Texte intégral
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs,
Patrick Devedjian et moi-même voulons vous présenter les orientations de la politique de l'énergie du Gouvernement.
Après un an de débat et de concertation à travers la France, nous venons vous exposer les axes stratégiques de cette politique de l'énergie. Certes, ce débat a permis de commencer à sensibiliser les Français, mais, autant le reconnaître, l'énergie est encore trop souvent une question de spécialistes, dont les termes techniques rebutent les citoyens.
Pourtant, les Français sont à la fois les premiers concernés et les premiers acteurs de cette politique. Car l'énergie les concerne, et dans leur mode de vie et dans leur environnement. Nous devons leur expliquer que tout cela n'est pas indifférent, que l'énergie n'est ni infinie ni gratuite.
Quant au débat sur les moyens de production, pour la plupart des Français, il reste encore trop restreint au seul choix du nucléaire, avec des arguments souvent plus idéologiques que pragmatiques.
Bien souvent, nos compatriotes ne voient pas non plus l'utilité de faire dès aujourd'hui des choix pour les générations futures : ils veulent encore croire que les économies d'énergie ne sont pas indispensables ; ils ne savent pas non plus si les énergies renouvelables sont crédibles.
Il faut encore faire preuve de beaucoup de pédagogie, et c'est à nous, responsables publics, que revient cette tâche. Il importe que les Français comprennent nos choix, que ce soit pour les contester ou pour y adhérer. On ne doit plus pouvoir croire aujourd'hui, en France, que le nucléaire engendre des gaz à effet de serre, ou bien que le gaz naturel est encore produit chez nous, ou encore que l'énergie solaire pourrait être la solution à tous nos problèmes.
C'est la raison pour laquelle Patrick Devedjian et moi-même allons nous attacher à présenter les priorités de notre politique de l'énergie de la manière la plus claire et la plus transparente possible, une politique au sens profond du terme, car elle exigera des décisions lourdes.
Je souhaiterais d'abord revenir sur notre héritage national, les contraintes mondiales et le cadre de notre action, qui doit être désormais celui de l'Europe.
L'héritage national, c'est d'abord la décision prise par le général de Gaulle de créer, en 1946, Electricité de France et Gaz de France, deux entreprises qui ont permis la reconstruction de notre pays dans les années cinquante et qui l'ont accompagnée tout au long des trente glorieuses. Grâce à cette décision, nous disposons aujourd'hui de deux champions nationaux.
L'héritage national, c'est ensuite la découverte brutale, en 1973, de notre dépendance à l'égard du pétrole et de son impact sur notre économie avec le premier choc pétrolier. Face à ce choc, deux décisions politiques ont été prises.
La première fut la "chasse au gaspi" - le slogan nous est resté - avec la mise en place d'une campagne d'économies d'énergie déterminée, malheureusement délaissée après le contrechoc pétrolier de 1986, qui a vu le prix du pétrole s'effondrer, le baril passant de 30 dollars à 10 dollars ; il est remonté, pour s'établir, en moyenne, entre 33 dollars et 35 dollars.
Le lancement d'un programme nucléaire sans précédent fut la seconde décision politique.
Nous sommes les héritiers de ces décisions nationales, qui marquent encore notre politique et notre pays. Elles ont été prises pour relever des défis, dans des circonstances très difficiles. Elles ont cependant pour l'essentiel survécu aux périodes de crise qui les ont engendrées, en donnant à la France des atouts incontestables, sur lesquels je souhaite insister, car ils ne sont pas assez connus.
Notre premier atout est constitué par un taux d'indépendance énergétique de 50 %. A cet égard, il faut dire aux Français que, combattre le nucléaire, comme certains le font, c'est combattre l'indépendance nationale en matière d'approvisionnement énergétique.
Le taux d'indépendance énergétique des Italiens est de 16 %, contre 50 % en France, alors que notre pays ne bénéficie ni du pétrole ni maintenant du gaz dont disposent les Anglais ou les Néerlandais, et alors qu'il n'exploite plus de charbon, à la différence de nos voisins Allemands.
Le choix du nucléaire a permis de produire une électricité compétitive : elle est, pour les ménages, 10 % moins chère que la moyenne européenne. Ce choix a également permis de réduire les émissions de CO2 : celles-ci sont inférieures de 40 % à celles de l'Allemagne et de 35 % à celles de la Grande-Bretagne.
Ces atouts sont importants. Ils nous montrent que notre héritage énergétique est de qualité et qu'il nous faut préserver notre avance en la matière. Or nous ne pourrons y parvenir en restant immobiles, et ce pour la simple raison que le monde bouge. Nous devons, à l'image des fondateurs de notre politique énergétique, anticiper les grands choix stratégiques de notre pays.
Des contraintes nouvelles sont apparues pour la France.
Tout d'abord, nous n'avons pas de pétrole et presque plus de gaz sur notre territoire. Certes, le fait n'est pas nouveau, mais les conséquences sont aujourd'hui inédites. Trente ans après le premier choc pétrolier, la sécurité d'approvisionnement énergétique de notre pays est redevenue, avec moins d'acuité mais plus d'ampleur, un véritable sujet de préoccupation.
Quand on sait que la Chine vient de devenir le deuxième consommateur de pétrole au monde, avec un taux de croissance de 10 %, quand on sait que la production de pétrole des pays de l'OCDE stagne, quand on sait que l'OPEP détient 80 % des réserves mondiales de pétrole et que la Russie sera le principal fournisseur de gaz de l'Europe dans vingt ans, on comprend sans peine pourquoi la sécurité d'approvisionnement en énergie de notre pays est un objectif central de notre politique.
La seconde contrainte est plus récente, mais tout aussi préoccupante : il s'agit du réchauffement climatique.
L'effet de serre ne doit pas être considéré comme un sujet ésotérique, sur lequel on ne pourrait pas avoir d'avis autorisé. Même si tous les avis scientifiques ne sont pas convergents, un consensus se dessine autour de réalités simples et palpables : le monde rejette aujourd'hui sept milliards de tonnes de carbone dans l'atmosphère. Ce fait a entraîné un accroissement de la température de la planète de 0,6° C en un siècle. Et cela va continuer, puisque l'on attend un réchauffement compris entre 1,5° C et 6° C d'ici à 2100.
Quelques degrés, c'est peu, mais nous savons que cela peut suffire à perturber gravement l'environnement, à réactiver des maladies tropicales, à susciter des catastrophes climatiques telles que la canicule de l'été dernier, qui pourrait bien devenir un phénomène plus commun qu'on ne l'imagine.
Que pouvons-nous faire ?
Pour stabiliser la température de la planète, l'humanité ne devrait émettre que trois milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, soit très exactement deux fois moins qu'aujourd'hui ! Pour nous, pays riches, cela veut dire tout simplement qu'il nous faut diviser par quatre nos émissions de CO2, c'est-à-dire les réduire de 3 % par an durant cinquante ans.
Héritage, contraintes, mais aussi nouveau cadre : le nouveau cadre de notre politique énergétique, c'est incontestablement l'Europe, et ce depuis l'adoption des directives relatives respectivement à l'électricité et au gaz. Le marché domestique de nos entreprises n'est plus la France, c'est l'Europe. C'est l'occasion pour nous d'aller défendre notre modèle dans les pays voisins, mais c'est aussi un défi, car il nous faudra lutter contre une concurrence nouvelle et vouée à se renforcer encore.
Dans quelques semaines - le 1er juillet 2004 - le marché de l'électricité et du gaz sera ouvert à 70 %, ce qui représente plus de trois millions de clients nouveaux. Ce n'est pas l'effet d'une décision de ce gouvernement, mais la conséquence d'une mesure européenne acceptée par nos prédécesseurs. N'y voyez pas une critique, je formule un constat. Il nous faut en tenir compte, le 1er juillet 2004, EDF et GDF seront concurrencées sur leur marché national.
Etant donné qu'EDF et GDF vont perdre des parts de marché en France, il importe de savoir comment leur donner les moyens de gagner des parts de marché en Europe.
Tel est le problème posé : faire d'EDF et de GDF, deux champions français, des champions européens. C'est le défi auquel nous sommes confrontés. Avec Patrick Devedjian, nous voudrions vous proposer quatre priorités nationales.
La première est la maîtrise de l'énergie
Quel est l'enjeu ? Il s'agit non pas de rechercher l'inaccessible, mais, là encore, d'être très concret : la France doit produire dans dix ans 25 % de richesse de plus avec seulement 9% d'énergie supplémentaires. Dans trente ans, il nous faudra produire deux fois plus de richesses avec la même consommation d'énergie qu'aujourd'hui, ou presque.
Pour y parvenir, nous devrons mobiliser toutes les politiques publiques. Je donnerai cinq exemples concrets.
Il faut mieux informer les Français sur les conséquences de leurs comportements : nous allons lancer, avec Patrick Devedjian, une grande campagne de sensibilisation sur ce sujet dans les mois qui viennent. Il convient d'opérer une véritable rééducation en la matière.
Il faut ensuite s'adresser aux acteurs qui recèlent de vrais gisements d'économies d'énergie ; c'est notamment le cas du bâtiment : nous abaisserons d'au moins 10% les seuils de la réglementation thermique, c'est-à-dire le degré d'isolation et la qualité du chauffage, définie en 2000 pour les bâtiments neufs, avec l'objectif de les diviser par trois à l'horizon 2050. Nous imposerons également à l'industrie du bâtiment, pour la rénovation des logements anciens, de respecter des normes d'efficacité énergétique aussi proches que possible de celles de 2000 pour le neuf.
Dans les transports, nous poursuivrons nos efforts en matière de respect des limitations de vitesse. Je rappelle que, grâce à notre politique de sécurité routière, les consommations d'énergie au titre des transports ont diminué, l'an passé, et ce pour la première fois depuis trente ans ! Ainsi, on enregistre une baisse de 1,8% de la consommation d'énergie en 2003 contre une augmentation de 1,3 % les années précédentes.
Nous imposerons par la loi aux fournisseurs d'électricité, de gaz et de fioul domestique d'aider financièrement leurs clients à investir dans la maîtrise de l'énergie afin d'améliorer, par exemple, l'isolation de leur logement ou l'efficacité de leur chauffage.
Enfin, en tant que ministre des finances, je vous proposerai de faire évoluer la fiscalité énergétique d'ici à la fin de l'année pour qu'elle avantage les Français qui participent à une meilleure protection de l'environnement à travers leur consommation d'énergie.
La deuxième priorité est le développement des énergies renouvelables.
Il faut avoir l'honnêteté de reconnaître que ces énergies, quelle que soit notre volonté politique, resteront un appoint aux énergies classiques, et ne constitueront jamais un substitut à ces mêmes énergies.
Disant cela, je ne souhaite provoquer personne, je suis simplement réaliste.
Il n'en est pas moins vrai que ces énergies sont réellement importantes pour l'environnement et pour l'emploi. C'est aussi une assurance pour demain, si les prix du pétrole ou du gaz devaient flamber. Ces énergies sont encore marginales - elles ne représentent que 6 % de la consommation française -, mais elles croissent rapidement en Europe, et la France doit rester dans la compétition.
C'est pour cela que nous vous proposons deux objectifs.
Il s'agit, en premier lieu, d'accroître de 50 % d'ici à 2015 les énergies renouvelables qui produisent de la chaleur, c'est-à-dire le bois, les déchets et le solaire. C'est possible, car ces énergies ont crû de 8 % sur la seule année 2003.
Il s'agit, en second lieu, de porter la production d'électricité d'origine renouvelable de 15 % à 21 % d'ici à 2010. La priorité dans ce domaine est à la préservation et au développement du potentiel hydraulique actuel ainsi qu'au développement de l'éolien, notamment offshore, bien moins pénalisant pour l'environnement que l'éolien à terre.
Les filières industrielles concernées ont besoin de visibilité pour se développer en France, mais ce développement ne doit pas non plus donner lieu à des excès : attention aux rentes excessives ou aux rejets par les populations concernées !
Enfin, le Gouvernement continuera d'encourager le développement de tous les biocarburants, comme il le fait actuellement à travers le mécanisme de défiscalisation mis en place dans la dernière loi de finances ou au travers d'autres dispositifs dont vous aurez l'occasion de débattre.
La troisième priorité est, bien sûr, le nucléaire.
Là encore, il s'agit non pas d'idéologie, mais de faits.
La moitié de notre parc nucléaire aura en moyenne trente ans en 2011. Trente ans, c'était initialement la durée prévue d'une centrale nucléaire.
Cette durée de vie de trente ans pourra sans doute être prolongée de dix ans, mais, malgré la meilleure volonté en matière de maîtrise de l'énergie et le volontarisme le plus ferme, il est certain que nous devrons choisir entre le nucléaire, le gaz et le charbon pour renouveler notre parc nucléaire. C'est-à-dire qu'il faudra choisir entre les risques associés au nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre associées aux autres formes d'énergie. Que ceux qui se présentent comme des opposants au nucléaire disent qu'ils sont favorables aux émissions de gaz à effet de serre ! Il faut, là encore, que les masques tombent !
C'est donc à nous que revient, dès aujourd'hui, la responsabilité de mettre notre pays en mesure, et c'est une décision lourde, de lancer une nouvelle génération de centrales entre 2015 et 2020, en remplacement du parc actuel. Ne pas le faire, ce serait conduire nos successeurs dans une impasse !
Pour cela, nous devons choisir la technologie qui pourra être déployée de manière industrielle dès 2020. Ce n'est pas le cas, de l'avis même des chercheurs, des réacteurs dits " de quatrième génération ", qui ne seront au mieux disponibles, au sens industriel du terme, qu'à l'horizon 2045.
Notre choix est donc simple : c'est celui du réacteur européen à eau pressurisée, l'EPR, c'est-à-dire le choix de la modernité et de la sûreté. L'EPR est, en effet, dix fois plus sûr que ce que nous connaissons ; l'électricité produite est, elle, 10 % moins coûteuse et le réacteur produit entre 15 % et 30 % moins de déchets.
Le Gouvernement est donc décidé à autoriser la construction prochaine d'un EPR par EDF. Je dois cependant vous rappeler qu'il faut compter un délai de sept années entre la décision de lancer l'EPR et l'inauguration de la première centrale opérationnelle.
Je précise qu'il ne s'agit pas pour autant de signer un chèque en blanc au bénéfice de la filière nucléaire.
Le nucléaire a des incidences sur notre vie économique et peut en avoir sur notre vie quotidienne ; il doit donc impérativement accroître sa transparence et assumer un devoir d'information du public. C'est l'objectif du projet de loi sur l'information et la transparence nucléaire que vous pourriez examiner avant l'été.
La quatrième et dernière priorité concerne le développement de la recherche dans le domaine de l'énergie.
La lutte contre l'effet de serre consiste, bien sûr, à renoncer à de mauvaises habitudes, mais cela n'est pas suffisant. Il nous faut impérativement recourir à de nouvelles technologies. Les nouvelles technologies de l'énergie doivent devenir des priorités de notre politique de recherche.
Nous proposerons que soit élaboré un programme d'actions précis et que soient alloués les moyens financiers nécessaires pour préparer l'avenir. Un avenir où l'on pourra capturer et stocker, par exemple dans des champs de gaz, le CO2 émis dans l'atmosphère ; un avenir où l'on devra faire fonctionner nos véhicules avec des biocarburants ou des piles à combustibles, un avenir où l'on saura - pourquoi pas ?- s'éclairer avec le photovoltaïque et consommer de l'électricité et du gaz sans les gaspiller.
Notre politique nationale est donc claire : maîtrise de l'énergie, développement des énergies renouvelables, construction de l'EPR et relance de la recherche.
Ces décisions ne dépendent que de nous, mais elles ne sont pas en elles-mêmes suffisantes car ne pouvons évidemment plus travailler seuls. Il nous faut en même temps avoir une politique énergétique européenne.
Le temps où la France pouvait définir sa politique énergétique sans tenir compte de celles de ses voisins est révolu.
L'Europe de l'énergie doit devenir une réalité, là encore, avec deux objectifs complémentaires : d'une part, faire gagner nos entreprises pour qu'elles portent notre modèle en Europe, d'autre part, faire que notre pays redevienne une force de proposition au service de l'indépendance énergétique de l'Europe.
Il faut d'abord permettre à EDF et à GDF de faire de l'Europe leur marché domestique. Si les deux entreprises sont les réussites que l'on sait, on le doit en premier lieu aux 140 000 hommes et femmes d'EDF et de GDF, à leur savoir-faire et à leur dévouement que je voudrais ici saluer.
Mais les deux entreprises sont devenues fragiles à plusieurs égards, et ce n'est faire insulte à personne que de le rappeler.
Le principe de spécialité lié à leur statut d'établissement public industriel et commercial les empêche de développer les activités de service en France, à la différence de la concurrence européenne, qui pourra vendre demain, chez nous, du gaz et de l'électricité, qui pourra aussi réparer les chaudières et ne s'en privera pas. Dans le cadre du statut actuel, EDF et GDF, du fait du principe de la spécialité, ne peuvent pas proposer une offre commune, alors que leurs concurrents pourront le faire.
Pourquoi mettre ces boulets aux pieds de nos deux champions nationaux ?
Le statut d'établissement public est également, dans la majorité des pays européens, une source de suspicion, comme en Italie ou en Espagne, à l'origine de l'adoption de lois qui interdisent le développement d'EDF et de GDF dans ces deux pays.
La troisième fragilité, et non la moindre, tient au fait qu'EDF comme GDF sont confrontées à de sérieuses difficultés financières : EDF est trop endettée et doit renforcer ses fonds propres.
Je tiens à le rappeler, et sans cruauté aucune, cela fait maintenant vingt-deux ans que l'Etat ne remplit pas son rôle d'actionnaire, car cela fait vingt-deux ans que l'Etat n'a pas mis un centime au service et dans le capital d'EDF et de GDF. Voilà une réalité qui a considérablement contribué à affaiblir ces entreprises.
Nous devons offrir à EDF et à GDF les moyens juridiques et financiers de résoudre cette contradiction en leur donnant une nouvelle forme juridique, celle de la société, et en leur permettant demain d'augmenter leurs ressources et donc leur capital. C'est indispensable pour que ces entreprises puissent investir non seulement en Europe, mais aussi en France, dans l'EPR, par exemple, ou pour desservir en gaz un million de Français supplémentaires.
Comment inviter EDF et GDF à aller conquérir l'Europe ou à se développer dans l'EPR si on ne leur en donne pas les moyens ? L'enjeu est capital.
Il n'y aura pas de privatisation d'EDF ni de GDF, et ce pour une raison simple : EDF et GDF ne sont pas des entreprises comme les autres.
Mais qui, alors que, pour la première fois depuis 1946, EDF et GDF vont connaître la concurrence sur leur marché domestique, qui pourrait affirmer qu'elles doivent garder la même organisation que du temps du monopole ? Que ceux qui ont laissé entrer la concurrence se posent la question !
Chacun le sait bien : c'est en allant vers la mer que le fleuve est fidèle à sa source. Je citais Jaurès, bien que cette référence soit assez inhabituelle dans ma bouche !
Si l'on veut qu'EDF et GDF restent des champions, il faut leur donner les moyens de conquérir des marchés en Europe : avec le statut d'établissement public, les deux entreprises ne le peuvent pas.
Voilà la première question posée. Mais il en est une seconde : la Commission a estimé que le statut d'établissement public ouvrait droit à la garantie de l'Etat, élément qui fausse la concurrence. Or, si EDF et GDF perdent leur statut d'établissement public se posera la question de la garantie de leur régime spécial de retraite. Qui pourrait reprocher à ce gouvernement de procéder aux adaptations nécessaires pour garantir scrupuleusement le régime de retraite des gaziers et des électriciens ?
Il n'y aura donc pas de privatisation d'EDF ni de GDF, il n'y aura pas de modification du statut des agents ni de leurs régimes de retraite.
Voilà la réalité des choses, la réalité incontournable.
Et si M. Jospin n'était pas d'accord avec la décision du Conseil européen de Barcelone, auquel il assistait en tant que Premier ministre, il fallait qu'il se lève de la table et dise clairement son refus de l'ouverture à la concurrence ! Il l'a acceptée, il faut donc aujourd'hui assumer !
Les électriciens et les gaziers le savent bien : ceux qui ont ouvert le marché à la concurrence nous laissent la responsabilité de l'adaptation d'EDF et de GDF. Il est un peu tard pour venir contester ici une décision que l'on a laissé l'Europe prendre à Barcelone ! C'est alors qu'il fallait y penser !
Le gouvernement que vous souteniez a fait un choix dont il nous revient maintenant d'assumer les conséquences.
Et qui peut penser que, au 1er juillet 2004, nous pourrions laisser EDF et GDF dans la situation actuelle, c'est-à-dire les vouer à l'immobilisme ?
La France doit également redevenir une force de proposition pour l'Europe et lui proposer un pacte.
Partager un marché unique, c'est une chance, mais il faut aussi développer des solidarités afin de ne pas courir le risque de voir une coupure généralisée affecter une partie de l'Europe, le risque de voir une politique de production insuffisamment prévoyante dans un pays européen se traduire par des hausses de prix chez ses voisins. Nous ne voulons pas que l'Europe connaisse la même situation que la Californie.
Il nous faut donc maîtriser ces risques collectivement. Pour ce faire, l'Europe doit s'assurer que son parc de production électrique est suffisant et que chacun de ses membres dispose d'un niveau minimum de production par rapport à sa consommation. Tout ne peut pas reposer sur les exportations, le black-out italien de l'été dernier est là pour nous le rappeler.
Nous ne pouvons pas être prévoyants pour 2050 tandis que nos voisins européens ne le seraient pas pour l'été prochain ! Voilà une autre réalité européenne.
Nous devons permettre à nos entreprises gazières, quelles que soient les règles de concurrence, de conserver des contrats d'approvisionnement à long terme avec les pays producteurs pour les inviter, pour les inciter à investir dans les réseaux dont nous aurons besoin demain. Nous devons trouver les moyens de préserver, en leur assurant un bas prix de l'électricité, la compétitivité de nos industries fortement consommatrices d'électricité - je pense à la sidérurgie, à l'industrie du verre et à la chimie.
Prenons l'exemple de l'acier, dont le prix - M. Devedjian et moi-même le savons assez bien ! - a augmenté de 30 % depuis le début de l'année.
L'imprévoyance en matière énergétique conduirait donc à une catastrophe pour nos industries, et donc pour l'emploi des Français.
Il nous faut enfin faire converger progressivement les politiques énergétiques européennes vers un modèle commun : on ne peut partager à long terme un même marché sans se mettre d'accord sur un minimum de règles communes, notamment sur la manière de produire l'électricité ou de diminuer les gaz à effet de serre, sans agir en commun pour, par exemple, supprimer du marché les voitures les plus polluantes.
Je crois que l'Europe doit, en la matière, se fixer des priorités.
L'Europe, comme la France, doit d'abord aller plus loin dans la relance de la maîtrise de l'énergie.
Chaque pays doit engager sérieusement le débat sur l'énergie nucléaire. Cette énergie permet aujourd'hui de produire 34 % de l'électricité européenne ; elle évite un accroissement de nos émissions de gaz à effet de serre équivalant à celles de l'ensemble du parc automobile européen ! En d'autres termes, si la France n'avait pas puissamment investi, au début des années soixante-dix, dans l'industrie nucléaire, les émissions européennes de gaz à effet de serre seraient le double de celles du parc automobile européen.
C'est dire l'importance de l'énergie nucléaire dans la protection de l'environnement, et c'est dire l'importance de la marge de réduction dont disposerait l'Europe si elle décidait d'utiliser le nucléaire comme le fait la France. Un pays comme le nôtre peut-il continuer à investir dans la nouvelle génération de centrales nucléaires, alors que d'autres, parmi ses partenaires européens, persisteraient à combattre le nucléaire et à produire un maximum de gaz à effet de serre ?
Voilà une question européenne majeure.
Nous avons reçu beaucoup de leçons ; nous en avons donné très peu. Le temps est venu de déposer sur la table des Conseils européens les chiffres en matière de protection de l'environnement et d'émission de gaz à effet de serre, et d'en tirer les conséquences.
Enfin, l'Europe doit se doter d'une véritable diplomatie de l'énergie.
Notre sécurité d'approvisionnement en dépend.
Vous l'avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat que nous ouvrons est, pour Patrick Devedjian et pour moi-même, absolument essentiel.
Naturellement, ce n'est pas dans les mois qui viennent que les Français constateront le résultat des mesures que nous vous proposons aujourd'hui ; mais dans vingt ans, dans trente ans, l'indépendance énergétique de notre pays sera très directement fonction des votes que vous aurez à émettre dans quelques semaines, à l'occasion de la discussion du projet de loi d'orientation sur les énergies puis du projet de loi relatif à la nouvelle organisation des entreprises d'électricité et de gaz.
La question posée est finalement la suivante : serons-nous à la hauteur de ceux qui ont été les géniaux, les remarquables innovateurs de 1946 et de 1973 ?
En 1946, personne ne les a remerciés ; c'est nous qui, dans les années quatre-vingt, avons bénéficié des conséquences de leur action. En 1973, de nombreuses manifestations contre le nucléaire ont eu lieu ; mais où sont-ils, ceux qui manifestaient hier, pour les remercier d'avoir donné à notre pays son indépendance énergétique ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont des décisions de la même importance qu'il vous faudra prendre prochainement.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 7 juin 2004)
Patrick Devedjian et moi-même voulons vous présenter les orientations de la politique de l'énergie du Gouvernement.
Après un an de débat et de concertation à travers la France, nous venons vous exposer les axes stratégiques de cette politique de l'énergie. Certes, ce débat a permis de commencer à sensibiliser les Français, mais, autant le reconnaître, l'énergie est encore trop souvent une question de spécialistes, dont les termes techniques rebutent les citoyens.
Pourtant, les Français sont à la fois les premiers concernés et les premiers acteurs de cette politique. Car l'énergie les concerne, et dans leur mode de vie et dans leur environnement. Nous devons leur expliquer que tout cela n'est pas indifférent, que l'énergie n'est ni infinie ni gratuite.
Quant au débat sur les moyens de production, pour la plupart des Français, il reste encore trop restreint au seul choix du nucléaire, avec des arguments souvent plus idéologiques que pragmatiques.
Bien souvent, nos compatriotes ne voient pas non plus l'utilité de faire dès aujourd'hui des choix pour les générations futures : ils veulent encore croire que les économies d'énergie ne sont pas indispensables ; ils ne savent pas non plus si les énergies renouvelables sont crédibles.
Il faut encore faire preuve de beaucoup de pédagogie, et c'est à nous, responsables publics, que revient cette tâche. Il importe que les Français comprennent nos choix, que ce soit pour les contester ou pour y adhérer. On ne doit plus pouvoir croire aujourd'hui, en France, que le nucléaire engendre des gaz à effet de serre, ou bien que le gaz naturel est encore produit chez nous, ou encore que l'énergie solaire pourrait être la solution à tous nos problèmes.
C'est la raison pour laquelle Patrick Devedjian et moi-même allons nous attacher à présenter les priorités de notre politique de l'énergie de la manière la plus claire et la plus transparente possible, une politique au sens profond du terme, car elle exigera des décisions lourdes.
Je souhaiterais d'abord revenir sur notre héritage national, les contraintes mondiales et le cadre de notre action, qui doit être désormais celui de l'Europe.
L'héritage national, c'est d'abord la décision prise par le général de Gaulle de créer, en 1946, Electricité de France et Gaz de France, deux entreprises qui ont permis la reconstruction de notre pays dans les années cinquante et qui l'ont accompagnée tout au long des trente glorieuses. Grâce à cette décision, nous disposons aujourd'hui de deux champions nationaux.
L'héritage national, c'est ensuite la découverte brutale, en 1973, de notre dépendance à l'égard du pétrole et de son impact sur notre économie avec le premier choc pétrolier. Face à ce choc, deux décisions politiques ont été prises.
La première fut la "chasse au gaspi" - le slogan nous est resté - avec la mise en place d'une campagne d'économies d'énergie déterminée, malheureusement délaissée après le contrechoc pétrolier de 1986, qui a vu le prix du pétrole s'effondrer, le baril passant de 30 dollars à 10 dollars ; il est remonté, pour s'établir, en moyenne, entre 33 dollars et 35 dollars.
Le lancement d'un programme nucléaire sans précédent fut la seconde décision politique.
Nous sommes les héritiers de ces décisions nationales, qui marquent encore notre politique et notre pays. Elles ont été prises pour relever des défis, dans des circonstances très difficiles. Elles ont cependant pour l'essentiel survécu aux périodes de crise qui les ont engendrées, en donnant à la France des atouts incontestables, sur lesquels je souhaite insister, car ils ne sont pas assez connus.
Notre premier atout est constitué par un taux d'indépendance énergétique de 50 %. A cet égard, il faut dire aux Français que, combattre le nucléaire, comme certains le font, c'est combattre l'indépendance nationale en matière d'approvisionnement énergétique.
Le taux d'indépendance énergétique des Italiens est de 16 %, contre 50 % en France, alors que notre pays ne bénéficie ni du pétrole ni maintenant du gaz dont disposent les Anglais ou les Néerlandais, et alors qu'il n'exploite plus de charbon, à la différence de nos voisins Allemands.
Le choix du nucléaire a permis de produire une électricité compétitive : elle est, pour les ménages, 10 % moins chère que la moyenne européenne. Ce choix a également permis de réduire les émissions de CO2 : celles-ci sont inférieures de 40 % à celles de l'Allemagne et de 35 % à celles de la Grande-Bretagne.
Ces atouts sont importants. Ils nous montrent que notre héritage énergétique est de qualité et qu'il nous faut préserver notre avance en la matière. Or nous ne pourrons y parvenir en restant immobiles, et ce pour la simple raison que le monde bouge. Nous devons, à l'image des fondateurs de notre politique énergétique, anticiper les grands choix stratégiques de notre pays.
Des contraintes nouvelles sont apparues pour la France.
Tout d'abord, nous n'avons pas de pétrole et presque plus de gaz sur notre territoire. Certes, le fait n'est pas nouveau, mais les conséquences sont aujourd'hui inédites. Trente ans après le premier choc pétrolier, la sécurité d'approvisionnement énergétique de notre pays est redevenue, avec moins d'acuité mais plus d'ampleur, un véritable sujet de préoccupation.
Quand on sait que la Chine vient de devenir le deuxième consommateur de pétrole au monde, avec un taux de croissance de 10 %, quand on sait que la production de pétrole des pays de l'OCDE stagne, quand on sait que l'OPEP détient 80 % des réserves mondiales de pétrole et que la Russie sera le principal fournisseur de gaz de l'Europe dans vingt ans, on comprend sans peine pourquoi la sécurité d'approvisionnement en énergie de notre pays est un objectif central de notre politique.
La seconde contrainte est plus récente, mais tout aussi préoccupante : il s'agit du réchauffement climatique.
L'effet de serre ne doit pas être considéré comme un sujet ésotérique, sur lequel on ne pourrait pas avoir d'avis autorisé. Même si tous les avis scientifiques ne sont pas convergents, un consensus se dessine autour de réalités simples et palpables : le monde rejette aujourd'hui sept milliards de tonnes de carbone dans l'atmosphère. Ce fait a entraîné un accroissement de la température de la planète de 0,6° C en un siècle. Et cela va continuer, puisque l'on attend un réchauffement compris entre 1,5° C et 6° C d'ici à 2100.
Quelques degrés, c'est peu, mais nous savons que cela peut suffire à perturber gravement l'environnement, à réactiver des maladies tropicales, à susciter des catastrophes climatiques telles que la canicule de l'été dernier, qui pourrait bien devenir un phénomène plus commun qu'on ne l'imagine.
Que pouvons-nous faire ?
Pour stabiliser la température de la planète, l'humanité ne devrait émettre que trois milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, soit très exactement deux fois moins qu'aujourd'hui ! Pour nous, pays riches, cela veut dire tout simplement qu'il nous faut diviser par quatre nos émissions de CO2, c'est-à-dire les réduire de 3 % par an durant cinquante ans.
Héritage, contraintes, mais aussi nouveau cadre : le nouveau cadre de notre politique énergétique, c'est incontestablement l'Europe, et ce depuis l'adoption des directives relatives respectivement à l'électricité et au gaz. Le marché domestique de nos entreprises n'est plus la France, c'est l'Europe. C'est l'occasion pour nous d'aller défendre notre modèle dans les pays voisins, mais c'est aussi un défi, car il nous faudra lutter contre une concurrence nouvelle et vouée à se renforcer encore.
Dans quelques semaines - le 1er juillet 2004 - le marché de l'électricité et du gaz sera ouvert à 70 %, ce qui représente plus de trois millions de clients nouveaux. Ce n'est pas l'effet d'une décision de ce gouvernement, mais la conséquence d'une mesure européenne acceptée par nos prédécesseurs. N'y voyez pas une critique, je formule un constat. Il nous faut en tenir compte, le 1er juillet 2004, EDF et GDF seront concurrencées sur leur marché national.
Etant donné qu'EDF et GDF vont perdre des parts de marché en France, il importe de savoir comment leur donner les moyens de gagner des parts de marché en Europe.
Tel est le problème posé : faire d'EDF et de GDF, deux champions français, des champions européens. C'est le défi auquel nous sommes confrontés. Avec Patrick Devedjian, nous voudrions vous proposer quatre priorités nationales.
La première est la maîtrise de l'énergie
Quel est l'enjeu ? Il s'agit non pas de rechercher l'inaccessible, mais, là encore, d'être très concret : la France doit produire dans dix ans 25 % de richesse de plus avec seulement 9% d'énergie supplémentaires. Dans trente ans, il nous faudra produire deux fois plus de richesses avec la même consommation d'énergie qu'aujourd'hui, ou presque.
Pour y parvenir, nous devrons mobiliser toutes les politiques publiques. Je donnerai cinq exemples concrets.
Il faut mieux informer les Français sur les conséquences de leurs comportements : nous allons lancer, avec Patrick Devedjian, une grande campagne de sensibilisation sur ce sujet dans les mois qui viennent. Il convient d'opérer une véritable rééducation en la matière.
Il faut ensuite s'adresser aux acteurs qui recèlent de vrais gisements d'économies d'énergie ; c'est notamment le cas du bâtiment : nous abaisserons d'au moins 10% les seuils de la réglementation thermique, c'est-à-dire le degré d'isolation et la qualité du chauffage, définie en 2000 pour les bâtiments neufs, avec l'objectif de les diviser par trois à l'horizon 2050. Nous imposerons également à l'industrie du bâtiment, pour la rénovation des logements anciens, de respecter des normes d'efficacité énergétique aussi proches que possible de celles de 2000 pour le neuf.
Dans les transports, nous poursuivrons nos efforts en matière de respect des limitations de vitesse. Je rappelle que, grâce à notre politique de sécurité routière, les consommations d'énergie au titre des transports ont diminué, l'an passé, et ce pour la première fois depuis trente ans ! Ainsi, on enregistre une baisse de 1,8% de la consommation d'énergie en 2003 contre une augmentation de 1,3 % les années précédentes.
Nous imposerons par la loi aux fournisseurs d'électricité, de gaz et de fioul domestique d'aider financièrement leurs clients à investir dans la maîtrise de l'énergie afin d'améliorer, par exemple, l'isolation de leur logement ou l'efficacité de leur chauffage.
Enfin, en tant que ministre des finances, je vous proposerai de faire évoluer la fiscalité énergétique d'ici à la fin de l'année pour qu'elle avantage les Français qui participent à une meilleure protection de l'environnement à travers leur consommation d'énergie.
La deuxième priorité est le développement des énergies renouvelables.
Il faut avoir l'honnêteté de reconnaître que ces énergies, quelle que soit notre volonté politique, resteront un appoint aux énergies classiques, et ne constitueront jamais un substitut à ces mêmes énergies.
Disant cela, je ne souhaite provoquer personne, je suis simplement réaliste.
Il n'en est pas moins vrai que ces énergies sont réellement importantes pour l'environnement et pour l'emploi. C'est aussi une assurance pour demain, si les prix du pétrole ou du gaz devaient flamber. Ces énergies sont encore marginales - elles ne représentent que 6 % de la consommation française -, mais elles croissent rapidement en Europe, et la France doit rester dans la compétition.
C'est pour cela que nous vous proposons deux objectifs.
Il s'agit, en premier lieu, d'accroître de 50 % d'ici à 2015 les énergies renouvelables qui produisent de la chaleur, c'est-à-dire le bois, les déchets et le solaire. C'est possible, car ces énergies ont crû de 8 % sur la seule année 2003.
Il s'agit, en second lieu, de porter la production d'électricité d'origine renouvelable de 15 % à 21 % d'ici à 2010. La priorité dans ce domaine est à la préservation et au développement du potentiel hydraulique actuel ainsi qu'au développement de l'éolien, notamment offshore, bien moins pénalisant pour l'environnement que l'éolien à terre.
Les filières industrielles concernées ont besoin de visibilité pour se développer en France, mais ce développement ne doit pas non plus donner lieu à des excès : attention aux rentes excessives ou aux rejets par les populations concernées !
Enfin, le Gouvernement continuera d'encourager le développement de tous les biocarburants, comme il le fait actuellement à travers le mécanisme de défiscalisation mis en place dans la dernière loi de finances ou au travers d'autres dispositifs dont vous aurez l'occasion de débattre.
La troisième priorité est, bien sûr, le nucléaire.
Là encore, il s'agit non pas d'idéologie, mais de faits.
La moitié de notre parc nucléaire aura en moyenne trente ans en 2011. Trente ans, c'était initialement la durée prévue d'une centrale nucléaire.
Cette durée de vie de trente ans pourra sans doute être prolongée de dix ans, mais, malgré la meilleure volonté en matière de maîtrise de l'énergie et le volontarisme le plus ferme, il est certain que nous devrons choisir entre le nucléaire, le gaz et le charbon pour renouveler notre parc nucléaire. C'est-à-dire qu'il faudra choisir entre les risques associés au nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre associées aux autres formes d'énergie. Que ceux qui se présentent comme des opposants au nucléaire disent qu'ils sont favorables aux émissions de gaz à effet de serre ! Il faut, là encore, que les masques tombent !
C'est donc à nous que revient, dès aujourd'hui, la responsabilité de mettre notre pays en mesure, et c'est une décision lourde, de lancer une nouvelle génération de centrales entre 2015 et 2020, en remplacement du parc actuel. Ne pas le faire, ce serait conduire nos successeurs dans une impasse !
Pour cela, nous devons choisir la technologie qui pourra être déployée de manière industrielle dès 2020. Ce n'est pas le cas, de l'avis même des chercheurs, des réacteurs dits " de quatrième génération ", qui ne seront au mieux disponibles, au sens industriel du terme, qu'à l'horizon 2045.
Notre choix est donc simple : c'est celui du réacteur européen à eau pressurisée, l'EPR, c'est-à-dire le choix de la modernité et de la sûreté. L'EPR est, en effet, dix fois plus sûr que ce que nous connaissons ; l'électricité produite est, elle, 10 % moins coûteuse et le réacteur produit entre 15 % et 30 % moins de déchets.
Le Gouvernement est donc décidé à autoriser la construction prochaine d'un EPR par EDF. Je dois cependant vous rappeler qu'il faut compter un délai de sept années entre la décision de lancer l'EPR et l'inauguration de la première centrale opérationnelle.
Je précise qu'il ne s'agit pas pour autant de signer un chèque en blanc au bénéfice de la filière nucléaire.
Le nucléaire a des incidences sur notre vie économique et peut en avoir sur notre vie quotidienne ; il doit donc impérativement accroître sa transparence et assumer un devoir d'information du public. C'est l'objectif du projet de loi sur l'information et la transparence nucléaire que vous pourriez examiner avant l'été.
La quatrième et dernière priorité concerne le développement de la recherche dans le domaine de l'énergie.
La lutte contre l'effet de serre consiste, bien sûr, à renoncer à de mauvaises habitudes, mais cela n'est pas suffisant. Il nous faut impérativement recourir à de nouvelles technologies. Les nouvelles technologies de l'énergie doivent devenir des priorités de notre politique de recherche.
Nous proposerons que soit élaboré un programme d'actions précis et que soient alloués les moyens financiers nécessaires pour préparer l'avenir. Un avenir où l'on pourra capturer et stocker, par exemple dans des champs de gaz, le CO2 émis dans l'atmosphère ; un avenir où l'on devra faire fonctionner nos véhicules avec des biocarburants ou des piles à combustibles, un avenir où l'on saura - pourquoi pas ?- s'éclairer avec le photovoltaïque et consommer de l'électricité et du gaz sans les gaspiller.
Notre politique nationale est donc claire : maîtrise de l'énergie, développement des énergies renouvelables, construction de l'EPR et relance de la recherche.
Ces décisions ne dépendent que de nous, mais elles ne sont pas en elles-mêmes suffisantes car ne pouvons évidemment plus travailler seuls. Il nous faut en même temps avoir une politique énergétique européenne.
Le temps où la France pouvait définir sa politique énergétique sans tenir compte de celles de ses voisins est révolu.
L'Europe de l'énergie doit devenir une réalité, là encore, avec deux objectifs complémentaires : d'une part, faire gagner nos entreprises pour qu'elles portent notre modèle en Europe, d'autre part, faire que notre pays redevienne une force de proposition au service de l'indépendance énergétique de l'Europe.
Il faut d'abord permettre à EDF et à GDF de faire de l'Europe leur marché domestique. Si les deux entreprises sont les réussites que l'on sait, on le doit en premier lieu aux 140 000 hommes et femmes d'EDF et de GDF, à leur savoir-faire et à leur dévouement que je voudrais ici saluer.
Mais les deux entreprises sont devenues fragiles à plusieurs égards, et ce n'est faire insulte à personne que de le rappeler.
Le principe de spécialité lié à leur statut d'établissement public industriel et commercial les empêche de développer les activités de service en France, à la différence de la concurrence européenne, qui pourra vendre demain, chez nous, du gaz et de l'électricité, qui pourra aussi réparer les chaudières et ne s'en privera pas. Dans le cadre du statut actuel, EDF et GDF, du fait du principe de la spécialité, ne peuvent pas proposer une offre commune, alors que leurs concurrents pourront le faire.
Pourquoi mettre ces boulets aux pieds de nos deux champions nationaux ?
Le statut d'établissement public est également, dans la majorité des pays européens, une source de suspicion, comme en Italie ou en Espagne, à l'origine de l'adoption de lois qui interdisent le développement d'EDF et de GDF dans ces deux pays.
La troisième fragilité, et non la moindre, tient au fait qu'EDF comme GDF sont confrontées à de sérieuses difficultés financières : EDF est trop endettée et doit renforcer ses fonds propres.
Je tiens à le rappeler, et sans cruauté aucune, cela fait maintenant vingt-deux ans que l'Etat ne remplit pas son rôle d'actionnaire, car cela fait vingt-deux ans que l'Etat n'a pas mis un centime au service et dans le capital d'EDF et de GDF. Voilà une réalité qui a considérablement contribué à affaiblir ces entreprises.
Nous devons offrir à EDF et à GDF les moyens juridiques et financiers de résoudre cette contradiction en leur donnant une nouvelle forme juridique, celle de la société, et en leur permettant demain d'augmenter leurs ressources et donc leur capital. C'est indispensable pour que ces entreprises puissent investir non seulement en Europe, mais aussi en France, dans l'EPR, par exemple, ou pour desservir en gaz un million de Français supplémentaires.
Comment inviter EDF et GDF à aller conquérir l'Europe ou à se développer dans l'EPR si on ne leur en donne pas les moyens ? L'enjeu est capital.
Il n'y aura pas de privatisation d'EDF ni de GDF, et ce pour une raison simple : EDF et GDF ne sont pas des entreprises comme les autres.
Mais qui, alors que, pour la première fois depuis 1946, EDF et GDF vont connaître la concurrence sur leur marché domestique, qui pourrait affirmer qu'elles doivent garder la même organisation que du temps du monopole ? Que ceux qui ont laissé entrer la concurrence se posent la question !
Chacun le sait bien : c'est en allant vers la mer que le fleuve est fidèle à sa source. Je citais Jaurès, bien que cette référence soit assez inhabituelle dans ma bouche !
Si l'on veut qu'EDF et GDF restent des champions, il faut leur donner les moyens de conquérir des marchés en Europe : avec le statut d'établissement public, les deux entreprises ne le peuvent pas.
Voilà la première question posée. Mais il en est une seconde : la Commission a estimé que le statut d'établissement public ouvrait droit à la garantie de l'Etat, élément qui fausse la concurrence. Or, si EDF et GDF perdent leur statut d'établissement public se posera la question de la garantie de leur régime spécial de retraite. Qui pourrait reprocher à ce gouvernement de procéder aux adaptations nécessaires pour garantir scrupuleusement le régime de retraite des gaziers et des électriciens ?
Il n'y aura donc pas de privatisation d'EDF ni de GDF, il n'y aura pas de modification du statut des agents ni de leurs régimes de retraite.
Voilà la réalité des choses, la réalité incontournable.
Et si M. Jospin n'était pas d'accord avec la décision du Conseil européen de Barcelone, auquel il assistait en tant que Premier ministre, il fallait qu'il se lève de la table et dise clairement son refus de l'ouverture à la concurrence ! Il l'a acceptée, il faut donc aujourd'hui assumer !
Les électriciens et les gaziers le savent bien : ceux qui ont ouvert le marché à la concurrence nous laissent la responsabilité de l'adaptation d'EDF et de GDF. Il est un peu tard pour venir contester ici une décision que l'on a laissé l'Europe prendre à Barcelone ! C'est alors qu'il fallait y penser !
Le gouvernement que vous souteniez a fait un choix dont il nous revient maintenant d'assumer les conséquences.
Et qui peut penser que, au 1er juillet 2004, nous pourrions laisser EDF et GDF dans la situation actuelle, c'est-à-dire les vouer à l'immobilisme ?
La France doit également redevenir une force de proposition pour l'Europe et lui proposer un pacte.
Partager un marché unique, c'est une chance, mais il faut aussi développer des solidarités afin de ne pas courir le risque de voir une coupure généralisée affecter une partie de l'Europe, le risque de voir une politique de production insuffisamment prévoyante dans un pays européen se traduire par des hausses de prix chez ses voisins. Nous ne voulons pas que l'Europe connaisse la même situation que la Californie.
Il nous faut donc maîtriser ces risques collectivement. Pour ce faire, l'Europe doit s'assurer que son parc de production électrique est suffisant et que chacun de ses membres dispose d'un niveau minimum de production par rapport à sa consommation. Tout ne peut pas reposer sur les exportations, le black-out italien de l'été dernier est là pour nous le rappeler.
Nous ne pouvons pas être prévoyants pour 2050 tandis que nos voisins européens ne le seraient pas pour l'été prochain ! Voilà une autre réalité européenne.
Nous devons permettre à nos entreprises gazières, quelles que soient les règles de concurrence, de conserver des contrats d'approvisionnement à long terme avec les pays producteurs pour les inviter, pour les inciter à investir dans les réseaux dont nous aurons besoin demain. Nous devons trouver les moyens de préserver, en leur assurant un bas prix de l'électricité, la compétitivité de nos industries fortement consommatrices d'électricité - je pense à la sidérurgie, à l'industrie du verre et à la chimie.
Prenons l'exemple de l'acier, dont le prix - M. Devedjian et moi-même le savons assez bien ! - a augmenté de 30 % depuis le début de l'année.
L'imprévoyance en matière énergétique conduirait donc à une catastrophe pour nos industries, et donc pour l'emploi des Français.
Il nous faut enfin faire converger progressivement les politiques énergétiques européennes vers un modèle commun : on ne peut partager à long terme un même marché sans se mettre d'accord sur un minimum de règles communes, notamment sur la manière de produire l'électricité ou de diminuer les gaz à effet de serre, sans agir en commun pour, par exemple, supprimer du marché les voitures les plus polluantes.
Je crois que l'Europe doit, en la matière, se fixer des priorités.
L'Europe, comme la France, doit d'abord aller plus loin dans la relance de la maîtrise de l'énergie.
Chaque pays doit engager sérieusement le débat sur l'énergie nucléaire. Cette énergie permet aujourd'hui de produire 34 % de l'électricité européenne ; elle évite un accroissement de nos émissions de gaz à effet de serre équivalant à celles de l'ensemble du parc automobile européen ! En d'autres termes, si la France n'avait pas puissamment investi, au début des années soixante-dix, dans l'industrie nucléaire, les émissions européennes de gaz à effet de serre seraient le double de celles du parc automobile européen.
C'est dire l'importance de l'énergie nucléaire dans la protection de l'environnement, et c'est dire l'importance de la marge de réduction dont disposerait l'Europe si elle décidait d'utiliser le nucléaire comme le fait la France. Un pays comme le nôtre peut-il continuer à investir dans la nouvelle génération de centrales nucléaires, alors que d'autres, parmi ses partenaires européens, persisteraient à combattre le nucléaire et à produire un maximum de gaz à effet de serre ?
Voilà une question européenne majeure.
Nous avons reçu beaucoup de leçons ; nous en avons donné très peu. Le temps est venu de déposer sur la table des Conseils européens les chiffres en matière de protection de l'environnement et d'émission de gaz à effet de serre, et d'en tirer les conséquences.
Enfin, l'Europe doit se doter d'une véritable diplomatie de l'énergie.
Notre sécurité d'approvisionnement en dépend.
Vous l'avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat que nous ouvrons est, pour Patrick Devedjian et pour moi-même, absolument essentiel.
Naturellement, ce n'est pas dans les mois qui viennent que les Français constateront le résultat des mesures que nous vous proposons aujourd'hui ; mais dans vingt ans, dans trente ans, l'indépendance énergétique de notre pays sera très directement fonction des votes que vous aurez à émettre dans quelques semaines, à l'occasion de la discussion du projet de loi d'orientation sur les énergies puis du projet de loi relatif à la nouvelle organisation des entreprises d'électricité et de gaz.
La question posée est finalement la suivante : serons-nous à la hauteur de ceux qui ont été les géniaux, les remarquables innovateurs de 1946 et de 1973 ?
En 1946, personne ne les a remerciés ; c'est nous qui, dans les années quatre-vingt, avons bénéficié des conséquences de leur action. En 1973, de nombreuses manifestations contre le nucléaire ont eu lieu ; mais où sont-ils, ceux qui manifestaient hier, pour les remercier d'avoir donné à notre pays son indépendance énergétique ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont des décisions de la même importance qu'il vous faudra prendre prochainement.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 7 juin 2004)