Interview de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, à RTL le 2 décembre 2003, sur l'amendement voté à l'Assemblée nationale créant un délit d'interruption involontaire de grossesse.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie-. Bonjour N. Ameline. J.-P. Garraud, député UMP de Gironde, a présenté et fait voter un amendement jeudi dernier par l'Assemblée Nationale. Un amendement controversé qui prévoit 15.000 euros d'amende et un an d'emprisonnement en cas d'interruption involontaire de grossesse, provoquée - je cite : "par la maladresse, l'imprudence, l'inattention, la négligence ou le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence ". Vous êtes la voix féminine dans le gouvernement Raffarin, N. Ameline. Cet amendement vous convient ?
- " Je voudrais tout d'abord rappeler avec force... "
Cet amendement vous convient ?
- " Je dirais qu'il faut lever sur cet amendement toute ambiguïté. "
Parce qu'il y en a ?
- " Parce qu'il y a un texte et qu'il y a des principes... "
Et il y a des ambiguïtés.
- " Ces principes, je voudrais d'abord les rappeler, ils sont très importants : la loi sur l'IVG, c'est un droit fondamental. C'est un acquis irréversible. "
Et on n'y touche pas.
- " Et on n'y touche pas. "
D'accord.
- " Et vous me trouverez toujours je dirais sur cette ligne avec force et conviction. On n'y touche pas ! "
D'accord.
- " En revanche effectivement, le texte pose des ambiguïtés mais, dans le même temps, il pose une vraie question. A l'évidence, il pose un vrai sujet. "
Donc il faut le réécrire.
- " Il faut le retravailler, indéniablement, et je crois que D. Perben a eu tout à fait raison de considérer que c'était une bonne question, mais qu'il fallait effectivement le rapprocher je dirais des principes fondamentaux, et voir avec les associations, et l'ensemble des parties prenantes, comment effectivement concilier une bonne question avec des principes auxquels nous sommes irréversiblement attachés."
La bonne question, c'est l'interruption involontaire de grossesse ?
- " Non, la bonne question c'est de savoir si l'on peut dénier à une femme l'atteinte qu'elle subit du fait de la perte accidentelle par imprudence, du fait d'un tiers, de son enfant à naître. C'est certes une question qui intéresse des cas limités, disons-le. Mais je pense au drame de ces femmes qui, effectivement, connaissent cet accident et qui véritablement peuvent le transformer en véritable tragédie personnelle. Et donc c'est une question qui, c'est vrai, en opportunité aurait pu s'inscrire dans un autre débat, dans un autre contexte parlementaire, mais elle est posée, donc il faut essayer d'y répondre, et surtout le faire - je suis très sensible à cela, je le répète - avec le souci absolument majeur de n'avoir autour de ce texte aucune confusion, aucune ambiguïté. "
Parce qu'il y en a beaucoup aujourd'hui. Par exemple, les médecins du Syndicat national des gynécologues et des obstétriciens vous demandent le retrait pur et simple de cet amendement, parce que - disent-ils - le suivi de la grossesse et le diagnostic prénatal sont menacés par cet amendement. Ils ont raison de dire ça ?
- " C'est une question qui effectivement est au coeur actuellement d'une discussion entre D. Perben et J.-F. Matteï. Le gouvernement a parfaitement compris les inquiétudes, et de la profession, comme les observations qui ont été émises par un certain nombre d'associations. "
Parfaitement compris, mais un peu tard. Quels problèmes de méthode pose cette action ? On vote un amendement, et puis on convient après qu'il y a des problèmes. C'est très bizarre tout de même !
- " Je rappelle que cet amendement a été un amendement d'initiative parlementaire. "
Avec l'accord du Gouvernement !
- " Pas du tout, alors le Gouvernement et D. Perben, là aussi je suis très satisfaite de voir qu'immédiatement il a souhaité le rattacher aux principes fondamentaux de notre droit, notamment en rappelant qu'il n'était naturellement pas, comment dirais-je, à l'écart de cette philosophie de la loi Veil, à laquelle encore une fois nous sommes très attachés. Mais au-delà de cela, c'est un amendement qui est arrivé en discussion parlementaire, qui n'est donc pas à l'initiative du Gouvernement. Je crois qu'il faut le rappeler. "
Il faut dire aussi que cet amendement a été voté par 30 députés, sur 577. Par 30 députés jeudi soir, avec l'accord de D. Perben.
- " Avec un accord qu'il a subordonné à l'adoption d'un sous-amendement qui prévoyait justement la réaffirmation du principe de la loi Veil. "
Donc c'est un problème de méthode : on vote un amendement et on fait une concertation après ? Est-ce que ce n'est pas le symbole de ce qui ne va pas aujourd'hui au Gouvernement ?
- " Non, je ne le crois pas. Parce que, encore une fois, nous avons eu une question posée au coeur de l'Assemblée Nationale. Il y a été répondu - je voudrais quand même rappeler que, tant l'engagement déclaré de Monsieur Garraud, que le sens du vote de la majorité des députés qui étaient présents, ne va pas du tout dans l'esprit qui est aujourd'hui décrié par un ensemble de critiques, et qui consiste à dire que nous remettons en cause la loi Veil. Même si, encore une fois, il peut y avoir des interprétations et des ambiguïtés, le fond de la pensée n'est pas celui-là. "
C. Boutin disait : " je me félicite de cet amendement, parce que le droit de l'enfant à naître est enfin reconnu ". Elle n'a rien compris !
- " On voit bien qu'effectivement il y a des interprétations multiples. "
Elle n'avait pas compris.
- " Donc cela mérite une clarification. Ca c'est clair ! Par contre, effectivement, qu'il y ait une concertation, je crois qu'au contraire c'est une méthode ouverte. C'est une façon intelligente... "
Après le vote de l'amendement encore une fois. La concertation vient après le vote !
- " L'amendement doit être réexaminé au Sénat comme vous le savez. "
Le 7 janvier, oui. Et Monsieur Garrec, qui est Président de la Commission des lois au Sénat, dit aujourd'hui dans Le Figaro : "cet amendement est gênant, il est inadéquat dans un tel texte". Vous avez aussi du travail de conviction à faire auprès des sénateurs.
- " Non, mais mon but n'est pas de convaincre. Il est surtout d'analyser, et de faire en sorte que ce texte encore une fois soit parfaitement conciliable avec les principes qui sont les nôtres. Par contre, il sera effectivement dans cet intervalle de temps, approfondi. Moi-même, j'ai l'intention de réunir la Commission permanente du Conseil Supérieur à l'Information Sexuelle, qui est un organisme très représentatif, pour effectivement analyser ce texte, et lever toutes les ambiguïtés. "
Vous le ferez avant le 7 janvier avant que Sénat ne vote.
- " Absolument. "
Il y a quelque chose dans le déroulement de cette séquence, et puis aussi dans vos propos ce matin, c'est qu'au fond vous-même - qui êtes ministre des droits de la femme au fond dans ce gouvernement - vous n'avez pas été associée, pas été prévenue peut-être, de cet amendement. Jeudi dernier par exemple, vous saviez que cet amendement serait voté ?
- " Je savais qu'il était voté, et j'avais souhaité, j'avais exprimé le souhait qu'effectivement il y ait une très grande clarté sur notre position, de manière à ce que... "
C'est-à-dire que vous étiez un peu hostile à sa rédaction tel que l'avait faite J.-P. Garraud.
- " Je pense plutôt qu'en opportunité, ce texte aurait mérité une autre approche. Car il est vrai qu'il est arrivé d'une façon un peu brutale, et surtout je dirais que sur des sujets de société - et je les vis au quotidien, parce que je suis sur ces sujets - nous travaillons beaucoup en amont. Nous travaillons avec les associations, nous travaillons avec les juristes et avec tous les acteurs... "
Et vous auriez souhaité que ça se passe différemment.
- " La question aurait pu être traitée différemment. "
Vous regrettez un petit peu les dégâts que tout ceci occasionne?
- " Je pense que tout ce qui intéresse les femmes mérite un très grand retour médiatique, mais je souhaiterais que ce le soit d'une manière plus consensuelle. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 décembre 2003)