Texte intégral
La Knesset israélienne vient donc de voter le retrait des Israéliens de la bande de Gaza. Est-ce une date importante, historique, ou est-ce une manuvre pour garder la Cisjordanie ?
Il y a peut-être une manoeuvre, mais c'est une décision importante, parce que les Israéliens vont quitter la bande de Gaza et les Palestiniens vont donc pouvoir de nouveau penser que le processus de paix peut se réengager. C'est une décision importante, parce que c'est Sharon qui l'a prise, l'homme qui avait la réputation de vouloir faire un conflit, d'être dur dans la négociation. Finalement, lui aussi est arrivé à cette idée qu'il ne pourra y avoir de paix et de progrès que s'il y a retrait des Israéliens de la bande de Gaza. Et enfin, la gauche israélienne a pris toutes ses responsabilités, parce que c'est elle qui a permis à Sharon d'avoir une majorité sur le retrait. Je dis que quand la gauche fait ce travail-là, c'est-à-dire prend sa responsabilité, elle est dans son rôle historique. Et quand Sharon - qui est Sharon, avec tout ce que l'on a dit de lui - est capable de se mettre dans un processus de paix, je me dis que c'est une bonne nouvelle pour le monde.
On revient en Europe. J. Chirac, comme G. Schröder, appuie la candidature de la Turquie. C'est son "vu le plus cher", c'est "l'intérêt de l'Europe, de la Turquie, de la paix". C'est également votre opinion ?
Je pense qu'il faut discuter, négocier avec la Turquie, mais là où je ne suis pas d'accord avec le président de la République, c'est qu'il met l'adhésion de la Turquie comme si c'était le processus obligé, comme si c'était l'aboutissement même de la négociation...
Pourtant les socialistes sont pour...
Nous sommes pour la négociation, mais il peut y avoir d'autres solutions que l'adhésion, si notamment les conditions ne sont pas réunies. Et j'aurais voulu entendre de la part de J. Chirac pas simplement le rappel de ce processus, mais les conditions que la France doit poser pour la Turquie, mais aussi pour l'Europe. Il faut que l'Europe elle-même soit capable d'accueillir la Turquie, et que la Turquie respecte les conditions de démocratie, de droits de l'homme, de reconnaissance du génocide arménien, pour être dans dix ans, dans quinze ans, dans vingt ans, membre à part entière de l'Union européenne.
Europe toujours, avec la Commission Barroso qui est dans la tourmente. Elle risque de ne pas être investie aujourd'hui par le Parlement, notamment parce que les socialistes ne voteront pas pour elle. N'y a-t-il pas un risque de crise en Europe ?
Il s'agit là d'une crise parlementaire, et donc d'une crise démocratique. C'est bien qu'il en soit ainsi. Je vais prendre les épisodes, tels qu'ils se sont produits. Les gouvernements sont à droite, aujourd'hui en Europe, c'est un fait. Barroso, ancien Premier ministre portugais, est à droite. Il compose une commission de droite. Normalement, elle devrait obtenir le soutien du Parlement européen qui lui-même est majoritairement à droite. Mais il se trouve qu'il y a la présence d'un commissaire venant de l'Italie, qui a pris des positions inacceptables, sur l'homosexualité, sur les femmes, sur la conception même de l'Europe, sur le fait que la laïcité ne serait pas la valeur reconnue par l'ensemble des Européens. Dès lors, il y a une possibilité de renverser, c'est-à-dire de ne pas donner en définitive le soutien du Parlement européen à cette Commission. Et donc j'y vois un grand progrès pour la démocratie européenne. Je souhaite que les socialistes européens, très attachés à l'Europe, attachés d'ailleurs pour l'essentiel à la future Constitution européenne, marquent finalement cette volonté de faire l'Europe avec la démocratie, en renversant cette Commission.
Mais justement, la Turquie, la crise de la Commission... Est-ce que ce n'est pas des arguments formidables pour ceux qui prônent le "non" ? Cela prouve que l'Europe est ingouvernable...
Non, cela prouve que l'Europe est maintenant dans le débat politique, et c'est bien qu'il en soit ainsi. On veut faire l'Europe. Alors, la question sera si on l'a fait avec la Turquie. Ce sera au peuple d'en décider, en fonction des conditions qui auront été posées. Il y a une commission européenne, qui va nous représenter. Il est normal que le Parlement européen dise s'il veut ou s'il ne veut pas de cette Commission. Et la future Constitution européenne permettra justement de renforcer les pouvoirs du Parlement européen. Mais déjà, le Parlement européen peut prendre sa responsabilité. Et les socialistes européens renverseront, je l'espère, ne donneront pas la majorité à Barroso et à son équipe, parce que cela sera un progrès pour l'Europe pas une crise pour l'Europe en définitive, un progrès.
L. Fabius, qui est l'un des porte-drapeau du "non" au Parti socialiste, assure que le "non" est en train de progresser, avec notamment deux ou trois arguments : la Constitution qui est un fourre-tout, le fait que l'on n'ira pas suffisamment vers des coopérations renforcées du petit noyau européen, et puis parce qu'il n'y a pas assez d'économie, pas de social. Trois arguments, dit-il, qui actuellement jouent pour le "non"...
Nous verrons bien. Il y a un peu de volonté proclamée de la part des tenants du "non". Mais prenons les arguments. Une Constitution fourre tout ? Mais une Constitution, c'est un cadre général, on y trouve donc tout ce qui va faire fonctionner l'Europe...
Et elle ne serait pas révisable en plus, dit-il...
Pas révisable ? Mais comme tous les traités ! Et qui sera peut-être plus facile à réviser, parce qu'il y a l'intervention du Parlement européen, le droit de pétition. Et si on ne prenait pas cette Constitution, on aurait le traité actuel de Nice, qui lui-même n'est pas plus facile à réviser que la future Constitution. L. Fabius nous dit pas assez de social ? Mais cette Constitution est un progrès en matière sociale et en matière économique, par rapport à tous les traités antérieurs. Et enfin, on nous dit que cela reprend toutes les politiques qui ont été engagées par l'Europe depuis vingt-cinq ans ? Mais qui était au pouvoir en France, notamment depuis 1981 ? Qui a fait progresser l'Europe ? Qui a négocié ces traités, si ce n'est les socialistes et la gauche ? Je considère que lorsque l'on prend ce traité constitutionnel, on prend aussi tout ce que nous avons nous-mêmes pour l'Europe. Et c'est pourquoi j'entends, moi, les socialistes dire : oui, nous voulons être fidèles à notre histoire. Oui, nous sommes conscients que les socialistes ont toujours été liés à la construction européenne. Mais nous voulons poser des conditions pour la suite et c'est en disant "oui" que l'on pose des conditions pour la suite. Quand on dit "non", on négocie avec qui ? Avec J. Chirac, qui va négocier pour nous les intérêts de l'Europe ? Avec les gouvernements européens dont j'ai dit qu'ils étaient majoritairement à droite ? Ou avec le Parlement européen lui-même, majoritairement à droite ? Je préfère donc prendre ce traité et continuer mon combat de socialiste et d'Européen.
A l'Assemblée nationale, il y a le débat sur le financement de la Sécurité sociale. C'est un débat qui intéresse tout le monde, tous les Français. P. Douste-Blazy propose des solutions : 5 milliards de recettes supplémentaires, 3 milliards d'économies... Pourquoi ne pas soutenir ce plan ?
Non, Douste-Blazy propose des solutions qui sont des prélèvements sur tous les Français...
Mais il y a un déficit de 10 milliards ...
Que l'on demande des efforts, chacun peut mesurer ce qu'est la Sécurité sociale et le prix qu'elle représente pour tous. Donc chacun est prêt à faire des efforts, mais des efforts justement répartis. Quand il va y avoir augmentation de la CSG sur tous les Français et notamment sur les retraités, quand il va y avoir la contribution d'un euro, le forfait hospitalier, et ne rien demander ni aux grandes entreprises ni aux professions de santé elles-mêmes, quand il n'y a pas de remise en cause de la structure même de la dépense de santé, alors là, il y a un doute. Et ce doute, c'est que ce Gouvernement est injuste et inefficace. Il y aura à la fois des prélèvements supplémentaires et il y aura des déficits qui resteront élevés, parce que le but de ce Gouvernement, c'est de privatiser la Sécurité sociale.
N. Sarkozy, dans un livre "La République, les religions et l'espérance", propose que l'on fasse évoluer la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, pour permettre le financement de lieux de culte, notamment de mosquées. Est-ce une bonne idée ?
Non, ce que l'on appelle la "loi laïque", qui a fait la séparation de l'Eglise et l'Etat, c'est un principe essentiel. Et si on le remet en cause, au nom du financement des lieux de culte, alors vous verrez dans toutes les villes des interventions qui seront faites, vous verrez des pressions qui s'exerceront, vous verrez la religion prendre une place qui ne doit pas être la sienne. Il est normal que la République protège les religions, toutes les religions, y compris la religion musulmane puisque c'est la deuxième de France. Mais il n'est pas normal de briser ce qui est une règle dans notre République, c'est-à-dire la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Et ce qui m'étonne chez N. Sarkozy, c'est qu'il est à la fois très libéral sur le plan économique - on en a vu les conséquences - et en même temps très communautariste au plan politique.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 octobre 2004)
Il y a peut-être une manoeuvre, mais c'est une décision importante, parce que les Israéliens vont quitter la bande de Gaza et les Palestiniens vont donc pouvoir de nouveau penser que le processus de paix peut se réengager. C'est une décision importante, parce que c'est Sharon qui l'a prise, l'homme qui avait la réputation de vouloir faire un conflit, d'être dur dans la négociation. Finalement, lui aussi est arrivé à cette idée qu'il ne pourra y avoir de paix et de progrès que s'il y a retrait des Israéliens de la bande de Gaza. Et enfin, la gauche israélienne a pris toutes ses responsabilités, parce que c'est elle qui a permis à Sharon d'avoir une majorité sur le retrait. Je dis que quand la gauche fait ce travail-là, c'est-à-dire prend sa responsabilité, elle est dans son rôle historique. Et quand Sharon - qui est Sharon, avec tout ce que l'on a dit de lui - est capable de se mettre dans un processus de paix, je me dis que c'est une bonne nouvelle pour le monde.
On revient en Europe. J. Chirac, comme G. Schröder, appuie la candidature de la Turquie. C'est son "vu le plus cher", c'est "l'intérêt de l'Europe, de la Turquie, de la paix". C'est également votre opinion ?
Je pense qu'il faut discuter, négocier avec la Turquie, mais là où je ne suis pas d'accord avec le président de la République, c'est qu'il met l'adhésion de la Turquie comme si c'était le processus obligé, comme si c'était l'aboutissement même de la négociation...
Pourtant les socialistes sont pour...
Nous sommes pour la négociation, mais il peut y avoir d'autres solutions que l'adhésion, si notamment les conditions ne sont pas réunies. Et j'aurais voulu entendre de la part de J. Chirac pas simplement le rappel de ce processus, mais les conditions que la France doit poser pour la Turquie, mais aussi pour l'Europe. Il faut que l'Europe elle-même soit capable d'accueillir la Turquie, et que la Turquie respecte les conditions de démocratie, de droits de l'homme, de reconnaissance du génocide arménien, pour être dans dix ans, dans quinze ans, dans vingt ans, membre à part entière de l'Union européenne.
Europe toujours, avec la Commission Barroso qui est dans la tourmente. Elle risque de ne pas être investie aujourd'hui par le Parlement, notamment parce que les socialistes ne voteront pas pour elle. N'y a-t-il pas un risque de crise en Europe ?
Il s'agit là d'une crise parlementaire, et donc d'une crise démocratique. C'est bien qu'il en soit ainsi. Je vais prendre les épisodes, tels qu'ils se sont produits. Les gouvernements sont à droite, aujourd'hui en Europe, c'est un fait. Barroso, ancien Premier ministre portugais, est à droite. Il compose une commission de droite. Normalement, elle devrait obtenir le soutien du Parlement européen qui lui-même est majoritairement à droite. Mais il se trouve qu'il y a la présence d'un commissaire venant de l'Italie, qui a pris des positions inacceptables, sur l'homosexualité, sur les femmes, sur la conception même de l'Europe, sur le fait que la laïcité ne serait pas la valeur reconnue par l'ensemble des Européens. Dès lors, il y a une possibilité de renverser, c'est-à-dire de ne pas donner en définitive le soutien du Parlement européen à cette Commission. Et donc j'y vois un grand progrès pour la démocratie européenne. Je souhaite que les socialistes européens, très attachés à l'Europe, attachés d'ailleurs pour l'essentiel à la future Constitution européenne, marquent finalement cette volonté de faire l'Europe avec la démocratie, en renversant cette Commission.
Mais justement, la Turquie, la crise de la Commission... Est-ce que ce n'est pas des arguments formidables pour ceux qui prônent le "non" ? Cela prouve que l'Europe est ingouvernable...
Non, cela prouve que l'Europe est maintenant dans le débat politique, et c'est bien qu'il en soit ainsi. On veut faire l'Europe. Alors, la question sera si on l'a fait avec la Turquie. Ce sera au peuple d'en décider, en fonction des conditions qui auront été posées. Il y a une commission européenne, qui va nous représenter. Il est normal que le Parlement européen dise s'il veut ou s'il ne veut pas de cette Commission. Et la future Constitution européenne permettra justement de renforcer les pouvoirs du Parlement européen. Mais déjà, le Parlement européen peut prendre sa responsabilité. Et les socialistes européens renverseront, je l'espère, ne donneront pas la majorité à Barroso et à son équipe, parce que cela sera un progrès pour l'Europe pas une crise pour l'Europe en définitive, un progrès.
L. Fabius, qui est l'un des porte-drapeau du "non" au Parti socialiste, assure que le "non" est en train de progresser, avec notamment deux ou trois arguments : la Constitution qui est un fourre-tout, le fait que l'on n'ira pas suffisamment vers des coopérations renforcées du petit noyau européen, et puis parce qu'il n'y a pas assez d'économie, pas de social. Trois arguments, dit-il, qui actuellement jouent pour le "non"...
Nous verrons bien. Il y a un peu de volonté proclamée de la part des tenants du "non". Mais prenons les arguments. Une Constitution fourre tout ? Mais une Constitution, c'est un cadre général, on y trouve donc tout ce qui va faire fonctionner l'Europe...
Et elle ne serait pas révisable en plus, dit-il...
Pas révisable ? Mais comme tous les traités ! Et qui sera peut-être plus facile à réviser, parce qu'il y a l'intervention du Parlement européen, le droit de pétition. Et si on ne prenait pas cette Constitution, on aurait le traité actuel de Nice, qui lui-même n'est pas plus facile à réviser que la future Constitution. L. Fabius nous dit pas assez de social ? Mais cette Constitution est un progrès en matière sociale et en matière économique, par rapport à tous les traités antérieurs. Et enfin, on nous dit que cela reprend toutes les politiques qui ont été engagées par l'Europe depuis vingt-cinq ans ? Mais qui était au pouvoir en France, notamment depuis 1981 ? Qui a fait progresser l'Europe ? Qui a négocié ces traités, si ce n'est les socialistes et la gauche ? Je considère que lorsque l'on prend ce traité constitutionnel, on prend aussi tout ce que nous avons nous-mêmes pour l'Europe. Et c'est pourquoi j'entends, moi, les socialistes dire : oui, nous voulons être fidèles à notre histoire. Oui, nous sommes conscients que les socialistes ont toujours été liés à la construction européenne. Mais nous voulons poser des conditions pour la suite et c'est en disant "oui" que l'on pose des conditions pour la suite. Quand on dit "non", on négocie avec qui ? Avec J. Chirac, qui va négocier pour nous les intérêts de l'Europe ? Avec les gouvernements européens dont j'ai dit qu'ils étaient majoritairement à droite ? Ou avec le Parlement européen lui-même, majoritairement à droite ? Je préfère donc prendre ce traité et continuer mon combat de socialiste et d'Européen.
A l'Assemblée nationale, il y a le débat sur le financement de la Sécurité sociale. C'est un débat qui intéresse tout le monde, tous les Français. P. Douste-Blazy propose des solutions : 5 milliards de recettes supplémentaires, 3 milliards d'économies... Pourquoi ne pas soutenir ce plan ?
Non, Douste-Blazy propose des solutions qui sont des prélèvements sur tous les Français...
Mais il y a un déficit de 10 milliards ...
Que l'on demande des efforts, chacun peut mesurer ce qu'est la Sécurité sociale et le prix qu'elle représente pour tous. Donc chacun est prêt à faire des efforts, mais des efforts justement répartis. Quand il va y avoir augmentation de la CSG sur tous les Français et notamment sur les retraités, quand il va y avoir la contribution d'un euro, le forfait hospitalier, et ne rien demander ni aux grandes entreprises ni aux professions de santé elles-mêmes, quand il n'y a pas de remise en cause de la structure même de la dépense de santé, alors là, il y a un doute. Et ce doute, c'est que ce Gouvernement est injuste et inefficace. Il y aura à la fois des prélèvements supplémentaires et il y aura des déficits qui resteront élevés, parce que le but de ce Gouvernement, c'est de privatiser la Sécurité sociale.
N. Sarkozy, dans un livre "La République, les religions et l'espérance", propose que l'on fasse évoluer la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, pour permettre le financement de lieux de culte, notamment de mosquées. Est-ce une bonne idée ?
Non, ce que l'on appelle la "loi laïque", qui a fait la séparation de l'Eglise et l'Etat, c'est un principe essentiel. Et si on le remet en cause, au nom du financement des lieux de culte, alors vous verrez dans toutes les villes des interventions qui seront faites, vous verrez des pressions qui s'exerceront, vous verrez la religion prendre une place qui ne doit pas être la sienne. Il est normal que la République protège les religions, toutes les religions, y compris la religion musulmane puisque c'est la deuxième de France. Mais il n'est pas normal de briser ce qui est une règle dans notre République, c'est-à-dire la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Et ce qui m'étonne chez N. Sarkozy, c'est qu'il est à la fois très libéral sur le plan économique - on en a vu les conséquences - et en même temps très communautariste au plan politique.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 octobre 2004)