Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à RMC le 7 janvier 2004, sur les recherches concernant des personnes liées au terrorisme, la suspension du prélèvement de la taxe professionnelle, l'indemnisation des familles des victimes de l'accident aérien de Charm-El-Cheik, la réforme du divorce, la question des fugues, enlèvements et disparitions de mineurs.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin-. Selon la chaîne de télévision américaine ABC, les polices européennes sont sur les dents, à la recherche d'un homme suspecté de liens avec Al-Qaïda, porteur d'une mini bombe. Il aurait dû embarquer sur un vol Air France à la veille de Noël, pour les Etats-Unis. Vous confirmez ?
- "Je confirme que l'on cherche quelqu'un, je ne peux pas e n dire davantage."
Donc, vous cherchez quelqu'un ?
- "Voilà."
Avec un passeport français ?
- "Ce qui est important, c'est quelqu'un qui ne prend pas l'avion et dont on ne sait pas pourquoi il ne l'a pas pris, cela mérite d'être vérifié."
Donc, vous confirmez cette information de la chaîne américaine ABC ?
- "On cherche quelqu'un."
Son nom figurait-il sur la liste de la DST ? A-t-il un casier judiciaire en France ?
- "Pas de réponse."
Bien. Donc, la seule information - mais elle est essentielle - c'est que vous cherchez quelqu'un. L'actualité encore ... et riche. Les voeux de J. Chirac. Nous avions J. Dray en ligne, tout à l'heure, qui nous disait : "J. Chirac se comporte en chef d'entreprise. Comment le croire ?". Que lui répondez-vous ?
- "La critique venant de J. Dray, sur un sujet comme celui-là, je ... bon ... je ne veux pas polémiquer. Ce qui est important, dans cette affaire, c'est quoi ? C'est que, nous savons bien qu'en 2004, si l'on veut améliorer la situation de l'emploi, c'est par une amélioration de la situation des entreprises qui vont créer des emplois. Donc, ce qui est très important dans notre stratégie créations d'emplois, pour que la France profite de la reprise économique internationale, c'est de donner aux entreprises cette opportunité de faire bénéficier aux Français de la reprise, par la création d'emplois. Et donc tout ce qui peut faciliter par exemple l'investissement, en suspendant pendant quelques mois le prélèvement de la taxe professionnelle pour favoriser l'investissement des entreprises, pour que celles-ci puissent ainsi embaucher, cela va dans le bon sens."
Mais le PS dit que ce n'est pas financé. C'est bien beau de dire qu': on veut exonérer de la taxe professionnelle sur l'investissement des entreprises, exonérations, mais comment, avec quel argent ?
- "Le taux de retour - on ne va pas faire de la technique fiscale - est très rapide. Que se passe-t-il ? Vous exonérez une taxe professionnelle, cela entraîne une augmentation de l'investissement, sur l'investissement vous payez la TVA. Cette TVA, qui va être payée, n'aurait pas existé, s'il n'y avait pas eu l'allégement de taxe professionnelle. Donc, dans une période de croissance et de reprise, on récupère très rapidement les exonérations de charges que l'on peut décider pour accélérer le processus."
Charm-El-Cheikh : l'enquête judiciaire, l'indemnisation des familles des victimes du crash. Quand seront-elles indemnisées, les familles des victimes ?
- "Mon souci dans cette affaire, c'est vraiment d'essayer de me mettre à la place, autant qu'il est possible, des familles des victimes, qui viennent de vivre quelque chose d'abominable. Certaines familles sont quasiment décimées. Il reste quelques survivants. Et donc ces familles vont être, pour certaines d'entre elles, dans des situations matérielles difficiles, car, bien souvent, ce sont les chefs de famille, ce sont ceux qui avaient les revenus de la famille qui ont disparu. Donc, des situations familiales qui, sur le plan matériel, vont encore être difficiles, et cela va s'ajouter à leur peine. Quel est le danger ? C'est que, le système d'indemnisation ne se mette en place que lorsque le jeu des responsabilités aura été complètement mis au clair. Et vous avez bien compris que, là, entre le voyagiste, le transporteur, les uns et les autres, cela va être une bataille juridique probablement assez longue. Donc, mon propos en tant que ministre de la Justice, pensant aux familles, c'est de trouver un dispositif nous permettant, au moins pour partie, d'engager le processus d'indemnisation avant que l'on y ait vu tout à fait clair sur les responsabilités."
Qu'allez-vous faire ?
- "Je vais mettre autour de la table les voyagistes, les assureurs, les représentants des familles, pour essayer d'obtenir un système non pas forfaitaire, mais une offre d'indemnisation spontanée, en mettant entre parenthèses, pour l'instant, le jeu des responsabilités, pour qu'il y ait très vite, un début d'indemnisation pour les familles."
Quand ?
- "J'espère faire cette réunion au cour de la semaine prochaine pour y voir clair."
La semaine prochaine, tout le monde autour de la table. Quelles suites judiciaires dans l'hypothèse où l'on ne retrouverait pas la boîte noire ?
- "D'abord, nous avons bon espoir de retrouver la boîte noire. Hier soir, tard, je faisais le point avec D. Bussereau, notre ministre des Transports, et il me disait qu'elle était localisée, qu'elle était effectivement assez en profondeur, qu'il nous fallait un autre robot que celui qui était sur place. On va le faire venir dans la semaine, et j'espère bien que les techniciens pourront accéder à la boîte noire le plus rapidement possible pour savoir quelles sont les causes immédiates de l'accident."
Vous parlez d'accident ? Vous écartez la thèse de l'attentat définitivement ?
- "Pour l'instant, en l'absence des boîtes noires, c'est l'hypothèse la plus probable, car il ne semble pas qu'il y ait une dispersion des débris sur la mer qui serait la preuve alors d'une explosion à l'intérieur de l'avion."
Nous allons revenir à travers nos auditeurs, sur le drame de Charm El Cheikh. Je voudrais que nous parlions maintenant de la réforme du divorce qui est en discussion au Sénat, à partir d'aujourd'hui. Ce qui devrait changer dans le projet de loi sur le divorce discuté, cet après-midi, au Sénat. Première question : sera-t-il possible de divorcer en quelques semaines en ne passant devant le juge qu'une fois ?
- "Si on est d'accord, si les demandes du couples sont d'accord et si, donc, ils peuvent divorcer par consentement mutuel, cela pourra aller assez vite. C'est-à-dire, qu'ils se présentent devant le juge, avec un projet de protocole d'accord, avec les conditions matérielles de leur divorce. Et à ce moment-là, ils ne passeront qu'une fois devant le juge au lieu de deux fois, ce qui est le cas aujourd'hui."
Est-il obligatoire d'avoir un avocat ?
- "Il est fortement conseillé d'avoir un avocat. Et lorsqu'il y a désaccord dans les procédures - par exemple pour faute - il est nécessaire d'avoir un avocat. La philosophie de ce texte : qu'est-ce que j'ai voulu faire avec ce texte, qu'est-ce que je propose ? D'abord de simplifier et ensuite, d'essayer, autant qu'il est possible, de pacifier. Un divorce, ce n'est jamais quelque chose de simple, parce qu'il y a toujours une douleur, une souffrance, chez l'un parfois plus que chez l'autre. Mais de toute façon, c'est une souffrance. Donc, de quoi est-il question avec ce texte ? D'abord, c'est de ne pas faire durer cette souffrance, ni pour le couple, ni pour les enfants lorsqu'il y en a. Car, on sait que, lorsque cela dure trois, quatre, cinq ans, c'est une douleur continue et cela ne fait qu'aggraver les choses. La deuxième chose à laquelle je crois très fort, c'est la possibilité, en pacifiant, de rendre possible le redémarrage dans la vie. Ce que je souhaite c'est que, chacun des deux personnes qui constatent, pour des raisons diverses - ce n'est pas le sujet - qu'elles ne peuvent plus vivre ensemble, il faut qu'elles puissent reconstruire leur vie. Pour cela, il faut que cette période de divorce ne soit pas ce combat abominable où l'on cherche la faute, pour essayer en quelque sorte de faire condamner l'autre. Il faut donc vraiment dédramatiser. Je crois que le texte devrait nous permettre d'arriver à cet objectif."
[Deuxième partie - 8h45]
A propos de cette réforme du divorce en discussion au Sénat, le divorce pour faute est-il maintenu ?
- "Oui, il est maintenu, mais nous voulons qu'il y ait un lien moins fort entre l'importance de la faute et les conséquences financières que jusqu'ici on en tirait. En effet, je ne veux plus qu'on cherche la faute, qu'on fasse par exemple appel à un détective privé, en se disant "je vais récupérer de l'argent". C'est cela que nous essayons de couper dans le texte. Mais je ne peux pas être à la fois le garde des Sceaux qui constate l'importance dans notre pays, avec effarement, des violences conjugales, et être en même temps celui qui fait disparaître le divorce pour faute."
Faudra-t-il être séparé de son conjoint non fautif pendant deux ans pour obtenir le divorce, même s'il n'est pas d'accord ?
- "Aujourd'hui, c'est six ans et le projet prévoit de ramener ce délai à deux ans."
Est-ce que cette réforme permet à l'un des conjoints d'imposer le divorce à l'autre, sur simple demande, même contre son gré ?
- "D'une certaine façon, oui, mais il y a jugement, c'est-à-dire que l'on passe devant le juge, qui constatant la disparition de la vie commune pendant un temps suffisant, prononce le divorce, mais alors évidemment avec des conséquences financières, d'aides alimentaires, de prestations compensatoires permettant à l'autre personne de continuer à vivre dans des conditions acceptables."
L'époux ou l'épouse qui a dissimulé sciemment l'existence d'une dette commune pendant le mariage devra-t-il l'assumer seul ?
- "Il faudra qu'il l'assume. On n'est d'ailleurs plus tout à fait dans le divorce, on est dans un conflit à caractère civil classique."
Est-ce que le juge du divorce sera également celui de la liquidation et du partage ?
- "Il devra préparer la liquidation et le partage effectivement, car un des objets du texte est de faciliter cette liquidation et ce partage."
Sur la prestation compensatoire, qu'est-ce qui va changer ?
- "Sur la prestation compensatoire, ce qui change, c'est essentiellement en cas de décès du débiteur, c'est-à-dire si celui qui devait payer cette prestation compensatoire meurt. Aujourd'hui, quelle que soit sa succession, ses héritiers doivent continuer à assumer la prestation compensatoire, ce qui aboutit parfois à des situations familiales d'une injustice criante. Donc, là, cette obligation sera limitée à ce qui reste dans la succession, c'est-à-dire ceux qu'on appelle "l'actif successoral"."
Il y aura tout à l'heure la publication du rapport sur les fugues, les enlèvements et les disparitions de mineurs. 33.670 mineurs déclarés en fugue en 2002 : dans 23 % des cas, on retrouve les mineurs fugueurs dans les 24 heures, 30 % après 48 heures. Il y a presque un an jour pour jour, disparaissait Estelle Mouzin. L'enquête n'avance pas beaucoup. Ce cas très médiatisé n'est pas rare, des familles modestes n'ont pas forcément accès au savoir et aux moyens pour faire connaître leur histoire. On a beaucoup parlé du cas d'Estelle Mouzin, il était nécessaire d'en parler, mais il y a d'autres disparitions d'enfants dont on parle moins. Que préconise ce rapport ?
- "D'abord, ce rapport permet d'y voir clair, sur un sujet qui était très mal connu. Et en mai dernier, j'ai demande à une équipe de gens connaissant bien ces sujets de se mettre ensemble, avec, s'agissant de la justice, les services des affaires criminelles, pour y voir clair. Et aujourd'hui, on s'aperçoit que c'est près de 60.000 jeunes qui sont concernés par des fugues ou des disparitions temporaires, une grande diversité de situations. Il y a donc la nécessité d'accompagner les familles et de rendre possible le retour du jeune dans les meilleurs conditions possibles, y compris avec un accompagnement social. Je prends l'exemple de quelque chose que les associations souhaitent beaucoup : c'est de mettre en place un numéro Azur, un téléphone à la disposition des parents pour qu'ils puissent, à travers ce dispositif téléphonique, avoir des informations et, si le jeune est d'accord, arriver à rentrer en contact indirect ainsi avec ce dispositif téléphonique ..."
Pour que tout le monde soit logé à la même enseigne...
- "Exactement."
Il y a aussi l'installation d'un site internet, avec photos des mineurs recherchés ?
- "C'est également pour faciliter la redécouverte du jeune, pour que tout un chacun puisse éventuellement participer à sa recherche et ainsi aider la famille à le retrouver."
A propos de l'audition du docteur Chaussoy et de M. Humbert, la semaine prochaine, après le décès de V. Humbert, vous vous étiez engagé à ce que M. Humbert ne soit pas trop bousculée. Est-ce que vous allez suivre personnellement ce dossier ?
- "J'ai suivi ce dossier dans sa phase d'enquête préliminaire, c'est-à-dire tant qu'elle était sous l'autorité du procureur de la République, et j'avais demandé à l'époque au procureur de montrer que la justice pouvait, sans mettre de côté la responsabilité pénale, faire les choses avec beaucoup d'humanité, compte tenu de la souffrance qu'exprimait cette mère. Ensuite, le dossier a été transmis à un juge d'instruction - c'est donc la phase actuelle -, qui fait son travail et qui, comme vous le savez, est un juge totalement indépendant. Donc il ne m'appartient plus de donner quelque orientation que ce soit à ce magistrat. Ce que cette affaire révèle, c'est la grande difficulté de traiter avec la loi, telle qu'elle est, l'ensemble des cas qui nous sont présentés. Dans cette affaire, sans vouloir aller plus loin, puisqu'elle est en cours de traitement judiciaire, la question va être de savoir quelle est la part de responsabilité de la mère, quelle est la part de responsabilité des médecins, comment ils ont agi et comment on se situe : vous savez que la loi française permet de ne pas faire d'acharnement thérapeutique, c'est-à-dire que lorsque plus rien n'est possible, plus rien n'est rien utile, l'idée est d'éviter des souffrances supplémentaires. Par contre, la loi ne permet pas de mettre activement fin à la vie d'un homme. Je crois que ça, c'est un point très important, car au fond, la question qui se pose, pour dire les choses le plus simplement possible, c'est qu'un homme ou une femme malade, dans des conditions très graves et qui a du mal à s'exprimer, il ne faut qu'il doute de l'attitude des médecins qui l'entourent. C'est vraiment cela ma conviction : il ne faut pas qu'un jour, un homme malade ne pouvant plus s'exprimer, s'interroge pour savoir, lorsqu'il entend le médecin s'approcher de son lit, si ce médecin vient pour le soigner ou bien pour le tuer. Je le dis avec gravité. Au fond, c'est cela la grande interrogation. Donc, sur l'euthanasie, sans doute il faudra améliorer la loi. Mais attention de ne pas basculer dans un monde abominable, qui ferait que tout malade pourrait douter."
Comment améliorer la loi ?
- "J'ai entamé toute une série de conversations avec beaucoup de gens - médecins, philosophes..."
Vous allez améliorer la loi ?
- "Je réfléchis à la possibilité de le faire. Et ma réponse aujourd'hui, je ne l'ai pas, parce que je veux faire un travail extrêmement approfondi, parce que j'ai le sentiment de travailler, là, sur un sujet d'une telle importance - on touche à la vie et à la mort, il faut donc être extraordinairement prudent. Mais en même temps, je suis bien conscient des souffrances que l'on observe et qui aujourd'hui ne trouvent pas de réponse dans la loi. Or, la justice, qu'est-ce que cela doit être ? Cela doit être de trouver les réponses juridiques aux souffrances des hommes. Et c'est ça, le travail que je veux faire. Et c'est pour cela que je travaille sur le sujet, pourtant bien difficile."
[La suite consacrée aux questions des auditeurs.]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 janvier 2004)