Propos de Mme Claudie Haigneré, ministre délégué aux affaires européennes, lors d'un point de presse conjoint avec M. Jaroslaw Pietras, secrétaire d'Etat aux affaires européennes de Pologne, et déclaration au Centre de relations internationales, sur les relations franco-polonaises et la construction européenne, à Varsovie le 20 septembre 2004.

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Circonstance : Voyage à Varsovie, le 20 septembre 2004

Texte intégral

(Point de presse conjoint de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, avec M. Jaroslaw Pietras, secrétaire d'Etat aux affaires européennes de Pologne, à Varsovie le 20 septembre 2004)
Bonjour,
Je tiens d'abord à remercier Jaroslaw Pietras et toute son équipe, pour la chaleur de leur accueil et la qualité des débats que nous avons eus au cours de notre réunion de travail. C'est ma première visite en Pologne, mais j'avais déjà eu des échanges tout à fait intéressants avec mes homologues polonais dans mes fonctions à la Recherche. Avec Michal Kleiber, nous avons travaillé sur de nombreux sujets en commun.
J'ai eu le plaisir de rencontrer Jaroslaw Pietras à Bruxelles, au Conseil Affaires générales et Relations extérieures lors de réunions relatives au Traité constitutionnel, et nous avons déjà eu l'occasion de travailler beaucoup ensemble.
Je suis particulièrement heureuse d'être parmi vous, et tiens à vous dire à quel point la saison culturelle polonaise en France, la "Nova Polska", est appréciée ; elle est l'occasion de rapprocher nos deux pays, qui ont tant de choses à partager sur le plan culturel, historique, mais aussi dans leur avenir au sein de l'Union européenne.
Avec Jaroslaw ce matin, et précédemment avec le ministre Cimoszewicz, nous avons évoqué des sujets européens, des sujets liés à la politique de voisinage, avec nos voisins de l'Est comme avec nos voisins du Sud de l'Union européenne.
Nous avons, avec le ministre Pietras, approfondi cette réflexion tout à fait indispensable sur les prochaines perspectives financières et les ambitions que l'Europe se donne pour réussir son élargissement.
Et nous avons évoqué, bien sûr, la ratification du Traité constitutionnel, un texte qui nous permettra d'aller de l'avant dans la construction européenne.
S'il existe de nombreuses coopérations entre la France et la Pologne sur le plan administratif, il en existe également sur le plan technique, mais aussi politique, au niveau des ministres et des présidents de nos deux pays. Je rappelle que votre président sera en France le 4 octobre prochain.
Je tenais aussi à vous signaler que je suis accompagnée d'un représentant du Parlement français, le sénateur Gaillard qui est le président du groupe d'amitié France-Pologne ; j'attache beaucoup d'importance, et je sais que c'est le cas ici aussi, à ce que les représentants des citoyens puissent être associés à nos divers échanges et discussions.
Au-delà de nos discussions politiques, j'aurai aussi le plaisir de m'exprimer dans le cadre d'une conférence organisée par le Centre des Relations Internationales sur les relations franco-polonaises et la construction européenne.
Q - J'aurais deux questions à vous poser. La première porte sur ce que M. Pietras a déjà dit sur les questions budgétaires et l'approche différente de ces questions budgétaires par les deux pays. Pour ce qui est des fonds structurels, l'enjeu est important pour la Pologne. S'agissant de la PAC, l'enjeu l'est un peu moins car jusqu'à 2013 les fonds sont plafonnés. Je voudrais que vous commentiez ce sujet. Et la deuxième question porte sur l'harmonisation fiscale. Y a-t-il une possibilité de compromis sur ce sujet, peut-être de discuter d'un minimum fiscal admissible par les uns et les autres ?
R - Comme l'a dit le ministre Pietras, nous sommes tout à fait d'accord sur l'approche que nous devons avoir sur cette discussion, qui va être longue. Il faut que l'Europe ait des ambitions, il faut aussi, chacun le sait, pouvoir respecter certaines contraintes budgétaires au plan européen comme au plan national.
Quels sont les objectifs et les enjeux ? Que peut faire l'Europe dans la période à venir ? Il faut cibler ces objectifs et déterminer le budget permettant de les atteindre. La politique de cohésion et de solidarité, en particulier vis-à-vis des nouveaux Etats membres qui sont en retard de développement dans certains secteurs, est une priorité. C'est une priorité pour la France, qui est bien sûr prête à participer à cet effort de solidarité. Le financement de la politique agricole est un sujet commun d'intérêt entre la France et la Pologne et sur lesquels des accords ont été obtenus il y a quelques mois dans le cadre d'une réforme importante. En ce qui concerne la fiscalité, il existe en France un débat sur les délocalisations et les stratégies industrielles que nous pouvons mettre en oeuvre pour les éviter. Nous sommes dans un marché intérieur qui doit fonctionner sans distorsion de concurrence. Il est tout à fait intéressant de réfléchir à l'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés (IS). La Commission et le Conseil ECOFIN ont pris la décision de réfléchir à une harmonisation de l'assiette de cet impôt qui est nécessaire pour de nombreuses entreprises implantées dans différents pays européens. C'est une première étape dans cette réflexion.
Q - L'état des relations entre la Pologne et l'Allemagne peut-il influencer les rapports au sein du Triangle de Weimar et les rapports entre les Etats de l'Union
européenne ?
R - Concernant les relations entre la Pologne et l'Allemagne, je n'entrerai pas dans la discussion. Je dirai simplement que les relations entre la France et l'Allemagne étaient très complexes il y a 50 ans ; elles sont depuis lors au coeur des avancées de la construction européenne, une construction qui a montré à quel point cette relation était importante pour la paix et la stabilité de notre continent.
Je crois que notre envie de travailler ensemble dans tous les domaines dans ce format à trois, le Triangle de Weimar, entre la France, la Pologne et l'Allemagne, c'est justement le témoignage d'une volonté d'avancer ensemble, de trouver des solutions pour l'avenir de l'Europe
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 septembre 2004)
(Déclaration de Claudie Haigneré au Centre de relations internationales, à Varsovie le 20 septembre 2004)
Mesdames et Messieurs, c'est avec un grand plaisir que je viens pour la première fois à Varsovie en tant que ministre chargée des Affaires européennes, quelques mois après l'adhésion à l'Union européenne et quelques semaines avant la visite du président Kwasniewski à Paris à l'occasion de la magnifique saison culturelle polonaise en France.
Dix ans après la candidature polonaise, déposée en avril 1994, c'est une immense satisfaction et le sentiment d'une injustice réparée que de se retrouver, sur la terre polonaise, dans l'Europe réunie.
A Varsovie, particulièrement, dans cette grande capitale européenne magnifiquement reconstruite après le combat héroïque qui fut le sien et les destructions barbares qu'elle subit il y a 60 ans, le premier sentiment qui s'empare du visiteur est le recueillement. En cette année qui aura vu l'Europe surmonter ses divisions, prendre sa revanche sur l'histoire, nous devons nous souvenir de ceux qui sont tombés en 1944 sur les plages normandes pour libérer l'Europe mais également des insurgés de Varsovie qui tentèrent désespérément de se défaire du joug hitlérien.
L'unité européenne a été établie pour assurer définitivement la paix sur notre continent. Nous savons tous le rôle qu'ont joué les grands visionnaires, Jean Monnet, Robert Schuman, Alcide de Gasperi et Konrad Adenauer, qui ont inventé une mécanique propre à garantir la réconciliation entre la France, l'Allemagne et l'Italie et à garantir la prospérité économique sur tout le territoire européen.
Cette unité, cette réconciliation, nous la désirions tous en Europe. Nous avons eu, à l'Ouest, la chance de pouvoir mener librement ce projet dès les années 50. Alors que l'Europe centrale était figée dans le glacis totalitaire, nous avons espéré que vous nous rejoindriez. Nous vous attendions ! Faut-il rappeler cette phrase prononcée par le général de Gaulle, qui croyait profondément et historiquement à la vocation européenne de la Pologne, lors de son voyage dans votre pays en 1967 : "les obstacles qui vous paraissent aujourd'hui insurmontables, vous les surmonterez." Et il ajoutait aussitôt, avec son regard qu'aucun obstacle n'arrêtait, un message lourd de signification politique à l'époque : "vous comprenez tous ce que je veux dire".
Il aura fallu attendre une génération pour que la prophétie gaullienne s'accomplisse et que le gouvernement Mazowiecki soit investi. Moins d'une génération plus tard, nous nous retrouvions ensemble dans une Europe dont nous avons désormais la responsabilité partagée avec vous et les autres pays européens.
La réconciliation franco-allemande a joué un rôle décisif pour la construction européenne. Aujourd'hui encore, nous menons avec l'Allemagne une concertation exemplaire, irremplaçable, pour reprendre le mot du ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier. Dès 1989-1990, dès que le mur qui divisait l'Europe s'est fissuré, la France a tenu à associer la Pologne à son dialogue avec l'Allemagne. La France et la Pologne étant amies de longue date, la France et l'Allemagne ayant établi cette relation si forte, nous pouvions apporter notre contribution à la réconciliation germano-polonaise. Cette grande idée du Triangle de Weimar, mise en oeuvre par les ministres des Affaires étrangères Skubiszewski, Genscher et Dumas, trouve une nouvelle dimension avec l'adhésion de la Pologne à l'Union. Comme les présidents Kwasniewski et Chirac et le chancelier Schröder en ont convenu lors du Sommet de Wroclaw, en mai 2003, il s'agit aujourd'hui d'avancer ensemble sur les questions européennes. Je tiens personnellement au renforcement de cette relation de travail, qui nous permettra d'avancer sur les grands sujets européens, et je reviendrai à Varsovie dès le mois prochain pour rencontrer mes collègues Jaroslaw Pietras et Hans-Martin Bury.
Nous avons vécu dans la période récente des moments parfois difficiles : les choix différents faits par la France et par la Pologne dans la crise irakienne, les négociations sur le traité constitutionnel ont créé entre nous des tensions, des malentendus, des incompréhensions. Certains commentateurs ont parlé de querelles de vieux couple. Le grand poète Milosz, malheureusement disparu cet été, écrivait déjà lorsqu'il évoquait son enfance, "l'amour de la France, un amour non partagé, caractérisait la culture dans laquelle j'ai grandi". Nos relations souffriraient-elles d'un trop de sentiments, d'un trop d'affect ?
Les liens traditionnels d'amitié entre nos deux pays, le formidable capital de sympathie, de références communes, qui unit nos peuples, tout au long de la longue histoire de la Pologne en Europe, ne nous dispensent en tout cas pas d'un effort d'écoute, de compréhension mutuelle.
La France et la Pologne n'ont pas toujours une même vision sur les grands dossiers européens ou internationaux. Eh bien parlons-en, écoutons-nous, sachons trouver les mots pour nous comprendre, pour ne pas nous laisser enfermer dans des postures caricaturales, l'égoïsme des Français, l'intransigeance des Polonais
Aujourd'hui, mon propos sera résolument tourné vers l'avenir. Pour porter ensemble l'ambition européenne, nous devons privilégier les actions concrètes.
Ce qui nous réunit dépasse de loin ce qui nous sépare. La France et la Pologne sont favorables à la poursuite de l'intégration européenne tout en préservant un principe d'efficacité et de subsidiarité : l'Europe ne peut se substituer dans tous les domaines à nos Etats, à nos collectivités territoriales, à nos acteurs nationaux publics et privés. Poursuivons la construction de la maison commune pour mieux répondre à l'exigence de nos citoyens mais laissons à chacun de nos génies nationaux ce qui lui appartient.
Le futur traité constitutionnel, que nous allons signer ensemble en novembre prochain, contribuera à rapprocher les citoyens des institutions, à une meilleure efficacité de l'Union et à faire en sorte qu'elle pèse d'avantage sur les affaires du monde.
Nous devrons mener, en France comme en Pologne, un effort vigoureux d'explication pour gagner la bataille de la ratification. Nous le ferons au même moment à l'automne 2005. Contre les populismes, face aux inquiétudes nées de l'incompréhension, d'un sentiment de désorientation, il nous faudra faire preuve de volonté, de pédagogie, de sens du dialogue. Je sais qu'en Pologne le référendum d'adhésion a été remporté de haute lutte grâce aux efforts conjugués des autorités et des organisations non gouvernementales. Je viens de m'entretenir avec la présidente de la fondation Schuman qui a joué un rôle si important dans cette victoire. Le niveau record d'abstention observé lors des élections au parlement européen de juin dernier, dans toute l'Europe et particulièrement en Pologne - 80 % ! - démontre, s'il en était besoin, l'importance et la difficulté de l'enjeu, alors que vous devez, selon la Constitution polonaise, atteindre le seuil de 50 % de participation.
La réponse aux défis qui sont les nôtres ne peut être exclusivement institutionnelle. Le futur traité règle la question du fonctionnement à 25, bientôt 27. Mais il ne règle pas toutes les questions et notamment celle de la redynamisation de notre modèle de croissance durable.
Nous connaissons le diagnostic : l'Europe pèse de moins en moins dans l'économie mondiale, elle perd du terrain dans un monde plus compliqué, plus compétitif dans lequel émergent de nouvelles puissances. Faut-il en Pologne, faire référence au grand savant de Torun, et appeler à une révolution copernicienne ? Le débat sur la révision à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne nous donnera l'occasion de réévaluer le modèle européen.
Nous abordons ce débat avec des points de vue qui reflètent nos situations respectives. Bien évidemment, elles ne sont pas identiques. Pour autant, je ne crois pas qu'elles doivent conduire à des conflits.
Vous revendiquez le droit au rattrapage économique et nous vous le reconnaissons bien volontiers. C'est d'ailleurs notre intérêt bien compris, celui de nos citoyens et celui de nos entreprises, car ce rattrapage sera gage de stabilité et source de croissance.
Nous vous devons la solidarité et nous sommes prêts à l'exercer. La France, qui est un important bénéficiaire du budget européen, sera dans la prochaine période budgétaire - 2007-2013 -, fortement contributrice nette. Nous souhaitons que les nouveaux Etats membres puissent pleinement profiter des fonds européens auxquels ils ont droit. Nous souhaitons que la politique de cohésion et les fonds structurels qui vont avec leur soient destinés en priorité. L'enjeu pour la Pologne est considérable, puisqu'il porte sur près de 70 milliards d'euros au titre des prochaines perspectives financières.
Face aux mutations de nos sociétés industrielles, face aux charges qui pèsent sur nos collectivités, la solidarité ne peut pas être à sens unique. Il ne s'agit pas de retarder des réformes nécessaires et déjà engagées par le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin. Il s'agit en revanche de bien comprendre que nous ne pouvons pas nous livrer entre nous, partenaires européens, à une concurrence fiscale sauvage, car à ce jeu-là, nous trouverons toujours des concurrents plus féroces.
Nous partageons le souci de renforcer la compétitivité globale de l'Europe. Il nous faudra ensemble identifier les pistes permettant d'assurer l'excellence scientifique et technologique de l'Union. Ensemble, nous pouvons travailler au renforcement du pôle de connaissances. Le séminaire intergouvernemental, consacré à l'Education, à la Recherche et à la Formation, qui se déroulera à Paris d'ici la fin de l'année sous la présidence de nos deux Premiers ministres, sera entièrement consacré à ce sujet
Mesdames et Messieurs, j'ai la conviction après avoir rencontré aujourd'hui le ministre des Affaires étrangères et mon ami et collègue, Jaroslaw Pietras, que nous partageons, Français et Polonais, non seulement cet idéal européen que nous avons, chacun à notre manière, forgé, de Jean Monnet à Lech Walesa, mais que nous nous rencontrons également pour travailler concrètement ensemble, sur de très nombreux sujets d'intérêt commun.
Nous devons, ensemble, donner à l'Europe un projet politique, lui permettre de s'affirmer comme acteur à part entière de la vie internationale. Un grand pays comme la Pologne, riche de ses expériences historiques, a beaucoup à apporter à la Politique étrangère et de sécurité commune de l'Union. Il peut aussi contribuer efficacement au développement d'une défense européenne en parfaite harmonie avec l'OTAN, où nos deux pays jouent un rôle politique et militaire de premier plan.
Travaillons de même à définir une véritable politique de voisinage pour l'Union européenne, avec l'Ukraine, avec la Russie, avec nos partenaires de la Méditerranée. Nous devons mettre en commun nos idées et faire preuve d'imagination pour bâtir avec ces pays une relation intime et confiante. Il y va de notre sécurité et de la stabilité de notre continent dans son ensemble.
Je souhaite que, sur tous ces sujets, la France et la Pologne soient une force d'impulsion et d'initiative. Les rendez-vous qui nous attendent nous en offrent l'occasion
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 septembre 2004)