Interview de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, à France inter le 5 janvier 2004, sur la catastrophe aérienne de Charm El Cheikh, les cérémonies de recueillement et les normes de sécurité des avions.

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Circonstance : Crash du boeing 737 de la compagnie charter égyptienne Flash Airlines le 3 janvier 2004 à Charm El Cheikh (Egypte) causant la mort de 133 Français

Média : France Inter

Texte intégral

Q - Alors justement, on sait maintenant que les familles des victimes vont arriver à Charm El Cheikh mercredi. Comment va s'organiser l'accueil de ces proches, parce que cela va être un moment extrêmement difficile ? Comment va-t-on organiser cela ?
R - C'est ce que l'on a essayé de commencer à préparer hier. Il y aura de toute façon l'arrivée mercredi soir et le départ jeudi et nous comptons dans la journée de jeudi organiser deux manifestations : une manifestation de recueillement en mer, sur le site ; je pense que cela sera un moment très intense mais nous souhaitons que la dignité soit toujours présente parce que la pression médiatique et l'émotion sont énormes et difficiles à gérer. Et puis nous sommes sur un territoire de vacances et donc ce travail de deuil, absolument nécessaire, est difficile à faire dans de telles circonstances. Il y aura une autre manifestation, une chapelle ardente, à terre, parce que nous estimons que c'est de là que l'on peut reconstruire ; elle se trouvera sur un site choisi, avec une vue sur la mer à l'endroit où il y a eu pour ces familles la disparition des êtres aimés, pour qu'il y ait ce travail de recueillement et de dignité nécessaire pour leur reconstruction personnelle.
Q - Quelle est l'atmosphère en ce moment à Charm El Cheikh, station balnéaire très connue ? Vous étiez là-bas encore hier. Est-ce que les touristes qui sont là-bas sont sous le choc ?
R - Les touristes sont globalement isolés dans leur hôtel et ils ne savent pas ou peu ce qui se passe. Je sens quand même un flottement quand, à l'aéroport, je croise ces touristes, pendant que eux sont en t-shirt et en jeans, alors que je suis en costume-cravate et que l'ambiance n'est bien entendu pas la même. Il y a un choc entre deux mondes : celui qui est en vacances et qui est heureux et celui qui pleure et qui souffre.
Q - Je rappelle, Renaud Muselier, que vous êtes secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Que savez-vous ce matin sur l'enquête qui est menée sur l'origine de cet accident ? Ecarte-t-on totalement, définitivement, l'hypothèse d'un attentat ?
R - Quand il arrive ce genre d'accident, c'est la première question. S'agit-il ou pas d'un attentat ? Avant de répondre que c'est un accident, beaucoup d'éléments témoignent en faveur de cette thèse. On dira cela une fois que l'on aura les boîtes noires. Mais par rapport aux témoins oculaires, par rapport à l'organisation de l'aviation civile égyptienne sur les radars, par rapport à toutes les informations que nous avons, à l'analyse et quand on voit les corps, on se rend bien compte que là, il y a eu un accident majeur. Quelles sont les causes de cet accident majeur ? L'enquête est menée au niveau de l'aviation internationale, de l'aviation civile française et des normes qu'il faut toujours respecter. Y a-t-il eu une erreur, un manquement au respect de la législation ? Il est sûr que pour l'avenir, compte tenu de l'importance des transports aériens à travers le monde, il faut que la sécurité soit maximale et que personne ne puisse tricher sur ces normes de sécurité.
Q - Ce matin, dans la presse, on lit qu'il y a une polémique qui est en train de naître sur la qualité de ces vols charter. Assurent-ils la même sécurité que les vols réguliers ? Pensez-vous que dans ce domaine il faudrait peut-être essayer d'enquêter et peut-être de modifier certains fonctionnement ? On sait qu'il y des règles de sécurité minimum qui sont respectées mais que certaines compagnies plus riches exigent des normes de sécurité beaucoup plus élevées. Il y aurait donc deux vitesses, deux poids, deux mesures ?
R - Il y a des normes de sécurité internationales qui sont fixées. Elles se doivent d'être respectées. A partir de ce moment-là, les enquêtes montreront ce qu'il y a à faire et les mesures qui doivent être prises s'il y a eu manquement au respect de ces règles.
Q - Vous souhaitez que des enquêtes approfondies soient menées dans ce domaine ?
R - Nous avons l'absolue nécessité de donner des réponses aux causes de cet accident, aux questions qu'a posées cet accident. Ces réponses doivent être d'une clarté et d'une transparence totales de façon à ce qu'il n'y ait pas de doutes ni de polémiques, pour que l'on puisse assurer la sérénité dans un déplacement quel qu'il soit, parce qu'il y a des gens qui préfèrent voyager en première classe et d'autres qui n'en ont pas les moyens. On voit bien, dans la catastrophe, qu'il y a toute la société française qui est dans cet avion, du professeur de médecine au maire en passant par des gens d'origine très modeste qui sont là pour les vacances. Ils sont tous ensemble, c'est la France, ce sont les diversités de notre pays qui étaient dans cet avion et c'est pour cela que nous avons tous un malaise très profond parce que nous sommes tous touchés, on a l'impression que c'est quelqu'un de notre famille qui est dans cet avion et donc il faut que l'on ait des réponses claires, nettes et précises pour qu'il y ait une transparence totale.
Q - Vous avez évoqué, là-bas, en Egypte, avec les responsables égyptiens, le passé de cette compagnie Flash Airlines qui a quand même eu quelques problèmes : une interdiction de survol de la Suisse, deux avions qui ont dû se poser en catastrophe ces dernières années sur les aéroports d'Athènes et de Genève. Ce matin, on s'interroge beaucoup sur le sérieux de cette compagnie ?
R - Pour rencontrer les autorités égyptiennes, je suis arrivé, à la demande du président de la République et du Premier ministre, immédiatement après l'accident. Notre problème essentiel était l'organisation des recherches, les moyens techniques et humains à mettre à disposition, coordonner les équipes civiles et militaires des deux pays, être opérationnels et efficaces immédiatement. C'était notre souci essentiel et programmer la suite dans la semaine qui vient pour l'accueil des familles. Cela a été le sens de mon travail là-bas, qui n'était pas de mener l'enquête. Il y a d'autres personnes dont c'est le domaine de compétence, ou des techniciens qui apporteront les réponses là-dessus.
Q - Est-ce que la course au rendement dans le transport aérien n'entraîne pas finalement quelquefois certaines libertés avec la sécurité qui doit être assurée au maximum, pour tous les passagers, pour nos compatriotes français qui voyagent et qui utilisent beaucoup les charters ?
R - C'est une question sous forme d'affirmation. Ce que je peux vous répondre en tout cas, c'est que la sécurité doit primer quoi qu'il arrive sur le rendement
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 janvier 2004)