Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Vilepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, lors du point de presse conjoint avec M. Wlodzimierz Cimoszewicz, ministre polonais des affaires étrangères, sur les relations franco-polonaises, les questions liées à l'élargissement de l'Union européenne en matière de sécurité, d'identité et de solidarité, et les questions internationales de l'Irak et du Proche-Orient, Paris le 9 janvier 2004.

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Circonstance : Visite en France de M. Wlodzimierz Cimoszewicz, ministre polonais des affaires étrangères : entretien avec Dominique de Villepin, à Paris le 9 janvier 2004

Texte intégral

Permettez-moi d'abord de vous dire à quel point je suis heureux de recevoir aujourd'hui M. Wlodzimierz Cimoszewicz, mon collègue polonais. C'est une merveilleuse façon de commencer l'année.
Vous savez à quel point les relations entre nos deux pays sont des relations riches, fondées sur l'histoire, sur la culture. On peut dire, sans exagérer, que ces relations se sont nourries au fil des siècles.
Le général de Gaulle disait que ce qui caractérise nos deux pays, c'est le fait que le succès et le malheur de l'un fait le succès et le malheur de l'autre. C'est dire à quel point nous avons conscience, Wlodzimierz et moi, que nos destins sont liés dans cette Europe nouvelle que nous voulons bâtir ensemble.
Aujourd'hui, la mémoire de ce passé très riche et qui nous oblige, doit ouvrir à une relation très dense qui repose sur une amitié solide. La visite à Varsovie du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, en décembre, a confirmé cette volonté de liens très étroits entre Varsovie et Paris. Et d'ailleurs, c'est la réalité des faits : la France est le premier investisseur économique en Pologne. La science, l'éducation sont les priorités de notre coopération bilatérale, complétant les partenariats qui ont déjà été noués, dans les domaines de la justice ou dans l'accompagnement des réformes engagées en Pologne.
Avec nos amis allemands, nous avons donné une nouvelle impulsion au Triangle de Weimar, qui prend une signification accrue, bien sûr, avec l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne. Dans les prochains jours, nous allons nous retrouver, avec Joschka Fischer et Wlodzimierz, pour une nouvelle réunion de ce Triangle de Weimar. 800.000 Français d'origine polonaise tissent un très dense réseau d'amitié. Ce soir, et c'est un symbole pour notre rencontre, la Comédie française joue Molière à Varsovie avec Andrzej Seweryn en Don Juan. Dans quelques mois, la saison polonaise débutera en France et Guy Amselem nous a tracé, lors du déjeuner, avec de nombreux amis, les grands axes de cette saison polonaise en France. Aussi, il est naturel, donc, qu'à l'issue de notre rencontre de travail de ce matin, où nous avons abordé non seulement les grandes questions de l'Europe mais aussi nos relations bilatérales et les questions internationales de l'Irak, du Proche-Orient, nous avons souhaité élargir notre déjeuner à un certain nombre d'amis de la France et de la Pologne - je pense, en particulier, au cinéaste Roman Polanski, ou encore à des historiens comme les professeurs Pomian et Alfred Grosser.
Au-delà de notre relation bilatérale, c'est bien évidemment l'Europe qui a été au cur de nos entretiens. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire souvent, le défi qui est à relever ne doit pas être sous-estimé car, en effet, nous entrons dans un nouvel âge de l'Europe, celui d'une Europe élargie qui veut développer une véritable ambition sur la scène internationale, jouer tout son rôle, assumer toutes ses responsabilités, dans ce monde nouveau.
Avec l'élargissement, nous devons, en effet, trouver des réponses aux différents problèmes qu'affronte cette Europe : celui de son identité, celui de sa sécurité et aussi celui de sa solidarité.
Dès cette année, une nouvelle étape va s'accomplir. En mai, l'Union européenne s'élargira à dix nouveaux membres. Après tant d'années de division artificielle, une nouvelle Europe va naître. Cette nouvelle unité de l'Europe retrouvée constitue un tournant historique. Et il s'agit véritablement d'une refondation de l'Europe.
En juin, nos peuples seront appelés à renouveler le Parlement européen et à y déléguer leurs représentants. Tout indique qu'ils souhaitent une Europe à la fois plus efficace, plus démocratique, plus transparente et plus proche de leurs préoccupations. Et si nous voulons ancrer véritablement la construction européenne dans le socle des peuples, il est important que nous puissions incarner la grande ambition qu'ils attendent.
Tout au long du semestre, la question institutionnelle va bien sûr être au coeur de nos préoccupations. Sous la présidence irlandaise, la France souhaite vivement, comme la Pologne, et nous l'avons affirmé ensemble, trouver, dans les mois qui viennent, un accord qui soit à la hauteur des enjeux.
En prévision de ces débats constitutionnels qui portent sur des sujets cruciaux, il était essentiel de reprendre très tôt - et vous voyez que nous n'avons pas perdu de temps - le dialogue entre nous. Il nous a permis de souligner un certain nombre de sujets d'intérêt commun : la culture qui nous singularise et qui nous ouvre sur l'extérieur. Nous voulons réfléchir aux moyens de promouvoir notre rayonnement dans le respect de la diversité et nous avons beaucoup réfléchi à ce que nous pourrions faire ensemble en direction de la jeunesse, en particulier, et cette saison polonaise qui va s'ouvrir constitue une étape importante pour nos deux pays.
Deuxième grand sujet de discussion : la solidarité qui est nécessaire pour humaniser les lois du marché. Il faut l'appliquer en particulier dans un domaine qui nous unit et qui est l'agriculture.
Enfin les questions de sécurité qui sont au coeur du projet européen. La France est consciente de l'apport que les forces polonaises fournissent à l'OTAN. Elle apprécie également l'engagement polonais en faveur de l'Europe de la défense. Dans ce cadre, nous avons évoqué la stratégie de sécurité qui a été proposée par Javier Solana et adoptée par le Conseil européen de Bruxelles. Parce que la situation internationale, en particulier au Moyen-Orient, reste fragile, nous sommes convenus de mobiliser nos énergies ensemble.
Il existe de nombreux autres défis qui se présentent encore : nous avons abordé les futures perspectives financières de l'Union ; la réflexion sur les frontières de l'Union ; la politique de voisinage que nous voulons développer avec nos principaux partenaires extérieurs ; la relation transatlantique bien sûr ; la gestion des crises régionales à travers le monde. Sur tous ces sujets, je crois pouvoir exprimer notre volonté commune d'aborder ces questions ensemble. Je crois pouvoir dire qu'entre la France et la Pologne, entre nous deux, il y a un vrai désir de trouver des solutions au service d'une ambition commune européenne.
Q - Le président Chirac a rappelé hier son idée de groupes pionniers, de coopérations renforcées. Comment allez-vous mettre cela en oeuvre ?
R - Il faut, je crois, partir de la réalité de l'Europe telle que nous la connaissons depuis maintenant plusieurs décennies. L'Europe a toujours été la combinaison d'une volonté commune, d'une volonté collective d'avancer de la part de l'ensemble des Etats participant, et, en même temps, le souci de permettre à ceux qui le veulent, à ceux qui le peuvent, de se réunir, d'unir leurs forces pour les mettre au service d'un idéal commun.
C'est bien l'esprit de l'Europe et c'est bien l'esprit que nous évoquons à travers les coopérations renforcées prévues par le projet de constitution et qui justement existent, au-delà de la nécessité - parce que nous parlons bien d'une nécessité d'avancer à vingt-cinq, à travers une règle commune. Nous sommes tous convaincus non seulement que cette règle commune est indispensable mais que nous allons y arriver, que nous parviendrons à la définir au cours des prochains mois.
Au-delà de cette règle commune, il faut que cette Europe puisse vivre, possède la souplesse nécessaire, puisse respirer pour permettre de s'épanouir. Cela suppose, bien évidemment, que les Etats qui peuvent et qui veulent travailler ensemble dans un certain nombre de domaines privilégiés, le fassent. Nous l'avons fait pour Schengen, nous l'avons fait pour l'euro, nous pouvons le faire dans le domaine de la politique étrangère, qu'il s'agisse de l'Afrique, de l'Amérique latine, des relations avec le Maghreb. Nous pouvons le faire dans le domaine de la défense. A partir de cette volonté qui existe, il faut bien sûr respecter une règle.
Qui dit coopération renforcée, dit donc capacité de certains Etats d'ouvrir la voie, de travailler ensemble, de défricher certains domaines privilégiés mais cela veut dire aussi respect des autres c'est-à-dire information, transparence, libre capacité de chacun de participer à ces différentes coopérations. Ce que nous affirmons, c'est notre volonté, avec tous ceux qui le souhaitent, d'avancer.
Bien évidemment, dans notre esprit, la France et l'Allemagne ont vocation à participer à toutes ces avancées. Nous souhaitons - nous l'avons montré avec nos amis britanniques dans le domaine de la défense - associer toutes les forces. Et l'espoir que nous avons formulé, et je crois que nous nous retrouvons avec nos amis polonais, c'est bien cette volonté commune. La Pologne a vocation à participer dans le domaine de la défense. Elle en a l'ambition et elle a montré les capacités qui étaient les siennes. Dans beaucoup d'autres domaines, nous souhaitons bien évidemment travailler conjointement avec nos amis polonais.
C'est dire à quel point il faut partir de la réalité de la vie européenne : à la fois une ambition, une règle commune pour les Vingt-cinq et, en même temps, à l'intérieur de cette Europe, une vitalité, parce que cette Europe doit être ambitieuse. Elle ne doit donc pas s'aligner sur le plus lent, sur le plus petit dénominateur commun, mais au contraire sur l'ambition la plus grande qui doit nous permettre d'avancer parce que c'est bien la nécessité du monde d'aujourd'hui. Il y a besoin d'Europe. Il y a besoin d'une Europe forte. Pour que cette Europe puisse être forte, il faut qu'elle soit exigeante. Tout cela nous conduit donc à une Europe à vingt-cinq avec une règle commune mais, en même temps, une souplesse qui permette à ceux des pays de l'Europe qui peuvent et qui veulent, en parfaite harmonie et transparence avec les autres, de créer des initiatives, de prendre des initiatives dans des domaines particuliers afin de maintenir cette dynamique de l'Europe vivante. Une fois de plus, c'est l'intérêt de la communauté internationale et c'est en même temps l'intérêt de l'Europe.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 janvier 2004)