Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, sur le projet de loi sur la modernisation des grands aéroports français visant à conforter leur mission de service public tout en les dotant de structures renforçant leur efficacité, Paris le 9 novembre 2004.

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Circonstance : Présentation du projet de loi de modernisation aéroportuaire au Sénat à Paris le 9 novembre 2004

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui constitue, pour les grands aéroports français, la première réforme législative d'importance depuis plus de cinquante ans.
Il a pour ambition de conforter les missions de service public confiées aux aéroports tout en les dotant de structures modernes comparables aux autres grands aéroports européens. Il s'agit de leur donner les moyens de leur développement sans méconnaître les spécificités historiques d'ADP et des grands aéroports régionaux.
Ceci représente une avancée déterminante pour le secteur des aéroports et du transport aérien. L'aviation commerciale joue en effet un rôle irremplaçable dans la compétitivité de l'économie nationale, dans l'attractivité de la France, et dans l'aménagement de notre territoire. Les aéroports français, dans un cadre d'exploitation quasiment inchangé depuis la seconde guerre mondiale, ont assuré de manière performante le support de la très forte croissance dont a bénéficié ce mode de transport.
Depuis 15 ans, le secteur du transport aérien a connu de profondes mutations, accélérées par la crise profonde qu'il connaît depuis maintenant 3 ans.
Nombre de compagnies aériennes sont devenues privées et un mouvement de concentration s'amorce. Le plus bel exemple est la fusion d'Air France avec KLM, intervenue au printemps dernier, qui a donné naissance au premier transporteur aérien mondial.
Les transporteurs aériens expriment aujourd'hui de nouveaux besoins vis-à-vis des
grandes plates-formes aéroportuaires, en termes d'efficacité, de réactivité et de qualité
de service aux clients. C'est une préoccupation que je partage pleinement en tant que
ministre des Transport, mais aussi comme ministre du Tourisme. Pour revenir aux compagnies, Air France-KLM met au cur de sa stratégie sa plate-forme de correspondances de Paris-Charles-de-Gaulle. L'exploitation des grands aéroports a, elle aussi, progressivement changé de nature. Elle est devenue une activité économique à part entière, intégrant, aux côtés du service public, de nombreux métiers comme les activités commerciales et immobilières ou l'ingénierie.
Les aéroports sont ainsi devenus des pôles d'emploi considérables dans les régions qu'ils desservent. Logiquement donc, les grands aéroports, un peu partout en Europe et dans le monde, ont vu leur mode de gestion évoluer et s'ouvrir notamment vers le secteur privé. Ainsi, deux exploitants d'aéroports majeurs en Europe ont vu leur capital ouvert à des actionnaires privés : en 1997, B.A.A., le plus grand opérateur aéroportuaire en Europe qui gère 4 aéroports londoniens, et en 2001, FRAPORT, qui gère l'aéroport de Francfort. Un troisième, l'aéroport d'Amsterdam-SCHIPOL, devrait l'être prochainement.
Il me paraît donc essentiel qu'en France également nous nous attachions à moderniser le statut de nos aéroports.
Aéroports de Paris, en premier lieu. Cet établissement public, créé en 1945, gère les aéroports d'Île-de-France, notamment ceux de Roissy et d'Orly. Il se positionne aujourd'hui comme l'un des premiers opérateurs aéroportuaires mondiaux, avec un trafic annuel de plus de 70 millions de passagers et de près de 1,8 million de tonnes de fret. Aéroports de Paris, qui réalise un chiffre d'affaires de 1,7 milliard d'euros, emploie directement plus de 8 000 personnes et investit actuellement plus de 500 millions d'euros par an.
Le statut actuel n'est plus adapté :
- Peu compatible avec l'exercice d'activités concurrentielles, il freine les possibilités de développement de l'entreprise, notamment à l'international, et sa capacité à nouer des partenariats.
- Son statut interdit de fait certaines voies de financement des investissements, alors qu'Aéroports de Paris doit faire face à un important programme pour améliorer ses capacités d'accueil.
Le Gouvernement propose ainsi de passer du statut d'établissement public à celui de société anonyme, cohérent avec la nature d'entreprise d'Aéroports de Paris.
Ce changement permettra à Aéroports de Paris de mieux exercer ses missions, en progressant en matière de réactivité et de responsabilité vis-à-vis de des transporteurs aériens, des passagers, des riverains et des pouvoirs publics.
De manière plus précise, la réforme prévoit la continuité de la personne morale Aéroports de Paris ainsi que le maintien de son autorisation légale d'exploiter les
aéroports franciliens.
Elle prévoit également la continuité du régime applicable au personnel d'Aéroports de Paris, assujettis à un statut réglementaire.
S'agissant du régime de domanialité, le Gouvernement a choisi de proposer un régime de domanialité privée, où l'ensemble des biens aéroportuaires serait la propriété de la société Aéroports de Paris. Je rappelle que la plus grande partie des emprises et la totalité des installations aéroportuaires sont aujourd'hui la propriété de l'établissement public, qui en a financé l'achat et la réalisation. La solution de la domanialité privée préserve l'intégrité de l'entreprise, à laquelle les personnels sont légitimement attachés ; elle donne en outre à ADP une meilleure maîtrise du développement de ses activités. L'autre solution, fondée sur la domanialité publique où les biens restent propriété de l'État, aurait posé des difficultés de mise en uvre et aurait affecté l'intérêt de la réforme.
Cette évolution est naturellement assortie de nombreuses garanties qui confortent la bonne exécution des missions de service public et la protection des intérêts patrimoniaux de l'État :
- Tout d'abord, sont exclus du déclassement, et reviennent dans le domaine public de l'État, les biens nécessaires à l'accomplissement par l'État ou ses établissements publics de leurs missions, principalement les installations de navigation aérienne.
- Par ailleurs, l'affectation au service public des biens indispensables à l'exploitation aéroportuaire est garantie par un contrôle de l'État sur tout projet d'aliénation les concernant. Il s'agit, notamment, des pistes, des voies de circulation et des aires de stationnement destinées aux aéronefs, des aérogares de passagers, des installations de stockage de carburant, des différents réseaux, ainsi que les terrains d'assiette de ces installations.
- Un cahier des charges détaillé, approuvé par décret, définira précisément les obligations de la société et les conditions d'exercice, par l'État, de ses propres missions sur les aéroports, notamment l'exercice du pouvoir de police.
- L'entreprise sera en outre soumise à toutes les obligations générales applicables aux exploitants d'aéroports, notamment en matière de sécurité, de sûreté et de préservation de l'environnement.
L'État tient à garder la majorité du capital. En effet, cette entreprise constitue, je l'ai dit, un élément stratégique de la politique de transport et de la politique d'aménagement et d'attractivité du territoire.
Cela est clairement inscrit dans le projet de loi du Gouvernement qui vous est soumis. Pour faciliter la poursuite du développement d'ADP et le financement de l'important programme d'investissement engagé, tout en restant majoritaire, le Gouvernement envisage une ouverture du capital une fois le processus de changement de statut achevé.
Le projet qui vous est soumis concerne en second lieu le régime de gestion des grands aéroports régionaux, de métropole et d'outre-mer, qui resteront de la compétence de l'État, après le processus de décentralisation (prévu par l'article 28 de la loi sur les libertés et les responsabilités locales).
Une douzaine d'aéroports sont concernés, qui génèrent un chiffre d'affaires total de plus de 500 millions d'euros et qui ont traité globalement en 2003 un trafic de 38 millions de passagers.
Chacun de ces aéroports est exploité, de très longue date, par la chambre de commerce et d'industrie territorialement compétente, dans le cadre d'une concession délivrée par l'État.
Le système actuel est peu incitatif pour les exploitants, qui sont, comme ADP, cantonnés dans leur statut d'établissement public de l'État.
Ils n'ont pas la libre disposition des bénéfices financiers tirés de l'exploitation aéroportuaire et ne disposent souvent que d'une visibilité limitée compte tenu de la faible durée de leurs contrats de concession.
Le système est par ailleurs potentiellement porteur de risques financiers pour l'État, qui reste le garant ultime de l'endettement des sociétés. Je voudrais souligner ici la bonne qualité de l'exploitation aéroportuaire réalisée jusqu'ici par les chambres de commerce et d'industrie. Dans ce contexte, je pense qu'il convient d'éviter toute rupture susceptible d'être préjudiciable au fonctionnement de ces plates-formes.
Le Gouvernement propose donc d'ouvrir la possibilité d'une transition souple et progressive s'appuyant sur les équipes en place.
Le texte de loi qui vous est proposé ouvre la possibilité d'un transfert de l'exploitation de chacun des aéroports, en cours de concession, à des sociétés, à capital entièrement public dans un premier temps, dont l'État, la chambre de commerce et d'industrie et, si elles le souhaitent, des collectivités territoriales intéressées seraient actionnaires.
Je tiens à confirmer, s'il en était besoin, que chaque chambre de commerce demeurera libre de souscrire ou non à ce dispositif.
Dans un second temps, ces sociétés, devenues concessionnaires pour des durées accrues, pourront être ouvertes progressivement à l'initiative privée.
Enfin, cette réforme ne serait pas viable sans une modernisation du régime des redevances aéroportuaires et de leur régulation, en particulier pour Aéroports de Paris et les grands aéroports régionaux.
Les dispositions législatives proposées, dans ce domaine normalement régi par la voie réglementaire, visent à établir un cadre clair pour la détermination des redevances, juridiquement sûr, et à offrir une souplesse indispensable aux entreprises aéroportuaires, tout en préservant les intérêts des utilisateurs de ce service, monopolistique par nature.
Je souhaite rappeler tout d'abord que le pivot de la régulation économique dans un tel secteur est la consultation des usagers, principalement les compagnies aériennes qui doivent exprimer des positions claires en matière d'investissement à effectuer et de niveau de redevance acceptable pour le développement de leurs activités.
Le rôle des commissions consultatives économiques des aéroports doit donc être affirmé et conforté.
Allant au-delà de la jurisprudence actuelle, il est proposé de préciser que les redevances doivent pouvoir rémunérer les capitaux engagés par l'exploitant, et permettre un préfinancement de certains investissements afin de lisser l'évolution des redevances.
Et, dans la mesure où le produit des redevances reste globalement plafonné par le coût des services rendus, il est également proposé d'ouvrir la possibilité de modulations pour motifs d'intérêt général.
Le régime de régulation proposé pour les exploitants des grands aéroports comporte, par ailleurs, une forte incitation à la contractualisation pluriannuelle avec l'État.
Les contrats qui seront conclu dans ce cadre pourraient intégrer la dimension de la qualité du service public aéroportuaire et ont vocation à donner de la visibilité à l'ensemble des partenaires concernés.
Le Gouvernement prévoit, dans la mise en uvre détaillée de ces dispositions, de maintenir l'application du principe dit "de la caisse unique", dans lequel les recettes issues des activités aéroportuaires en dehors du service public mais liées au transport aérien, tels que commerces ou parkings, contribuent à maintenir les redevances aéroportuaires à un niveau raisonnable.
Ce principe, internationalement reconnu, doit être pérennisé dans la gestion des aéroports nationaux.
Voici, Mesdames et Messieurs les sénateurs, dans ses grandes lignes, l'économie du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
Je tiens enfin à remercier Jean-François LEGRAND, rapporteur de la commission des affaires économiques, et Yvon COLLIN, rapporteur pour avis de la commission des finances, pour la qualité du travail accompli sur ce texte.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 17 novembre 2004)