Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres des États membres de l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires des États membres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes au jour d'un élargissement sans précédent de l'Union, et c'est un événement majeur pour nous tous ici présents : anciens et nouveaux membres de l'Union, mais aussi nouveaux voisins de l'Europe élargie. C'est l'aboutissement d'une longue marche, initiée depuis de nombreuses années, mais aussi d'abord et avant tout un nouveau départ pour chacun d'entre nous.
L'Europe historique commence à retrouver ses frontières. Nous avons aujourd'hui une opportunité exceptionnelle de renforcement de notre identité dans le monde et de solidarité économique, politique et sociale.
Il nous appartient, aujourd'hui et dans les mois et les années à venir, de faire de notre communauté de 455 millions d'habitants, de 188 régions, de 25 pays un espace de vie et d'union des Européens.
C'est une nouvelle Europe qui est née le 1er mai. Dans cette Europe plus grande et plus nombreuse, il est indispensable encore plus aujourd'hui qu'hier de faire émerger une vision commune, un projet commun pour tous nos concitoyens pour qu'ils l'adoptent au fond de leur cœur. C'est une condition indispensable pour que ce projet économique et institutionnel devienne une réalité politique
Cela nécessitera d'abord que nous sachions nous doter d'institutions qui portent ces projets au service de tous les Européens.
C'est indispensable mais ce ne sera pas suffisant. Il nous faudra aussi œuvrer pour effacer au maximum les frontières historiques de nos pays en facilitant la circulation des personnes, des biens et des informations. Les échanges sous toutes leurs formes sont un facteur majeur de la constitution de notre communauté européenne.
Par ailleurs, parce que cela correspond à la préoccupation première de tous nos concitoyens, l'Europe élargie devra se doter sans doute encore davantage besoin d'une politique économique et industrielle globale, cohérente et acceptée par tous, qui soit au service du développement des territoires et des individus.
Enfin, l'Europe ne peut vivre en autarcie refermée à l'intérieur de ces nouvelles frontière. Elle doit et elle devra, plus que jamais savoir s'ouvrir sur l'extérieur, en particulier vers ses nouveaux voisins et bâtir avec eux de vrais partenariats faits de respect et de confiance.
Au départ, l'Europe c'est une formidable diversité. Diversité issue de la géographie et de l'histoire.
Diversité des territoires. Qu'il s'agisse des grandes métropoles industrielles, des grandes plaines agraires, des zones de montagne, des zones faiblement peuplées du grand Nord, des régions périphériques maritimes du nord, du sud ou de l'ouest ou des régions ultra périphériques.
Diversité des traditions et des coutumes.
Diversité des institutions politiques, économiques, sociales et des pratiques locales, régionales, nationales.
Diversité enfin des individus.
Cette diversité, ces différences qui ont pu, par le passé, être source de tension et de guerre, devrons devenir une force qui nous enrichira mutuellement pour construire un espace de paix et de prospérité, en intégrant, sans les abolir, les identités, les communautés locales, régionales, nationales qui l'habitent. Le projet européen a tiré, tire et tirera sa force et sa richesse de cette diversité.
"L'Unité dans la Diversité", c'est la belle devise de l'Europe !
L'une de nos très prochaines échéances porte sur l'organisation que nous mettrons ensemble en place pour assurer le fonctionnement harmonieux de nos institutions pour permettre le développement équilibré de nos territoires, de nos économies et donc de nos populations.
Le projet de traité établi par la Convention sous la présidence de Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, qui hier a ouvert vos débats, constitue la base des travaux de la Conférence Intergouvernementale.
La France se félicite que ce projet propose la "cohésion économique, sociale et territoriale " comme l'un des objectifs de l'Union européenne.
Quelle que soit l'issue des négociations que nous mènerons, il est une chose dont je suis sûr, dont la France est sûre, nous ne pouvons pas échouer. Nous n'en avons pas le droit.
Nous devrons savoir mettre en place des institutions qui fonctionnent et qui permettent à la nouvelle Europe de répondre aux attentes de tous ses concitoyens mais aussi des ses voisins.
Il est par ailleurs pour moi deux évidences :
D'abord, le développement et donc l'aménagement du territoire européen, c'est tout le contraire d'une nouvelle politique centralisée et bureaucratique. Nous l'avons testé en France par le passé, cela a pu fonctionner à une époque, aujourd'hui cela ne fonctionne plus dans un pays de 60 millions d'habitants comme la France et donc encore moins dans une Europe à 455 millions. Nos concitoyens ne sont plus prêts à l'accepter. C'est du niveau local que doivent émerger les projets pour être soutenus lorsque c'est nécessaire au plan national voire européen. C'est une nouvelle coopération entre collectivités et administrations publiques, acteurs économiques, société civile que nous devons bâtir : bref, une nouvelle démocratie locale entre acteurs locaux, régionaux, nationaux et européens. Ensuite et inversement, l'avenir de nos territoires, quels qu'ils soient, se joue désormais à l'échelle du continent européen. Ceci constitue un profond changement de perspective pour nos politiques de développement encore trop souvent perçues comme un jeu à somme nulle entre nos territoires.
Vous le voyez nous ne pourrons concevoir le développement des territoires européens qu'en partant des territoires même, mais en ayant en permanence une vision un schéma global dont chaque projet de développement constituera une brique, un élément concourant à la mise en œuvre de cette vision globale.
La mobilité est une valeur essentielle dans nos sociétés modernes. Elle est indispensable pour le rapprochement des hommes pour qu'ils puissent apprendre à se connaître et à s'estimer. Permettre une vraie circulation des personnes et des biens nécessite de concevoir une politique des transports ambitieuse à l'échelle européenne.
Elle est aussi indispensable pour le développement économique de nos pays. La réalisation effective d'un marché intérieur à l'échelle de l'Union des 25 ne se fera pas sans une forte croissance des échanges.
Aujourd'hui, le processus d'intégration des économies européennes est encore peu engagé, et le potentiel de croissance reste considérable : sans les "effets de frontières" actuels, les échanges pourraient être multipliés, avec il faut aussi en être conscient un impact particulier pour les pays de transit comme la France et l'Allemagne.
En pratique, la libre circulation dans l'Union européenne s'exerce de façon très "asymétrique" : elle libère surtout les flux de marchandises, de services, de capitaux, mais les " effets de frontières " perdurent pour les migrations démographiques, en particulier de population active. Les échanges intellectuels, la mobilité des universitaires restent aussi très en deçà des exigences actuelles de la vie scientifique.
La mobilité est un élément positif, même si nous connaissons tous les impacts, tant locaux que globaux, des transports sur l'environnement.
Nous devons adapter le système de transport européen à cette double exigence : satisfaire de nouveaux besoins et assurer un développement durable, tout en en faisant un instrument de cohésion sociale et d'équité territoriale.
Cette Europe reliée, qui connecte les hommes et les territoires entre eux, ne pourra se faire par la simple juxtaposition de politiques nationales. Assurer les chaînes de transport de bout en bout, construire des corridors de transports européens, gommer les "effets de frontières" impose une forte ambition collective de tous les Européens assurant cohérence et coordination de leurs choix.
C'est tout l'objet de la révision des réseaux trans-européens de transport et des instruments permettant leur financement.
En France, le gouvernement a souhaité s'inscrire dans cette logique en décidant en décembre 2003 de mettre en œuvre une politique ambitieuse de création de nouvelles infrastructures de transports, permettant l'insertion des régions françaises dans l'espace européen et l'économie mondiale.
Le développement du réseau TGV européen en est et en sera une composante majeure. Il permettra en particulier de supprimer des verrous transfrontaliers, avec par exemple la réalisation d'une ligne nouvelle transpyrénéenne entre Perpignan et Figueras, dont la concession a été attribuée en février dernier, avec l'interconnexion des réseaux TGV et ICE à Strasbourg ou enfin avec le projet de liaison entre Lyon et Turin.
Le Gouvernement français sous l'impulsion à l'époque de Dominique Bussereau a d'autre part souhaité favoriser le développement du cabotage maritime en créant deux "autoroutes de la mer", l'une sur la façade atlantique et l'autre sur la façade méditerranéenne. Nous devons savoir encourager et développer la création de telle passerelle qui abolissent les frontières sans créer de nuisance.
Bâtir l'Europe nécessite aussi de savoir permettre et de développer la circulation des informations. Dans une société moderne, où près de 80 % de l'activité économique est une activité de service, la circulation de l'information est un élément indispensable à l'intégration et à la croissance.
Le développement des réseaux de télécommunications constitue à ce titre un outil indispensable à la cohésion européenne.
L'accès aux réseaux de communication à haut débit se trouve au coeur des enjeux de développement des territoires. Il y a un an nous constations que 80 % des Français avait accès à des offres de haut débit mais seulement 20 % du territoire.
Déployer le haut débit dans les zones peu denses à un coût raisonnable constitue un défi, qui se pose pour l'ensemble de l'Europe. Pour le relever, nous devrons savoir mobiliser l'ensemble des sources de financement, y compris des fonds structurels européens. C'est indispensable pour faire de l'Europe une réalité et un espace de croissance véritablement intégré.
Nous devons enfin savoir bâtir une politique de développement économique et social de nos territoires dans le respect des principes de concurrence.
Cela signifie deux choses essentielles :
D'abord il nous faut aider les territoires les plus défavorisés pour qu'ils bénéficient du même niveau de service et qu'ils parviennent au même niveau de développement économique que l'ensemble du territoire européen.
Nous devons aussi savoir conforter les territoires les plus dynamiques, les pôles d'excellence de chacun de nos pays pour les rendre plus forts dans la compétition mondiale. Ils seront alors les meilleurs moteurs de la croissance de nos territoires.
Être solidaire et conforter l'excellence. Nous ne bâtirons la première puissance économique mondiale, que si notre politique économique et industrielle développe cette double dimension.
La Commission européenne élabore le nouveau cadre juridique des aides publiques aux services d'intérêt général. Cette réforme importante devra préserver le fonctionnement des services publics tout en respectant les principes de transparence et de proportionnalité des aides nécessaires à une concurrence équitable.
Nous devons pouvoir garantir à tous nos concitoyens un accès aux services d'intérêt général. La protection de la libre concurrence doit constituer un levier pour permettre le meilleur service au moindre coût. En aucune manière, elle ne doit conduire à exclure certains de nos concitoyens de services fondamentaux et essentiels.
Le cadre juridique des aides publiques aux entreprises pour l'après 2006 doit également être révisé prochainement à Bruxelles. Cette réforme a une importance considérable pour le développement des territoires.
Les grandes orientations en matière d'aide aux entreprises devront ainsi être données par le Conseil européen conjointement avec le futur cadre de la politique de cohésion économique et sociale.
Développer ou maintenir de l'emploi de façon équilibrée constitue un enjeu majeur pour l'ensemble de l'espace européen.
Il est nécessaire que les aides aux entreprises soient allouées prioritairement dans les régions en retard de développement de l'Europe élargie, avec des intensités d'aide les plus élevées. Mais il est également indispensable que la Commission et plus généralement l'ensemble des autorités politiques veillent à maintenir également des possibilités d'intervention en faveur des entreprises, dans les autres territoires qui rencontrent toujours des difficultés, tels que les quartiers urbains en difficultés, les zones en mutation économique à fort taux de chômage, ou encore les zones rurales fortement enclavées en déclin.
Les interventions publiques en faveur du développement économique sont en constante réduction, elles doivent donc à l'avenir être mieux ciblées et faire l'objet d'une évaluation renforcée.
Toutefois, elles restent des outils nécessaires du développement régional dans les zones les plus fragiles et ne peuvent être supprimées brutalement.
En toute hypothèse, l'Europe de demain ne peut être une Europe où les aides publiques, notamment les fonds structurels européens, serviraient à inciter les entreprises à se délocaliser, à transférer leurs activités d'un pays vers un autre. Ce ne serait ni acceptable, ni compréhensible par nos citoyens.
Il n'y aurait rien de pire que de voir émerger dans nos opinions publiques, le sentiment que la construction de la nouvelle Europe a pour premier résultat de paupériser des territoires.
Dans une économie mondialisée, la concurrence aujourd'hui se joue à l'échelle de la planète entière.
La notion de pôle de compétitivité recouvre des configurations différentes en termes de taille, de technologies, de degré d'intégration et de tissu productif. Le dénominateur commun est constitué par l'ambition, grâce à une coopération entre les entreprises, les instituts de recherche et de formation, d'atteindre de façon durable une part de marché significative au plan national, européen, voire mondial.
Nous avons là aussi beaucoup à apprendre des expériences réussies dans chaque pays. Je pense notamment au travail exceptionnel réalisé depuis plus de quinze ans par nos amis Danois ou bien en Italie avec le soutien aux districts industriels.
Autant d'exemples qui nous montrent comment une vraie démarche partenariale peut aboutir à un processus gagnant-gagnant.
Conforter et développer les pôles de compétitivité européens est dicté par la nécessité de maintenir à long terme nos États dans le peloton de tête des économies développées, notamment face à de nombreux nouveaux compétiteurs qui, à l'Extrême Orient notamment, apparaissent sur la scène mondiale.
Et, je suis convaincu qu'une fois créés, ces pôles d'excellence n'auront de cesse de nouer de nouveaux partenariats avec d'autres pôles d'excellence du territoire européen.
Et, l'Europe ne sera plus alors la somme de 25 économies, mais le maillage de centaines de districts industriels qui tirent leur force de maillage, de cette capacité à travailler ensemble.
Nous devrons enfin savoir nous ouvrir et nouer des partenariats avec d'autres territoires notamment avec nos nouveaux voisins qu'ils soient européens ou bien méditerranéens.
C'est pourquoi, la France est particulièrement attachée aux coopérations, transfrontalières, transnationales, en associant les régions sur la base de grands ensembles géographiques, ou en réseaux, c'est à dire pouvant se déployer à l'échelle du continent européen.
L'Union devra donc continuer de soutenir ces coopérations pour les actuelles frontières internes de l'Union, mais pas seulement.
Ces coopérations devront par ailleurs contribuer à l'ouverture aux frontières externes de l'Union, à l'Est, sur les pourtours du bassin méditerranéen et autour des régions ultra-périphériques.
Elles devront donc pouvoir associer des Etats non-membres, qui mobilisent leurs moyens propres ou d'autres outils financiers de l'Union qui leur sont spécialement dédiés.
La France souhaite que soit développée une meilleure synergie entre ces fonds et le FEDER mobilisé dans Interreg, voire un outil spécifique de coopération aux frontières externes de l'Union.
Je voudrais souligner ici l'intérêt des pistes dégagées par la Commission dans le 3e rapport sur la cohésion, proposant la création d'un nouvel instrument de voisinage. Dans le Sud méditerranéen en particulier, zone où les risques et les opportunités sont considérables et qui appellent un renforcement du partenariat. Dans un monde multipolaire en émergence, l'Europe porte là une forte responsabilité.
Nous sommes au seuil d'un chantier exaltant : nous sommes d'accord sur les principes ; à nous tous de concrétiser la construction du territoire européen que nous voulons, fondé sur les principes de la cohésion territoriale et du développement durable des territoires.
C'est un véritable défi.
Ces défis appellent désormais une réponse commune : la cohérence globale des politiques européennes, entre elles et avec les politiques nationales, est plus que jamais une nécessité. La France pense qu'il faut désormais approfondir l'intervention européenne dans le champ de l'aménagement du territoire.
Il ne s'agit cependant pas de substituer une politique européenne d'aménagement du territoire à des politiques nationales ou régionales, de brider les initiatives locales dans de nouveaux cadres juridiques.
Il s'agit de résoudre, en concertation, les problèmes au niveau le plus pertinent, compte tenu à la fois de la nature de ces problèmes et de l'organisation propre à chaque Etat. Mais il s'agit aussi de traiter au plan européen, voire dans un cadre plus large encore, les problèmes qui le nécessitent.
Cette politique européenne doit se décliner selon plusieurs thèmes : les transports, les télécommunications, l'élaboration d'une stratégie européenne industrielle, la politique de concurrence. Ce n'est que par une démarche d'ensemble que la vocation de l'Europe à être une puissance mondiale pourra s'affirmer.
Afin d'assurer la coordination des politiques territoriales à l'échelle européenne, la France propose de compléter la stratégie européenne de développement durable mise en place dans le cadre de l'Union européenne lors des Conseils de Lisbonne et de Göteborg, par un volet "développement durable des territoires européens".
Une stratégie européenne de développement territorial, approuvée par le Conseil, présenterait une vision partagée, un cadre de cohérence pour le développement des territoires, des objectifs et des indicateurs communs ; ses orientations seraient alors reprises et développées par les États dans des stratégies nationales et régionales, coordonnées au niveau européen.
L'objectif de "cohésion économique, sociale et territoriale" inscrit dans le projet de convention préparé par le Président Giscard d'Estaing ne serait plus alors un objectif mais une véritable réalité politique.
Ainsi, nous parviendrons à ce qui était l'objectif des fondateurs de l'Europe il y a bientôt cinquante ans construire une Europe des hommes et des femmes où ils pourront vivre ensemble sans crainte des guerres et des conflits, s'épanouir, coopérer, s'enrichir mutuellement en bâtissant et réalisant un projet fruit de leur longue histoire commune, de leur commune et sans renier leurs origines et leur spécificité. C'est, je crois le seul véritable objectif que nous devons poursuivre : bâtir l'Europe des Hommes, par les Hommes et pour les Hommes. Une Europe citoyenne.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 6 mai 2004)