, Français, et le président de la République tout particulièrement, pensons que la vision réelle du monde est celle d'un monde multipolaire, qui n'est plus bipolaire. Car il n'y a plus cette division entre deux régimes politiques : le monde libre d'une part, et le communisme, d'autre part.
Q - On voit bien qu'il y a donc différents calendriers dans cette question de la politique étrangère : il y a eu une crise, des choses sont en train de se mettre en place. Peut-être que de la douleur et de la difficulté émergera une politique étrangère plus unie. En même temps, il y a un calendrier à très court terme : c'est l'Italie aujourd'hui qui dirige et a la présidence de l'Union et c'est Silvio Berlusconi qui a été reçu dans le "ranch" de George Bush, en "santiags", dans une grande décontraction, entre deux vieux amis qui avaient été solidaires au moment de la guerre Il porte aussi l'Union européenne, Silvio Berlusconi en ce moment, et là c'est une certaine lecture de cette Union et de l'épisode de la guerre qui a été porté sur la scène internationale...
R - C'est vrai. Mais je crois qu'il ne faut pas guetter la moindre visite comme signifiant que l'on s'écarte d'une ligne européenne
Q - Sur le concept déjà fondateur d'anti-totalitarisme comme moyen de définir ce qu'est l'Europe aujourd'hui ?
R - L'Europe, telle qu'elle a été fondée après la dernière guerre mondiale par les Jean Monnet, Robert Schuman et autres pères fondateurs, répond à cette définition. Chacun connaît le livre de Stefan Zweig, "Souvenirs d'un Européen", où il dit que le nationalisme est la peste des pestes qui a été la maladie la plus répandue en Europe depuis le XIXème siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, et que cela nous a conduits à notre perte. Ce sont des Etats nations mais des Etats nations qui repoussent la tentation du nationalisme, de l'hégémonie, puisqu'il y a eu de nombreuses tentatives de constituer l'Europe à travers les empires, par les armes et par le sang. Nous faisons autre chose : nous nous posons en nation responsable avec des citoyens qui donnent mandat à leurs dirigeants pour s'accorder ensemble, pour prendre des décisions ensemble, qui sont peut-être un peu plus lointaines mais qui, au moins, modèrent les ardeurs des uns et des autres à vouloir dominer leurs voisins, leurs partenaires. C'est un nouveau mode de gouvernement. Ce n'est peut-être pas l'Etat nation tel qu'on l'a constitué à l'époque de Bodin. C'est autre chose. Mais cela ne nie pas les nationalités, l'identité nationale, cela nie le nationalisme et les tentatives hégémoniques. Et je trouve que c'est une bonne chose.
Q - Juste un mot sur l'OMC. Le destin économique de l'Europe lui échappe partiellement ?
R - Non. Il y a des instances d'arbitrage quasi juridictionnelles. Il y a maintenant la Cour pénale internationale. Je crois que l'on a besoin, lorsque l'on veut éviter la guerre, du droit. Alors, jusqu'où en a-t-on besoin ? Et, au non du droit, peut-on faire la police des nations en dehors de ses frontières ou du continent européen ? "That is the question", si je puis dire. En tous les cas, il y a une évolution qui essaie de trouver une alternative à la puissance telle qu'en elle-même, c'est à dire à l'intervention par la force. Et cela, c'est un peu l'inspiration européenne. ()
Q - Et la Cour pénale internationale ?
R - Le sujet n'est pas facile néanmoins puisque c'est une juridiction qui juge pour des faits politiques : des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre mais qui sont inspirés par des objectifs politiques, des hommes politiques qui ont une responsabilité sans limite puisqu'il n'y a plus de prescription - ce sont des crimes imprescriptibles - devant une juridiction composée de juges. C'est entièrement nouveau dans notre système international et je pense que c'est un très grand enjeu de dialogue entre les Etats-Unis et l'Europe.
Q - Dernière question : Alain-Gérard Slama parlait tout à l'heure de l'anti totalitarisme comme valeur cardinale pour définir l'Europe. Ne pensez-vous pas que le concept de service public soit une autre valeur très importante, un modèle social européen à préserver, à sanctifier, à élargir justement, au lieu d'accepter des Europe à deux, trois, quatre vitesses, en fonction des cultures sociales des entrants ? L'universalité du service public, qui est défendue par justement une série d'associations comme celles qui participent au Forum social européen, c'est là aussi tout de même une valeur forte compromise dans un certain nombre de décisions européennes.
R - Deux points sur le sujet. Premièrement la France est tout à fait satisfaite des conclusions de la Convention sur l'avenir de l'Europe, puisque figure dans le projet de Constitution européenne cette notion de services publics économiques, qui répondent à des obligations particulières, par exemple faire circuler les trains y compris dans les régions les plus reculées, faire acheminer le courrier y compris dans des zones difficilement accessibles, et permettre à chacun d'avoir le droit à l'énergie, le droit à l'eau potable par exemple. Et aussi évidemment les télécommunications qui doivent fonctionner en réseau suivant un système de maillage de l'ensemble du territoire. Cela, ce sont des principes qui sont le service du consommateur pour des biens tout à fait essentiels et qui figurent maintenant dans la Constitution européenne, dans le projet de Constitution ; on espère bien que ceci va être maintenu. J'ajoute que, pour ma part, j'ai constitué un groupe présidé par Christian Stoffaes, qui est un économiste, expert auprès d'EDF, bien connu, qui a fait un excellent rapport sur la régulation des services d'intérêt économique général, autour de l'idée que les années 80, 90 ont été celles de la dérégulation, de la création de la monnaie unique, donc c'était vraiment la libéralisation, et l'accent a été mis sur la question monétaire, sur l'union monétaire. Maintenant il faut songer à la croissance, il faut songer à la régulation, et à la régulation au service de la croissance, au service du public, parce qu'on ne peut pas imaginer qu'en Europe éclate une crise comme celle que l'on a connue en Californie, où, pour des raisons purement de rentabilité ou d'absence de rentabilité, les compagnies d'électricité ne fonctionnaient plus, c'est-à-dire que les gens vivaient dans le noir parce que cela n'était plus rentable de fournir l'électricité. Et bien l'Europe, ce n'est pas ce modèle-là. Il faut songer à une régulation qui permette à nos services publics, même du secteur marchand, d'offrir des conditions de vie qui répondent à nos aspirations européennes
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2003)