Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RMC le 24 septembre 2000, sur le métier de diplomate, l'existence d'une politique étrangère de gauche, la défaite de M. Milosevic aux élections en Serbie, les négociations pour la réforme des institutions communautaires, l'autorisation donnée à un avion d'aide humanitaire de se poser en Irak, le droit d'asile, le rapport des sages sur l'Autriche, la politique africaine et la coopération avec la Russie.

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Texte intégral

Q - C'est jour de référendum, Monsieur Védrine, aujourd'hui en France, nous nous interdisons donc d'évoquer les affaires françaises, la politique intérieure, et lorsque nous parlerons d'élections aujourd'hui, c'est parce qu'elles se déroulent aussi en Yougoslavie ou en Suisse.
Nous avons réalisé un autoportrait qui permettra de mieux connaître l'homme assez mystérieux que vous êtes. Alors tout d'abord, Monsieur Védrine, avez-vous rêvé un jour d'être ministre des Affaires étrangères avant de le devenir en 1997 ?
R - Oui, quand j'ai quitté l'Elysée après le départ de François Mitterrand, de temps en temps, en repassant devant le Quai d'Orsay, j'avais un brin de nostalgie. C'était la fonction dont je pouvais encore avoir envie après les quatorze ans d'Elysée.
Q - Quatorze ans aux côtés de François Mitterrand à l'Elysée, une école de réalisme ou une école de souffle ?
R - Les deux : un réalisme au laser, dissipant les illusions, tous les songes creux et aboutissant à une appréciation pointue, aiguë, tout le temps de la réalité des choses, du rapport des forces. En même temps une école du souffle parce que c'est un homme qui avait une vision historique très profonde. Il regardait loin derrière, donc il voyait loin devant, et c'était une atmosphère romanesque.
Q - Hubert Védrine semble né pour le pouvoir, mais écoutez, vous verrez que c'est plus compliqué que cela ?
R - Mon père était un très proche ami de François Mitterrand, il connaissait bien Mendès-France, Rocard, Jacques Delors, toutes sortes de gens, amis en fait. Ce que mon père avait fait de plus extraordinaire, c'est un rôle déterminant dans la négociation pour l'indépendance du Maroc. Il l'avait fait sans aucune situation de pouvoir. Donc j'ai toujours gardé jusqu'à maintenant l'idée qu'il y a des gens qui sont en dehors de toute position institutionnelle et qui sont à l'oeuvre sans qu'on le sache, mais qui sont en train de faire bouger des montagnes.
Q - Diplomate, est-ce que c'est se placer au milieu des adversaires et de poser un compromis ?
R - C'est assez fou comme présentation, parce que ce n'est pas un problème de juste milieu, ce n'est pas "p'têt ben que oui, p'têt bien que non", ce n'est pas du tout comme ça que cela se présente. Je crois que l'art du diplomate c'est d'apprécier une situation, d'apprécier le rapport des forces, de voir comment on peut négocier pour dégager une solution en évitant les conflits inutiles, reformuler la question, trouver des mots qui évitent les crispations, et réussir à avancer. C'est un métier très actif en fait. Les diplomates sont des inventeurs de solutions.
Q - L'obligation n'est-elle pas quand même de ne rien dire de ce qui fâche ?
R - Non, de ne rien dire de ce qui fâche inutilement. Il y a des moments quand même où il faut dire les choses, appeler un chat un chat, et on ne peut pas le dire non plus parce que ça vous défoule. Il faut le faire si cela contribue à débloquer une situation, à avancer vers la solution.
Q - Le réalisme ne mène-t-il pas au bout du compte au cynisme ?
R - Les gens croient que pour avoir de très grandes ambitions et volontarismes, il faut être un peu romantique et ne pas voir la réalité en face. Moi, je pense que le réalisme et le volontarisme se combinent et que l'irréalisme vous conduit dans l'utopie et donc dans la déception et donc dans le désespoir et le cynisme. Il n'y a pas de grande ambition, il n'y a pas de grande action si vous n'êtes pas capable de partir d'une appréciation exacte.
La première chose dans ce métier, c'est de résister physiquement : manque de sommeil, voyages.
La deuxième chose c'est de tenter de garder la maîtrise du temps : il faudrait avoir un emploi du temps qui serait rempli absolument de 7 heures du matin à minuit y compris le samedi et le dimanche.
Donc, il faut s'en occuper tout le temps, tout le temps pour garder quelques espaces de respiration.
La pratique mitterrandienne que j'ai observée de près me sert sur ce plan et on peut garder la tête hors de l'eau.
Q - Etes-vous partout chez vous ou êtes-vous de nulle part ?
R - Quand on voyage on est dans une sorte de bureau ambulant. Vous êtes en voiture, en avion je ne sais où à l'étranger dans n'importe quelle partie du monde et vous êtes dans un système où les informations vous suivent partout, les télégrammes, les fax, les téléphones. Vous êtes à Pékin et vous prenez des décisions concernant un problème européen, vous êtes en Europe et on vous demande de répondre tout de suite sur l'Amérique latine et donc cela se déplace avec vous. Vous n'avez pas l'impression de sortir, d'être tout à fait loin de vos bases 24h/24h et quel que soit l'endroit.
Q - Votre image de la France ?
R - Voir les paysages, pour moi la Creuse, le Limousin, la Savoie : certaines montagnes, certaines rues de Paris. Mais l'autre forme sous laquelle la France est présente tout le temps, c'est le désir de France des autres, que je rencontre d'un bout à l'autre de la planète.
Q - Y a-t-il quelque chose qui vous révolte au point que vous ne puissiez maîtriser votre colère ?
R - Non, je ne crois pas. Il y a des choses qui m'indignent intérieurement, que je trouve stupides mais j'essaie de ne pas l'exprimer.
Q - Le pouvoir oblige-t-il au conformisme ?
R - Je vais vous étonner mais je trouve plutôt le conformisme, en général, dans les critiques qui sont faites au pouvoir. Il y a toutes sortes de pensées automatiques, vous voyez ce qu'on dit sur les hommes politiques et je pense que c'est un domaine où le conformisme est à son paroxysme en ce moment.
Q - Savez-vous vous servir de vos mains ?
R - Eh bien, par exemple, j'ai beaucoup dessiné jusqu'à vingt ans et après j'ai beaucoup fait de bandes dessinées.
Q - Une heure libre s'offre complètement inattendue ?
R - Je vais me promener à Paris en général en passant par une librairie ou quelque part dans les rues.
Q - Après le Quai d'Orsay, quoi Monsieur Védrine ?
R - Je n'ai pas une seconde pour me poser cette question et puis, il y a ce que j'ai vécu auparavant. J'aurais pu me poser cette question en 1995 où il y a eu des rebondissements mais je pense qu'il y en aura d'autres.
Comment voulez-vous que je sois conforme si je fais votre portrait en quatre, cinq minutes ? Il ne pourrait pas être conforme. Tous les auditeurs frémiraient à l'idée qu'on les résume en quatre minutes mais je trouve que vous vous en sortez bien. C'est bien mené et je trouve qu'il y a une curiosité sympathique derrière.
Q - Est-ce qu'il existe, Monsieur le Ministre, une politique étrangère de gauche - qu'est-ce qui la différencie d'une politique étrangère de droite ?
R - Tous les grands thèmes de la gauche, historiquement depuis le 18ème siècle de la pensée progressiste, ont été finalement soit récupérés par tout le monde soit se sont imposés à tout le monde. Ce qui fait que les normes aujourd'hui de la politique étrangère dans le monde, sauf dans une petite dizaine de pays récalcitrants, c'est la paix, c'est la négociation, c'est la sécurité collective, c'est le désarmement ou en tout cas la réduction des armements à des niveaux bas et équilibrés, c'est l'aide au développement, c'est la lutte contre les grands défis globaux, c'est de cela dont vous entendez parler dès qu'il y a un sommet à l'ONU, un sommet du G8, un Conseil européen, ce sont des thèmes de gauche, donc, les thèmes qui étaient défendus par la gauche seule, contre le recours à la guerre, contre le nationalisme le plus étroit, contre une vision vraiment chauvine et bornée des relations internationales et de la solution des conflits. D'une certaine façon aujourd'hui, tout le monde est à l'intérieur de cette problématique, on ne le souligne pas assez mais c'est une immense victoire intellectuelle et conceptuelle.
Q - Pourquoi, on ne peut plus être ministre des Affaires étrangères de droite, c'est ça ?
R - Très bonne remarque. Ce qui veut dire que la plupart des responsables de gauche se situent à l'intérieur de ce champ et sur cet éventail, après, il faut rentrer dans le détail, il y a des bonnes ou des mauvaises politiques parce que la politique ce n'est pas n'importe quand. C'est à un moment donné pour un pays donné avec tel ou tel partenaire et il faut voir après à quels types de problèmes on est confronté. Vous savez, quand on est confronté à la crise de l'Afrique des Grands lacs ou à la paix au Proche Orient, on ne peut pas être très manichéen, il n'y a pas une bonne solution et une mauvaise.
Q - Monsieur Védrine, je voudrais qu'on revienne à l'affaire des otages de Jolo. La France avait dit que l'intervention militaire du régime philippin lui paraissait dangereuse. Le président philippin n'avait pas aimé cette remarque et avait refusé à plusieurs reprises de prendre le président de la République au téléphone en disant "je n'ai pas à lui parler" et on dit que la France avait l'assurance qu'il n'y aurait pas d'attaques pendant que les otages étaient encore aux mains des ravisseurs. Est-ce qu'on n'est pas passé, Monsieur Védrine, à côté d'une grande catastrophe et est ce que les choses ne se sont pas arrangées uniquement parce que les otages se sont libérés eux-mêmes ?
R - D'abord, tout s'est bien terminé, c'est quand même très important dans une affaire d'otages. Comme je l'ai dit le jour même, je pense que si l'armée philippine n'avait pas attaqué, le groupe Abu Sayyaf n'aurait pas été désorganisé, n'aurait pas dû fuir, se déplacer et à ce moment là les deux otages restants n'auraient pas pu en profiter. Donc, il y a la combinaison des deux : cette attaque et le courage dont on fait preuve les deux otages, leur débrouillardise, leur audace pour s'échapper. C'est ce qui, au bout du compte, a permis que les choses se terminent bien.
Q - Donc, on aurait pu s'éviter de critiquer l'attaque ?
R - Elle comportait des risques aussi, or notre ligne de conduite depuis le début était de dire aux autorités philippines sans nier leur souveraineté : attention, dans tout ce que vous faites, prenez en compte la sécurité des otages, notre objectif est de les libérer sains et saufs. Cela était vrai avant, pendant les mois et les mois où nous avons réussi à retarder toute action militaire brutale mais c'était resté vrai après, donc il était important qu'on le redise au moment où, pour différentes raisons que je n'ai pas à apprécier, ils avaient décidé de passer à l'attaque et comme tout se termine bien, vous pouvez voir que d'une certaine façon, ils ont entendu ce qu'on avait dit.
Q - Une question que tout le monde se pose, on n'a pas vraiment eu de réponse claire : est-ce qu'une rançon ou des rançons ont été payées ?
R - Pas par nous en tout cas. En revanche, il faut savoir que c'est une région où il y a eu beaucoup d'enlèvements et on a trop parlé que des seuls otages occidentaux. Il y a eu beaucoup d'otages philippins, malaisiens qui ont été enlevés, il y a des rançons qui ont été versées pour eux et d'autre part, les Libyens qui se sont à un moment donné proposés comme intermédiaires, sur initiative allemande, peuvent avoir, eux, contribué à ce qu'ils appellent des projets de développement. Mais notre doctrine à nous ne change pas.
Q - Aujourd'hui, Monsieur Védrine, des élections générales se déroulent en Serbie et en Yougoslavie, dans l'ex République de Yougoslavie. Il s'agit pour la première fois d'élire un président au suffrage universel direct. Le régime a refusé des observateurs que l'Union européenne proposait, les journalistes ont été expulsés, les risques de fraude sont donc maxima. Dans ces conditions fallait-il procéder à des élections ?
R - C'est la décision de Milosevic, étant donné que son mandat actuel se termine en juillet prochain et qu'il n'est pas sûr de la suite parce qu'il y a des accords entre la Serbie et le Monténégro. Il est passé à un vote direct parce qu'il pensait sans doute le manipuler plus facilement, donc là, c'est une décision qu'il a prise et qui est une décision à la fois technique et de manipulation.
La question s'est posée d'abord aux opposants serbes, et pas à nous en premier, de savoir s'ils devaient ou non participer étant donné la nature de ce régime, étant donné les manipulations dont il est capable, les fraudes dont tout le monde pouvait penser qu'il les préparait, cela semble évident, il en a préparées de grande ampleur.
L'opposition a discuté, ils ont délibéré, ils ont conclu qu'ils allaient participer, sauf dans le cas particulier du Monténégro. Pour d'autres raisons, le président du Monténégro a laissé les élections se dérouler chez lui d'ailleurs, ce n'est pas un Etat indépendant, mais a demandé à ses partisans de ne pas y participer mais l'opposition dans l'ensemble a accepté. Cela aurait été très étrange que nous les Occidentaux et beaucoup d'autres pays même au-delà des Occidentaux qui souhaitons un changement en Serbie, allions faire la leçon aux opposants qui sont sur place, qui sont en première ligne, qui prennent des risques, eux. Donc, on a pris acte de leur décision, on a décidé de les soutenir et nous avons tout fait pour les encourager sans le faire lourdement parce qu'il n'y pas à s'ingérer non plus, c'est un débat historique.
Q - Est-ce que par exemple, Monsieur Védrine vous confirmez que la France lèvera les sanctions si l'opposition l'emporte ?
R - Ce n'est pas la France, c'est une décision des Quinze, maintenant suivie par les Etats-Unis, qui a été prise dans une réunion, à Evian, des quinze ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne : si la démocratie l'emporte pendant ces élections, nous réviserons aussitôt radicalement la politique de l'Union européenne, c'est à dire les sanctions, les embargos.
Q - La démocratie ça veut dire l'opposition ou bien quels que soient les résultats ?
R - Cela veut dire l'opposition, cela veut dire "M. Kostunica". Compte tenu de toutes les informations dont nous disposons, non seulement les sondages mais beaucoup d'autres indications, on ne peut pas croire que le président Milosevic puisse être réélu par les procédés démocratiques normaux, incontestables. Quoiqu'il dise, quoiqu'il s'apprête peut-être à dire encore à l'heure, à la minute où nous parlons, je ne sais pas encore. Pour nous, c'est à la fois quelqu'un de différent, une Serbie différente, une politique différente et c'est ça qui ouvrira la voie de l'Europe à la Serbie.
Q - C'est-à-dire, si M. Milosevic l'emportait, cela ne pourrait être que l'effet d'une manipulation ?
R - Je vais attendre encore, étant donné que le vote n'est pas fini, que nous sommes président en exercice, que nous devons confronter nos analyses et observations avec tous les autres Européens, avec l'OSCE, avec M. Kouchner pour la partie Kosovo, avec M. Solana qui est à Bruxelles, je vais pouvoir le faire dans les heures qui viennent avant de me prononcer définitivement sur ce point.
Q - L'Union européenne a quand même adressé un message au peuple serbe par lequel elle s'engage à évincer le président Milosevic s'il veut retrouver sa place en Europe. N'est ce pas aussi, là, manipulation ou ingérence ?
R - Franchement, s'il y a manipulation en Serbie ce n'est pas de notre côté. D'autre part, on ne parle pas d'évincer qui que soit dans le message, on est positif. Le message est un message au peuple serbe et nous leur avons dit, on espère qu'il a été entendu, nous l'avons traduit en serbe, en croate, on l'a fait acheminer par tous les moyens possibles et imaginables. On leur dit "nous n'avons jamais oublié que vous êtes aussi des Européens" et le vote pourrait rouvrir la voie de l'Europe, vous n'êtes pas rejetés. On essaie de briser cette espèce d'enfermement, de propagande, cet enfermement psychologique et politique dans lequel est, malheureusement le peuple serbe qui est dans une sorte de trappe. Nous essayons de lui parler, ce n'est pas du tout une manipulation, c'est une main tendue au contraire.
Q - L'Occident a passé dix ans à dire aux Iraquiens que Saddam Hussein est un mauvais chef d'Etat et cela a renforcé le régime ?
R - C'est autre chose, je ne crois pas qu'on puisse comparer, indépendamment de ce que l'on peut penser des sanctions qui sont contre productives. Je ne pense pas que l'on puisse comparer les deux pays, vous n'imaginez quand même pas qu'en Iraq le président Saddam Hussein ait besoin de faire voter une nouvelle loi électorale pour rester au pouvoir et qu'il y ait l'équivalent de M. Kostunica. La Serbie, ce n'est pas tout à fait pareil même si c'est malheureusement non seulement verrouillé mais verrouillé dans une impasse dont on voudrait les aider à sortir.
Q - Pour vous, la Présidence française de l'Union européenne renforce l'Union européenne (inaudible) ?
R - Ceux qui ne répondent pas sont prudents à juste titre parce qu'après tout la Présidence de la deuxième partie de l'année cela se fait en trois mois à peu près. Il y a deux Conseils européens importants où on peut mesurer les résultats. Donc je comprends que les personnes interrogées n'aient pas d'éléments encore, c'est le Conseil européen qui aura lieu à la mi-octobre et au début décembre. Il y a déjà 34 % de ceux que vous avez interrogés qui pensent que cela renforce l'Europe parce qu'ils savent que c'est notre intention et quand on est président en exercice pendant un semestre on n'a aucun pouvoir exorbitant, on ne change pas comme cela la position des autres pays participants, on doit même défendre un peu moins fort ses propres idées puisqu'on est président. Il faut être plus objectif, tenir compte des uns et des autres et faire naître le compromis. Beaucoup d'attentes en général sont exprimées par rapport à ces présidences mais ce sont des attentes qui ne tiennent pas tout à fait compte des réalités et les commentateurs aujourd'hui commencent juste à se rendre compte à quel point cette présidence française intervient dans un contexte très difficile.
Q - A écouter les hommes politiques français on avait le sentiment que la Présidence française se jugeait capable de faire avancer le dossier ?
R - Comme si elle avait des pouvoirs magiques. Mais en fait nous avons une Europe précise devant nous qui a cette réforme institutionnelle indispensable à faire, laquelle est très compliquée puisqu'elle a échoué déjà une fois en 1996-97. Donc, nous reprenons le sujet en ayant élargi un peu les compétences. Quant à la pression de l'élargissement de cette Europe qui est à quinze aujourd'hui mais qui peut être à vingt-sept ou trente dans quelques années, elle est là très puissante, il faut combiner les deux. Ce qui nous revient à nous pour des raisons d'enchaînement chronologique, c'est une tâche particulièrement difficile, donc nous allons faire de notre mieux pour avoir un très bon accord à Nice en décembre et c'est à ce moment là qu'on pourra porter une appréciation sur la Présidence française, pas avant.
Q - Monsieur Védrine, vous avez été habile comme d'habitude en disant que la Présidence française ne commençait qu'aujourd'hui. On est quand même à mi-mandat, vous avez dit à Bruxelles au début de semaine que vous voyez les choses frémir dans le bon sens et on entend beaucoup d'autres commentateurs et même des hommes politiques parler plutôt de paralysie et d'embourbement ?
R - Il faut préciser que ceci porte sur la négociation sur la réforme des institutions qui a été lancée il y a quelques mois sous présidence portugaise. J'ai dit moi-même début septembre que je commençais à être préoccupé parce que rien ne bougeait, parce que chaque pays répète ses positions sans bouger et aux dernières réunions que nous avons animées, M. Moscovici et moi-même, nous avons eu le sentiment que, sur deux des quatre sujets en tout cas, les pays commençaient à passer de la récitation des positions connues à un début de discussion.
Q - L'euro qui est la monnaie de l'Europe a baissé de 30% en un an. Est-ce que c'est parce que les choses ne vont pas bien en Europe et est-ce que ce n'est pas la mauvaise image qu'ont les étrangers de l'Europe. Est-ce que ce n'est pas finalement quelque chose d'objectif, qui nous renvoie une image de notre mauvais fonctionnement en Europe ?
R - Je ne sais pas s'il faut lier les deux. Ce qui est sûr c'est qu'il y a une situation économique européenne qui est bonne, des fondamentaux économiques qui sont très bons. Le niveau actuel de l'euro ne l'exprime pas encore. J'ai la conviction qu'un jour ou l'autre l'euro réexprimera la réalité de l'économie européenne. Je vous rappelle qu'il y a peu d'années le dollar pour une raison totalement inexplicable a connu comme cela une longue plongée alors qu'il n'y avait pas de problème de pouvoir politique américain ou de quoi que ce soit.
Tant qu'on est dans des systèmes internationaux de change flottant, le système mondial ayant été détruit depuis 1971 par une décision du président américain, nous avons des phénomènes de houle très longs. J'ai encore vu un rapport du FMI il y a quelques jours qui analysait les causes de la faiblesse de l'euro - il y en avait six mais aucune n'était politique ; c'étaient des causes techniques, monétaires, financières, fiscales, ce qui fait que pour les opérateurs, dans cette phase, c'était plus rémunérateur de travailler en dollars qu'en euros. Donc, cela n'a pas forcément de rapport avec toutes les grandes discussions politiques. La seule chose qui est vraie c'est qu'il faut donner, non pas à l'Europe en général mais au pilotage politique de la zone "euro", il faut donner certainement plus de force.
Q - Monsieur Védrine, le paradoxe veut qu'il faille une unanimité parmi les Quinze pour décider de ne plus avoir besoin d'une unanimité plus tard. Est-ce que sur les points importants, fiscalité, le social, le commercial, est-ce qu'il vous semble possible que les pays acceptent de ne plus avoir voix au chapitre ?
R - L'élargissement du vote à la majorité qualifiée à la place du vote à l'unanimité est l'un des sujets sur lesquels on essaie de progresser dans la négociation dont nous parlons. On essaie de progresser, chacun fait des propositions, aujourd'hui chacun des Quinze a des idées sur les domaines dans lesquels on pourrait se passer d'unanimité. Mais, malheureusement, cela ne se recoupe pas encore. Notre travail de présidence c'est de faire émerger un consensus. Chaque pays calcule, chaque pays tient à des choses tout à fait fondamentales, aucun pays qui a un système social très important n'a envie de le voir abaisser, on n'a pas envie d'une harmonisation par le bas. Chaque pays calcule en disant "si je passe à la majorité qualifiée, dans quelle circonstance est-ce que je risque d'être mis en minorité ?" Il y a un autre débat, sur la repondération, on essaie d'articuler les deux, au total pour pouvoir élargir le champ du vote à la majorité qualifiée. C'est notre objectif pour que cela marche mieux.
Q - On révise les institutions parce qu'on imagine que l'Europe sera peut-être à vingt sept bientôt. Quelle est votre position Monsieur Védrine et celle de la France donc, sur la pondération des Etats membres ? Est-ce que les Etats de dimension modeste ou de population modeste peuvent être sous représentés ?
R - C'est l'inverse, ce sont les grands pays qui sont sous-représentés en terme de voix puisque l'écart des populations dans l'Europe est de 1 à 200 entre le plus petit et le plus grand Etat et l'écart des voix est de 1 à 5. En réalité aujourd'hui ce sont les "grands pays" qui sont les plus sous-représentés. Nous ne disons pas qu'il faut passer à une représentation exacte de cet écart énorme que je viens de citer mais il faut corriger et il n'est pas possible pour les grands pays de passer au vote à majorité qualifiée s'ils risquent de se retrouver demain en minorité, sur toute une série de sujets importants pour eux-mêmes, uniquement parce que leurs droits de vote ne correspondent pas à ce qu'ils sont. C'est pour cela qu'il y a deux négociations très liées, les quatre sont liées mais ces deux là le sont spécialement.
Q - Vous, qui êtes un inventeur de solution - y a-t-il une possibilité à faire comprendre aux Etats de population modeste ou de dimension modeste que leurs droits doivent changer ?
R - Non, parce que eux ne perdraient pas, ce sont les autres qui gagneraient quelque chose. D'autre part, ce sont des Etats très attachés au bon fonctionnement de l'Europe et nous avons tous au-delà de notre intérêt national sur chaque point, un intérêt général à ce que l'Union européenne fonctionne mieux. Déjà à quinze, elle fonctionne mais c'est laborieux, c'est difficile, c'est long et tous les perfectionnements rendent les choses plus longues et plus compliquées. Quand vous allez élargir à vingt, vingt cinq, vingt sept, trente et un jour à plus de trente, il est évident que si l'on n'a pas changé ces règles, cela va paralyser le système. Il y a un moment de la négociation, lorsque l'on aura exploré, sur chacun des quatre points, toutes les pistes possibles, où il faudra bien qu'on fasse des compromis créateurs qui permettront de parvenir à un traité. Et chacun le fera car il y a mon intérêt national, mais il y a l'intérêt général qui est aussi le mien et j'ai besoin que l'Europe marche mieux et c'est cela que nous allons essayer de créer à Biarritz et à Nice.
Q - Est-ce que vous pensez vraiment qu'à Nice, on arrivera à un compromis historique qui fera que les Européens auront décidé ce jour là de leur nouvelle organisation en ayant décidé l'ouverture et le fonctionnement d'une Europe plus ouverte, vous pensez que la date sera venue ?
R - Ecoutez, tous nos efforts sont tendus vers cela pour l'obtenir à Nice. Aujourd'hui, en dehors des frémissements que j'ai cités, que vous citiez, il est vrai que nous n'avons pas beaucoup avancé mais il me semble qu'aucun pays d'Europe ne voudra prendre la responsabilité d'avoir empêché les réformes dont a besoin le nouveau traité de Nice.
Il y a l'élargissement après et l'on sait très bien que l'on ne peut pas l'aborder si l'on n'a pas fait cette réforme avant - ne pas l'aborder aura d'autres conséquences extrêmement graves -, il y aura une sorte de sursaut créateur de solutions. En tout cas, on fera tout pour qu'il en soit ainsi.
Q - A Paris, vous avez moyennement apprécié la déclaration du ministre allemand des Affaires étrangères, M. Joschka Fischer. Est-ce que vous considérez que c'était prématuré pour un grand pays comme l'Allemagne de lancer un projet européen ?
R - Le débat lancé, ou relancé, puisque plusieurs autres ont parlé avant, c'est le débat sur l'avenir de l'Europe, d'ailleurs j'y ai participé.
Je crois qu'un pays s'apprêtant à prendre la Présidence quelques semaines après n'aurait pas pu faire cela parce qu'il y a un certain nombre de points qui durcissent les clivages entre Européens. Cette vision était peut-être plus facilement le fait d'un pays qui ne s'apprête pas à être président.
Sur certains points, c'est très intéressant, cela donne de la vision, de l'oxygène, cela fait réfléchir et sur d'autres points cela a un peu durci la négociation actuelle au sein de la Conférence intergouvernementale. Le travail que nous avons fait en tant que président c'est de bien redistinguer les deux temps successifs et je crois que nous sommes capables de gérer les deux. La négociation immédiate dans cette Conférence sur les quatre points dont nous parlons et qui doit aboutir à Nice et d'autre part l'avenir. L'avenir de l'Europe à partir de ce traité de Nice dont j'espère qu'il va aller au-delà des traités de Maastricht et d'Amsterdam et même en corriger certains défauts.
Q - Monsieur Védrine, un avion français avant hier et un avion russe hier, se sont posés à Bagdad en dépit de l'embargo. Est-ce que finalement c'est la fin de l'embargo ?
R - Non. Nous avons donné notre accord à ce vol parce qu'il était à caractère humanitaire et que notre analyse juridique des sanctions qui frappent l'Iraq est qu'elles n'interdisent pas ce type de vol. Elle interdit la reprise des vols commerciaux dès lors qu'il y aurait des transactions financières. Ce n'est pas notre interprétation et il n'y avait aucune raison de s'opposer à ce vol. Il y a une politique française sur l'Iraq qui préconise le renforcement des contrôles sur d'éventuels programmes de réarmement et sur l'utilisation des revenus du pétrole mais qu'en contrepartie on lève l'embargo. C'est la politique que nous avons défendue au sein du Conseil de sécurité et dont la nouvelle résolution 1284 tient compte jusqu'à un certain point. C'est notre politique à nous qui est en quelque sorte à mi-chemin entre celle des Russes et celle des Anglo-Saxons.
Q - Comment va se résoudre la divergence avec Washington et Londres selon lesquels il fallait une autorisation du comité des sanctions pour ce vol et l'attitude de Paris est un mépris pour les membres du Conseil de sécurité ?
R - Nous sommes un membre permanent du Conseil de sécurité, nous avons autant d'autorité que les Anglais et les Américains pour interpréter les résolutions que nous élaborons ensemble.
Q - Donc, on va continuer d'interpréter différemment le même texte ?
R - Nous ne changerons pas d'interprétation, il ne s'agit pas de l'utiliser non plus pour lever l'embargo subrepticement. Nous avons une position parfaitement légaliste sur ce plan, qui est d'appliquer la résolution 1284.
Q - Vous signerez des autorisations pour les prochains vols ?
R - Pour des vols strictement humanitaires comme celui-là l'était.
Q - L'Autriche, Monsieur Védrine. La levée des sanctions a été demandée et obtenue par les pays européens. Est-ce que ce n'est pas un désaveu pour ceux qui s'étaient battus pour ces sanctions ?
R - Nous avons demandé à trois personnalités incontestables de faire l'analyse de la situation, de nous dire si les mesures avaient été justifiées ou pas, si elles étaient encore utiles et qu'elle était la nature du parti de M. Haider. Ils ont fait un rapport qui n'a été contesté par personne. C'est un rapport qui a été connu, qui a été diffusé partout, y compris sur Internet. Il n'a été contesté sur aucun point et ce rapport a conclu que nous avions eu raison, nous, les Quatorze et notamment la France, le Portugal, la Belgique. Les trois sages ont conclu que les mesures avaient été justifiées, qu'elles avaient eu de très bons effets sur le comportement du gouvernement autrichien - cela a provoqué en Autriche un débat sur l'histoire qui n'avait pas eu lieu avant -, qu'elles étaient devenues contre-productives - d'ailleurs tous les opposants démocrates anti-Haider nous avaient demandé de les lever aussi. Il ne faut pas non plus être complètement fermé à cela, il ne faut pas être autiste. Ils nous ont donc suggéré de les lever et les quatorze pays ont décidé, ensemble, qu'ils avaient fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait, que le message était passé et que l'on pouvait les lever maintenant, tout en restant politiquement très vigilants.
Q - Donc, en quelque sorte, c'est un non-lieu qui a été accordé à M. Haider et à la majorité formée avec lui...
R - Non, car en matière judiciaire, un non-lieu cela veut dire que l'accusation ou l'inculpation n'était pas fondée. Là, les trois sages disent que c'est un parti extrémiste, populiste, tenté par une utilisation tout à fait contestable des peurs réelles ou imaginaires des populations. Donc, c'est un rapport qui est sévère pour ce parti. C'est pour cela que nous restons vigilants. Mais nous n'avons pas eu besoin de dispositif réglementaire ou administratif au début de l'année pour manifester une vigilance politique qui a eu beaucoup de force et, croyez-moi, le message aura été entendu, et pas qu'en Autriche.
Q - Parlons maintenant du droit d'asile, qui est un point important. On a vu il y a quelques jours des demandeurs d'asile politique cubains refoulés vers leur pays d'origine. Est-ce un commencement de remise en cause du droit d'asile en France ou bien cela signifie-t-il que Cuba a une place à part ?
R - Il n'y a aucune remise en cause du droit d'asile en France, ni d'ailleurs où que ce soit en Europe. Simplement il faut bien distinguer le droit d'asile des demandes d'immigration. La pression migratoire est énorme, de plus en plus considérable. En quelques années, les demandes de droit d'asile ont grimpé d'une façon vertigineuse. Aujourd'hui, il y en a 35 000 environ par an et nous en acceptons autour de 7 000. Donc, le droit d'asile tel qu'il était n'a pas changé. Le nombre des pays dans le monde dans lesquels on est en situation d'être persécuté - au sens de la jurisprudence, parce que ce droit d'asile est très contrôlé par toutes sortes d'instances judiciaires - a beaucoup décru, heureusement.
Q - Le gouvernement français dit qu'à Cuba, il n'y a pas de problème d'expression, et donc que c'est à ce titre que...
R - Non. Il y a une définition précise de ce qu'est le droit d'asile. Un certain nombre de personnes ne rentrent pas dans cette catégorie. On ne peut pas accepter, au titre du droit d'asile, tous ceux qui veulent venir en France certainement pour des raisons légitimes et sympathiques, mais qui ne relèvent pas du droit d'asile stricto sensu. Si vous voulez le sauver, le préserver, le défendre, il ne faut pas le dénaturer et il ne faut pas le détourner de son objet. Il ne faut pas que les gens utilisent le droit d'asile parce qu'ils pensent qu'ils vivront mieux ailleurs. Evidemment, nous faisons partie des pays les plus riches de toute l'histoire de l'humanité, les plus sûrs, les plus prospères, les mieux défendus, où tous les droits sont garantis, etc. Les gens ont envie de venir ici. Sur les six milliards d'habitants de la planète, il y en a peut-être cinq milliards et quelques qui vivent moins bien, mais tout cela ne peut pas entrer dans la catégorie du droit d'asile. On est dans le domaine des flux migratoires, et il faut que les gens obéissent aux lois sur ce plan. On ne peut pas le gérer comme le droit d'asile. Encore une fois, si on l'étend et si on le met à toutes les sauces, c'est là qu'on le mettra en danger. Il faut rester très rigoureux sur ce qu'est le droit d'asile stricto sensu, c'est-à-dire les gens persécutés personnellement pour leurs opinions politiques, religieuses ou autres.
Q - Pour paraphraser M. Rocard, la France ne peut pas recevoir tous les demandeurs de droit d'asile au monde.
R - Non, il ne parlait pas du droit d'asile...
Q - Je sais, mais je paraphrasais...
R - Je ne paraphrase pas du tout : je n'ai jamais dit que l'immigration zéro était une position tenable, par exemple. Ce n'est pas une position réaliste. Il est évident que l'on a besoin à certains moments - je ne parle plus de droit d'asile, je parle d'immigration - de laisser venir des personnes qui veulent venir en France mais, en même temps, il faut être capable de les accueillir et de les intégrer dans des conditions de décence, qu'ils trouvent une activité. Il faut donc être un peu réaliste.
Q - A propos de la Suisse, Monsieur Védrine, où un référendum a eu lieu aujourd'hui. C'était le sixième en trente ans sur le même sujet : faut-il introduire un quota d'étrangers en Suisse ? Les Suisses ont répondu à 60 %, non. Cela vous inspire-t-il une réflexion ?
R - Cela m'inspire l'idée que les Suisses savent ce qu'ils doivent aux étrangers, depuis longtemps, alors qu'ils ont chez eux un pourcentage d'étrangers très élevé, beaucoup plus élevé que chez nous.
Q - Presque 20 %...
R - Oui. C'est pour cela que la proposition a été faite de le plafonner à 18% et c'est cette proposition qui n'est pas passée, puisqu'elle n'a été soutenue que par 40% des votants.
Q - La France a renforcé son dispositif militaire en Côte d'Ivoire il y a quelques jours ou quelques semaines. Qu'est-ce qui a changé dans la politique française en Afrique ?
R - D'abord, nous n'avons pas spécialement renforcé le dispositif. C'est une rotation normale d'éléments, d'ailleurs peu nombreux.
Q - Pourquoi ces rotations, toujours quand il se passe des choses ?
R - C'est simplement que, quand elles ont lieu d'habitude, personne ne les relève.
En revanche, la politique française en Afrique, fondamentalement est fondée sur l'idée que l'on ne veut pas se désengager de l'Afrique. Or, beaucoup de pays occidentaux, beaucoup de pays européens, n'ont que cette idée en tête. Quand nous négocions au sein de l'Europe pour refaire les accords de Lomé, nous avons beaucoup de mal parce que beaucoup de pays d'Europe trouvent que cela ne sert à rien, que c'est cher et que c'est du gaspillage. Donc, nous voulons rester engagés. Nous voulons rester engagés autrement, cela veut dire...
Q - C'est depuis le Sommet de Cannes ?
R - A mon avis, c'est depuis le Sommet de La Baule. Cela remonte à 1990-91. Après, il y a d'autres étapes que je ne néglige pas, naturellement, mais je les remets dans la perspective. Nous voulons nous engager sans faire d'ingérence maladroite qui soit rejetée. Nous voulons travailler avec les nouveaux leaders. Nous voulons consolider la démocratisation en Afrique. Nous ne voulons pas travailler qu'avec les amis francophones traditionnels de la France. Nous travaillons autant aujourd'hui avec les Lusophones ou les Anglophones. Voilà des choses qui changent. Nous coopérons beaucoup plus avec les pays européens avec lesquels autrefois nous étions en rivalité sur le continent africain, comme la Grande-Bretagne ou le Portugal. Voilà d'autres éléments qui changent. Nous encourageons les regroupements régionaux, y compris en ce qui concerne le maintien de la paix et la formation, ce qui coïncide d'ailleurs avec toutes les idées lancées récemment, ou relancées, par Kofi Annan. Nous avons une politique africaine cohérente, globale, qui reste un engagement, que je revendique. Nous défendons les besoins et les arguments africains en Europe, au Conseil de sécurité, au G8. Il y a néanmoins des problèmes énormes en Afrique que personne d'autre que les Africains ne peut régler complètement à leur place.
Q - Les accords de sécurité liant la France à quelques pays africains seront maintenus ? Ils seront exécutés selon les termes écrits ?
R - Oui. Ils n'ont pas de raison de ne pas être maintenus. Cela concerne un tout petit nombre de pays. Cela ne concerne aucun des pays qui sont dans des situations chaudes à l'heure actuelle. Je ne pense pas qu'il y ait de contestation sur ce point particulier. Les pays africains dans leur immense majorité, craindraient énormément que par égoïsme ou par un moralisme mal compris - et curieusement il y a parfois un mélange des deux, une sorte d'alliance apparemment contre nature - la France se désengage en disant : Eh bien, au fond, débrouillez-vous ! Cela ne peut pas être notre politique. Cela serait une politique égoïste à courte vue. Il faut faire évoluer ce qui vient d'un long passé vers un partenariat moderne, pour aider ce continent à surmonter ses problèmes.
Q - Il est prévu que vous effectuiez une visite officielle en Russie les 28 et 29 septembre prochains, c'est du moins ce qu'a annoncé le Kremlin. Est-ce que les problèmes de Tchétchénie sont définitivement réglés et la guerre terminée aussi ?
R - Je vais à Moscou préparer la venue de M. Poutine en France. Il viendra en octobre pour un sommet entre l'Union européenne, que nous présidons en ce moment, et la Russie. J'y vais également à titre bilatéral. Il y a de nombreux sujets à traiter avec la Russie, ne serait-ce que la nature de la coopération entre l'Europe et la Russie. Là-dessus, nous avons des idées pour mieux adapter cette coopération, pour qu'elle soit plus utile à la modernisation de la Russie et à l'établissement d'un Etat moderne, démocratique et efficace, dont les Russes ont terriblement besoin. Il y a des questions stratégiques, de désarmement. Il y a la question du projet américain de bouclier antimissile. Quelle est la réaction des Russes ? Il y a des zones régionales précises : l'Afrique, le Proche-Orient. Parmi cela, faut-il faire l'impasse sur la Tchétchénie ? Evidemment, non. D'ailleurs, nous, Français, n'avons jamais dit qu'il fallait oublier la Tchétchénie et nous continuons à penser que les Russes eux-mêmes auraient intérêt à rechercher une solution politique par rapport à cela. Il y a eu un Sommet du G8 cet été où malheureusement les autres pays n'ont pas jugé utile d'en profiter pour essayer d'avancer sur ce plan. Une délégation récente du Conseil de l'Europe a dit qu'il y avait des progrès. J'espère que c'est vrai. Il ne faut pas oublier cette question mais, en même temps, il faut être capable de la replacer dans un contexte plus général, qui est de savoir ce que nous pouvons faire d'utile pour renforcer en Russie un vrai mouvement de modernisation sur tous les plans.
Q - La paix au Proche-Orient, c'est un rêve encore lointain, Monsieur Védrine ? Il faudra attendre encore longtemps ?
R - Apparemment, on est plus près que jamais de la paix....
Q - La phrase est toujours vraie, quoi qu'il arrive....
R - Non, parce que l'on n'aurait pas dit cela à l'époque de M. Netanyahou, par exemple. On est vraiment plus près que jamais. Ils débattent entre eux de questions dont ils n'avaient jamais parlé avant. Des solutions extrêmement originales ont été envisagées, imaginées, par quelques pays. La France a d'ailleurs contribué utilement à certaines réflexions sur Jérusalem, les Lieux saints, des questions de ce type. Et pourtant, la percée ne se fait pas, c'est-à-dire que l'accord n'est pas fait. Les efforts se poursuivent mais, là, nous ne pouvons pas en dire plus. Il faut espérer. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour que cela marche.
Q - Merci d'avoir été avec nous, c'était un plaisir de vous recevoir, Monsieur Védrine./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 septembre 2000)