Interview de Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, à RMC le 27 septembre 2004, sur la politique ménée en direction des victimes, la réparation des erreurs et dysfonctionnements du système judiciaire et sur la place du secrétariat d'Etat aux droits des victimes.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- Lorsque vous avez été nommée, le 29 mai, Libération disait : "N. Guedj est une secrétaire d'Etat aux gerbes de fleurs".
R- Et vous attendez ma réaction ?
Q- - Oui, bien sûr.
R- Il y a certainement, effectivement, à faire évoluer beaucoup de mentalité, plus qu'on ne le pensait. Il y a une minorité assez bruyante, qui critique cette création d'un secrétaire d'Etat aux Droits des victimes. Ce sont précisément ceux, qui en leur temps reprochaient à l'Etat, aux pouvoirs publics, un manque de proximité, un manque de manifestation de solidarité nationale, qui aujourd'hui, sans connaître réellement les victimes et le droit des victimes s'expliquent là...
Q- J'écoutais C. Tané (phon.), la semaine dernière : "le secrétariat aux Droits des victimes est une mascarade", "c'est une entreprise démagogique", dit le président de l'Union syndicale des magistrats - cela peut s'expliquer que les magistrats disent cela ; on va en parler. C'est vrai que vous dépendez du ministère de la Justice, mais vous n'êtes pas dotée d'un budget propre ?
R- Je dépends effectivement du ministère de la Justice, parce qu'à l'origine, nous ne concevions les victimes que d'infraction pénale. Aujourd'hui, nous sommes rentrés dans une société du risque et il s'agit de préparer les dispositifs d'aide, d'accompagnement des victimes, de catastrophes naturelles, d'actes de terrorisme, de catastrophes industrielles ou biologiques. C'est dans cet Etat d'esprit, et pour cette raison que ce secrétariat d'Etat a été créé. Il a également été créé, parce que les pouvoirs publics ont considéré qu'aujourd'hui, il était temps de prendre leurs responsabilités, de ne pas les laisser aux seuls réseaux associatifs la charge et la responsabilité d'aider, d'accompagner, de prendre les victimes en charge. Donc, c'est en partenariat avec ce réseau associatif que nous entendons agir. Pour ce qui est des critiques que vous avez rappelées, ce qu'il est important de dire, si on veut prendre le cas de madame Tané [phon.], pour laquelle j'ai juste voulu rappeler que je souhaitais rester indulgente à son égard, elle ne parle qu'en son nom. Je crois qu'elle n'a pas encore compris à quel point elle, mais aussi toutes les associations de victimes et d'aides aux victimes ont pu être entendus dans un plan que je dévoilerai dans quelques jours, un plan d'action. J'indiquerai précisément toutes les mesures, toutes les dispositions que nous voulons mettre en place en faveur des victimes. Et pour ce qui concerne le budget, parce qu'il faut aller jusqu'au bout, je dispose à la fois d'un budget spécifique d'aides aux victimes, pour lequel j'ai obtenu une augmentation sans précédent de 13 %, ce qui n'est pas neutre.
Q- Cela représente quoi ? Quel est le budget de l'aide aux victimes.
R- Il est de 10,5 millions d'euros, en tenant compte de 3 millions pour le prêt sentenciel et nous avons obtenu un million d'euros d'augmentation. Ceci pour les associations d'aide aux victimes et les subventions que nous leur accordons. Pour le reste, bien entendu, mon secrétariat d'Etat dispose, en partie du budget alloué au ministère de la Justice.
Q- C'est vrai que les victimes ont été longtemps et sont encore oubliées, la place des victimes... Quand on pense que le code pénal n'est pas explicite du tout sur la reconnaissance du statut des victimes, par exemple. Prenons Outreau : est-ce que l'on doit reconnaître l'existence d'une faute lourde de l'Etat ?
R- Aujourd'hui, et il a été souvent rappelé depuis ce matin, que le garde des Sceaux recevait sept personnes qui ont été acquittées. Il s'agit là d'un acte symbolique et exemplaire. Si vous m'y autorisez, je laisserai au garde des Sceaux le soin de s'exprimer. Je dirais simplement - vous savez peut-être que j'ai été avocat durant plus de 20 ans - qu'il y a effectivement un certain nombre de choses à faire, notamment, penser à mettre tout en uvre pour réduire les délais de détention provisoire, parce que c'est une des graves questions qui se posent dans cette affaire. Je pense qu'il est aussi très important de réfléchir à la façon de mieux recueillir la parole de la victime et notamment la parole de l'enfant victime. Il ne faudrait pas que cette affaire vienne écarter ou effacer cette question, ce sujet et ce drame aussi, pour des enfants qui malgré tout ont été victimes dans cette affaire.
Q-On s'interroge : est-ce que la justice peut s'excuser en France ? En est-elle capable ?
R- Le garde des Sceaux s'exprimera, comme je vous l'ai dit...
Q- Oui, d'accord, mais vous avez un avis, vous n'allez pas sans arrêt
vous retrouver sous le parapluie du garde des Sceaux.
R- Je n'utilise aucun parapluie. C'est un sujet bien trop sérieux pour que l'on puisse chercher à polémiquer ou faire des mots. [...] S'il existe des dysfonctionnement, et le président de la République dans son discours du 14 juillet l'a reconnu, eh bien il faut effectivement que les services judiciaires, que la justice assume ces dysfonctionnements et qu'elle fasse tout pour réparer. Toute la question est de savoir ce que l'on peut réparer.
Q- Oui, mais les magistrats ne sont jamais contrôlés. Ou s'ils le sont, ils le sont à la demande du garde des Sceaux, vous le savez bien. Le problème est là, c'est qu'il n'y a pas de sanction, pas de contrôle.
R- Je crois qu'aussi bien le président de la République que le garde des Sceaux sont prêts à mener des réflexions en profondeur.
Q- Dans ce sens là ?
R- Ils vous le diront. En profondeur et c'est sans parapluie que je vous dis que je ne peux parler qu'en mon nom.
Q- En votre nom, vous aimeriez que de telles réformes soient engagées ?
R- En mon nom, j'aimerais effectivement que beaucoup de réformes soient engagées, que ce soit pour les durées de détention, que ce soit pour le mode de fonctionnement, la responsabilité des magistrats, pourquoi pas.
Q- On parlait tout à l'heure d'harmonisation des modes d'indemnisation des victimes. On va prendre un exemple : l'attentat de Karachi. On se souvient de cet attentat : 11 morts et 12 blessés le 8mai 2002. On a proposé 30 000 euros aux veuves des victimes de Karachi, pour une catastrophe aérienne, l'indemnité est dix fois supérieure : pourquoi ?
R- Merci de me donner l'occasion de dire qu'il existe en France 45 modes d'indemnisation. Incroyable ! Cela amène à un traitement inégalitaire des victimes. C'est la raison pour laquelle, dans le plan d'action que je présenterai mercredi, je propose une harmonisation de ce mode d'indemnisation afin, effectivement, pour un même préjudice, quel que soit l'accident dont on a été l'objet, on puisse être indemnisé de façon égalitaire et prévisible, c'est très important.
Q- Est-ce que les indemnités versées aux victimes sont imposées ?
R- Elles le sont pour certaines, par pour d'autres. J'ai récemment obtenu, pour les victimes...
Q- C'est incroyable !
R- Il y a beaucoup à faire. Et lorsque vous parliez de ces critiques qui disent que ce secrétariat d'Etat a été créé pour des raisons démagogiques, eh bien voilà tout ce qu'il y a à faire, en l'occurrence. Et déjà, après six mois d'exercice, j'ai obtenu une défiscalisation des indemnités versées aux victimes de l'amiante.c
Q- Voilà encore une bonne chose. Est-ce qu'on pourrait étendre cette défiscalisation à toutes les indemnités versées à toutes les victimes ?
R- Cela fait partie de mes objectifs.
Q- Vous allez mettre en place un système d'alerte médiatique, qui sera mis en uvre dès la disparition d'un enfant. Vous avez été très marquée par la disparition du petit Jonathan. Quelle est la question que vous posez aux Français ?
R- Sauriez-vous ou vous adresser si vous étiez victimes ?
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 septembre 2004)