Texte intégral
Monsieur le Préfet, Madame le Maire d'Amiens,
Monsieur le Président Marc Censi,
Mesdames et Messieurs les élus,
Je voudrais tout d'abord saluer votre Président, Marc Censi, et le remercier de son invitation. Je suis tout particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui à Amiens, et de venir débattre avec vous d'intercommunalité. Parce que c'est sujet qui me passionne et sur lequel je me suis engagé depuis longtemps.
Car, si je suis ici, c'est évidemment comme Ministre délégué à l'Intérieur, en charge des collectivités locales ; mais c'est aussi parce que je suis moi-même Président d'une communauté d'agglomération, celle du pays de Meaux, qui compte 80 000 habitants.
Autant vous dire que vos préoccupations, vos problèmes, je les connais et je les partage. Je suis de ceux qui militent depuis bien longtemps en faveur de l'intercommunalité. C'est pour cela que je me réjouis du succès spectaculaire que rencontre cette structure depuis quelques années.
Pourtant, l'intercommunalité, ce n'est pas un sujet nouveau : ça fait plus de 20 ans qu'on en parle. Mais ce qui est nouveau, c'est qu'aujourd'hui ça marche. Et de façon assez fulgurante, puisque cela concerne maintenant 82 % des Français.
Alors pourquoi ce succès ? Pourquoi cet engouement ? Moi, j'y vois trois raisons :
- d'abord la maturation des esprits
- ensuite une loi de qualité, la loi Chevènement, qui a fixé un cadre clair, à la fois sur le plan institutionnel et sur le plan financier.
- mais surtout l'implication de chacune et de chacun d'entre vous.
Car ce cadre, il serait resté vide sans votre détermination, sans votre courage aussi. Ce succès, je sais combien il a demandé de travail, de sacrifices, de motivation. Pour vous dire la vérité, des intercommunalités, j'en connais peu qui ne soient pas nées dans la douleur !
Parce qu'après des décennies où on se regardait en chiens de faïence, d'une ville à l'autre, il a fallu apprendre à travailler ensemble. Et ça, je ne connais rien de plus difficile. Je sais qu'il faut sans cesse se battre, pour faire avancer les projets, pour surmonter les divisions, pour ménager les susceptibilités Bref, une intercommunalité réussie, c'est avant tout des gens qui ont mouillé leur chemise et qui se sont battus.
Tout cela, j'en suis profondément conscient ; je l'ai vécu comme vous. Je sais à quel point c'est difficile et délicat de faire en sorte que tout le monde se sente bien dans une intercommunalité. Et c'est vrai pour toutes les formes d'intercommunalités, quelque soit leur taille, leurs ressources : on vit tous les mêmes situations, les mêmes problèmes.
Alors je voudrais rendre un hommage très sincère à chacun d'entre vous. Vous êtes les vrais artisans de ce qui constitue, à mes yeux, l'innovation institutionnelle la plus significative, la plus forte de ces dernières années.
Je sais qu'il a fallu composer avec des contraintes fortes, avec des règles du jeu parfois compliquées. Ce défi, vous avez su le relever, avec courage, talent, avec ambition. Et moi je serai toujours du côté de ceux qui sont des pionniers, qui se battent pour des projets communs, et qui, coûte que coûte, font avancer les choses.
C'est pour cela que je suis venu ici à Amiens, avec un message très clair de soutien, mais aussi avec des propositions concrètes. Car je sais bien qu'au-delà du succès de l'intercommunalité, beaucoup de questions se posent aujourd'hui. Je partage avec vous toute une série d'interrogations sur la suite de l'aventure : quelle identité pour l'avenir ? quel avenir financier ? comment aller plus loin tout en respectant les identités de chacun ?
Voilà tous les sujets sur lesquels nous devons réfléchir ensemble.
1. Quelles réponses institutionnelles ?
Vous le savez, je suis un fervent partisan de l'intercommunalité. A tel point que je me suis battu pour faire évoluer la loi de décentralisation, que je trouvais bien timide sur le sujet dans sa version initiale. Alors j'ai beaucoup écouté les volontés des uns et des autres, leurs craintes, leurs attentes. Et j'ai essayé de répondre à une question : jusqu'où est-on prêt à aller ?
C'est dans cet esprit qu'on a intégré, au sein de la loi " libertés et responsabilités locales " un titre sur l'intercommunalité. Alors il n'y a pas dans cette loi de grand dessein historique, pas de grand soir. Mais il y a un ensemble de mesures destinées à rendre l'intercommunalité plus fluide, plus lisible et plus accessible.
Avec un objectif : permettre des avancées, tout en respectant les identités de chacun.
Concrètement qu'est-ce qu'on a voulu faire ?
* d'abord, on a voulu achever et rendre plus cohérente la carte de l'intercommunalité.
Parce qu'aujourd'hui, 5000 communes, qui représentent 9 millions d'habitants, restent encore à l'écart de l'intercommunalité.
Mais quel était souvent le problème? C'est que pour faire progresser l'intercommunalité, il fallait procéder à des dissolutions de syndicats, d'EPCI préexistants. C'est souvent compliqué, et délicat politiquement.
Alors on a voulu simplifier les choses, en rendant possible ce qui ne l'était pas jusqu'à présent :
- la transformation directe de syndicats en communautés de communes ou en communautés d'agglomération.
- la fusion de plusieurs EPCI en un seul groupement à fiscalité propre.
* Ensuite, on a voulu simplifier l'intercommunalité.
Pourquoi ? Tout simplement parce que sur le terrain, on nous faisait toute une série de remarques : ça, ça ne marche pas ; ça, c'est trop compliqué ; ce serait bien plus simple de faire autrement Alors, on a écouté, et on a essayé de faire ces mesures de bon sens.
Cela touche toute une série de domaines : l'harmonisation des conditions de majorité, le contenu minimum des statuts, la répartition des sièges
Et pour tout cela, on a voulu faire une sorte de mode d'emploi très simple de l'intercommunalité.
* Enfin, dernière idée : on a voulu donner plus de moyens à l'intercommunalité . Mais le risque, c'était que certaines communes se sentent lésées, que leur identité se dilue en quelque sorte dans l'intercommunalité. Bref, que l'intercommunalité soit vue comme une menace, et non comme une chance.
Alors on a cherché à ce que le tandem communes/communautés soit un couple gagnant-gagnant ; et que personne ne soit frustré.
Deux exemples :
- on a assoupli les conditions de partage de services (personnels, matériel) entre les communes et leurs groupements, pour que chacun en tire le meilleur profit. Et là on facilite le transfert de nouvelles compétences, de la part de communes qui craignaient de perdre leurs services.
- 2ème exemple : pour tous les domaines qui touchent à la vie quotidienne de nos concitoyens, on sentait qu'il fallait permettre un travail plus efficace, fondé sur l'intercommunalité : je pense à l'assainissement, à l'élimination des déchets, à l'accueil des gens du voyage, ou encore aux problèmes de circulation et de stationnement.
Alors on a autorisé dans la loi le transfert de pouvoirs de police des maires aux Présidents d'EPCI. Mais comme on est soucieux du respect des identités communales, on a strictement encadré ce transfert : il faudra l'approbation unanime des communes et que les arrêtés soient signés par les maires des communes concernées.
Je crois qu'avec tout cela, on commence à répondre aux problèmes qui se posent. Et on permet de valoriser vraiment une structure devenue indispensable dans notre paysage institutionnel.
2. Comment aller plus loin ?
L'avenir de l'intercommunalité, je viens de vous le dire, c'est donc d'abord une évolution institutionnelle : mais vous avez bien vu qu'il s'agit là d'adapter les choses, et non de tout bouleverser.
Je ne crois pas qu'il faille pour le moment aller plus loin. Et je veux à ce titre répondre en toute transparence à la question de l'identité politique de l'intercommunalité. Pour moi, l'heure n'est pas à l'élection au suffrage universel. Je veux être très clair sur ce sujet, car il n'y a pas de tabous entre nous. Je crois que les esprits ne sont pas prêts, et que ce n'est pas un hasard si cette question, soulevée dès 1976 par le rapport Guichard, n'a pas trouvé de traduction législative, 30 ans plus tard.
L'avenir de l'intercommunalité ne se trouve pas pour moi dans cette voie-là, du moins pour le moment. Elle se trouve beaucoup plus du côté des projets, des réalisations, et de l'image qu'on parvient à bâtir à travers tout cela.
Et de ce point de vue, je vois deux pistes à exploiter :
* la première piste, c'est la délégation de compétences.
Sur toute une série de sujets comme la formation professionnelle, l'insertion, l'aide aux entreprises, vous aviez envie de vous impliquer davantage. Et de relayer au plus près du terrain l'action des régions et de département.
Aujourd'hui, cela va être possible : vous allez pouvoir exercer, pour le compte des conseils généraux et régionaux, des compétences des départements ou des régions.
Comprenons-nous bien. Il s'agit bien d'une délégation de compétences et non d'un dessaisissement définitif des départements ou des régions. Mais l'idée, c'est de promouvoir un esprit partenarial, avec des règles du jeu claires (étendue de la délégation, durée, conditions financières).
On a là à mon sens une mesure très forte : elle symbolise notre volonté de conforter l'échelon intercommunal dans le paysage institutionnel local.
Et je ne doute pas que vous allez tirer largement parti de cette nouvelle opportunité.
* la deuxième piste, c'est l'expérimentation.
Vous le savez, elle a désormais un fondement juridique incontestable : c'est la Loi Organique du 1er juillet 2003. De très nombreuses possibilités vous sont ouvertes par la loi " libertés et responsabilités locales " : elles répondent à des besoins réels, qu'on a tous constatés sur le terrain.
- Premier exemple, l'action sociale.
On a fait un constat. Ce constat, c'est qu'aujourd'hui 30 % des intercommunalités se sont saisies de l'action sociale. Parce qu'il est vrai que vous êtes souvent les mieux placés pour repérer les situations d'urgence (logement, factures impayées). Mais d'un autre côté, on a la compétence forte et reconnue des départements dans ce domaine. Alors il fallait pouvoir créer une synergie, une passerelle entre les départements et vous.
On a cherché une solution, et on a ouvert une possibilité d'expérimentation : vous allez maintenant pouvoir, si vous le souhaitez, gérer les fonds d'intervention locaux créés par les départements. Voilà la réponse, voilà les responsabilités que j'ai souhaité vous confier.
- un autre exemple : tout ce qui touche au logement.
Là aussi, on sait que l'échelon intercommunal a une vraie pertinence. Surtout au moment où le Gouvernement lance un véritable plan Marshall en faveur du logement, dans le cadre du plan de cohésion sociale : c'est un effort de rattrapage sans précédent, avec 500 000 logements sociaux prévus pour 5 ans.
Pour répondre aux besoins, que ce soit en termes de logements sociaux, d'accession à la propriété, vous vouliez plus de moyens.
Et c'est pour cela qu'on va vous en donner : là encore, vous allez avoir des responsabilités :
=> en matière d'aides à la pierre, l'Etat va pouvoir déléguer ses compétences aux EPCI qui disposent d'un programme local de l'habitat (PLH).
=> même chose pour les aides en faveur de l'amélioration de l'habitat privé : vous allez pouvoir en assurer la gestion. Et je sais que pour les communautés urbaines et les communautés d'agglomérations, c'est vraiment important !
=> vous allez pouvoir disposer également, si vous le souhaitez, du fameux " contingent préfectoral " pour les logements sociaux réservés aux personnes mal logées ou défavorisées. Cette question, vous le savez, a suscité un débat nourri. Le résultat, c'est un compromis qui va dans le sens que vous souhaitiez.
Et moi, je suis persuadé que les Présidents d'EPCI qui le réclameront en feront le meilleur usage, c'est-à-dire un usage conforme à l'intérêt général.
- On a tenu le même raisonnement pour le logement étudiant. Chacun sait que les bassins de vie qui ont le plus d'avenir sont ceux où se concentrent les universités, les instituts de formation, les centres de recherche.
Mais les étudiants, il faut bien les loger, et les centres-villes sont souvent beaucoup trop chers : nous le savons tous. Alors là aussi, on vous donne des responsabilités nouvelles, parce qu'on sait que vous êtes les mieux placés pour trouver des solutions à l'échelle de ces bassins de vie.
* Je vais prendre un dernier exemple : c'est celui des nouvelles technologies . Sur ce sujet, on passe son temps à dire qu'il faut aller plus loin, et plus vite. Et c'est vrai qu'on a besoin d'une meilleure couverture de notre territoire, notamment dans les zones rurales.
C'est pour cela que j'ai souhaité vous confier des responsabilités :
- vous allez pouvoir, si vous le souhaitez, devenir opérateurs de télécommunication pour accélérer l'accès au haut débit de vos territoires
- vous allez aussi pouvoir vous investir sur le sujet de la téléphonie mobile, avec le concours des opérateurs du marché.
Je n'irai pas plus loin dans cet inventaire, mais toutes ces pistes, je crois, correspondent à vos attentes. Il y a là un potentiel extrêmement riche et diversifié pour l'avenir.
Sur tous ces sujets, on vous a ouvert la porte en quelque sorte : je vous invite aujourd'hui à vous saisir de ces opportunités.
3. Quelles réponses financières ?
Dernier grand sujet d'avenir que je souhaite évoquer avec vous : c'est celui des finances. Car là encore, je sais, pour le vivre moi-même, à quel point les procédures sont compliquées. Même quand on connaît le sujet, même quand on pratique tout cela depuis des années, on reste confondu devant la lourdeur et la complexité des règles de financement.
Tout cela, je le vis, et j'en parle en toute connaissance de cause. Et je peux vous assurer que j'avais tout cela très présent à l'esprit en faisant la réforme des dotations.
Cette réforme des dotations, elle vous concerne très directement, et elle s'articule autour de trois mots-clés :
- prévisibilité
- confiance
- équité
* renforcement de la prévisibilité :
Je sais comme vous qu'il est très désagréable de ne pas prévoir d'une année sur l'autre le montant sur lequel on peut compter pour bâtir un budget prévisionnel. C'est d'autant plus pénalisant lorsque le groupement de communes se lance dans des investissements pluriannuels.
Alors pour rendre plus prévisible cette dotation, trois mesures sont prévues dès l'année prochaine pour faciliter son évaluation :
o la simplification du CIF qui est une des principales sources de variation de la dotation d'intercommunalité.
o l'augmentation du poids de la dotation de base
Actuellement la dotation de base représente 15 % de la dotation d'intercommunalité de chaque catégorie de groupement, et la dotation de péréquation 85 %. Le rééquilibrage souhaité par le CFL (passage à une proportion de 30 %-70 %) va être opéré.
o la création d'une garantie liée à l'atteinte d'un certain niveau de CIF en valeur absolue et non en valeur relative.
L'un des éléments de l'instabilité de la dotation d'intercommunalité de chaque EPCI tient au fait qu'elle dépend actuellement des données moyennes de sa catégorie. Désormais, la garantie d'une indexation favorable sera fonction d'un CIF en valeur absolue déterminé une fois pour toute et non en valeur moyenne.
=> Je pense que vos groupements bénéficieront ainsi d'une plus grande stabilité de leurs ressources et pourront travailler dans un climat de plus grande sérénité.
* Confiance :
C'est l'obsession de notre Gouvernement : restaurer la confiance avec les collectivités locales. Nous savons qu'elle a été mise à mal par toute une série de transferts non financés (APA, 35 heures), et nous savons que beaucoup disent " on ne vous croit plus ".
Ces relations de confiance, elles se concrétisent d'abord par un bon budget 2005 : la reconduction en 2005 du contrat de croissance va permettre une augmentation de 2,8 % de l'enveloppe dévolue aux collectivités locales.
La dotation d'intercommunalité s'élèvera à près de 2 milliards d'euros en 2005 : cela représente un effort très important de l'Etat envers les structures intercommunales, à un moment où on a serré les vis sur toutes les dépenses de l'Etat.
Cet effort, il convenait de le répartir le plus équitablement possible.
* Equité
Trois mesures destinées à soutenir l'intercommunalité en milieu rural :
o un rapprochement de la dotation d'intercommunalité des communautés de communes (CC) de celle des communautés d'agglomération.
- la suppression de l'écrêtement subi par les communautés de communes 4 taxes lorsque leur dotation d'intercommunalité augmentait de plus de 20 %.
o la suppression de la notion de dépenses de transferts actuellement prises en compte dans le coefficient d'intégration fiscale (CIF) pour les communautés de communes 4 taxes.
Pour en finir avec ce volet financier, j'ajouterai juste un mot sur la réforme de la taxe professionnelle. Je sais que cette réforme inquiète certains d'entre vous car elle vient s'ajouter à la réforme des dotations et aux mutations prévisibles de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères.
Sur ce terrain, ma ligne de conduite est simple : il faut préserver les finances locales en réformant de manière adaptée et progressive la taxe professionnelle. La commission Fouquet y travaille. Elle rendra ses conclusions définitives avant la fin de l'année 2004.
J'ai, pour ma part, deux volontés :
- qu'un lien fort entre le territoire et le produit de l'impôt soit maintenu ;
- et que vous conserviez des marges de manuvre pour fixer un taux.
Je crois que c'est sous ces conditions, et seulement sous ces conditions, que la réforme de la taxe professionnelle est réalisable.
Voilà l'ensemble des pistes que nous mettons en place. Elles me semblent répondre à certaines questions que nous nous posons tous, dans nos communautés.
Mais il est évident que le dialogue doit continuer, et que d'autres mutations sont à venir. L'intercommunalité est en marche, elle connaît des évolutions rapides, fortes. Et cet avenir, je vous propose de l'inventer ensemble, sur le terrain d'abord, et dans nos rencontres.
Moi, je suis naturellement à votre disposition pour vous accompagner, et pour mettre en place un groupe de travail qui réfléchisse à l'avenir. Je pense que nous avons une vraie réflexion à mener, par exemple sur la requalification juridique des communautés, sur l'évolution des principes d'exclusivité et de spécialité, ou encore sur les ressources futures des groupements.
Un acte trois de la décentralisation? Pourquoi pas ? Mais attention à l'indigestion !
Le défi aujourd'hui, il tient en trois mots-clés : compétitivité ; attractivité ; Europe.
(Source http://www.intercommunalites.com, le 29 octobre 2004)
Monsieur le Président Marc Censi,
Mesdames et Messieurs les élus,
Je voudrais tout d'abord saluer votre Président, Marc Censi, et le remercier de son invitation. Je suis tout particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui à Amiens, et de venir débattre avec vous d'intercommunalité. Parce que c'est sujet qui me passionne et sur lequel je me suis engagé depuis longtemps.
Car, si je suis ici, c'est évidemment comme Ministre délégué à l'Intérieur, en charge des collectivités locales ; mais c'est aussi parce que je suis moi-même Président d'une communauté d'agglomération, celle du pays de Meaux, qui compte 80 000 habitants.
Autant vous dire que vos préoccupations, vos problèmes, je les connais et je les partage. Je suis de ceux qui militent depuis bien longtemps en faveur de l'intercommunalité. C'est pour cela que je me réjouis du succès spectaculaire que rencontre cette structure depuis quelques années.
Pourtant, l'intercommunalité, ce n'est pas un sujet nouveau : ça fait plus de 20 ans qu'on en parle. Mais ce qui est nouveau, c'est qu'aujourd'hui ça marche. Et de façon assez fulgurante, puisque cela concerne maintenant 82 % des Français.
Alors pourquoi ce succès ? Pourquoi cet engouement ? Moi, j'y vois trois raisons :
- d'abord la maturation des esprits
- ensuite une loi de qualité, la loi Chevènement, qui a fixé un cadre clair, à la fois sur le plan institutionnel et sur le plan financier.
- mais surtout l'implication de chacune et de chacun d'entre vous.
Car ce cadre, il serait resté vide sans votre détermination, sans votre courage aussi. Ce succès, je sais combien il a demandé de travail, de sacrifices, de motivation. Pour vous dire la vérité, des intercommunalités, j'en connais peu qui ne soient pas nées dans la douleur !
Parce qu'après des décennies où on se regardait en chiens de faïence, d'une ville à l'autre, il a fallu apprendre à travailler ensemble. Et ça, je ne connais rien de plus difficile. Je sais qu'il faut sans cesse se battre, pour faire avancer les projets, pour surmonter les divisions, pour ménager les susceptibilités Bref, une intercommunalité réussie, c'est avant tout des gens qui ont mouillé leur chemise et qui se sont battus.
Tout cela, j'en suis profondément conscient ; je l'ai vécu comme vous. Je sais à quel point c'est difficile et délicat de faire en sorte que tout le monde se sente bien dans une intercommunalité. Et c'est vrai pour toutes les formes d'intercommunalités, quelque soit leur taille, leurs ressources : on vit tous les mêmes situations, les mêmes problèmes.
Alors je voudrais rendre un hommage très sincère à chacun d'entre vous. Vous êtes les vrais artisans de ce qui constitue, à mes yeux, l'innovation institutionnelle la plus significative, la plus forte de ces dernières années.
Je sais qu'il a fallu composer avec des contraintes fortes, avec des règles du jeu parfois compliquées. Ce défi, vous avez su le relever, avec courage, talent, avec ambition. Et moi je serai toujours du côté de ceux qui sont des pionniers, qui se battent pour des projets communs, et qui, coûte que coûte, font avancer les choses.
C'est pour cela que je suis venu ici à Amiens, avec un message très clair de soutien, mais aussi avec des propositions concrètes. Car je sais bien qu'au-delà du succès de l'intercommunalité, beaucoup de questions se posent aujourd'hui. Je partage avec vous toute une série d'interrogations sur la suite de l'aventure : quelle identité pour l'avenir ? quel avenir financier ? comment aller plus loin tout en respectant les identités de chacun ?
Voilà tous les sujets sur lesquels nous devons réfléchir ensemble.
1. Quelles réponses institutionnelles ?
Vous le savez, je suis un fervent partisan de l'intercommunalité. A tel point que je me suis battu pour faire évoluer la loi de décentralisation, que je trouvais bien timide sur le sujet dans sa version initiale. Alors j'ai beaucoup écouté les volontés des uns et des autres, leurs craintes, leurs attentes. Et j'ai essayé de répondre à une question : jusqu'où est-on prêt à aller ?
C'est dans cet esprit qu'on a intégré, au sein de la loi " libertés et responsabilités locales " un titre sur l'intercommunalité. Alors il n'y a pas dans cette loi de grand dessein historique, pas de grand soir. Mais il y a un ensemble de mesures destinées à rendre l'intercommunalité plus fluide, plus lisible et plus accessible.
Avec un objectif : permettre des avancées, tout en respectant les identités de chacun.
Concrètement qu'est-ce qu'on a voulu faire ?
* d'abord, on a voulu achever et rendre plus cohérente la carte de l'intercommunalité.
Parce qu'aujourd'hui, 5000 communes, qui représentent 9 millions d'habitants, restent encore à l'écart de l'intercommunalité.
Mais quel était souvent le problème? C'est que pour faire progresser l'intercommunalité, il fallait procéder à des dissolutions de syndicats, d'EPCI préexistants. C'est souvent compliqué, et délicat politiquement.
Alors on a voulu simplifier les choses, en rendant possible ce qui ne l'était pas jusqu'à présent :
- la transformation directe de syndicats en communautés de communes ou en communautés d'agglomération.
- la fusion de plusieurs EPCI en un seul groupement à fiscalité propre.
* Ensuite, on a voulu simplifier l'intercommunalité.
Pourquoi ? Tout simplement parce que sur le terrain, on nous faisait toute une série de remarques : ça, ça ne marche pas ; ça, c'est trop compliqué ; ce serait bien plus simple de faire autrement Alors, on a écouté, et on a essayé de faire ces mesures de bon sens.
Cela touche toute une série de domaines : l'harmonisation des conditions de majorité, le contenu minimum des statuts, la répartition des sièges
Et pour tout cela, on a voulu faire une sorte de mode d'emploi très simple de l'intercommunalité.
* Enfin, dernière idée : on a voulu donner plus de moyens à l'intercommunalité . Mais le risque, c'était que certaines communes se sentent lésées, que leur identité se dilue en quelque sorte dans l'intercommunalité. Bref, que l'intercommunalité soit vue comme une menace, et non comme une chance.
Alors on a cherché à ce que le tandem communes/communautés soit un couple gagnant-gagnant ; et que personne ne soit frustré.
Deux exemples :
- on a assoupli les conditions de partage de services (personnels, matériel) entre les communes et leurs groupements, pour que chacun en tire le meilleur profit. Et là on facilite le transfert de nouvelles compétences, de la part de communes qui craignaient de perdre leurs services.
- 2ème exemple : pour tous les domaines qui touchent à la vie quotidienne de nos concitoyens, on sentait qu'il fallait permettre un travail plus efficace, fondé sur l'intercommunalité : je pense à l'assainissement, à l'élimination des déchets, à l'accueil des gens du voyage, ou encore aux problèmes de circulation et de stationnement.
Alors on a autorisé dans la loi le transfert de pouvoirs de police des maires aux Présidents d'EPCI. Mais comme on est soucieux du respect des identités communales, on a strictement encadré ce transfert : il faudra l'approbation unanime des communes et que les arrêtés soient signés par les maires des communes concernées.
Je crois qu'avec tout cela, on commence à répondre aux problèmes qui se posent. Et on permet de valoriser vraiment une structure devenue indispensable dans notre paysage institutionnel.
2. Comment aller plus loin ?
L'avenir de l'intercommunalité, je viens de vous le dire, c'est donc d'abord une évolution institutionnelle : mais vous avez bien vu qu'il s'agit là d'adapter les choses, et non de tout bouleverser.
Je ne crois pas qu'il faille pour le moment aller plus loin. Et je veux à ce titre répondre en toute transparence à la question de l'identité politique de l'intercommunalité. Pour moi, l'heure n'est pas à l'élection au suffrage universel. Je veux être très clair sur ce sujet, car il n'y a pas de tabous entre nous. Je crois que les esprits ne sont pas prêts, et que ce n'est pas un hasard si cette question, soulevée dès 1976 par le rapport Guichard, n'a pas trouvé de traduction législative, 30 ans plus tard.
L'avenir de l'intercommunalité ne se trouve pas pour moi dans cette voie-là, du moins pour le moment. Elle se trouve beaucoup plus du côté des projets, des réalisations, et de l'image qu'on parvient à bâtir à travers tout cela.
Et de ce point de vue, je vois deux pistes à exploiter :
* la première piste, c'est la délégation de compétences.
Sur toute une série de sujets comme la formation professionnelle, l'insertion, l'aide aux entreprises, vous aviez envie de vous impliquer davantage. Et de relayer au plus près du terrain l'action des régions et de département.
Aujourd'hui, cela va être possible : vous allez pouvoir exercer, pour le compte des conseils généraux et régionaux, des compétences des départements ou des régions.
Comprenons-nous bien. Il s'agit bien d'une délégation de compétences et non d'un dessaisissement définitif des départements ou des régions. Mais l'idée, c'est de promouvoir un esprit partenarial, avec des règles du jeu claires (étendue de la délégation, durée, conditions financières).
On a là à mon sens une mesure très forte : elle symbolise notre volonté de conforter l'échelon intercommunal dans le paysage institutionnel local.
Et je ne doute pas que vous allez tirer largement parti de cette nouvelle opportunité.
* la deuxième piste, c'est l'expérimentation.
Vous le savez, elle a désormais un fondement juridique incontestable : c'est la Loi Organique du 1er juillet 2003. De très nombreuses possibilités vous sont ouvertes par la loi " libertés et responsabilités locales " : elles répondent à des besoins réels, qu'on a tous constatés sur le terrain.
- Premier exemple, l'action sociale.
On a fait un constat. Ce constat, c'est qu'aujourd'hui 30 % des intercommunalités se sont saisies de l'action sociale. Parce qu'il est vrai que vous êtes souvent les mieux placés pour repérer les situations d'urgence (logement, factures impayées). Mais d'un autre côté, on a la compétence forte et reconnue des départements dans ce domaine. Alors il fallait pouvoir créer une synergie, une passerelle entre les départements et vous.
On a cherché une solution, et on a ouvert une possibilité d'expérimentation : vous allez maintenant pouvoir, si vous le souhaitez, gérer les fonds d'intervention locaux créés par les départements. Voilà la réponse, voilà les responsabilités que j'ai souhaité vous confier.
- un autre exemple : tout ce qui touche au logement.
Là aussi, on sait que l'échelon intercommunal a une vraie pertinence. Surtout au moment où le Gouvernement lance un véritable plan Marshall en faveur du logement, dans le cadre du plan de cohésion sociale : c'est un effort de rattrapage sans précédent, avec 500 000 logements sociaux prévus pour 5 ans.
Pour répondre aux besoins, que ce soit en termes de logements sociaux, d'accession à la propriété, vous vouliez plus de moyens.
Et c'est pour cela qu'on va vous en donner : là encore, vous allez avoir des responsabilités :
=> en matière d'aides à la pierre, l'Etat va pouvoir déléguer ses compétences aux EPCI qui disposent d'un programme local de l'habitat (PLH).
=> même chose pour les aides en faveur de l'amélioration de l'habitat privé : vous allez pouvoir en assurer la gestion. Et je sais que pour les communautés urbaines et les communautés d'agglomérations, c'est vraiment important !
=> vous allez pouvoir disposer également, si vous le souhaitez, du fameux " contingent préfectoral " pour les logements sociaux réservés aux personnes mal logées ou défavorisées. Cette question, vous le savez, a suscité un débat nourri. Le résultat, c'est un compromis qui va dans le sens que vous souhaitiez.
Et moi, je suis persuadé que les Présidents d'EPCI qui le réclameront en feront le meilleur usage, c'est-à-dire un usage conforme à l'intérêt général.
- On a tenu le même raisonnement pour le logement étudiant. Chacun sait que les bassins de vie qui ont le plus d'avenir sont ceux où se concentrent les universités, les instituts de formation, les centres de recherche.
Mais les étudiants, il faut bien les loger, et les centres-villes sont souvent beaucoup trop chers : nous le savons tous. Alors là aussi, on vous donne des responsabilités nouvelles, parce qu'on sait que vous êtes les mieux placés pour trouver des solutions à l'échelle de ces bassins de vie.
* Je vais prendre un dernier exemple : c'est celui des nouvelles technologies . Sur ce sujet, on passe son temps à dire qu'il faut aller plus loin, et plus vite. Et c'est vrai qu'on a besoin d'une meilleure couverture de notre territoire, notamment dans les zones rurales.
C'est pour cela que j'ai souhaité vous confier des responsabilités :
- vous allez pouvoir, si vous le souhaitez, devenir opérateurs de télécommunication pour accélérer l'accès au haut débit de vos territoires
- vous allez aussi pouvoir vous investir sur le sujet de la téléphonie mobile, avec le concours des opérateurs du marché.
Je n'irai pas plus loin dans cet inventaire, mais toutes ces pistes, je crois, correspondent à vos attentes. Il y a là un potentiel extrêmement riche et diversifié pour l'avenir.
Sur tous ces sujets, on vous a ouvert la porte en quelque sorte : je vous invite aujourd'hui à vous saisir de ces opportunités.
3. Quelles réponses financières ?
Dernier grand sujet d'avenir que je souhaite évoquer avec vous : c'est celui des finances. Car là encore, je sais, pour le vivre moi-même, à quel point les procédures sont compliquées. Même quand on connaît le sujet, même quand on pratique tout cela depuis des années, on reste confondu devant la lourdeur et la complexité des règles de financement.
Tout cela, je le vis, et j'en parle en toute connaissance de cause. Et je peux vous assurer que j'avais tout cela très présent à l'esprit en faisant la réforme des dotations.
Cette réforme des dotations, elle vous concerne très directement, et elle s'articule autour de trois mots-clés :
- prévisibilité
- confiance
- équité
* renforcement de la prévisibilité :
Je sais comme vous qu'il est très désagréable de ne pas prévoir d'une année sur l'autre le montant sur lequel on peut compter pour bâtir un budget prévisionnel. C'est d'autant plus pénalisant lorsque le groupement de communes se lance dans des investissements pluriannuels.
Alors pour rendre plus prévisible cette dotation, trois mesures sont prévues dès l'année prochaine pour faciliter son évaluation :
o la simplification du CIF qui est une des principales sources de variation de la dotation d'intercommunalité.
o l'augmentation du poids de la dotation de base
Actuellement la dotation de base représente 15 % de la dotation d'intercommunalité de chaque catégorie de groupement, et la dotation de péréquation 85 %. Le rééquilibrage souhaité par le CFL (passage à une proportion de 30 %-70 %) va être opéré.
o la création d'une garantie liée à l'atteinte d'un certain niveau de CIF en valeur absolue et non en valeur relative.
L'un des éléments de l'instabilité de la dotation d'intercommunalité de chaque EPCI tient au fait qu'elle dépend actuellement des données moyennes de sa catégorie. Désormais, la garantie d'une indexation favorable sera fonction d'un CIF en valeur absolue déterminé une fois pour toute et non en valeur moyenne.
=> Je pense que vos groupements bénéficieront ainsi d'une plus grande stabilité de leurs ressources et pourront travailler dans un climat de plus grande sérénité.
* Confiance :
C'est l'obsession de notre Gouvernement : restaurer la confiance avec les collectivités locales. Nous savons qu'elle a été mise à mal par toute une série de transferts non financés (APA, 35 heures), et nous savons que beaucoup disent " on ne vous croit plus ".
Ces relations de confiance, elles se concrétisent d'abord par un bon budget 2005 : la reconduction en 2005 du contrat de croissance va permettre une augmentation de 2,8 % de l'enveloppe dévolue aux collectivités locales.
La dotation d'intercommunalité s'élèvera à près de 2 milliards d'euros en 2005 : cela représente un effort très important de l'Etat envers les structures intercommunales, à un moment où on a serré les vis sur toutes les dépenses de l'Etat.
Cet effort, il convenait de le répartir le plus équitablement possible.
* Equité
Trois mesures destinées à soutenir l'intercommunalité en milieu rural :
o un rapprochement de la dotation d'intercommunalité des communautés de communes (CC) de celle des communautés d'agglomération.
- la suppression de l'écrêtement subi par les communautés de communes 4 taxes lorsque leur dotation d'intercommunalité augmentait de plus de 20 %.
o la suppression de la notion de dépenses de transferts actuellement prises en compte dans le coefficient d'intégration fiscale (CIF) pour les communautés de communes 4 taxes.
Pour en finir avec ce volet financier, j'ajouterai juste un mot sur la réforme de la taxe professionnelle. Je sais que cette réforme inquiète certains d'entre vous car elle vient s'ajouter à la réforme des dotations et aux mutations prévisibles de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères.
Sur ce terrain, ma ligne de conduite est simple : il faut préserver les finances locales en réformant de manière adaptée et progressive la taxe professionnelle. La commission Fouquet y travaille. Elle rendra ses conclusions définitives avant la fin de l'année 2004.
J'ai, pour ma part, deux volontés :
- qu'un lien fort entre le territoire et le produit de l'impôt soit maintenu ;
- et que vous conserviez des marges de manuvre pour fixer un taux.
Je crois que c'est sous ces conditions, et seulement sous ces conditions, que la réforme de la taxe professionnelle est réalisable.
Voilà l'ensemble des pistes que nous mettons en place. Elles me semblent répondre à certaines questions que nous nous posons tous, dans nos communautés.
Mais il est évident que le dialogue doit continuer, et que d'autres mutations sont à venir. L'intercommunalité est en marche, elle connaît des évolutions rapides, fortes. Et cet avenir, je vous propose de l'inventer ensemble, sur le terrain d'abord, et dans nos rencontres.
Moi, je suis naturellement à votre disposition pour vous accompagner, et pour mettre en place un groupe de travail qui réfléchisse à l'avenir. Je pense que nous avons une vraie réflexion à mener, par exemple sur la requalification juridique des communautés, sur l'évolution des principes d'exclusivité et de spécialité, ou encore sur les ressources futures des groupements.
Un acte trois de la décentralisation? Pourquoi pas ? Mais attention à l'indigestion !
Le défi aujourd'hui, il tient en trois mots-clés : compétitivité ; attractivité ; Europe.
(Source http://www.intercommunalites.com, le 29 octobre 2004)