Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur l'action diplomatique de la France en Inde, l'importance de la construction de l'Europe politique et les enjeux de la ratification de la Constitution européenne, sur le soutien aux investissements français en Inde, New Delhi le 28 octobre 2004.

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Circonstance : Voyage de Michel Barnier en Inde les 27 et 28 octobre 2004 : allocution lors de la réception avec la communauté française à New Delhi le 28

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, bonjour. Monsieur l'Ambassadeur, je voudrais vous remercier vous-même, votre épouse et votre équipe ici, de la cordialité de votre accueil, et vous dire, Mesdames et Messieurs, de cette première visite même si elle est brève, même si elle est forcément incomplète, que c'est ma première visite bilatérale en Asie.
Aujourd'hui, j'ai le sentiment que ce pays immense en développement, en croissance, qui vient de changer de gouvernement, se trouve un peu en marge de nos actes stratégiques et diplomatiques malgré les efforts de ceux qui, au Quai d'Orsay - le directeur d'Asie et d'Océanie est là - suivent l'Inde et l'Asie.
J'ai d'ailleurs eu le même sentiment en Chine l'autre jour. C'est pourquoi il est important que le ministre vienne lui-même écouter et comprendre. Et c'est aussi en ayant ce sentiment qu'on avait eu tort de délaisser, parfois d'ignorer, en raison peut-être d'autres priorités légitimes, l'Inde et l'Asie, que je veux vous dire un mot de remerciement et en particulier à celles et à ceux d'entre vous - et je sais qu'il y en a parmi vous qui ont fait le choix de l'Inde personnellement, professionnellement, sur le plan associatif quelquefois, culturellement aussi depuis de longues années - qui ont fait un choix tenace, parfois difficile qui ont en quelque sorte joué le rôle d'éclaireur, de pionnier pour l'influence française.
Je vais essayer, avec notre équipe, de rattraper ce temps-là et m'inspirer de cet exemple que beaucoup d'entre vous ont donné, cela me permettra de vous saluer collectivement dans la diversité des engagements de vos responsabilités, de vos sensibilités professionnelles, diplomatiques, du secteur privé, du secteur associatif, d'autres encore, de saluer parmi vous Achille Forler qui est ici, Jacques Coffrant qui est ici aussi, tous les deux qui vous représentent activement au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger - d'ailleurs le ministre des Affaires étrangères est le président de cette Assemblée - qui a changé de nom et qui est en quelque sorte le Parlement des Français de l'étranger. Pour avoir participé à leur dernière assemblée générale, pour avoir été mis en difficulté sur un certain nombre de sujets, j'ai compris que cette Assemblée était utile, au-delà du fait qu'elle élit des sénateurs qui vous représentent très spécifiquement et c'est bien normal puisque les Français qui vivent à l'étranger sont près de deux millions.
Je le dis d'ailleurs en étant très solidaire de cette réalité puisque moi-même, pendant les cinq dernières années, j'ai été, même si c'est moins loin que l'Inde, - vivant à Bruxelles, avec mes enfants scolarisés dans un établissement scolaire - très en contact avec la communauté de ceux qui sont expatriés. Mais je ne fais pas de comparaison entre les difficultés que l'on peut avoir à Bruxelles et celles que l'on peut rencontrer ici, ne serait-ce qu'en raison de l'éloignement.
Je voulais donc vous saluer, vous remercier de ce que vous faites. J'ai, tout au long de ces deux journées, beaucoup parlé de politique comme c'est normal pour un ministre des Affaires étrangères. J'ai aussi le souci, que j'ai indiqué aux ambassadeurs en prenant mes fonctions, de donner à la diplomatie française d'autres dimensions que la seule dimension diplomatique ou politique.
Mais, au-delà de cette dimension principale de la diplomatie et de la politique, nous avons des choses à faire sur ce terrain là avec l'Inde. Nous soutenons la présence de l'Inde au sein du Conseil de sécurité des Nations unies comme l'un des grands pays qui a une place géopolitique et géostratégique majeure avec d'autres, le Japon, le Brésil, ou l'Allemagne. Nous avons, le président de la République l'avait lui-même ici engagé, un dialogue stratégique, c'était l'objet principal de sa mission en 1998. Je veux donner, au-delà de la politique et au-delà de la diplomatie, une dimension plus citoyenne et plus humaine à l'action extérieure de la France, en insistant sur ce que font les entreprises et ce que font les organisations non gouvernementales, les associations, sur ce que font nos postes culturels, qu'il s'agisse des centres culturels ou des alliances françaises comme celle que j'ai inaugurée hier.
Je veux donner cette dimension, c'est un des premiers actes prioritaires d'action que j'ai l'intention d'amplifier à la tête du Quai d'Orsay.
Je veux aussi, comme nous l'avons prouvé hier en ce nouveau et beau bâtiment de l'Alliance française, construit par un architecte français, mutualiser un certain nombre de moyens avec nos partenaires européens. Je trouve symbolique et important que nous accueillions l'organisme allemand au sein de l'Alliance française et qu'autant que faire se peut, tout en restant nous-mêmes, sans fusionner, sans se confondre, sans s'effacer, nous puissions, dans le même bâtiment, avoir deux ambassades cohabitant. Et nous avons décidé avant-hier à Berlin de créer trois ambassades co-localisées, d'avoir des consulats franco-allemands ou franco-germano-espagnols et bientôt européens pour délivrer les visas Schengen. Je crois à cette idée de mutualisation des moyens diplomatiques, consulaires, et politiques quelquefois, de nos pays européens.
En vous disant un mot de l'Europe, vous savez que pour être le ministre des Affaires étrangères de la France, je suis et je resterai un ministre très européen car je viens de passer cinq ans dans l'exécutif de l'Union à Bruxelles en tant que commissaire en charge de la politique régionale. J'ai compris aussi, Monsieur l'Ambassadeur, que nous avions besoin, ici et ensemble, de mieux expliquer, de bien faire comprendre ce qui se passe sur notre continent. J'ai le sentiment que les pays que nous sommes existent dans des relations bilatérales, probablement nos relations économiques et culturelles gagneraient à être augmentées et intensifiées et que, pour autant, l'Union ne semble pas exister en tant que telle alors même que l'Union européenne, le marché européen est le premier partenaire de l'Inde. Il semble qu'elle n'existe pas en tant que telle ou alors effectivement comme une grande zone de libre-échange avec laquelle on peut commercer mais sûrement pas, ou pas encore comme une union politique ou comme un acteur politique.
Donc je vais également, en revenant le plus régulièrement possible ici comme dans d'autres pays d'Asie, m'efforcer de bien faire comprendre ce que nous sommes en train de faire loin d'ici. Non pas pour donner des leçons, mais pour montrer que la paix est possible, la réconciliation est possible - nous parlions hier avec nos interlocuteurs de ce conflit ancien entre le Pakistan et l'Inde - et qu'à partir d'une réconciliation on peut bâtir un marché, on peut créer une monnaie unique, que l'on peut faire de la politique ensemble.
Je vais regagner l'Europe tout à l'heure, je m'arrêterai à Rome ce soir pour signer aux côtés du président de la République et les vingt-quatre autres chefs d'Etat et de gouvernement la Constitution européenne à laquelle j'ai beaucoup travaillé en tant que commissaire. Dans cette Constitution, qui est un mode d'emploi, qui est une règle du jeu, il y a tout de même les outils de ce que je vous dis. Il y a les outils d'une Europe qui ne veut pas se contenter d'être un supermarché, qui veut être une Europe politique avec une politique étrangère et une défense communes, et nous y parvenons progressivement.
Dans la Constitution par exemple, il y a la création, pour laquelle j'ai beaucoup hésité, d'un poste de ministre des Affaires étrangères de l'Europe, qui forcera nos diplomaties qui sont historiquement parallèles et quelque fois concurrentes à réfléchir ensemble, à analyser ensemble et à éviter ainsi des impuissances, des faiblesses ou des divisions. Celles que nous venons de connaître sur l'Irak en sont le témoignage, puisque la moitié des pays européens a soutenu l'intervention américaine et l'autre s'y est opposé. Mais on pourrait évoquer des divisions plus tragiques encore : quand la Yougoslavie a explosé il y a quinze ans à peine, nous avons été incapables sur notre propre continent d'avoir une vision et une analyse communes et donc incapables d'empêcher une guerre en Bosnie qui a provoqué 220.000 morts, chez nous, pas il y a deux siècles et à l'autre bout du monde, chez nous, en Europe, et il y a quinze ans.
Donc voilà ce à quoi nous avons travaillé et les leçons que nous avons tirées dans cette Constitution européenne, Constitution que vous pouvez d'ailleurs consulter sur Internet et lire même, c'est vraiment la première fois depuis 50 ans qu'un texte européen est lisible au moins pour ses deux premières parties, je vous encourage à le lire au-delà du fait que vous serez appelés, je le pense, comme Français vivant à l'étranger, à vous prononcer sur ce texte puisque le président de la République a choisi de consulter le peuple pour ratifier cette Constitution.
Je me suis un peu éloigné de vos préoccupations immédiates et locales, si je puis dire, mais je ne veux pas oublier et je pense que vous n'oubliez pas que vous êtes citoyens de ce pays qui est fier de ce que vous faites, et je trouve important, ayant la chance de vous rencontrer même brièvement, de dire quelques mots des enjeux que nous vivons et des débats que nous avons en ce moment, notamment au plan européen avec la Constitution.
J'ai donc parlé politique, j'ai essayé d'expliquer ce qu'est l'Union européenne et ce qu'elle va devenir, j'ai voulu et continuerai à vouloir donner une dimension humaine et citoyenne à notre diplomatie avec l'aide de tous les postes dans leur diversité économique, culturelle, consulaire ou proprement politique ; je continuerai également à accompagner, j'ai compris que c'était utile, vous me l'avez dit, Monsieur le Président, par la présence des autorités françaises, d'abord celle du ministre des Affaires étrangères, peut-être à nouveau celle du président de la République un jour, d'accompagner les efforts que vous faites, certains depuis longtemps, pour implanter des entreprises françaises ici. J'ai compris que ce n'était pas toujours facile à cause de la bureaucratie, - en cherchant bien d'ailleurs on trouverait cette difficulté ailleurs qu'en Inde -, qu'il y avait d'autres méthodes traditionnelles ici et qu'il y avait une culture des difficultés.
Le Premier ministre, avec lequel j'ai eu un long entretien hier et qui m'a d'ailleurs réellement impressionné par sa sagesse et sa capacité de dire les choses et de les vouloir sur le plan de l'économie, m'a dit qu'il ferait des efforts, qu'il prendrait des décisions, on verra bien dans quels délais, pour favoriser l'investissement étranger dont, m'a-t-il dit, l'Inde a besoin pour tirer la croissance qui est déjà importante, 5, 6, 7 ou 8 % par an. Pour la tirer en avant, il m'a dit qu'il avait besoin des investissements étrangers et qu'il les favoriserait.
D'ores et déjà, quand je regarde la liste des entreprises qui se sont engagées, qui ont réussi leur implantation malgré ces difficultés, je trouve que nous avons de bonnes fondations, qu'il s'agisse des banques, de l'armement, de l'environnement, de la construction, de l'ingénierie technologique, financière ou environnementale, de l'électronique et également d'un certain nombre de petites et moyennes entreprises qui ont peut-être plus de mérites que d'autres à vouloir s'implanter ici.
Enfin j'ai le sentiment qu'il y a des marchés qui s'ouvrent, un développement qui est devant vous et c'est aussi le signe que j'ai voulu donner ce matin en allant visiter d'une part le métro de New Delhi qui m'a, lui aussi, impressionné, y compris par la rapidité des délais de réalisation, et d'autre part la station d'épuration qui concerne l'environnement, sujet qui me tient à coeur.
Mesdames et Messieurs, je reste, au travers de notre représentation, notre ambassadeur, les consuls généraux, vos représentants à l'Assemblée des Français de l'étranger, attentif aux difficultés particulières ou ponctuelles que vous souhaiteriez que le ministre connaisse, qu'il s'agisse de problème d'intérêt général ou de difficultés particulières ; cela arrive, surtout quand on est loin, de se sentir seul parfois et que les difficultés soient autrement plus graves, je veux vous dire que je suis attentif aussi à ces difficultés là quand on me les soumet pour tenter d'alléger et cette solitude et cet éloignement. Mais je vous encourage à continuer à montrer le chemin et, revenant sur notre continent européen ce soir, je garde la conviction que nous avons un certain nombre de retards à rattraper, une plus grande présence stratégique à créer et à consolider ici et je vais m'y attacher avec toute l'énergie, l'enthousiasme et même quelquefois un peu d'utopie dont le montagnard que je suis est capable. Merci de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 novembre 2004)