Texte intégral
A. Chabot-. Le débat sur les retraites entre dans sa troisième semaine. On en est à l'article 12. A ce rythme, selon F. Fillon, on en a pour jusqu'au mois de septembre. Vous allez continuer à faire de l'obstruction ?
- "Les retraites, c'est un sujet majeur pour les Français. Il y a déjà eu une négociation qui a été finalement avortée, puisqu'il n'y a pas eu vraiment de discussions, de débat. Les Français n'ont pas forcément été informés de toutes les conséquences qui les concernent directement. A partir de là, il faut que le débat parlementaire puisse se tenir."
Mais ce n'est pas un vrai débat.
- "C'est dommage d'ailleurs qu'il n'y ait des alternatives qui puissent être présentées. Nous, les socialistes, nous essayons de le faire à travers nos amendements. Je crois que le débat n'a pas besoin d'obstruction, il a besoin d'alternatives. il s'agit de montrer qu'il y a une autre réforme possible. Le Gouvernement a dit qu'il voulait donner tout le temps nécessaire au débat. Nous utilisons ce temps non pas pour empêcher mais pour proposer."
F. Fillon disait que c'était l'institution parlementaire qui est aujourd'hui ridiculisée par ces séries d'amendements répétés, par 20, 25, le même député, à la suite...
- "Il ne tient finalement qu'au Gouvernement de donner à ce débat tout son caractère, c'est-à-dire, un choix de société plutôt que de rentrer dans une logique où il refuse tout amendement - car tous les amendements qui lui ont été proposés ont été écartés. Mieux vaudrait, à chaque fois, montrer le choix du Gouvernement, le choix du Parti socialiste et ensuite, que l'opinion puisse être éclairée, même si on connaît le dénouement du débat. La droite est majoritaire à l'Assemblée nationale, majorité au Sénat : le texte sera voté. plutôt que de crier victoire comme le Gouvernement l'a fait - et l'UMP l'a rappelé encore la semaine dernière -, il eût mieux valu faire en sorte que ce débat puisse être utile, intéressant et finalement, marquant une différence entre la gauche et la droite auprès des Français."
Ce n'est donc pas vous qui avez tort, c'est le Gouvernement ?
- "Non, je crois que le Gouvernement a dit - qu'il ne se déjuge pas : je veux donner tout le temps nécessaire. Il est normal que les parlementaires prennent leur temps. Je souhaiterais néanmoins que les Français puissent, eux, être informés. Ce qui me gêne dans la procédure choisie notamment par le Gouvernement, comblée par la tactique parlementaire du Gouvernement, avec des complicités ici ou là, c'est de jouer les procédures plutôt que de jouer l'éclairage indispensable des Français."
"Complicité ici ou là", qu'est-ce que cela veut dire ?
- "On avait voulu - j'ai bien noté au début du débat - montré que c'était avec le Parti communiste qu'il fallait engager la discussion. Le Gouvernement a la monnaie de sa pièce, si je puis dire."
Donc, vous ne changerez pas de tactique et vous espérez que le Gouvernement perde patience ? Engage le 49-3, sa responsabilité ?
- "Le Gouvernement ne peut pas engager une procédure contraignante puisqu'il a dit lui-même - je ne l'ai pas inventé, c'était encore il y a 15 jours -, qu'il voulait donner tout le temps au débat, qu'il était même prêt à siéger tout l'été. Ce n'est pas du tout notre point de vue. Nous, nous voulons apporter les propositions, nous voulons montrer qu'il y a une alternative, nous ne voulons pas faire une obstruction, nous voulons marquer qu'il y a une autre réforme."
Vous l'avez dit vous-même : au bout du compte, la réforme sera votée, le Gouvernement aura quand même gagné, marqué un point, il aura fait SA réforme.
- "Ce qui compte, c'est est-ce que les Français vont gagner ? Est-ce que ce sera une victoire pour notre pays ? Oui, il faut une réforme, celle-là a des conséquences extrêmement dommageable - d'ailleurs, elle n'est pas terminée, puisqu'une négociation va s'engager sur les retraites complémentaires et beaucoup va dépendre de ce qui va être décidé aussi dans ce cadre-là. Enfin, de vouloir allonger la durée de cotisation, donc de faire peser l'effort sur les seuls salariés n'était pas la voie qu'il fallait préconiser. Il y a une nécessité de prendre en compte l'espérance de vie mais il y avait l'obligation - le Gouvernement y a manqué - de trouver des ressources supplémentaires. Je prends ici un rendez-vous : dans trois ou quatre ans, il faudra revenir sur ce dossier des retraites. J'espère que nous serons, la gauche en situation de le faire, en situation de responsabilité."
Le Parti socialiste participe aux manifestations en faveur de J. Bové ; là aussi, vous ne faites pas un peu de démagogie, parce la loi doit s'appliquer à tout le monde.
- "La loi doit s'appliquer à tout le monde et il n'y a pas de citoyens protégés par un statut. Néanmoins, le droit syndical doit être lui aussi protégé et enfin, est-ce que les conditions d'arrestation de J. Bové correspondent à ce qu'est notre démocratie sociale ? Est-il compréhensible, normal, acceptable que l'on dépêche des forces de sécurité en nombre important, comme s'il s'agissait d'un bandit de grands chemins ? Un hélicoptère... Mais ça, c'est plutôt une manie de la droite : chaque fois qu'elle a à faire un mauvais coup, elle utilise un hélicoptère. Et enfin, d'aller faire une intrusion dans le domicile de J. Bové, pour nous dire maintenant, si j'ai bien compris, qu'il y aurait peut-être une grâce présidentielle ? Dans quel pays est-on ? On arrête, avec un déploiement de force sans doute coûteux, J. Bové, connu de tous. Et maintenant, on dit "ne vous en faites pas, on va le gracier". Mais si c'était pour le gracier, il ne fallait pas l'arrêter !"
Si le président de la République néanmoins le gracie, après avoir fait respecté la loi par l'intermédiaire du ministère de l'Intérieur, puisqu'il est arrêté, vous direz "bravo, merci J. Chirac" ?
- "Les Français se poseront la même question que nous : si la grâce intervient et elle est souhaité puisqu'elle a été demandée depuis plusieurs mois, alors il fallait la donner avant même l'arrestation. Il ne sert à rien d'arrêter J. Bové si c'est pour le libérer. Sauf à faire une opération qui serait quand même un peu contestable, qui serait de plaire à certains, parce qu'on l'aurait arrêté et de plaire à d'autres, parce qu'on l'aurait libérer. Ce n'est pas une politique, c'est de la petite politique."
Le 6 juillet, les Corses vont se prononcer sur un nouveau statut proposé par N. Sarkozy. Vous appelez sincèrement à voter "oui" ?
- "Nous sommes cohérents. Nous étions pour une évolution du statut de la Corse pour une collectivité unique, c'est-à-dire pour la disparition des départements et une région pour la Corse, parce que c'est le statut que l'on trouve dans toutes les îles en Europe. On nous pose une question : "est-ce que vous voulez le projet que L. Jospin avait lui-même présenté il y a maintenant deux ans, nous répondons "oui". Est-ce que le Gouvernement s'est mis dans les meilleurs conditions pour faire adopter ce texte ? Je ne crois pas. D'ailleurs, il ferait campagne pour le non, qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Parce que choisir une date de référendum en plein mouvement social - et on voit bien combien la fonction publique, en Corse comme ailleurs, se mobilise et donc va répondre autrement à la question qui lui est posée - de faire ce référendum à la date qui correspond à peu près au procès Erignac, je ne suis pas sûr que c'était particulièrement judicieux. Et enfin, ces déplacements assez aventureux du Premier ministre et du ministre de l'Intérieur, obligés d'organiser des meetings improvisés dans les aéroports, juchés sur des chaises, ce n'est pas la meilleure image de la République. Donc, ce que je demande au Gouvernement, c'est que s'il vaut faire adopter le "oui", qu'il s'y prenne autrement."
Vous allez faire campagne en faveur du "oui", en Corse ?
- "Je ne crois pas que les Corses aient besoin qu'on leur donne la réponse. C'est une question qui est posée aux Corses. J'ai donné moi-même le point de vue des socialistes. Ensuite, c'est aux Corses de répondre et personne n'a à dicter leur position."
Mais si le "non" l'emportait, cela vous ferait de la peine ou vous diriez que c'est une bonne leçon pour le Gouvernement, après tout ?
- "Je dis qu'il faut que ce texte passe puisque c'est nous-mêmes qui l'avions engagé. On aurait mauvaise grâce, à dire aujourd'hui qu'il ne faut pas le faire voter. Ensuite, c'est au Gouvernement, effectivement, qu'appartient la responsabilité de donner à ce référendum, qui aurait pu se faire à une autre date, la place qu'il méritait. Et visiblement, il s'y est plutôt mal pris pour l'instant. Mais je souhaite que le texte passe."
J. Chirac a confirmé hier qu'il y aurait des baisses d'impôts ; les ministres allemands et français des Finances disent qu'ils vont suivre la même politique de baisse d'impôts. Si vos amis socialistes allemands suivent la marche de la France, c'est que les baisses d'impôts, ce n'est pas si mal que ça...
- "Cela dépend de quelles baisses d'impôts et pour qui. S'il s'agit de faire baisser les impôts des plus favorisés, ce qu'a déjà fait le Gouvernement français et le président de la République, on connaît la réponse. Depuis un an, ce sont les plus favorisés qui ont eu les baisses d'impôts - impôts sur le revenu, sur la fortune -, on a vu le résultat [...]. Aujourd'hui, on a la plus faible croissance depuis 10 ans, 0,8 %, et on a des destructions d'emplois - on n'avait jamais vu cela depuis 1993. Si le président de la République veut poursuivre cette politique, je crains qu'elle n'ait le même résultat."
Avec le recul, l'image que vous avez donnée au congrès du PS, un parti gauche-gauche qui avait l'air d'oublié sa culture de Gouvernement, vous ne le regrettez pas ? Vous pensez que les Français ont bien compris ?
- "Je n'ai pas donné cette image. Si vous aviez été au congrès de Dijon, la ligne que j'ai défendue, est une ligne réformiste, cohérente. Nous avons été aux responsabilités hier, nous ne l'oublions pas. Nous serons, je l'espère, demain, au gouvernement de la France, si les Français nous en donnent le mandat. Nous devons dire aujourd'hui ce que nous allons faire demain en cohérence avec ce que nous avons fait hier et en tirant les leçons. Je n'ai donc pas varié. Maintenant, si l'accueil qui est fait à un syndicaliste crée l'impression que vous donnez, je crois que ce serait une mauvaise interprétation. Lorsque l'on accueille les syndicalistes, il vaut mieux les accueillir bien et pas les envoyer en prison."
Vous avez dit sur France-2 que vous étiez mandaté par les socialistes jusqu'en 2007 ; certains se sont dit que vous alliez être candidat à l'élection présidentielle. Il y en a qui ont eu un peu peur... Vous y songez ?
- "Je suis premier secrétaire du PS, élu par des militants ; j'ai un mandat et je l'accomplirai. Quel est ce mandat ? C'est de permettre au PS d'être en situation d'alternative par rapport à la droite. Aujourd'hui, il y a beaucoup de déception, de frustration, beaucoup d'interrogations, de scepticisme à l'égard de la politique. Ce qui revient au PS, ce n'est pas simplement d'être le récupérateur de mécontentement, c'est d'être à l'origine d'un espoir."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 juin 2003)