Texte intégral
Interview à LCI le 3 :
Anita Hausser : Bonjour Michèle Alliot-Marie
Michèle Alliot-Marie : Bonjour.
Anita Hausser : Nous sommes à la veille, à l'avant-veille des cérémonies commémorant le débarquement en Normandie. Pour le ministre de la Défense, c'est l'occasion de redire qu'il faut une armée forte ?
Michèle Alliot-Marie : Oui, absolument. Ces cérémonies seront d'abord l'occasion de rendre hommage à tous ceux, Français et étrangers, militaires originaires de 14 pays qui sont venus nous aider à nous libérer et qui à cette occasion, y ont aussi souvent laissé leur vie. C'est également l'occasion de rappeler, notamment aux plus jeunes, que la liberté et la tolérance, c'est quelque chose qui peut être remis en cause à tout moment, et pour lequel il faut être prêt à se battre. C'est le rôle des militaires ; nous vivons malheureusement dans un monde dangereux, dans un monde où nous constatons la montée du terrorisme, la multiplication des crises inter-ethniques, inter-communautaires, inter-religieuses où peuvent être menacés, des Français, des Européens, et où nos valeurs sont aussi menacées.
Anita Hausser : Alors vous dites rendre hommage à ceux qui sont venus de l'étranger nous libérer. George BUSH qui sera l'hôte et un peu l'invité d'honneur de ces cérémonies, a prononcé une série de discours dans lesquels il établit un parallèle entre la libération de l'Europe et la libération de l'Irak. Comment est-ce que vous recevez ces déclarations ?
Michèle Alliot-Marie : Les parallèles sont toujours difficiles, voire dangereux, lorsque l'on se trouve dans des circonstances extrêmement différentes. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est effectivement de dire aux militaires américains, britanniques, mais également à ceux qui sont venus en nombre d'autres pays, que nous leur sommes reconnaissants de ce qu'ils ont fait à ce moment-là. Ce sera une occasion de resserrer les liens avec ces pays et bien entendu, tout particulièrement avec les Américains puisque nous avons effectivement eu quelques dissensions. Ce sera également une occasion de tourner définitivement la page pas simplement entre les politiques, mais je l'espère aussi entre les opinions publiques.
Anita Hausser : Vous dites définitivement, donc on pourrait par exemple, grâce à des améliorations comme le demande Jacques CHIRAC, arriver à voter une résolution dans ce sens à l'ONU ?
Michèle Alliot-Marie : En ce qui concerne l'Irak, personne n'a intérêt à un échec. Il faut essayer de trouver les meilleures solutions possibles ; pour nous, ces meilleures solutions passent par le rôle dominant de l'ONU qui doit donc retrouver la totalité de ses pouvoirs et de ses compétences. Cela passe aussi par la pleine et entière souveraineté des Irakiens sur leur pays, et donc aussi par un gouvernement irakien légitime. A ce moment-là, lorsque toutes ces conditions seront réunies, il faudra que nous soyons prêts à aider à reconstruire ce pays.
Anita Hausser : Et seulement à reconstruire. Pas à aider, à former des hommes comme cela avait été envisagé à un moment ?
Michèle Alliot-Marie : Si le gouvernement légitime irakien le demande, participer à la reconstruction du pays, cela veut dire l'aider à retrouver les moyens d'exercer sa souveraineté sur son territoire, et notamment d'assurer sa sécurité. Ce qui peut vouloir dire effectivement, aider à la formation de l'armée irakienne, de sa police, de sa gendarmerie, domaines dans lesquels nous avons une compétence particulière. Nous le faisons par exemple aujourd'hui, en Afghanistan, au bénéfice du gouvernement légitime d'Afghanistan.
Anita Hausser : Alors question évidemment : En avons-nous les moyens ? Puisqu'il est question d'économie, on a assisté à une polémique un peu à fleuret moucheté, je dirais, entre la Défense et les Finances on dira comme ça, puisque ce ne sont pas les ministres, eux-mêmes, qui sont montés au créneau. Aujourd'hui où en est-on ?
Michèle Alliot-Marie : Comme nous l'avons dit, nous sommes dans une procédure classique. Comme tous les ans à la même époque, le ministère des Finances essaie d'obtenir d'un certain nombre de ministères qu'ils restreignent leurs activités. Et comme la Défense est le deuxième budget de l'Etat, on se tourne bien entendu souvent vers la Défense.
Anita Hausser : Et on lui demande un gros effort ?
Michèle Alliot-Marie : On lui demande toujours un effort. Cet effort nous le faisons, et nous l'avons fait les autres années pour essayer de faire des économies. Nous sommes responsables parce qu'il est vrai que nous recevons de l'argent de la Nation. Je suis aussi responsable de cette bonne utilisation. Nous avons donc fait des économies sur un certain nombre de lignes budgétaires.
Anita Hausser : Et donc vous expliquez que c'est déjà fait, vous expliquez que c'est déjà fait, donc nous n'avons plus rien à faire ?
Michèle Alliot-Marie : Nous avons déjà fait beaucoup, mais j'essaie toujours de rationaliser davantage pour faire le maximum d'économies. Mais faire le maximum d'économies, cela ne veut pas dire faire tout et n'importe quoi. Comme je viens de le dire, nous vivons dans un monde dangereux. Comme nous l'avons malheureusement vu à Madrid, le terrorisme peut frapper n'importe quel pays, n'importe quelle ville, n'importe quel citoyen. Nous avons vu par exemple en Côte d'Ivoire comment des Français et des Européens pouvaient être pris dans des crises. Il faut être à même, et c'est la première responsabilité d'un Etat, de défendre ses citoyens, de défendre ses intérêts sur son territoire et à l'extérieur. Pour cela, il faut de l'argent. Pendant des années, le dernier gouvernement socialiste en particulier avait baissé les crédits de la Défense. A tel point que nous nous sommes retrouvés dans une situation où les militaires français ne disposaient plus que de la moitié des matériels de combat nécessaire. S'il fallait nous défendre ou agir, 50 % des avions et des hélicoptères étaient cloués au sol, parce qu'il n'y avait plus assez de crédits pour payer les pièces détachées.
Anita Hausser : Et aujourd'hui ?
Michèle Alliot-Marie : Aujourd'hui avec la nouvelle loi de programmation militaire voulue par le président de la République, nous commençons à rattraper ce retard. Mais en moins de deux ans, nous n'avons pas encore rattrapé le retard des cinq dernières années.
Anita Hausser : Combien de temps faudra-t-il ?
Michèle Alliot-Marie : Je pense qu'il faudra encore à peu près 12 à 18 mois pour que nous arrivions à un taux d'opérationnalité, c'est-à-dire d'utilisation possible de nos matériels qui nous permettent d'être dans des conditions normales, celles correspondants à la capacité de nos militaires. Nous en avons besoin et en plus, il ne faut pas oublier une chose, le budget de la Défense, ce n'est pas simplement de l'argent que l'on nous donne, c'est de l'argent que nous réinjectons dans l'économie française.
Anita Hausser : Voilà. C'est votre grand argument, la Défense est un des grands investisseurs ?
Michèle Alliot-Marie : Non, c'est l'un des arguments. Le premier argument, c'est la nécessité de défendre les Français et leurs intérêts dans un contexte mondial très difficile. Le deuxième argument, c'est effectivement de rappeler que la Défense est le premier investisseur public français. Nous sommes donc un élément de la dynamique économique. L'argent que nous recevons, j'en remets immédiatement plus de la moitié dans l'économie française pour développer la recherche, et la recherche militaire a beaucoup de conséquences sur le civil, et pour permettre également à de très nombreuses entreprises grandes et petites sur la totalité du territoire de pouvoir faire travailler des gens pour la Défense, et pour l'exportation.
Anita Hausser : Michèle Alliot-Marie, vous parlez là comme si les choses étaient acquises. En fait votre budget restera tel que vous le souhaitez ?
Michèle Alliot-Marie : La loi de programmation militaire, c'est une nécessité. Le budget est effectivement un élément important de la vie économique française. A partir de là et tout en faisant le maximum d'effort pour que ce budget soit bien utilisé, j'ai bien l'intention de faire valoir mes arguments.
Anita Hausser : Et de vous faire entendre. On est en pleine campagne européenne, on parle de défense européenne, mais cela reste quand même un concept très flou, ce sont souvent des mots ?
Michèle Alliot-Marie : Non, ce ne sont plus des mots. Depuis deux ans, la Défense européenne a considérablement progressé. Le résultat, c'est qu'aujourd'hui la Défense européenne, cela existe. Nous avons vu des militaires portant le drapeau européen sur le bras en Macédoine où l'Europe a pris la relève de l'OTAN. L'été dernier, c'est en République démocratique du Congo, dans des conditions très difficiles, que des militaires représentants l'Europe ont mené seuls une opération importante. Dans quelques mois, dans quelques semaines même, c'est en Bosnie que l'Union européenne prendra la relève de l'OTAN. Aujourd'hui, des opérations militaires sont menées par la Défense européenne. Nous n'avons pas simplement progressé dans ce domaine-là, nous sommes en train de mettre en place des structures qui nous permettent d'intervenir pratiquement n'importe où, avec par exemple la cellule de planification à Bruxelles et avec l'Agence Européenne de Défense et de l'armement.
Anita Hausser : Vous aimeriez passer la législature à la Défense ?
Michèle Alliot-Marie : Je suis là pour accomplir une mission, pour mener un certain nombre de réformes que j'ai commencées avec la loi de programmation militaire, le nouveau statut général des militaires que je présenterai à l'automne, avec des modifications concernant les réserves, avec la nouvelle journée d'appel, avec la Délégation Générale de l'Armement, avec l'Europe de la Défense. Tant que j'ai des choses à faire, je suis très heureuse d'être à la Défense avec des gens qui sont absolument formidables.
Anita Hausser : Merci.
Michèle Alliot-Marie : C'est le président de la République qui décidera.
Anita Hausser : Merci, beaucoup.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 4 juin 2004)
Interview au "Corriere della sera" le 4 juin :
Q - Le paradoxe de l'anniversaire du débarquement en Normandie ne peut pas nous échapper. Cet événement sera en effet célébré par les protagonistes de la plus récente et plus grave fracture au sein de l'Occident, à savoir George Bush et Jacques Chirac. Cet événement est partagé en Europe, surtout en France, entre des sentiments populaires de gratitude et d'hostilité. Serait-ce l'occasion d'une réconciliation, notamment pour trouver une issue de secours au désastre irakien ?
R - Le désaccord de la France à propos de la guerre en Irak a été confondu, à tort, avec de l'anti-américanisme. Mais aujourd'hui, même à Washington, on reconnaît la validité de nos analyses sur le scénario de guerre et sur la monde arabe. Ces avis sont sérieusement pris en considération. Désormais dépassées, les tensions au niveau politique n'ont jamais entaché notre profonde collaboration sur le plan militaire, par exemple en Afghanistan. Les célébrations du débarquement peuvent être l'occasion de dépasser également les divisions et les incompréhensions au sein de l'opinion publique. La présence du président Bush en Normandie nous rappelle le rôle central des États-Unis dans la libération de la France. Nous sommes tous désireux de retrouver l'unité de la communauté internationale, dont le présupposé est un partenariat fondé sur la clarté et la transparence.
Q - A Rome et à Paris, des manifestations se préparent contre George Bush. Sa visite en Europe peut-elle provoquer un ressentiment plus qu'une réconciliation ?
R - Les opinions publiques européennes étaient opposées à la guerre en Irak, et ce même si plusieurs gouvernements ont suivi George Bush. En France, l'opinion publique et l'exécutif étaient en syntonie. Pour cela, Jacques Chirac est très apprécié dans le monde entier. L'on peut comprendre qu'il existe de la rancur. Nous sommes cependant confiants sur le fait que le Président Bush confirmera sa volonté de démarrer une nouvelle phase pour l'Irak. Et que les gens l'accueilleront comme le représentant du peuple américain en mémoire des Américains qui sont tombés sur nos plages le 6 juin 1944.
Q - En France, principalement en Normandie, les sentiments sont également controversés sur la présence du chancelier allemand Gerhard Schröder?
R - Il s'agit d'une présence qui donne une nouvelle dimension au souvenir. C'est un message pour tous les peuples et les pays qui s'affrontent aujourd'hui militairement. C'est la preuve concrète que la réconciliation est toujours possible. Dans un tel esprit, même les associations d'anciens combattants ont accueilli favorablement l'arrivée de Gerhard Schröder. Le fait que deux pays qui se sont combattus puissent devenir amis est un véritable message d'espoir pour le monde d'aujourd'hui.
Q - L'anniversaire de la Libération peut-il être un facteur déclencheur, en plus d'accélérer le processus de défense européenne ?
R - En premier lieu, cet événement nous rappelle que le chemin qui mène à la liberté et à la tolérance est long. En second lieu, il nous rappelle que l'alliance entre l'Europe et les États-Unis est une garantie suprême et qu'elle est la signification la plus profonde de la mission actuelle de l'OTAN, au sein de laquelle la France continue d'apporter une importante contribution. En troisième lieu, il signifie que, face à la menace terroriste, l'Europe doit traduire en énergies et en moyens plus conséquents son objectif de la défense commune.
Q - Au-delà de l'esprit des célébrations, les divergences sur la guerre demeurent. Le président Chirac a insisté sur la pleine souveraineté des Irakiens. Est-ce réaliste au vu des délais si rapprochés ?
R - Cela est réaliste et nécessaire, afin d'éviter que la situation ne se détériore encore davantage et que le ressentiment ne se tourne contre tout l'Occident. La souveraineté ne signifie ne pas de laisser seul le peuple irakien, mais de donner aux Irakiens le droit de faire leurs propres choix, y compris celui de demander aux troupes américaines de rester ou de s'en aller. La future résolution devra avoir un triple objectif : affirmer la pleine souveraineté, garantir l'autorité retrouvée des Nations unies et mettre en place un processus de reconstruction politique et économique qui soit vraiment crédible aux yeux des Irakiens.
Q - Mais la France répète qu'elle n'est pas disposée à envoyer ses troupes. Sous aucune condition.
La France est prête à participer à la reconstruction du pays, à collaborer au maintien de la sécurité. Mais la France n'enverra aucun soldat en Irak.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 juin 2004)
Anita Hausser : Bonjour Michèle Alliot-Marie
Michèle Alliot-Marie : Bonjour.
Anita Hausser : Nous sommes à la veille, à l'avant-veille des cérémonies commémorant le débarquement en Normandie. Pour le ministre de la Défense, c'est l'occasion de redire qu'il faut une armée forte ?
Michèle Alliot-Marie : Oui, absolument. Ces cérémonies seront d'abord l'occasion de rendre hommage à tous ceux, Français et étrangers, militaires originaires de 14 pays qui sont venus nous aider à nous libérer et qui à cette occasion, y ont aussi souvent laissé leur vie. C'est également l'occasion de rappeler, notamment aux plus jeunes, que la liberté et la tolérance, c'est quelque chose qui peut être remis en cause à tout moment, et pour lequel il faut être prêt à se battre. C'est le rôle des militaires ; nous vivons malheureusement dans un monde dangereux, dans un monde où nous constatons la montée du terrorisme, la multiplication des crises inter-ethniques, inter-communautaires, inter-religieuses où peuvent être menacés, des Français, des Européens, et où nos valeurs sont aussi menacées.
Anita Hausser : Alors vous dites rendre hommage à ceux qui sont venus de l'étranger nous libérer. George BUSH qui sera l'hôte et un peu l'invité d'honneur de ces cérémonies, a prononcé une série de discours dans lesquels il établit un parallèle entre la libération de l'Europe et la libération de l'Irak. Comment est-ce que vous recevez ces déclarations ?
Michèle Alliot-Marie : Les parallèles sont toujours difficiles, voire dangereux, lorsque l'on se trouve dans des circonstances extrêmement différentes. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est effectivement de dire aux militaires américains, britanniques, mais également à ceux qui sont venus en nombre d'autres pays, que nous leur sommes reconnaissants de ce qu'ils ont fait à ce moment-là. Ce sera une occasion de resserrer les liens avec ces pays et bien entendu, tout particulièrement avec les Américains puisque nous avons effectivement eu quelques dissensions. Ce sera également une occasion de tourner définitivement la page pas simplement entre les politiques, mais je l'espère aussi entre les opinions publiques.
Anita Hausser : Vous dites définitivement, donc on pourrait par exemple, grâce à des améliorations comme le demande Jacques CHIRAC, arriver à voter une résolution dans ce sens à l'ONU ?
Michèle Alliot-Marie : En ce qui concerne l'Irak, personne n'a intérêt à un échec. Il faut essayer de trouver les meilleures solutions possibles ; pour nous, ces meilleures solutions passent par le rôle dominant de l'ONU qui doit donc retrouver la totalité de ses pouvoirs et de ses compétences. Cela passe aussi par la pleine et entière souveraineté des Irakiens sur leur pays, et donc aussi par un gouvernement irakien légitime. A ce moment-là, lorsque toutes ces conditions seront réunies, il faudra que nous soyons prêts à aider à reconstruire ce pays.
Anita Hausser : Et seulement à reconstruire. Pas à aider, à former des hommes comme cela avait été envisagé à un moment ?
Michèle Alliot-Marie : Si le gouvernement légitime irakien le demande, participer à la reconstruction du pays, cela veut dire l'aider à retrouver les moyens d'exercer sa souveraineté sur son territoire, et notamment d'assurer sa sécurité. Ce qui peut vouloir dire effectivement, aider à la formation de l'armée irakienne, de sa police, de sa gendarmerie, domaines dans lesquels nous avons une compétence particulière. Nous le faisons par exemple aujourd'hui, en Afghanistan, au bénéfice du gouvernement légitime d'Afghanistan.
Anita Hausser : Alors question évidemment : En avons-nous les moyens ? Puisqu'il est question d'économie, on a assisté à une polémique un peu à fleuret moucheté, je dirais, entre la Défense et les Finances on dira comme ça, puisque ce ne sont pas les ministres, eux-mêmes, qui sont montés au créneau. Aujourd'hui où en est-on ?
Michèle Alliot-Marie : Comme nous l'avons dit, nous sommes dans une procédure classique. Comme tous les ans à la même époque, le ministère des Finances essaie d'obtenir d'un certain nombre de ministères qu'ils restreignent leurs activités. Et comme la Défense est le deuxième budget de l'Etat, on se tourne bien entendu souvent vers la Défense.
Anita Hausser : Et on lui demande un gros effort ?
Michèle Alliot-Marie : On lui demande toujours un effort. Cet effort nous le faisons, et nous l'avons fait les autres années pour essayer de faire des économies. Nous sommes responsables parce qu'il est vrai que nous recevons de l'argent de la Nation. Je suis aussi responsable de cette bonne utilisation. Nous avons donc fait des économies sur un certain nombre de lignes budgétaires.
Anita Hausser : Et donc vous expliquez que c'est déjà fait, vous expliquez que c'est déjà fait, donc nous n'avons plus rien à faire ?
Michèle Alliot-Marie : Nous avons déjà fait beaucoup, mais j'essaie toujours de rationaliser davantage pour faire le maximum d'économies. Mais faire le maximum d'économies, cela ne veut pas dire faire tout et n'importe quoi. Comme je viens de le dire, nous vivons dans un monde dangereux. Comme nous l'avons malheureusement vu à Madrid, le terrorisme peut frapper n'importe quel pays, n'importe quelle ville, n'importe quel citoyen. Nous avons vu par exemple en Côte d'Ivoire comment des Français et des Européens pouvaient être pris dans des crises. Il faut être à même, et c'est la première responsabilité d'un Etat, de défendre ses citoyens, de défendre ses intérêts sur son territoire et à l'extérieur. Pour cela, il faut de l'argent. Pendant des années, le dernier gouvernement socialiste en particulier avait baissé les crédits de la Défense. A tel point que nous nous sommes retrouvés dans une situation où les militaires français ne disposaient plus que de la moitié des matériels de combat nécessaire. S'il fallait nous défendre ou agir, 50 % des avions et des hélicoptères étaient cloués au sol, parce qu'il n'y avait plus assez de crédits pour payer les pièces détachées.
Anita Hausser : Et aujourd'hui ?
Michèle Alliot-Marie : Aujourd'hui avec la nouvelle loi de programmation militaire voulue par le président de la République, nous commençons à rattraper ce retard. Mais en moins de deux ans, nous n'avons pas encore rattrapé le retard des cinq dernières années.
Anita Hausser : Combien de temps faudra-t-il ?
Michèle Alliot-Marie : Je pense qu'il faudra encore à peu près 12 à 18 mois pour que nous arrivions à un taux d'opérationnalité, c'est-à-dire d'utilisation possible de nos matériels qui nous permettent d'être dans des conditions normales, celles correspondants à la capacité de nos militaires. Nous en avons besoin et en plus, il ne faut pas oublier une chose, le budget de la Défense, ce n'est pas simplement de l'argent que l'on nous donne, c'est de l'argent que nous réinjectons dans l'économie française.
Anita Hausser : Voilà. C'est votre grand argument, la Défense est un des grands investisseurs ?
Michèle Alliot-Marie : Non, c'est l'un des arguments. Le premier argument, c'est la nécessité de défendre les Français et leurs intérêts dans un contexte mondial très difficile. Le deuxième argument, c'est effectivement de rappeler que la Défense est le premier investisseur public français. Nous sommes donc un élément de la dynamique économique. L'argent que nous recevons, j'en remets immédiatement plus de la moitié dans l'économie française pour développer la recherche, et la recherche militaire a beaucoup de conséquences sur le civil, et pour permettre également à de très nombreuses entreprises grandes et petites sur la totalité du territoire de pouvoir faire travailler des gens pour la Défense, et pour l'exportation.
Anita Hausser : Michèle Alliot-Marie, vous parlez là comme si les choses étaient acquises. En fait votre budget restera tel que vous le souhaitez ?
Michèle Alliot-Marie : La loi de programmation militaire, c'est une nécessité. Le budget est effectivement un élément important de la vie économique française. A partir de là et tout en faisant le maximum d'effort pour que ce budget soit bien utilisé, j'ai bien l'intention de faire valoir mes arguments.
Anita Hausser : Et de vous faire entendre. On est en pleine campagne européenne, on parle de défense européenne, mais cela reste quand même un concept très flou, ce sont souvent des mots ?
Michèle Alliot-Marie : Non, ce ne sont plus des mots. Depuis deux ans, la Défense européenne a considérablement progressé. Le résultat, c'est qu'aujourd'hui la Défense européenne, cela existe. Nous avons vu des militaires portant le drapeau européen sur le bras en Macédoine où l'Europe a pris la relève de l'OTAN. L'été dernier, c'est en République démocratique du Congo, dans des conditions très difficiles, que des militaires représentants l'Europe ont mené seuls une opération importante. Dans quelques mois, dans quelques semaines même, c'est en Bosnie que l'Union européenne prendra la relève de l'OTAN. Aujourd'hui, des opérations militaires sont menées par la Défense européenne. Nous n'avons pas simplement progressé dans ce domaine-là, nous sommes en train de mettre en place des structures qui nous permettent d'intervenir pratiquement n'importe où, avec par exemple la cellule de planification à Bruxelles et avec l'Agence Européenne de Défense et de l'armement.
Anita Hausser : Vous aimeriez passer la législature à la Défense ?
Michèle Alliot-Marie : Je suis là pour accomplir une mission, pour mener un certain nombre de réformes que j'ai commencées avec la loi de programmation militaire, le nouveau statut général des militaires que je présenterai à l'automne, avec des modifications concernant les réserves, avec la nouvelle journée d'appel, avec la Délégation Générale de l'Armement, avec l'Europe de la Défense. Tant que j'ai des choses à faire, je suis très heureuse d'être à la Défense avec des gens qui sont absolument formidables.
Anita Hausser : Merci.
Michèle Alliot-Marie : C'est le président de la République qui décidera.
Anita Hausser : Merci, beaucoup.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 4 juin 2004)
Interview au "Corriere della sera" le 4 juin :
Q - Le paradoxe de l'anniversaire du débarquement en Normandie ne peut pas nous échapper. Cet événement sera en effet célébré par les protagonistes de la plus récente et plus grave fracture au sein de l'Occident, à savoir George Bush et Jacques Chirac. Cet événement est partagé en Europe, surtout en France, entre des sentiments populaires de gratitude et d'hostilité. Serait-ce l'occasion d'une réconciliation, notamment pour trouver une issue de secours au désastre irakien ?
R - Le désaccord de la France à propos de la guerre en Irak a été confondu, à tort, avec de l'anti-américanisme. Mais aujourd'hui, même à Washington, on reconnaît la validité de nos analyses sur le scénario de guerre et sur la monde arabe. Ces avis sont sérieusement pris en considération. Désormais dépassées, les tensions au niveau politique n'ont jamais entaché notre profonde collaboration sur le plan militaire, par exemple en Afghanistan. Les célébrations du débarquement peuvent être l'occasion de dépasser également les divisions et les incompréhensions au sein de l'opinion publique. La présence du président Bush en Normandie nous rappelle le rôle central des États-Unis dans la libération de la France. Nous sommes tous désireux de retrouver l'unité de la communauté internationale, dont le présupposé est un partenariat fondé sur la clarté et la transparence.
Q - A Rome et à Paris, des manifestations se préparent contre George Bush. Sa visite en Europe peut-elle provoquer un ressentiment plus qu'une réconciliation ?
R - Les opinions publiques européennes étaient opposées à la guerre en Irak, et ce même si plusieurs gouvernements ont suivi George Bush. En France, l'opinion publique et l'exécutif étaient en syntonie. Pour cela, Jacques Chirac est très apprécié dans le monde entier. L'on peut comprendre qu'il existe de la rancur. Nous sommes cependant confiants sur le fait que le Président Bush confirmera sa volonté de démarrer une nouvelle phase pour l'Irak. Et que les gens l'accueilleront comme le représentant du peuple américain en mémoire des Américains qui sont tombés sur nos plages le 6 juin 1944.
Q - En France, principalement en Normandie, les sentiments sont également controversés sur la présence du chancelier allemand Gerhard Schröder?
R - Il s'agit d'une présence qui donne une nouvelle dimension au souvenir. C'est un message pour tous les peuples et les pays qui s'affrontent aujourd'hui militairement. C'est la preuve concrète que la réconciliation est toujours possible. Dans un tel esprit, même les associations d'anciens combattants ont accueilli favorablement l'arrivée de Gerhard Schröder. Le fait que deux pays qui se sont combattus puissent devenir amis est un véritable message d'espoir pour le monde d'aujourd'hui.
Q - L'anniversaire de la Libération peut-il être un facteur déclencheur, en plus d'accélérer le processus de défense européenne ?
R - En premier lieu, cet événement nous rappelle que le chemin qui mène à la liberté et à la tolérance est long. En second lieu, il nous rappelle que l'alliance entre l'Europe et les États-Unis est une garantie suprême et qu'elle est la signification la plus profonde de la mission actuelle de l'OTAN, au sein de laquelle la France continue d'apporter une importante contribution. En troisième lieu, il signifie que, face à la menace terroriste, l'Europe doit traduire en énergies et en moyens plus conséquents son objectif de la défense commune.
Q - Au-delà de l'esprit des célébrations, les divergences sur la guerre demeurent. Le président Chirac a insisté sur la pleine souveraineté des Irakiens. Est-ce réaliste au vu des délais si rapprochés ?
R - Cela est réaliste et nécessaire, afin d'éviter que la situation ne se détériore encore davantage et que le ressentiment ne se tourne contre tout l'Occident. La souveraineté ne signifie ne pas de laisser seul le peuple irakien, mais de donner aux Irakiens le droit de faire leurs propres choix, y compris celui de demander aux troupes américaines de rester ou de s'en aller. La future résolution devra avoir un triple objectif : affirmer la pleine souveraineté, garantir l'autorité retrouvée des Nations unies et mettre en place un processus de reconstruction politique et économique qui soit vraiment crédible aux yeux des Irakiens.
Q - Mais la France répète qu'elle n'est pas disposée à envoyer ses troupes. Sous aucune condition.
La France est prête à participer à la reconstruction du pays, à collaborer au maintien de la sécurité. Mais la France n'enverra aucun soldat en Irak.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 juin 2004)