Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, sur la situation de l'industrie chimique en France, Paris le 2 septembre 2004.

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Circonstance : Installation du Groupe de réflexion stratégique sur l'industrie chimique à Paris, le 2 septembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je sais que la création de ce groupe de réflexion stratégique sur l'avenir de la chimie en France correspondait à une attente forte de beaucoup d'entre vous. Je suis particulièrement heureux d'avoir pu y répondre, et ce d'autant plus que le processus que nous mettons aujourd'hui en place est à mon sens exemplaire de ce que la politique industrielle doit être, et je voudrais à cet égard rappeler deux évidences.
La première, c'est que la politique industrielle ne peut reposer sur les seules épaules de l'Etat, et qu'elle doit être partenariale. Dans des secteurs fortement concurrentiels comme la chimie, dans lesquels les entreprises sont privées et soumises à une concurrence internationale intense, les décisions sont avant tout celles des entreprises, et elles concernent en premier lieu leurs salariés. Une stratégie industrielle n'a de chances de fonctionner que si tous les acteurs, dirigeants, employés, et pouvoirs publics, ont la volonté de la mettre en oeuvre.
Aussi ai-je souhaité que ce groupe de réflexion soit le plus ouvert possible, et qu'il rassemble des chefs d'entreprises, des organisations syndicales, des personnalités extérieures, et des administrations. Le corollaire de cette diversité, est que chacun devra entrer dans la réflexion sans a priori, et savoir écouter de manière constructive des avis parfois assez éloignés des siens.
La seconde évidence est que la politique industrielle se construit à partir d'objectifs, et non à partir de moyens. Je souhaite que vous commenciez par vous demander ce que pourrait être la place de la chimie française dans le monde dans dix ans avant de parler de taxe professionnelle, d'allègements de charges, ou du règlement REACH. Sachez résister à la tentation du court terme et raisonner dans le bon sens. Il nous faut voir loin pour anticiper les mutations à venir.
Lors de mon déplacement à Lyon avant-hier, on m'a demandé " pourquoi s'intéresser à la chimie, et pas à un autre secteur industriel ? ". Je réponds tout d'abord à cela que la démarche que nous lançons aujourd'hui n'est pas exclusive de ce qui a été fait ou sera fait pour d'autres secteurs. J'attends par exemple dans les semaines qui viennent le rapport d'un groupe assez semblable à celui-ci, que mon prédécesseur avait lancé sur l'industrie textile, et nous réfléchissons avec le Premier ministre, le ministre de la santé et celui de la recherche, à un processus de réflexion similaire pour les industries de santé.
Mais il y a d'autres raisons à ce choix.
La première, c'est bien entendu l'importance absolue du secteur chimique français : 240 000 emplois directs en comptant la pharmacie, soit 8% de l'ensemble de la main d'oeuvre de l'industrie manufacturière, 85 milliards d'euros de chiffre d'affaires, un très avantageux 5e rang mondial. A eux seuls, ces chiffres justifieraient qu'on se penche sérieusement sur la stratégie industrielle du secteur.
La seconde raison est que la chimie est en quelque sorte " la mère " de toutes les industries. Ses produits sont utilisés dans le textile, la métallurgie, l'électronique, la construction, l'énergie et bien d'autres encore. Plus d'un tiers de la valeur d'une petite voiture provient de la chimie. Le déclin de la chimie française serait une catastrophe pour le reste de l'industrie.
La troisième raison est que la chimie est à la croisée des chemins, et j'insiste sur ce constat, que je ne ferais sans doute pas aussi fermement pour d'autres secteurs industriels. Je suis certain que les chefs d'entreprises présents autour de cette table ou les représentants des salariés confirmeront ce sentiment : aujourd'hui plus que jamais dans le passé, la chimie française est en situation d'incertitude.
En apparence, les statistiques révèlent une santé satisfaisante, bien qu'affectée par la conjoncture morose que nous avons connue pendant plusieurs années.
Mais l'analyse détaillée des chiffres révèle des constats plus inquiétants. L'Asie monte en puissance, en tant que marché prometteur, mais aussi en tant que concurrent redoutable. Le niveau de recherche et développement de la chimie française reste moins élevé qu'aux Etats-Unis ou au Japon, et surtout moins productif en termes de brevets. L'investissement est en baisse depuis trois ans, et se reporte de plus en plus sur la sécurité et l'environnement, au détriment de l'investissement productif. Enfin, nos grands groupes nationaux, au premier rang desquels Atofina et Rhodia, sont placés, pour des raisons différentes, dans des situations d'incertitude.
La chimie française fait face à des menaces, mais je ne crois pas pour autant qu'elle soit condamnée, bien au contraire. Les atouts qui ont permis à la France de bâtir avec l'Allemagne une chimie européenne puissante demeurent en effet, et continuent de constituer des cartes maîtresses pour l'avenir.
Au premier rang d'entre eux, je citerai notre capacité à innover et à développer de nouvelles applications pour les produits chimiques. Des champs immenses s'ouvrent à la chimie du futur, tout particulièrement dans le domaine de la chimie verte, qui doit permettre de réconcilier produits chimiques et protection de l'environnement, ou dans celui de la nano-chimie, avec tout ce qu'elle peut signifier en termes de sauts technologiques pour la catalyse par exemple.
Je suis convaincu que nous gagnerons la bataille de la localisation des activités productives et des sièges sociaux si nous gagnons celle de la localisation des centres de recherche, tant il est vrai que les trois sont étroitement liés.
L'industrie chimique ne pourra mettre en avant les atouts dont je viens de parler que si le chemin est dégagé devant elle, c'est-à-dire si les pouvoirs publics s'attachent à faciliter son activité. En disant cela, je pense aux sujets fiscaux, mais aussi et peut-être surtout aux sujets réglementaires, dont le plus actuel est celui de la future réglementation européenne sur les produits chimiques, la réglementation REACH. Dans ce domaine, la position du Gouvernement a été rappelée en 2003 par les plus hautes autorités de l'Etat, conjointement avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, et reste très claire : oui à une meilleure connaissance des substances chimiques, parce que l'enjeu est de taille, non à la perte inutile de compétitivité.
Il nous faut rechercher un équilibre entre le haut niveau de protection que nos concitoyens sont en droit d'exiger, et le risque de voir des productions considérées comme polluantes se réimplanter tout simplement dans des pays non soumis à nos réglementations, sans que l'environnement y ait réellement gagné au global.
Enfin, vous devrez vous pencher sur la question de l'image de la chimie. Ne nous y trompons pas, ce sujet est loin d'être anodin : il conditionne l'attractivité des filières de formation pour les techniciens et les ingénieurs de l'industrie chimique ; il conditionne l'acceptation locale des unités chimiques par leurs riverains ; il conditionne l'attractivité de la chimie pour les chercheurs de haut niveau. L'image de la chimie en France n'est pas bonne. Elle est au contraire excellente en Allemagne. Comment expliquer cette divergence, et comment la résorber ? Je compte sur vous, et en particulier sur les personnalités qualifiées de votre groupe, pour proposer au Gouvernement et aux industriels des pistes d'action.
Avant de vous laisser à vos travaux, j'aimerais vous faire partager une dernière conviction, que j'exprimais avant-hier aux salariés d'Atofina : cette conviction, c'est celle que l'immobilisme mène au déclin. L'inquiétude devant le changement, devant l'inconnu, est compréhensible. Si cette inquiétude tétanise les énergies et empêche le mouvement, l'avenir de la chimie en France est malheureusement tracé.
Monsieur le député, je vous remercie d'avoir accepté la lourde responsabilité de mener cette réflexion sur l'avenir de l'industrie chimique. Votre implication sur le sujet de la chimie est connue de longue date, et les travaux que vous avez menés sur la recherche en Europe vous aideront sans aucun doute à inscrire les travaux du groupe dans la perspective de long terme qui doit être la sienne. Vous êtes entouré de personnalités éminentes, dont la réunion est le gage de débats vifs et fructueux. Toutes les conditions sont réunies pour que les propositions que vous ferez dans six mois fassent date. En vous redisant tout l'espoir que je place dans cette démarche, je vous souhaite de bons et constructifs travaux.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 3 septembre 2004)