Texte intégral
QUESTION : Les jeunes sont attirés par la fonction publique, tout en ayant une assez mauvaise connaissance des métiers qu'elle recouvre. A quoi tient, selon vous, ce paradoxe ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : D'une manière générale, les jeunes connaissent mal les métiers de la fonction publique. Cela tient, me semble-t-il, à notre système scolaire, peu ouvert sur le monde professionnel. L'abondante documentation abstraite que l'on trouve dans les centres d'orientation est loin de satisfaire la curiosité des jeunes, qui veulent du "concret". Une ouverture plus large du système scolaire sur les métiers serait bénéfique.
En tant que secrétaire d'État aux PME, j'avais proposé au ministre de l'Éducation nationale que, de la sixième à la troisième, chaque élève bénéficie de dix jours de découverte pratique des métiers, en effectuant une sorte de mini-stage. Aujourd'hui, il faudrait rendre cette mesure obligatoire. Par ailleurs, pour beaucoup de jeunes, le concours administratif apparaît comme un parcours du combattant, survalorisant les connaissances académiques, pas toujours en rapport avec les exigences du métier
QUESTION : A vous entendre, le concours n'est plus adapté aux défis de la fonction publique
Renaud DUTREIL (Réponse) : Je suis attaché au principe d'égal accès aux emplois publics posé par l'article 6 de la Déclaration de 1789. Ce principe, qui a engendré le recrutement par concours, doit être appliqué. Or, on constate que les enfants de certaines catégories sociales sont écartés de la fonction publique. Les chances pour un enfant d'ouvrier, d'employé, d'artisan, de commerçant, d'inactif d'accéder à un emploi public sont beaucoup plus faibles que celles d'un enfant d'enseignant ou de cadre supérieur. Pourquoi ? À cause d'une sélection exclusivement fondée sur le savoir scolaire. Du coup, cela engendre une inégalité " socio-culturelle ". Et l'on voit les diplômés de l'enseignement supérieur prendre près d'un tiers des postes des concours de catégorie C, qui sont normalement destinés à des élèves de niveau CAP ou BEP.
Bien sûr, il faut souhaiter une élévation générale du niveau scolaire, mais cela ne doit pas masquer l'injustice actuelle. La fonction publique ne doit pas être réservée à une minorité privilégiée par sa maîtrise du savoir, elle doit être ouverte à tous.
Si le système du concours exclut de la fonction publique un certain nombre de jeunes, s'il sélectionne sur des savoirs académiques abstraits, alors que ces connaissances ne sont pas justifiées par les emplois offerts, alors il faut repenser les concours, imaginer d'autres voies d'accès! C'est pour cela que j'ai proposé le Pacte - parcours d'accès aux carrières de la territoriale et de l'État.
QUESTION : Vous proposez de rendre la fonction publique accessible, par des formations en alternance, aux jeunes sans qualification et aux seniors. Pouvez-vous nous donner des précisions ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Qu'ils soient baptisés "contrats de métier" ou "Pacte", ces nouveaux parcours doivent déboucher sur des emplois de titulaires dans toutes les fonctions publiques. Je souhaite les offrir aux jeunes de moins de 26 ans qui rencontrent des difficultés d'insertion dans le monde du travail parce qu'ils ont un défaut de qualification professionnelle - ce qui ne signifie pas qu'ils n'ont aucun diplôme. Cette voie mènera aux emplois de catégorie C et, éventuellement, B. Pour les emplois de catégorie A, le "savoir académique" est probablement souhaitable.
Après un bilan de compétence, le jeune pourrait suivre un parcours de formation qualifiante, qui se terminerait par un examen, un diplôme et une titularisation. On voit bien l'avantage: une formation en alternance dirigée par un tuteur, un parcours sur mesure, une durée d'insertion qui varierait en fonction du métier, dans une fourchette de un à deux ans. Il s'agit simplement de permettre aux capacités, aux compétences, aux mérites, que le système académique n'a pas permis de repérer, d'être reconnus par la fonction publique.
QUESTION : Comment allez-vous vous assurer que les collectivités locales prennent toute leur place dans ce nouveau mode d'accès à la fonction publique ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Les collectivités doivent jouer leur rôle d'intégration républicaine. Certains jeunes sont rejetés parce qu'ils ont été victimes d'un parcours discriminant, parfois chaotique. Faut-il mettre en place des quotas pour veiller à ce que les collectivités recrutent des jeunes par cette voie? On peut l'imaginer. S'agissant des emplois-jeunes, le système était un piège, car il n'y avait ni formation ni titularisation à la clé. Le Pacte sera beaucoup plus attractif. Je crois que les nouveaux exécutifs régionaux, qui ont affiché des ambitions fortes en matière d'emploi public et d'intégration des jeunes en difficulté, trouveront là un outil moderne et efficace.
QUESTION : Comment seront financés ces contrats ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Nous réfléchissons actuellement à leur financement. Je ne veux rien annoncer avant la concertation avec les syndicats sur ce sujet. L'Etat consacre près de 7,5 % de sa masse salariale à la formation, c'est considérable! La question est de savoir si l'État dépense cet argent de façon optimale. Un audit est sans doute nécessaire, qui nous devrait nous permettre de dégager des financements.
QUESTION : Mais les collectivités locales sont tenues, elles, de consacrer 1 % seulement de leur masse salariale à la formation
Renaud DUTREIL (Réponse) : Nous allons ouvrir une négociation sur la formation avec les organisations syndicales. Dans le secteur privé, l'accord du 20 septembre 2003 a conduit les employeurs à dégager des ressources pour former leurs salariés. Il n'y a aucune raison pour que les employeurs publics se tiennent à l'écart de ce mouvement. On verra si les discussions permettent d'aller jusqu'à ce droit individuel à la formation avec un volet pour les -contrats de métier. La fonction publique doit construire son volet contrat de qualification-apprentissage, en plus de son volet formation tout au long de la vie.
QUESTION : Un projet de loi de modernisation de la fonction publique est en cours d'élaboration depuis plus d'un an.
Vous avez annoncé votre intention de poursuivre le chantier, en étoffant le projet élaboré par votre prédécesseur. Qu'allez-vous y ajouter ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Je souhaite que cette loi puisse moderniser la fonction publique, dont les règles sont devenues une source de -contraintes pour les agents. Cette loi sera le pendant de la LOLF (*) pour le Budget de l'Etat. Elle reposera sur deux valeurs fondamentales de notre République: la liberté et l'égalité. Plus de liberté pour les agents, par une refonte du labyrinthe des corps (plus de 900), qui les enferme, entrave leur mobilité et complique la gestion de leur carrière. Plus de liberté passe aussi par le développement de la formation tout au long de la vie. Sur ce point, les discussions sont bien avancées dans la territoriale Quant à l'égalité, nous devons la promouvoir en ouvrant plus largement l'accès à la fonction publique. Le Pacte devrait donc trouver toute sa place dans cette loi, et connaître une déclinaison pour l'insertion des seniors, grâce à la validation des acquis de l'expérience.
QUESTION : Concernant la FPT, les discussions achoppaient sur l'organisation des institutions qui gèrent l'emploi territorial. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Il y a eu un excellent travail de préparation du volet FPT de la loi de modernisation. Un certain nombre de propositions sont de nature consensuelle, je les reprends à mon compte. En revanche, le volet institutionnel me laisse un peu perplexe. Je ne souhaite pas créer de systèmes trop lourds, trop complexes Je n'ai pas écarté l'idée d'un établissement public unique mais, selon moi, la création de nouvelles institutions doit toujours être méditée.
QUESTION : Que pensez-vous des contrats à durée indéterminée dans la fonction publique ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Il est d'abord nécessaire de transposer la directive européenne de 1999, c'est-à-dire empêcher qu'au bout de trois ans on ne reconduise systématiquement des CDD. C'est un vrai paradoxe de la fonction publique d'avoir développé à ce point des emplois précaires. Ce système remet d'ailleurs en cause les emplois statutaires, en termes de mobilité et de réaffectation des ressources. Si ces dérives ont eu lieu, c'est que les modes de recrutement classiques ne parvenaient pas à répondre aux besoins. Il n'y a jamais de problème insoluble, seulement des problèmes mal posés. Je veux ancrer la fonction publique française dans la modernité, dans l'égalité, dans la liberté!
Propos recueillis par Emmanuelle Piriot et Frédéric Valletoux, dans La Gazette des Communes
(Source http://www.emploipublic.com, le 6 septembre 2004)
Renaud DUTREIL (Réponse) : D'une manière générale, les jeunes connaissent mal les métiers de la fonction publique. Cela tient, me semble-t-il, à notre système scolaire, peu ouvert sur le monde professionnel. L'abondante documentation abstraite que l'on trouve dans les centres d'orientation est loin de satisfaire la curiosité des jeunes, qui veulent du "concret". Une ouverture plus large du système scolaire sur les métiers serait bénéfique.
En tant que secrétaire d'État aux PME, j'avais proposé au ministre de l'Éducation nationale que, de la sixième à la troisième, chaque élève bénéficie de dix jours de découverte pratique des métiers, en effectuant une sorte de mini-stage. Aujourd'hui, il faudrait rendre cette mesure obligatoire. Par ailleurs, pour beaucoup de jeunes, le concours administratif apparaît comme un parcours du combattant, survalorisant les connaissances académiques, pas toujours en rapport avec les exigences du métier
QUESTION : A vous entendre, le concours n'est plus adapté aux défis de la fonction publique
Renaud DUTREIL (Réponse) : Je suis attaché au principe d'égal accès aux emplois publics posé par l'article 6 de la Déclaration de 1789. Ce principe, qui a engendré le recrutement par concours, doit être appliqué. Or, on constate que les enfants de certaines catégories sociales sont écartés de la fonction publique. Les chances pour un enfant d'ouvrier, d'employé, d'artisan, de commerçant, d'inactif d'accéder à un emploi public sont beaucoup plus faibles que celles d'un enfant d'enseignant ou de cadre supérieur. Pourquoi ? À cause d'une sélection exclusivement fondée sur le savoir scolaire. Du coup, cela engendre une inégalité " socio-culturelle ". Et l'on voit les diplômés de l'enseignement supérieur prendre près d'un tiers des postes des concours de catégorie C, qui sont normalement destinés à des élèves de niveau CAP ou BEP.
Bien sûr, il faut souhaiter une élévation générale du niveau scolaire, mais cela ne doit pas masquer l'injustice actuelle. La fonction publique ne doit pas être réservée à une minorité privilégiée par sa maîtrise du savoir, elle doit être ouverte à tous.
Si le système du concours exclut de la fonction publique un certain nombre de jeunes, s'il sélectionne sur des savoirs académiques abstraits, alors que ces connaissances ne sont pas justifiées par les emplois offerts, alors il faut repenser les concours, imaginer d'autres voies d'accès! C'est pour cela que j'ai proposé le Pacte - parcours d'accès aux carrières de la territoriale et de l'État.
QUESTION : Vous proposez de rendre la fonction publique accessible, par des formations en alternance, aux jeunes sans qualification et aux seniors. Pouvez-vous nous donner des précisions ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Qu'ils soient baptisés "contrats de métier" ou "Pacte", ces nouveaux parcours doivent déboucher sur des emplois de titulaires dans toutes les fonctions publiques. Je souhaite les offrir aux jeunes de moins de 26 ans qui rencontrent des difficultés d'insertion dans le monde du travail parce qu'ils ont un défaut de qualification professionnelle - ce qui ne signifie pas qu'ils n'ont aucun diplôme. Cette voie mènera aux emplois de catégorie C et, éventuellement, B. Pour les emplois de catégorie A, le "savoir académique" est probablement souhaitable.
Après un bilan de compétence, le jeune pourrait suivre un parcours de formation qualifiante, qui se terminerait par un examen, un diplôme et une titularisation. On voit bien l'avantage: une formation en alternance dirigée par un tuteur, un parcours sur mesure, une durée d'insertion qui varierait en fonction du métier, dans une fourchette de un à deux ans. Il s'agit simplement de permettre aux capacités, aux compétences, aux mérites, que le système académique n'a pas permis de repérer, d'être reconnus par la fonction publique.
QUESTION : Comment allez-vous vous assurer que les collectivités locales prennent toute leur place dans ce nouveau mode d'accès à la fonction publique ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Les collectivités doivent jouer leur rôle d'intégration républicaine. Certains jeunes sont rejetés parce qu'ils ont été victimes d'un parcours discriminant, parfois chaotique. Faut-il mettre en place des quotas pour veiller à ce que les collectivités recrutent des jeunes par cette voie? On peut l'imaginer. S'agissant des emplois-jeunes, le système était un piège, car il n'y avait ni formation ni titularisation à la clé. Le Pacte sera beaucoup plus attractif. Je crois que les nouveaux exécutifs régionaux, qui ont affiché des ambitions fortes en matière d'emploi public et d'intégration des jeunes en difficulté, trouveront là un outil moderne et efficace.
QUESTION : Comment seront financés ces contrats ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Nous réfléchissons actuellement à leur financement. Je ne veux rien annoncer avant la concertation avec les syndicats sur ce sujet. L'Etat consacre près de 7,5 % de sa masse salariale à la formation, c'est considérable! La question est de savoir si l'État dépense cet argent de façon optimale. Un audit est sans doute nécessaire, qui nous devrait nous permettre de dégager des financements.
QUESTION : Mais les collectivités locales sont tenues, elles, de consacrer 1 % seulement de leur masse salariale à la formation
Renaud DUTREIL (Réponse) : Nous allons ouvrir une négociation sur la formation avec les organisations syndicales. Dans le secteur privé, l'accord du 20 septembre 2003 a conduit les employeurs à dégager des ressources pour former leurs salariés. Il n'y a aucune raison pour que les employeurs publics se tiennent à l'écart de ce mouvement. On verra si les discussions permettent d'aller jusqu'à ce droit individuel à la formation avec un volet pour les -contrats de métier. La fonction publique doit construire son volet contrat de qualification-apprentissage, en plus de son volet formation tout au long de la vie.
QUESTION : Un projet de loi de modernisation de la fonction publique est en cours d'élaboration depuis plus d'un an.
Vous avez annoncé votre intention de poursuivre le chantier, en étoffant le projet élaboré par votre prédécesseur. Qu'allez-vous y ajouter ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Je souhaite que cette loi puisse moderniser la fonction publique, dont les règles sont devenues une source de -contraintes pour les agents. Cette loi sera le pendant de la LOLF (*) pour le Budget de l'Etat. Elle reposera sur deux valeurs fondamentales de notre République: la liberté et l'égalité. Plus de liberté pour les agents, par une refonte du labyrinthe des corps (plus de 900), qui les enferme, entrave leur mobilité et complique la gestion de leur carrière. Plus de liberté passe aussi par le développement de la formation tout au long de la vie. Sur ce point, les discussions sont bien avancées dans la territoriale Quant à l'égalité, nous devons la promouvoir en ouvrant plus largement l'accès à la fonction publique. Le Pacte devrait donc trouver toute sa place dans cette loi, et connaître une déclinaison pour l'insertion des seniors, grâce à la validation des acquis de l'expérience.
QUESTION : Concernant la FPT, les discussions achoppaient sur l'organisation des institutions qui gèrent l'emploi territorial. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Il y a eu un excellent travail de préparation du volet FPT de la loi de modernisation. Un certain nombre de propositions sont de nature consensuelle, je les reprends à mon compte. En revanche, le volet institutionnel me laisse un peu perplexe. Je ne souhaite pas créer de systèmes trop lourds, trop complexes Je n'ai pas écarté l'idée d'un établissement public unique mais, selon moi, la création de nouvelles institutions doit toujours être méditée.
QUESTION : Que pensez-vous des contrats à durée indéterminée dans la fonction publique ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Il est d'abord nécessaire de transposer la directive européenne de 1999, c'est-à-dire empêcher qu'au bout de trois ans on ne reconduise systématiquement des CDD. C'est un vrai paradoxe de la fonction publique d'avoir développé à ce point des emplois précaires. Ce système remet d'ailleurs en cause les emplois statutaires, en termes de mobilité et de réaffectation des ressources. Si ces dérives ont eu lieu, c'est que les modes de recrutement classiques ne parvenaient pas à répondre aux besoins. Il n'y a jamais de problème insoluble, seulement des problèmes mal posés. Je veux ancrer la fonction publique française dans la modernité, dans l'égalité, dans la liberté!
Propos recueillis par Emmanuelle Piriot et Frédéric Valletoux, dans La Gazette des Communes
(Source http://www.emploipublic.com, le 6 septembre 2004)