Texte intégral
Q - Le problème des délocalisations va-t-il aller en s'accroissant ?
R - Il faut d'abord définir ce qu'est une délocalisation. Le transfert d'une fabrication ou d'une sous-traitance du territoire national vers un pays étranger dans le but de réimporter les produits vers la France ne concerne que 10 % des investissements directs à l'étranger. Cela représente 5 milliards d'euros par an.
Le phénomène reste donc limité, notamment en ce qui concerne les transferts vers l'Europe de l'Est. Ce qui joue en notre faveur, c'est la valeur ajoutée du produit. Plus la technologie est complexe, plus la part du salaire dans les coûts de fabrication a tendance à baisser. Pour les produits à forte valeur ajoutée, toute la question de la rémunération du travail, des disparités d'impôts et de charges sociales deviennent très relatives. On délocalise facilement la production de T-shirts, pas celle des Airbus.
Q - Sont-elles condamnables ?
R - Les délocalisations ont des conséquences tout à fait négatives car elles détruisent des emplois sur le territoire national, entraînant dans leur sillage chômage et reconversions. Mais elles ont aussi un aspect positif moins visible. Par exemple, une sous-traitance à l'étranger permet de fabriquer moins cher un produit en France, donc d'être plus compétitif. Et le consommateur français paiera un bien moins cher, ce qui a un effet dynamique sur l'économie. Le problème est donc complexe. Les délocalisations, c'est à la fois la meilleure et la pire des choses.
Q - A quel moment l'État peut-il intervenir pour y remédier ? Nicolas Sarkozy a, par exemple, suggéré le 4 mai de lier les aides aux entreprises à un engagement de non-délocalisation...
R - Il ne s'agit pas d'obliger les entreprises à rester là où elles sont. La souplesse est indispensable à la compétitivité d'une économie. La mondialisation implique la circulation. Mais les entreprises qui délocalisent doivent rembourser les aides publiques qu'elles ont reçues lors de leur installation sur un site car il s'agit alors d'une rupture du contrat de confiance. Sur le plan juridique, rien n'existe pour le moment et c'est un point sur lequel le gouvernement travaille. Il est nécessaire d'introduire plus de morale dans le capitalisme.
Q - Quelle forme concrète prendra ce remboursement ?
R - On peut envisager un véritable contrat d'installation, prévu par la loi, qui serait signé entre l'entreprise et les pouvoirs publics qui accordent les aides.
Les entreprises bénéficiaires des subventions s'engageraient à ne pas délocaliser et elles devraient restituer les aides en cas de rupture de ce contrat. Reste à formaliser tout cela juridiquement. Pour l'instant, c'est une sérieuse piste de travail mais rien n'est encore arrêté.
Q - Une entreprise comme Daewoo, qui décide de fermer son site lorrain, pourrait-elle être concernée par ces mesures ?
R - A l'avenir, oui.
Q - Et cela pourra-t-il suffire à enrayer le mouvement ?
R - Cela attirera les gens sérieux et éloignera les "chasseurs de primes". Ce que nous voulons, c'est financer la reconversion de ces sites et de leurs salariés. L'entreprise qui aura signé un tel contrat s'engagera à prendre en charge le coût humain de la fermeture du site, en lus des obligations légales qui existent déjà dans le cadre des plans de sauvegarde de l'emploi.
Q - Nicolas Sarkozy a évoqué la possibilité d'obliger les centres d'appels, souvent concernés par les délocalisations, à donner à leurs clients la provenance de l'appel...
R - C'est envisagé, en effet. Il s'agit avant tout d'introduire plus de transparence vis-à-vis du consommateur, plus de loyauté commerciale.
Q - Peut-on envisager que les collectivités publiques refusent de passer des commandes aux entreprises qui délocalisent ?
R - C'est une mesure qui me paraît difficile à mettre en oeuvre.
Q - L'État doit-il créer les conditions d'une production à meilleur coût sur le territoire national, par exemple par des baisses de prélèvements obligatoires ?
R - Si on cherche à produire moins cher que la Chine, on n'a aucune chance. Il est inutile de s'engager dans la course aux bas salaires. Les entreprises prennent aussi en compte la productivité globale du pays dans lequel elles s'implantent. Les impôts qu'elles paient sont la contrepartie des infrastructures et des services de la collectivité qu'elles utilisent tous les jours.
Q - Aujourd'hui, même des emplois de recherche et développement partent dans des pays à bas coûts comme l'Inde ou la Chine. Comment lutter contre ce nouveau phénomène ?
R - C'est un axe majeur de la politique du gouvernement, qui est relayé avec force auprès de la Commission européenne, particulièrement par Nicolas Sarkozy. Par le biais de la politique industrielle, nous voulons constituer des réseaux de recherche et développement (R D), des pôles de compétitivité où les entreprises sont en synergie avec les universités et les centres de recherche. Il s'agit de favoriser ces pôles, notamment par des dispositifs fiscaux incitant à l'investissement. Il ne s'agit pas de soutien public ou de protectionnisme mais bien de politique industrielle. Nous avons avancé sur ce dossier avec Bruxelles, qui en a accepté le principe.
Car c'est là que se situe le vrai danger. Le meilleur moyen de lutter contre les délocalisations, c'est de maintenir la R D sur le sol national. C'est le cas, par exemple, dans l'industrie pharmaceutique. Les laboratoires français doivent pouvoir vendre leurs médicaments à des prix qui leur permettent d'amortir leurs frais de recherche en France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 2004)
R - Il faut d'abord définir ce qu'est une délocalisation. Le transfert d'une fabrication ou d'une sous-traitance du territoire national vers un pays étranger dans le but de réimporter les produits vers la France ne concerne que 10 % des investissements directs à l'étranger. Cela représente 5 milliards d'euros par an.
Le phénomène reste donc limité, notamment en ce qui concerne les transferts vers l'Europe de l'Est. Ce qui joue en notre faveur, c'est la valeur ajoutée du produit. Plus la technologie est complexe, plus la part du salaire dans les coûts de fabrication a tendance à baisser. Pour les produits à forte valeur ajoutée, toute la question de la rémunération du travail, des disparités d'impôts et de charges sociales deviennent très relatives. On délocalise facilement la production de T-shirts, pas celle des Airbus.
Q - Sont-elles condamnables ?
R - Les délocalisations ont des conséquences tout à fait négatives car elles détruisent des emplois sur le territoire national, entraînant dans leur sillage chômage et reconversions. Mais elles ont aussi un aspect positif moins visible. Par exemple, une sous-traitance à l'étranger permet de fabriquer moins cher un produit en France, donc d'être plus compétitif. Et le consommateur français paiera un bien moins cher, ce qui a un effet dynamique sur l'économie. Le problème est donc complexe. Les délocalisations, c'est à la fois la meilleure et la pire des choses.
Q - A quel moment l'État peut-il intervenir pour y remédier ? Nicolas Sarkozy a, par exemple, suggéré le 4 mai de lier les aides aux entreprises à un engagement de non-délocalisation...
R - Il ne s'agit pas d'obliger les entreprises à rester là où elles sont. La souplesse est indispensable à la compétitivité d'une économie. La mondialisation implique la circulation. Mais les entreprises qui délocalisent doivent rembourser les aides publiques qu'elles ont reçues lors de leur installation sur un site car il s'agit alors d'une rupture du contrat de confiance. Sur le plan juridique, rien n'existe pour le moment et c'est un point sur lequel le gouvernement travaille. Il est nécessaire d'introduire plus de morale dans le capitalisme.
Q - Quelle forme concrète prendra ce remboursement ?
R - On peut envisager un véritable contrat d'installation, prévu par la loi, qui serait signé entre l'entreprise et les pouvoirs publics qui accordent les aides.
Les entreprises bénéficiaires des subventions s'engageraient à ne pas délocaliser et elles devraient restituer les aides en cas de rupture de ce contrat. Reste à formaliser tout cela juridiquement. Pour l'instant, c'est une sérieuse piste de travail mais rien n'est encore arrêté.
Q - Une entreprise comme Daewoo, qui décide de fermer son site lorrain, pourrait-elle être concernée par ces mesures ?
R - A l'avenir, oui.
Q - Et cela pourra-t-il suffire à enrayer le mouvement ?
R - Cela attirera les gens sérieux et éloignera les "chasseurs de primes". Ce que nous voulons, c'est financer la reconversion de ces sites et de leurs salariés. L'entreprise qui aura signé un tel contrat s'engagera à prendre en charge le coût humain de la fermeture du site, en lus des obligations légales qui existent déjà dans le cadre des plans de sauvegarde de l'emploi.
Q - Nicolas Sarkozy a évoqué la possibilité d'obliger les centres d'appels, souvent concernés par les délocalisations, à donner à leurs clients la provenance de l'appel...
R - C'est envisagé, en effet. Il s'agit avant tout d'introduire plus de transparence vis-à-vis du consommateur, plus de loyauté commerciale.
Q - Peut-on envisager que les collectivités publiques refusent de passer des commandes aux entreprises qui délocalisent ?
R - C'est une mesure qui me paraît difficile à mettre en oeuvre.
Q - L'État doit-il créer les conditions d'une production à meilleur coût sur le territoire national, par exemple par des baisses de prélèvements obligatoires ?
R - Si on cherche à produire moins cher que la Chine, on n'a aucune chance. Il est inutile de s'engager dans la course aux bas salaires. Les entreprises prennent aussi en compte la productivité globale du pays dans lequel elles s'implantent. Les impôts qu'elles paient sont la contrepartie des infrastructures et des services de la collectivité qu'elles utilisent tous les jours.
Q - Aujourd'hui, même des emplois de recherche et développement partent dans des pays à bas coûts comme l'Inde ou la Chine. Comment lutter contre ce nouveau phénomène ?
R - C'est un axe majeur de la politique du gouvernement, qui est relayé avec force auprès de la Commission européenne, particulièrement par Nicolas Sarkozy. Par le biais de la politique industrielle, nous voulons constituer des réseaux de recherche et développement (R D), des pôles de compétitivité où les entreprises sont en synergie avec les universités et les centres de recherche. Il s'agit de favoriser ces pôles, notamment par des dispositifs fiscaux incitant à l'investissement. Il ne s'agit pas de soutien public ou de protectionnisme mais bien de politique industrielle. Nous avons avancé sur ce dossier avec Bruxelles, qui en a accepté le principe.
Car c'est là que se situe le vrai danger. Le meilleur moyen de lutter contre les délocalisations, c'est de maintenir la R D sur le sol national. C'est le cas, par exemple, dans l'industrie pharmaceutique. Les laboratoires français doivent pouvoir vendre leurs médicaments à des prix qui leur permettent d'amortir leurs frais de recherche en France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 2004)