Déclaration de M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur l'expulsion d'étrangers menaçant l'ordre public par des messages ou des discours contraires aux valeurs de la France, à l'Assemblée nationale le 17 juin 2004.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis qu'à l'invitation des Présidents CLÉMENT et ACCOYER, l'Assemblée nationale puisse débattre de l'éloignement du territoire français des personnes qui menacent gravement l'ordre public en diffusant des messages contraires aux valeurs de notre pays et en propageant des idéologies contraires au pacte républicain.
Intervenant après Pascal CLÉMENT et Alain MARSAUD, votre Rapporteur, je voudrais d'abord souligner que cette proposition reçoit l'avis très favorable du Gouvernement : elle permet de répondre à une situation inacceptable : celle où des individus étrangers, puisque nous nous situons dans le cadre d'une réforme de l'ordonnance de 1945, profèrent des propos contre les femmes alors qu'aujourd'hui aucune mesure administrative ne peut être prise dans de telles circonstances. La présence à mes côtés de Nicole AMELINE est le signe de l'attention que porte le Gouvernement aux droits des femmes.
C'est l'objet de la législation sur l'expulsion des étrangers : protéger tous ceux qui vivent sur notre territoire, Français et étrangers, contre les agissements d'un petit nombre de ressortissants qui ne respectent pas la règle commune. L'expulsion est en effet une mesure préventive, peu fréquente, et réservée à des cas particulièrement graves puisque la condition en est l'existence d'un comportement qui menace gravement l'ordre public.
Votre proposition, Monsieur le Président Clément, nous permet de faire face à une situation nouvelle : la diffusion sur notre territoire de messages ou d'idéologies qui soit nient les principes de base qui fondent notre société démocratique, soit appellent à commettre des actes inadmissibles.
Nous voyons se développer depuis quelques années des discours qui sont contraires aux valeurs les plus essentielles de notre République. Dans les media, dans certaines salles de prières, dans des lieux de réunion, des ressortissants étrangers s'en prennent au statut des femmes, à leurs droits les plus fondamentaux, à leur intégrité physique. Contre de tels propos, nous ne disposons pas aujourd'hui des moyens de réponse appropriés. La voie judiciaire, qui est actionnée systématiquement sur des faits avérés, ne constitue pas toujours une réponse suffisante pour faire cesser de tels agissements. En effet, elle ne peut déboucher que sur une sanction une fois que les violences sont commises et non pas faire obstacle à la répétition des faits.
Nous sommes également sur un tout autre terrain que celui du contrôle de l'immigration, qui était l'objet principal de la loi du 26 novembre 2003 qu'a rapporté votre collègue Thierry MARIANI. Les principes et les équilibres du dispositif que vous avez approuvé l'année dernière restent valables et nous ne souhaitons pas ouvrir à nouveau les débats qui ont conduit à l'adoption de cette loi.
Parmi les points d'équilibre qui ont pu être atteints lors du débat parlementaire de l'automne dernier, figure le dispositif parfois appelé "anti double peine", dont la nouvelle rédaction de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 est un des éléments importants.
Par cet article 26, qu'il vous est aujourd'hui proposé d'amender, vous avez décidé de limiter l'expulsion des étrangers dont les liens avec la France sont forts et anciens aux seuls cas dans lesquels le comportement des intéressés est radicalement incompatible avec le maintien de tels liens.
Loin de remettre en cause le dispositif de prévention de la "double peine", votre proposition de loi le conforte et le pérennise en corrigeant une imperfection apparue dès les premiers mois de son application.
La raison d'être de l'expulsion - qui n'est pas une sanction - j'insiste sur ce point- mais une mesure de police à caractère préventif - n'est pas de punir mais bien de prévenir. Son objet n'est pas de sanctionner l'auteur d'un acte précis, mais d'atténuer le risque que présente, pour l'avenir, un comportement dont les conséquences seraient potentiellement graves ou dangereuses pour l'ordre et la sécurité publics.
C'est ainsi qu'un meurtrier ne peut pas toujours être expulsé, mais qu'une personne qui appelle au meurtre doit pouvoir l'être. Cet exemple montre bien la différence de nature entre l'expulsion et la sanction pénale, qui inspire notre législation et tout particulièrement le dispositif de limitation de la "double peine" que vous avez institué à l'automne dernier.
L'expulsion des auteurs de provocations caractérisées, qui appellent ouvertement à commettre des actes d'une gravité extrême, n'a bien sûr rien à voir avec un procès d'intention ou avec une atteinte à la liberté d'opinion, puisque les expulsions, comme toutes les décisions administratives, sont soumises au contrôle vigilant du juge administratif. Ce contrôle est utile et nécessaire. Il garantit, sous l'autorité du Conseil d'Etat, un équilibre satisfaisant entre les intérêts de la collectivité et les droits des individus. Il évite toute tentation d'arbitraire et d'abus de pouvoir. Il constitue, dans son domaine de compétence clairement distinct de celui de l'autorité judiciaire, une garantie tout aussi essentielle du respect des libertés publiques dans notre pays, d'autant plus que l'intervention du juge sous la forme de référé administratif, lui permet de se prononcer dans l'extrême urgence.
Les précautions que vous avez prises, Monsieur le Président de la Commission des lois, dans la rédaction de votre proposition, notamment en insérant les mots "explicite et délibéré" aideront le juge administratif à préciser les conditions de la mise en uvre de la loi. Elles assureront son application équilibrée et éviteront que soient expulsées des personnes qui ne le mériteraient pas. Le contrôle se fera en terme de proportionnalité et non sur une série d'incriminations que nous ne saurions en tout état de cause rendre exhaustive.
Dans le même sens, je tiens à rappeler brièvement les conditions précises dans lesquelles l'article 26 peut trouver à s'appliquer.

La première condition de fond de toute expulsion est inscrite par l'article 23 de l'ordonnance de 1945, en précisant que seules les personnes dont le comportement constitue une menace grave à l'ordre public peuvent être expulsées. De plus, les personnes protégées contre l'expulsion par l'article 26, sous réserve des exceptions dont vous délibérez aujourd'hui, sont par ailleurs protégées par l'article 25, qui définit les circonstances dans lesquels l'expulsion n'est possible qu'en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique.
L'ensemble de ces éléments garantit donc de façon très complète, très transparente, très démocratique, les personnes visées contre tout risque d'abus. Il assure le respect de la raison d'être des expulsions prononcées par arrêté ministériel, qui doivent rester une mesure exceptionnelle et non devenir un mode normal de gestion du séjour des étrangers en France.
La mission du ministre de l'Intérieur consiste à veiller à ce que le recours à l'expulsion par arrêté ministériel reste proportionné à l'évolution des menaces constatées et surtout à ce que l'ensemble des comportements qui justifient objectivement une telle mesure donnent lieu à une telle expulsion.
Sur ce point, ma détermination est entière. Les décisions que j'ai prises depuis mon arrivée au ministère de l'intérieur en témoignent. Je continuerai ainsi à expulser les étrangers qui soutiennent directement ou non le terrorisme et ceux, parfois les mêmes, qui appellent à la haine, à la violence et à la discrimination. Et désormais, grâce à votre texte, ce ne sont pas seulement des propos antisémites, racistes, qui justifient pleinement l'expulsion, mais aussi ces discours insupportables qui s'attaquent aux femmes parce qu'elles sont femmes et qui constituent un risque de recul tragique de l'égalité qu'elles ont conquises par rapport aux hommes. Je proposerai par ailleurs au Premier ministre et au président de la République la dissolution de tout mouvement qui appelle au terrorisme ou à la lutte armée en France ou à l'étranger. Je veillerai à ce que soient dénoncés à la justice les auteurs d'infractions pénales contre l'ordre et la sécurité publics, quelle que soit leur nationalité.
Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui aidera le Gouvernement à mieux assurer cette responsabilité essentielle envers tous ceux qui souhaitent vivre en paix dans notre pays, Français et étrangers ; elle nous permet de mieux défendre et de faire respecter les valeurs communes de liberté et d'égalité auxquelles nous sommes tous attachés ; elle conforte l'équilibre de notre législation sur le séjour des étrangers ; le Gouvernement la soutient donc et remercie ses auteurs de l'avoir présentée.


(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 17 juin 2004)