Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à Europe 1 le 1er juin 2004, sur les enjeux des élections européennes de 2004, la réforme de l'assurance maladie, et la préparation du budget 2005.

Prononcé le 1er juin 2004

Média : Europe 1

Texte intégral

Q- J.-P. Elkabbach -. La campagne pour les européennes démarre, mais pas en trombe. Par élégance, vous êtes dernière sur la liste PC de F. Wurtz en Ile-de-France. Intéressez-nous à l'Europe, parlez-moi d'Europe !
R - "J'ai envie de dire que l'Europe est une belle idée. Cela pouvait être une grande chance, et puis cette chance a été gâchée, parce que l'on a mis l'Europe au service des marchés financiers. Donc j'ai envie de demander si on ne peut pas mener une campagne pour reconstruire l'Europe, sur de nouvelles bases, sur de nouveaux fondements. Un nouveau traité : ce serait formidable de discuter de cela !"
Q-Pourquoi dite-vous qu'elle "était" belle ? Parce que l'Europe est toujours belle après coup : quand elle était belle, le PC s'y opposait. Il y a toujours un temps de retard, c'est toujours mieux avant ?
R - "L'Europe telle qu'elle se construit, elle se construit sur les bases d'une politique libérale. Des politiques libérales qui font qu'aujourd'hui, le projet de Constitution qu'on nous propose dit que la finalité de la construction européenne - ce n'est quand même pas génial ! -, c'est la libre concurrence ! C'est-à-dire moins de services publics, moins d'intérêt général, moins de droits sociaux, moins de droits des individus."
Q-N'est-ce pas caricaturer la réalité ? Malgré ses lourdeurs bureaucratiques, les Français n'ont-ils pas bien profité de l'Europe, depuis qu'elle a été créée ?
R - "Non, c'est au nom de l'Europe que l'on a détruit les services publics, c'est au nom de l'Europe qu'aujourd'hui on veut détruire EDF-GDF, qu'on a fait la réforme régressive des retraites, qu'on veut casser l'assurance maladie. Or j'ai envie que l'Europe nous propose au contraire l'intérêt général, l'extension du champ des services publics, l'harmonisation par le haut des droits sociaux... On peut avoir une autre Europe."
Q-D'accord, ça, c'est le déroulé de l'argumentation classique de la campagne électorale...
R - "Non, nous sommes les seuls à porter cela, parce que les autres partis ne parlent pas du projet de Constitution, parce qu'en fait ils s'apprêtent, à gauche et à droite, à adopter cette Constitution. Et cette Constitution nous empêchera de mener une politique de gauche en France et en Europe."
Q-Naturellement, vous voulez un référendum sur la Constitution ?
R - "Oui, bien sûr, c'est quand même normal que les citoyens d'Europe soient consultés sur une constitution qui va les mettre dans une sorte de camisole libérale pour les décennies à venir."
Q-Une camisole ?! Vous ne croyez pas que le mot est trop fort, quand on sait d'où vient l'Europe ? Etait-ce mieux quand il y avait les rivalités, les haines, les divisions, le mur entre les deux ?
R - "Avez-vous vu le projet de Constitution ? Il dit dans son article 1-3, que l'Europe offre à ses concitoyens une zone de libre marché où la libre concurrence est la finalité. Et ensuite, on nous explique que les services publics existent à titre dérogatoire et que les droits fondamentaux des individus ne peuvent s'appliquer que s'ils ne contredisent pas la finalité de la libre concurrence. Eh bien, j'ai envie d'une autre Europe, d'un autre traité, qui mettrait au coeur l'intérêt, le bien-être des populations."
Q-Si l'Europe n'existait pas, la France se porterait-elle mieux ?
R - "Non, je ne suis pas contre l'Europe. Le mot d'ordre de notre campagne est : l'Europe, oui mais pas celle-là. Donc je suis pour une construction européenne différente."
Q-Les européennes du 13 juin sont-elles pour vous l'occasion de promouvoir votre Europe, d'affaiblir J.-P. Raffarin ou de sauver l'honneur et la peau du PC ?
R - "Les deux premières réponses, si j'ai le droit à deux réponses ! D'abord, défendre une autre conception de l'Europe. Je crois que le débat intéressera les Français... Deuxièmement, je pense qu'il faut changer, à travers ce vote, toutes les politiques libérales, celles menées en France par le gouvernement Raffarin, parce que l'on a besoin, une nouvelle fois, de lui dire notre mécontentement. Il n'a pas très bien entendu le 28 mars, on le voit avec la réforme de l'assurance maladie. Et puis, quelque part également, essayer de faire en sorte que l'on n'ait pas de politiques libérales au plan de l'Union européenne."
Q-Vous ne m'avez pas parlé du PC. Est-il "insauvable" ? En 1999, il a fait 6,8 %. Que lui donneriez-vous comme score ?
R - "D'abord, essayer d'avoir un élu dans chaque grande circonscription, ce qui est une bagarre difficile vu le découpage de ces circonscriptions..."
Q-Et avec un tour...
R - "Un tour de scrutin, il faut le dire, parce que peu de gens le savent : il y a un seul tour à ces élections, c'est à la proportionnelle par grande circonscription... Et j'espère donc que le 14 juin, on aura la même musique que le 22 mars, c'est-à-dire un Parti communiste qui poursuit son réveil."
Q-Le 5 juin est prévue une manifestation contre la réforme de l'assurance maladie. Allez-vous défiler ?
R - "Bien sûr, je serai à Marseille ce jour-là, pour les européennes. Je défilerai avec les manifestants de Marseille. C'est une manifestation unitaire et j'espère qu'elle sera vraiment puissante."
Q-Avec vous au pouvoir et une nouvelle majorité, dites-moi concrètement comment vous réduisez, par an, 27 milliards d'euros en 2010 de déficits, 66 milliards en 2020 et, cette année, 32 milliards de déficits cumulés ? Donnez-moi la solution du PC.
R - "D'abord, il faut se dire - mais on peut ne pas être d'accord - qu'il est normal que les dépenses de santé augmentent dans un pays qui développe les progrès médicaux, l'accès de la santé pour tous et toutes..."
Q-Soit. Indéfiniment ?
R - "Donc il faut arrêter de rogner sur les dépenses de santé. Deuxièmement, je pense que l'on peut trouver des financements. Je vous propose deux axes clairs. Taxer les produits financiers au même niveau que les salariés, ce qui permettrait de faire rentrer de l'argent de façon importante dans les caisses de la Sécurité sociale. Deuxièmement, il faut revoir l'industrie du médicament. Le médicament est l'une des charges les plus élevées de l'assurance maladie. Le médicament sert aujourd'hui à faire du profit par quelques grands trusts pharmaceutiques. Il faut que le médicament rentre dans l'ordre des missions de service public."
Q-Vous ne parlez pas des médecins ?
R - "Je crois que les médecins font leur travail correctement. Ce dont on a besoin aujourd'hui, c'est de plus de médecins, puisque aujourd'hui, on a des zones où l'on manque de médecins, l'on manque de spécialistes dans certaines matières..."
Q-Il faudrait donc les encourager, même fiscalement, sinon les forcer, à aller dans des régions oubliées, désertées ?
R - "Il faut trouver une solution. Il y a certaines spécialités où maintenant, à cause des risques qu'encourent certains médecins, on va vraiment connaître des pénuries. Il faut donc d'abord lever le numerus clausus et il faut encourager les jeunes à se diriger vers cette profession."
Q-Comment fait-on pour réduire les arrêts maladie parfois injustifiés et encouragés par médecins ? Cela ferait 800 millions d'économie, si l'on écoute P. Douste-Blazy...
R - "D'abord, il faudrait quand même être sérieux sur ces problèmes de dérapages. Le Haut conseil à l'assurance maladie, qui n'est pas soupçonnable de vouloir favoriser tel ou tel positionnement, dit que ce n'est pas là que l'on trouvera de nouvelles ressources pour l'assurance maladie..."
Q-5,6 milliards d'euros par an et 6,5 de plus par an...
R - "Il dit qu'il y a peu de dérapages. Je ne suis pas pour les dérapages, je suis pour que les gens qui ont besoin de se soigner puissent se soigner ; je ne suis pas pour que l'on utilise l'assurance maladie à d'autres fins. Mais ne faisons pas de cela la solution, parce que l'on va vite être déçu."
Q-Ce qui est terrible, c'est que quand nous aurons terminé notre entretien, le système de santé aura perdu 230.000 euros, à raison de 23.000 euros la minute...
R - "Alors, trouvons les nouveaux modes de financement ! J'ai fait des propositions précises. Arrêtons de répéter cela aux Français, pour ensuite leur dire qu'il n'y a qu'une réforme à faire, c'est de baisser les dépenses de santé et qu'ils mettent un peu plus de leur poche. Parce que la réforme Douste-Blazy, c'est ça : 1 euro par ordonnance, augmentation du forfait hospitalier, augmentation de la CSG... Ce sont de nouveau les salariés qui vont sortir l'argent pour financer l'assurance maladie, alors qu'ils la financent depuis qu'ils sont en activité professionnelle."
Q-Faut-il une politique industrielle pour l'Europe ?
R - "Oui, je le crois..."
Q-Faut-il renforcer le gouvernement économique de l'Europe, comme N. Sarkozy va sans doute le dire ce soir, à Luxembourg ?
R - "Pourquoi un nouveau gouvernement économique et pourquoi pas plus de pouvoirs au Parlement européen et aux [inaud.] en liaison, pour justement se saisir de ces questions économiques ? Et surtout, faisons en sorte que la question de la politique industrielle ne soit pas simplement guidée par la rentabilité et la libre concurrence, mais aussi par l'intérêt des salariés et par l'intérêt de l'économie elle-même."
Q-Regardez le commissaire Monti : il n'a pas interdit à N. Sarkozy de donner une nouvelle chance à Alstom. Je sais bien qu'il y a des gens qui reçoivent des licenciements, mais ce serait pire...
R - "Aujourd'hui, aussi bien à la Courneuve qu'à Belfort, des hommes et des femmes reçoivent leur lettre de licenciement. Ce plan de sauvetage n'est donc pas suffisant. La solution aurait été d'aller vers Areva, mais l'Europe, toujours au nom de la libre concurrence, a interdit qu'Alstom aille travailler avec une autre entreprise..."
Q-Mais on échappe au démantèlement. Huit banques françaises ont été encouragées - sinon forcées - par Matignon et Bercy, à offrir 8 milliards d'euros de caution supplémentaire. Et puis il y a une recapitalisation de l'Etat de 2 milliards d'euros. Ce n'est pas mal ? C'est aussi une manière d'aider une grande entreprise et un grand groupe français ?
R - "Ce n'est pas mal, mais ce n'est pas suffisant. Ecoutons ces hommes et ces femmes qui travaillent aujourd'hui à Alstom et qui ont reçu leur lettre de licenciement : ils veulent plus, ils veulent garder leur emploi, ils veulent garder l'intégrité de tous le groupe Alstom."
Q-Le gouvernement Raffarin est en train d'essayer de chercher à régler le casse-tête du budget 2005. Avec une croissance moyenne et puis des caisses trouées, comment feriez-vous ? Quel budget doit-on ou devrait-on réduire ? L'Education ? L'Intérieur ? La Justice ? La Défense ? Lequel ?
R - "J'ai connu cela pendant cinq ans, lorsque j'étais ministre. On ne peut pas s'en sortir sans une grande réforme de la fiscalité. Aujourd'hui, le budget de l'Etat souffre d'une fiscalité qui ne va pas toucher les grandes fortunes, qui ne va pas toucher les produits financiers, où il y a beaucoup de cadeaux qui sont faits au grand patronat. Il faut donc une grande réforme de la fiscalité qui permette de faire rentrer de l'argent dans le budget de l'Etat. Je ne suis pas pour moins d'impôts ; je suis pour que ceux qui ont les moyens paient l'impôt, parce que l'impôt est utile à l'éducation, à la santé, à la formation..."
Q-Mais comment fait-on dans l'état actuel et réel des choses ?
R - "Dans l'état actuel, il n'y a pas de solution ! On veut baisser encore les impôts etc. Donc on réduit les budgets, et pourtant des budgets qui sont essentiels, comme celui de l'Education, de la Culture ou d'autres budgets..."
Q-Dans quatre ou cinq jours, G. Bush va être à Paris, puis en Normandie. Etes-vous d'accord pour qu'il soit bien accueilli, à la mesure des sacrifices des soldats américains durant la deuxième guerre mondiale ?
R - "Je suis pour rendre hommage à ce qui a été le sacrifice de ces soldats américains, anglais, canadiens et autres, pendant le débarquement et le combat à la fin de la seconde guerre mondiale. Mais cela n'empêche pas d'exprimer son opinion par rapport à la politique actuelle de l'administration Bush. Je sais qu'il y aura des manifestations pour une solution politique en Irak et je crois qu'il est important de participer à ces manifestations."
Q-Et M. Poutine va échapper, lui, à des manifestations, quand on pense à ce qui se passe en Géorgie ou en Tchétchénie ? Vous n'en organisez pas ? C'est deux poids deux mesures ?
R - "Non, je me bats pour la paix partout et je suis une de celle qui, à chaque fois qu'elle le peut, parle du conflit en Tchétchénie, qui est l'un des conflits les plus odieux que l'on connaisse aujourd'hui sur la planète."
Q-Pour la campagne électorale, on risque d'avoir des surprises, si les Français se montraient moins indifférents qu'on ne le croit à l'Europe ?
R - "Mais je n'ai pas l'impression, lorsque je mène la campagne, qu'ils sont indifférents. La liste à laquelle je participe, avec d'autres - des syndicalistes, des associatifs -, nous faisons beaucoup de débats. Et les gens répondent en faisant des débats, il y a plusieurs centaines de personnes. A partir du moment où nous sommes bien sur les sujets qui les préoccupent et sur l'Europe, cela répond."
Q-Les partis vont utiliser, pour la première fois, des clips politiques, à la radio et à la télévision. Cela vous va, les clips d'une minute trente, coincés entre un match de foot et une chansonnette ?
R- "C'est vrai que c'est assez difficile de mener à bien ces clips et qu'on a parfois l'impression de faire de la langue de bois. Mais au moins, cela permet de parler de l'Europe à la télévision et à la radio."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er juin 2004)