Texte intégral
J.-P. Chapel-. Les Corses ont dit " non " au référendum qui les invitaient à fusionner les deux départements en une seule collectivité territoriale. Est-ce que c'est grave ce " non " ?
- "C'est une réforme gâchée. Il y avait une volonté, depuis plusieurs années, affirmée notamment par L. Jospin, de faire évoluer la Corse, de lui donner des institutions plus adaptées et c'était un enjeu. Est-ce qu'il fallait pour autant un référendum ? Est-ce qu'il fallait l'organiser tel qu'il a été fixé par le Gouvernement ? Nous, nous avions prévenu ; nous avions dit : " si on veut donner sa chance à cette réforme, il faut l'expliquer, il faut dialoguer avec les Corses, il faut y passer du temps et il faut ensuite la faire passer là où elle doit être, c'est-à-dire d'abord au Parlement, puis ensuite, éventuellement, une consultation. " Le Gouvernement a voulu - c'est sa méthode - passer en force, précipiter le mouvement, fixer une date dont on savait très bien qu'elle était dangereuse. Consulter la population en Corse, le 6 juillet, alors qu'il y avait eu et qu'il y a encore un conflit sur les retraites, qu'il y a un mécontentement dans la fonction publique, qu'il y a ce procès Erignac qui se trouve aujourd'hui encore en discussion, qu'il y a eu en plus une intervention du Premier ministre, du ministre de l'Intérieur, plusieurs fois - huit fois - sur l'île -, qu'il y a eu ce meeting raté avec les deux autorités de l'Etat, juchées sur des chaises pour faire passer leur message... Tout cela, on le savait, donnait les pires conditions pour le scrutin. Et la réponse, souvent, elle est à une autre question que celle qui était posée : on interrogeait les Corses sur le statut, ils ont répondu de multiples manières, mais par une seule majorité, c'est le " non. " "
Vous, au Parti socialiste, vous appeliez à voter " oui. " Donc, d'une certaine manière, c'est aussi un désaveu du Parti socialiste ?
- "Je ne suis pas sûr qu'on pourra dire ça. Nous, nous disions tout simplement que cette réforme, le statut de la Corse, une assemblée régionale ayant plus de compétences et de pouvoirs, c'était utile, puisque c'était, de plus, une réforme lancée par le gouvernement de L. Jospin, auquel nous avions donné notre accord. "
Et qui n'a pas eu plus de succès...
- "Mais si les Corses n'avaient jugé que la réforme, peut-être que la décision aurait été différente. Là, il y a eu de la part du Gouvernement, de la part de N. Sarkozy..."
Mais vous avez fait campagne aussi, J. Lang est allé sur l'île...
- "Mais si on nous interroge et qu'on nous dit : "est-ce que cette réforme est bonne ou mauvaise ?". Nous, nous disions qu'elle était bonne. Donc, nous avions formulé la réponse. "
Ils n'en veulent pas.
- "Ce n'est pas simplement qu'ils n'en veulent pas, c'est qu'on leur a donné un cadre, en l'occurrence, à travers ce référendum, qui dépassait largement la question du statut de la Corse. Il y a eu..."
Qu'est qui a fait pencher pour le " non " à votre avis ?
- "...de la part du Gouvernement, une implication..."
Non, mais de la part des Corses...
- "Mais de la part du Gouvernement, il y a eu une implication, une volonté d'obtenir, à travers cette consultation, un soutien. Il ne l'a pas obtenu. De la part des Corses, il y a eu la contestation d'une politique économique et sociale, il y a eu la mise en cause de réformes, en l'occurrence celle de l'Etat et des retraites. La réponse..."
Ce n'était pas la question.
- "Ce n'était pas la question ; ils ont répondu à une autre question, comme souvent dans une consultation. C'est pour cela que nous avions prévenu le Gouvernement : pas une consultation à cette date, pas de cette manière, pas avec cette méthode. Le Gouvernement a voulu s'obstiner ; on avait compris que N. Sarkozy voulait en faire sa grande affaire. Le président de la République est lui-même intervenu, il a rendu plus obscure encore une question qui déjà n'était pas claire. Et puis, le Premier ministre a voulu en faire un modèle de sa décentralisation, la réponse a été cinglante : c'est non. "
Un succès qui là, pour le coup, est à mettre à l'actif du Gouvernement et singulièrement de N. Sarkozy, c'est l'arrestation d'Y. Colonna, vendredi soir. C'est donc, l'assassin présumé de M. Erignac. Là, vous vous réjouissez ?
- "Oui, je pense que tout le monde s'est réjoui, d'abord, bien sûr, la famille du préfet, mais tous les Français qui attendaient que tout le commando soit arrêté et livré à la justice. Et puis la justice doit passer. "
Il était en cavale depuis près de cinq ans..."
- "Quatre ans."
En tout cas, l'assassinat s'est passé en 1998.
- "Oui, mais en tout cas, lorsqu'il devait être arrêté, tout le commando l'avait été sauf lui. "
N. Sarkozy a dit : " Il y a quelque chose de changé dans la République, cette fois, on fait ce qu'on dit. "
- "Mais je crois que rien n'a changé de ce point de vue, heureusement. Heureusement qu'il y a une République, heureusement qu'il y a un Etat de droit. La vérité..."
Là, il y avait des moyens, il y a eu une volonté...
- "Et la vérité elle n'existait pas pour arrêter les huit autres ? Ce qui devait se faire s'est fait et c'est bien qu'il en soit ainsi. Mais il y a eu aussi de l'arrestation de tout le commando présumé ayant assassiné le préfet Erignac. Donc, on ne peut pas distinguer. Quand il y a huit assassins présumés qui sont arrêtés c'est une bonne nouvelle pour la République, quand le neuvième est également arrêté, c'est une bonne nouvelle pour la République."
Que cela se fasse l'avant-veille du référendum, pour vous c'est une coïncidence ?
"Oui, je ne veux pas faire de commentaire ou gloser, ce serait hors
de circonstance. "
Cela a joué sur les résultats ?
- "Je ne peux pas le savoir. En tout cas, il y avait peut-être une volonté de mise en scène, mais je ne veux pas, ici, laisser penser qu'il y a eu une arrestation à un moment qui aurait été particulièrement crucial. Je pense qu'on arrête les personnes recherchées au moment où on les a trouvées. "
Est-ce que le procès Erignac doit continuer ou est-ce qu'on doit le renvoyer à plus tard ?
- "Ce n'est pas à moi d'en décider, c'est à la justice de faire en sorte que l'ensemble de la vérité puisse apparaître. Nous avons besoin de savoir ce qui s'est produit et donc, de ce point de vue, il faut que la justice puisse passer sereinement. "
Les intermittents du spectacle, autre sujet brûlant d'actualité : le ministre de la Culture doit faire de nouvelles propositions dans la journée. Cela bloque toujours et le Festival d'Avignon est toujours menacé ; le directeur du Festival demande un moratoire, vous aussi ?
- "Il faut trouver une solution, la solution elle est possible. Il faut que les festivals puissent se tenir, c'est important pour tout le monde : pour les festivaliers mais aussi pour ceux qui y travaillent et pour les collectivités locales qui les ont organisées. Donc, il y a une solution : c'est que le ministre de la Culture, cet après-midi, dise la chose suivante : " l'accord, le Gouvernement ne l'agréera pas, parce qu'il est minoritaire, parce qu'il pose des problèmes, il faut l'expertiser". Si le ministre de la Culture dit : " je n'agrée pas l'accord, le Gouvernement n'accepte pas cet accord, nous l'expertisons et nous verrons à la rentrée quels sont les ajouts, les compléments qu'il faut lui apporter. " Alors j'en suis certain, la grève des intermittents cessera. S'il ne le dit pas alors, c'est vrai que tous les dangers sont là. "
Cela revient à remettre le problème à plus tard, parce qu'il y a un déficit qui est exponentiel, 700 millions d'euros...
- "Oui, mais le déficit demeurera pour l'essentiel, sauf qu'on exclura 30 % des intermittents du spectacle de toute indemnisation, de tout droit. Donc, il faut que le ministre de la Culture puisse dire qu'il y a sans doute des corrections à apporter, qu'il y a une négociation à compléter. Il faut que ce plan, cet accord qui est d'ailleurs signé par des organisations minoritaires - dont deux se sont détachées -, soit suspendu pour l'instant, qu'il n'y ait pas d'agrément et que l'on puisse reprendre les négociations à la rentrée."
Mais sur le fond, quelle est la solution ?
- "La solution, c'est de lutter contre tous les abus et il y en a de nombreux dans les sociétés audiovisuelles, dans les sociétés de production. Il y a de nombreux abus aussi par rapport à certains employeurs : beaucoup trop d'employeurs utilisent le système de l'intermittence du spectacle pour avoir finalement des économies sur leurs propres organisations. Donc, il y a des efforts à faire, mais il faut les faire, comme pour les retraites, comme pour la Sécurité sociale, avec le souci de la justice, le souci de l'égalité. C'est ce que n'a pas eu comme respect le Gouvernement. "
Un dernier mot sur votre travail à l'Assemblée nationale : trois semaines de marathon sur les retraites, et maintenant c'est l'immigration clandestine qui va être le sujet de ces débats. C'est aussi un domaine où N. Sarkozy a montré plutôt des succès jusqu'à présent.
- "N. Sarkozy, on l'a bien vu ces derniers jours et ces dernières semaines, il essaie d'avoir des succès personnels. Mais ce qui compte, ce n'est pas le succès de tel ou tel ministre, ce qui compte c'est le succès de la France. Et on voit lorsqu'on veut..."
Lutter contre l'immigration clandestine, c'est une bonne chose pour permettre une immigration légale.
- "Sauf si cela met en cause l'immigration régulière et légale, sauf si cela met en cause la manière de vivre des immigrés ici depuis de longues années et qui veulent être des résidents comme les autres, en respectant, bien sûr, les droits et en appliquant aussi leur devoir. Donc, dans ce sujet comme dans d'autres, il faut le faire avec délicatesse, il faut le faire avec fermeté, lorsque c'est nécessaire, par rapport à l'immigration clandestine. Mais il ne faut pas essayer de faire de tout sujet un sujet de succès ou d'implication personnelle, parce que cela se retourne contre l'auteur - on le voit par rapport au référendum corse - et peut-être même aussi contre l'intérêt de son propre pays."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 juillet 2003)