Texte intégral
Q - Monsieur de Villepin, bonjour. On parle de l'Europe pour commencer. D'un côté, les députés français sont appelés cet après-midi à ratifier l'entrée de dix nouveaux pays dans l'union ; et de l'autre, cette nuit, les procédures du pacte de stabilité qui vise les pays qui ont des déficits excessifs ont été mises entre parenthèses sous la pression de la France et de l'Allemagne qui ont de forts déficits. Alors, d'un côté une avancée, de l'autre on recule ?
R - Non, je ne dirais pas "recule" parce que l'ensemble des autres pays membres de l'eurogroupe, c'est-à-dire l'ensemble des pays membres de l'euro, ont bien compris la situation de la France et de l'Allemagne, c'est-à-dire la situation de deux pays qui se donnent beaucoup de mal pour satisfaire aux critères qui sont les nôtres, aux critères européens de bonne gestion. Il faut saluer cet accord parce que cela marque bien la dimension familiale de cette Europe. Nous sommes une famille, nous sommes tous ensemble et nous voulons avancer tous ensemble et chacun fait des efforts. Je crois, qu'au contraire, c'est une bonne règle.
Q - La Commission européenne n'a pas vraiment compris ce côté familial et désapprouve (?) la mise en parenthèses des règles...
R - Les règles, bien sûr, sont faites pour être respectées, mais encore faut-il prendre la dimension du temps, encore faut-il prendre aussi la dimension des efforts. C'est tout cela qui était intégré. Je me félicite que, dans le fond, la trajectoire nous est clairement fixée à tous et nous allons bien sûr la respecter.
Q - Je parlais élargissement, il y a aussi, et c'est lié, le projet de Constitution européenne. Son adoption est à l'ordre du jour du Sommet de Bruxelles à la mi-décembre. Il semble qu'il y ait des pays qui vont bloquer. Vous pensez que l'on va vers un échec ? C'est possible ?
R - C'est toujours difficile d'adopter un texte aussi important qu'une nouvelle Constitution et les enjeux sont des enjeux pour les prochaines décennies. C'est dire que chacun veut, évidemment, défendre ses intérêts. Tout ceci, nous le comprenons bien. Mais nous souhaitons aussi que cette Constitution soit un texte ambitieux. La Convention, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, nous a remis un projet qui est équilibré et ambitieux.
Q - A l'époque, tout le monde avait l'air d'accord, d'ailleurs ? C'est maintenant qu'il y a des difficultés ?
R - Tout le monde a salué ce texte comme une bonne base de départ pour l'ensemble des discussions de la Conférence intergouvernementale. Les Etats vont se retrouver. L'ensemble des ministres, à Naples, va travailler sur les propositions de la présidence italienne et nous allons dans un conclave d'un jour et demi, nous réunir pour discuter les points difficiles. Il y a deux grands points difficiles dans le fond. Il y a le nombre de commissaires : faut-il que chaque Etat ait un commissaire ? Nous, nous plaidons dans le sens de l'efficacité, c'est-à-dire d'une Commission resserrée. Deuxième grand sujet, c'est le vote : faut-il voter selon la nouvelle règle qui a été adoptée ou, au contraire, rester dans un système ancien et notamment dans celui de Nice. Des Etats se sentent moins puissants dans le nouveau système. Il faut trouver là encore un équilibre.
Q - Avez-vous bon espoir ?
R - Oui, j'ai bon espoir parce que au terme des discussions, nous nous rendons compte que le choix sera politique. Il s'agit de savoir quelle ambition nous avons pour l'Europe et je suis convaincu que, pour les Européens, il est important que cette Europe soit à la fois transparente, démocratique, efficace, et que sa Constitution ne soit pas une Constitution aux petits pieds.
Q - Est-ce que les moments de renforcement de solidarité actuellement entre la France et l'Allemagne irritent les autres pays ?
R - Je ne crois pas et, au contraire, pendant de longues années, on a vu nos partenaires européens venir voir les Français et les Allemands, en leur disant : "nous vous supplions de vous entendre". Sans le moteur franco-allemand, l'Europe n'avance pas. L'Europe, aujourd'hui, dispose véritablement de cette volonté franco-allemande qui n'est pas une volonté égoïste mais au service des Européens. Nous voulons travailler avec tous et nous avons pu constater hier, lors du Sommet franco-britannique, qu'il y avait une très forte volonté de la France, avec l'Angleterre - nous l'avons vu sur les sujets très difficiles, comme l'immigration, la sécurité, les crises régionales, la recherche, l'environnement, la santé - il y a une volonté, l'ambition d'une véritable confiance entre la Grande-Bretagne et la France et c'est dans ce sens que nous travaillons.
Q - La Grande-Bretagne et la France, après ce Sommet, Tony Blair, sur France 2 hier soir, disait : "le choix entre l'Union européenne et les Etats-Unis, je ne le fais pas." Est-ce que vous, vous ajoutez que c'est toute la différence avec la France qui, elle, a choisi l'Union européenne ?
R - On a vu, du fait des difficultés internationales, et en particulier de la crise de l'Irak, beaucoup de tensions sur la scène internationale au cours des derniers mois et donc beaucoup de présentations caricaturales. Personne ne demande à la Grande-Bretagne de choisir entre l'Europe et les Etats-Unis. Que la Grande-Bretagne ait de très bonnes relations avec les Etats-Unis et en même temps souhaite faire partie de la famille européenne, il n'y a là rien que de très normal. Donc, avançons, mais donnons-nous les moyens aussi au niveau européen d'avancer. C'est bien ce que nous voulons faire dans le cadre de la défense européenne et je crois que les conversations d'hier avec nos amis anglais ont permis d'avancer dans ce domaine.
Q - En revanche, sur l'Irak, on sent bien que ce n'est pas la même position. On le sait. Hier, le président Chirac, justement, à Londres, disait que la nouvelle orientation américaine vers un transfert de souveraineté aux Irakiens était bonne mais qu'elle est prévue sur une trop longue période, que la place de l'ONU n'est pas suffisamment précise. Comment pensez-vous faire pour que les Américains tiennent compte de ce point de vue ?
R - D'abord, nous avons salué la nouvelle approche américaine, tendu la main.
Q - M. le Président l'a dit. Mais maintenant, concrètement ?
R - Maintenant, il s'agit de trouver les meilleures solutions à un problème extrêmement difficile et douloureux. Nous le voyons avec la recrudescence des attentats et des actes de guérillas. Nous sommes dans une situation où le nouveau gouvernement provisoire irakien, la souveraineté irakienne sera affirmée uniquement en juin 2004. Nous posons la question : comment faire pour que les sept mois qui nous séparent de cette échéance ne soit pas des mois encore plus difficiles ?
Q - Alors que répondez-vous à ce commentaire ?
R - C'est pour cela que nous avions préconisé une accélération du calendrier, pour que d'ici la fin de l'année ce gouvernement provisoire puisse être formé. Notre souhait, c'est tout simplement qu'aujourd'hui on intensifie la concertation, qu'on accroisse le rassemblement de l'ensemble des forces. Cela veut dire, au niveau intérieur, que toutes les forces politiques soient véritablement rassemblées. Il y a encore un certain nombre de partis, de groupes, qui, en Irak, seraient prêts ou sont prêts à renoncer à la violence mais qui doivent être inclus dans le processus politique. Il y a là un vrai travail de rassemblement. Et, parallèlement, il faut accroître la concertation à l'échelle régionale pour faire en sorte que tous les pays voisins aient le même intérêt à la stabilité de l'Irak. Et enfin, la même chose doit être faite sur la scène internationale. Rassemblons, n'excluons pas, cessons de montrer du doigt. Nous aurons ainsi l'ensemble des énergies positives de cette communauté internationale qui seront mobilisées dans la crise irakienne. C'est le sens des conversations que j'ai eues avec Colin Powell. Je crois qu'aujourd'hui, tout le monde se rend compte qu'il est temps d'agir de façon déterminée et collectivement sur cette crise si difficile.
Q - On va être bref sur deux autres sujets : la Côte d'Ivoire, à quelles conditions le président ivoirien Laurent Gbagbo peut venir en France, en voyage, comme on en parle pour début décembre ?
R - La question ne se pose pas dans ces termes. La question, c'est d'avancer plus vite dans le processus de réconciliation en Côte d'Ivoire. J'ai rencontré Laurent Gbagbo à Libreville avec le président Bongo. Nous avons eu des discussions approfondies et je crois qu'aujourd'hui le processus doit reprendre son cours. C'est ce que m'a exprimé le président Gbagbo. Il doit reprendre son cours avec confiance, avec l'ensemble des représentants politiques ivoiriens et je pense, et je souhaite, que dans les tous prochains jours, l'ensemble des représentants politiques participera à nouveau au gouvernement ivoirien.
Q - Toute dernière question : une intersyndicale au ministère des Affaires étrangères appelle à une grève lundi prochain. Est-ce qu'on va voir les personnels du Quai d'Orsay défiler dans la rue comme les buralistes ?
R - Je ne pense pas. Cela veut dire aussi que les temps sont durs pour tout le monde, que chacun doit faire des sacrifices. Il y a une rationalisation des moyens budgétaires de l'Etat qui a été engagée. Le Quai d'Orsay paye son tribut et son écot. C'est évidemment parfois douloureux.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2003)
R - Non, je ne dirais pas "recule" parce que l'ensemble des autres pays membres de l'eurogroupe, c'est-à-dire l'ensemble des pays membres de l'euro, ont bien compris la situation de la France et de l'Allemagne, c'est-à-dire la situation de deux pays qui se donnent beaucoup de mal pour satisfaire aux critères qui sont les nôtres, aux critères européens de bonne gestion. Il faut saluer cet accord parce que cela marque bien la dimension familiale de cette Europe. Nous sommes une famille, nous sommes tous ensemble et nous voulons avancer tous ensemble et chacun fait des efforts. Je crois, qu'au contraire, c'est une bonne règle.
Q - La Commission européenne n'a pas vraiment compris ce côté familial et désapprouve (?) la mise en parenthèses des règles...
R - Les règles, bien sûr, sont faites pour être respectées, mais encore faut-il prendre la dimension du temps, encore faut-il prendre aussi la dimension des efforts. C'est tout cela qui était intégré. Je me félicite que, dans le fond, la trajectoire nous est clairement fixée à tous et nous allons bien sûr la respecter.
Q - Je parlais élargissement, il y a aussi, et c'est lié, le projet de Constitution européenne. Son adoption est à l'ordre du jour du Sommet de Bruxelles à la mi-décembre. Il semble qu'il y ait des pays qui vont bloquer. Vous pensez que l'on va vers un échec ? C'est possible ?
R - C'est toujours difficile d'adopter un texte aussi important qu'une nouvelle Constitution et les enjeux sont des enjeux pour les prochaines décennies. C'est dire que chacun veut, évidemment, défendre ses intérêts. Tout ceci, nous le comprenons bien. Mais nous souhaitons aussi que cette Constitution soit un texte ambitieux. La Convention, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, nous a remis un projet qui est équilibré et ambitieux.
Q - A l'époque, tout le monde avait l'air d'accord, d'ailleurs ? C'est maintenant qu'il y a des difficultés ?
R - Tout le monde a salué ce texte comme une bonne base de départ pour l'ensemble des discussions de la Conférence intergouvernementale. Les Etats vont se retrouver. L'ensemble des ministres, à Naples, va travailler sur les propositions de la présidence italienne et nous allons dans un conclave d'un jour et demi, nous réunir pour discuter les points difficiles. Il y a deux grands points difficiles dans le fond. Il y a le nombre de commissaires : faut-il que chaque Etat ait un commissaire ? Nous, nous plaidons dans le sens de l'efficacité, c'est-à-dire d'une Commission resserrée. Deuxième grand sujet, c'est le vote : faut-il voter selon la nouvelle règle qui a été adoptée ou, au contraire, rester dans un système ancien et notamment dans celui de Nice. Des Etats se sentent moins puissants dans le nouveau système. Il faut trouver là encore un équilibre.
Q - Avez-vous bon espoir ?
R - Oui, j'ai bon espoir parce que au terme des discussions, nous nous rendons compte que le choix sera politique. Il s'agit de savoir quelle ambition nous avons pour l'Europe et je suis convaincu que, pour les Européens, il est important que cette Europe soit à la fois transparente, démocratique, efficace, et que sa Constitution ne soit pas une Constitution aux petits pieds.
Q - Est-ce que les moments de renforcement de solidarité actuellement entre la France et l'Allemagne irritent les autres pays ?
R - Je ne crois pas et, au contraire, pendant de longues années, on a vu nos partenaires européens venir voir les Français et les Allemands, en leur disant : "nous vous supplions de vous entendre". Sans le moteur franco-allemand, l'Europe n'avance pas. L'Europe, aujourd'hui, dispose véritablement de cette volonté franco-allemande qui n'est pas une volonté égoïste mais au service des Européens. Nous voulons travailler avec tous et nous avons pu constater hier, lors du Sommet franco-britannique, qu'il y avait une très forte volonté de la France, avec l'Angleterre - nous l'avons vu sur les sujets très difficiles, comme l'immigration, la sécurité, les crises régionales, la recherche, l'environnement, la santé - il y a une volonté, l'ambition d'une véritable confiance entre la Grande-Bretagne et la France et c'est dans ce sens que nous travaillons.
Q - La Grande-Bretagne et la France, après ce Sommet, Tony Blair, sur France 2 hier soir, disait : "le choix entre l'Union européenne et les Etats-Unis, je ne le fais pas." Est-ce que vous, vous ajoutez que c'est toute la différence avec la France qui, elle, a choisi l'Union européenne ?
R - On a vu, du fait des difficultés internationales, et en particulier de la crise de l'Irak, beaucoup de tensions sur la scène internationale au cours des derniers mois et donc beaucoup de présentations caricaturales. Personne ne demande à la Grande-Bretagne de choisir entre l'Europe et les Etats-Unis. Que la Grande-Bretagne ait de très bonnes relations avec les Etats-Unis et en même temps souhaite faire partie de la famille européenne, il n'y a là rien que de très normal. Donc, avançons, mais donnons-nous les moyens aussi au niveau européen d'avancer. C'est bien ce que nous voulons faire dans le cadre de la défense européenne et je crois que les conversations d'hier avec nos amis anglais ont permis d'avancer dans ce domaine.
Q - En revanche, sur l'Irak, on sent bien que ce n'est pas la même position. On le sait. Hier, le président Chirac, justement, à Londres, disait que la nouvelle orientation américaine vers un transfert de souveraineté aux Irakiens était bonne mais qu'elle est prévue sur une trop longue période, que la place de l'ONU n'est pas suffisamment précise. Comment pensez-vous faire pour que les Américains tiennent compte de ce point de vue ?
R - D'abord, nous avons salué la nouvelle approche américaine, tendu la main.
Q - M. le Président l'a dit. Mais maintenant, concrètement ?
R - Maintenant, il s'agit de trouver les meilleures solutions à un problème extrêmement difficile et douloureux. Nous le voyons avec la recrudescence des attentats et des actes de guérillas. Nous sommes dans une situation où le nouveau gouvernement provisoire irakien, la souveraineté irakienne sera affirmée uniquement en juin 2004. Nous posons la question : comment faire pour que les sept mois qui nous séparent de cette échéance ne soit pas des mois encore plus difficiles ?
Q - Alors que répondez-vous à ce commentaire ?
R - C'est pour cela que nous avions préconisé une accélération du calendrier, pour que d'ici la fin de l'année ce gouvernement provisoire puisse être formé. Notre souhait, c'est tout simplement qu'aujourd'hui on intensifie la concertation, qu'on accroisse le rassemblement de l'ensemble des forces. Cela veut dire, au niveau intérieur, que toutes les forces politiques soient véritablement rassemblées. Il y a encore un certain nombre de partis, de groupes, qui, en Irak, seraient prêts ou sont prêts à renoncer à la violence mais qui doivent être inclus dans le processus politique. Il y a là un vrai travail de rassemblement. Et, parallèlement, il faut accroître la concertation à l'échelle régionale pour faire en sorte que tous les pays voisins aient le même intérêt à la stabilité de l'Irak. Et enfin, la même chose doit être faite sur la scène internationale. Rassemblons, n'excluons pas, cessons de montrer du doigt. Nous aurons ainsi l'ensemble des énergies positives de cette communauté internationale qui seront mobilisées dans la crise irakienne. C'est le sens des conversations que j'ai eues avec Colin Powell. Je crois qu'aujourd'hui, tout le monde se rend compte qu'il est temps d'agir de façon déterminée et collectivement sur cette crise si difficile.
Q - On va être bref sur deux autres sujets : la Côte d'Ivoire, à quelles conditions le président ivoirien Laurent Gbagbo peut venir en France, en voyage, comme on en parle pour début décembre ?
R - La question ne se pose pas dans ces termes. La question, c'est d'avancer plus vite dans le processus de réconciliation en Côte d'Ivoire. J'ai rencontré Laurent Gbagbo à Libreville avec le président Bongo. Nous avons eu des discussions approfondies et je crois qu'aujourd'hui le processus doit reprendre son cours. C'est ce que m'a exprimé le président Gbagbo. Il doit reprendre son cours avec confiance, avec l'ensemble des représentants politiques ivoiriens et je pense, et je souhaite, que dans les tous prochains jours, l'ensemble des représentants politiques participera à nouveau au gouvernement ivoirien.
Q - Toute dernière question : une intersyndicale au ministère des Affaires étrangères appelle à une grève lundi prochain. Est-ce qu'on va voir les personnels du Quai d'Orsay défiler dans la rue comme les buralistes ?
R - Je ne pense pas. Cela veut dire aussi que les temps sont durs pour tout le monde, que chacun doit faire des sacrifices. Il y a une rationalisation des moyens budgétaires de l'Etat qui a été engagée. Le Quai d'Orsay paye son tribut et son écot. C'est évidemment parfois douloureux.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2003)