Interview de M. Charles Pasqua, président du Rassemblement pour la France, à La Chaîne Info LCI le 9 juin 2004, sur ses positions en faveur de la souveraineté nationale et son refus d'une Constitution européenne avant les élections européennes 2004.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Anita HAUSSER : Vous vous battez pour la Nation française dans le cadre de ces élections européennes. Pourtant, les sondages ne vous sont pas favorables. On a le sentiment que le souverainisme ne fait pas recette comme il y a cinq ans.
Charles PASQUA : Je ne suis pas d'accord avec cette analyse. D'abord, nous verrons bien les résultats des élections. Pour l'instant, ce que l'on voit, ce que tout le monde note, c'est la montée, dans l'ensemble de l'Europe, d'un sentiment de scepticisme envers l'institution européenne. [...] Je tourne beaucoup, je vois du monde, l'accueil est très chaleureux, très sympathique ; beaucoup de gens ne savent même pas qu'il y a des élections, ce qui est plus ennuyeux. Mais, d'une manière générale, on ne peut pas dire que les gens soient favorables à l'Europe actuelle. Pour eux, l'euro représente une augmentation du coût de la vie. Pour le reste, ils craignent pour l'agriculture, les entreprises, les délocalisations, etc. Tout cela, on le sait.
Anita HAUSSER : Tout le monde fait avec l'Europe maintenant.
Charles PASQUA : Tout le monde fait avec, mais avec quelle Europe ? Toute la question est là.
Anita HAUSSER : Celle du quotidien, avec l'euro justement.
Charles PASQUA : Le problème, c'est que nous allons voter pour les élections européennes le 13, sans qu'il y ait eu aucun débat dans le pays pour expliquer ce dont il était question. Il ne s'agit pas seulement d'élire des députés ; il s'agit de choisir le modèle européen. Est-ce qu'on va accepter la marche vers le fédéralisme, que les pays de l'Europe de l'Est rejettent ? Moi aussi naturellement... Est-ce que, au contraire, on va plutôt reprendre une démarche logique et cohérente, qui est celle de l'Europe des réalités, l'Europe des Nations, celle que que je préfère naturellement ?
Anita HAUSSER : Est-ce que ce n'est pas un peu vers quoi on s'achemine avec la nouvelle
Constitution ?
Charles PASQUA : La nouvelle Constitution, c'est très préoccupant. D'abord, je suis étonné qu'aucun responsable de parti politique n'ait dénoncé le fait que nous allons voter le 13 juin et que huit jours plus tard, on aura un projet de Constitution ou une Constitution. C'est un déni démocratique extraordinaire. Personne ne dit rien. Je n'ai pas entendu les chefs de parti protester.
Anita HAUSSER : Vous n'avez pas entendu A. Juppé, mais beaucoup de gens l'ont dit.
Charles PASQUA : A. Juppé, il y est favorable, donc il n'y a pas de problème. Je comprends très bien qu'il ne le dénonce pas, puisque dans ce projet de Constitution tel qu'on le connaît, il y a notamment la création d'une Cour suprême à l'anglo-saxonne, ce qui fait passer définitivement la France sous les fourches caudines de l'Union européenne. Alors, qu'on ne vienne pas ensuite nous parler de l'Assemblée nationale, du Sénat, etc. Tout cela n'aura plus beaucoup d'importance.
Anita HAUSSER : C'est pour cela que vous ne voulez plus y siéger... Vous êtes en concurrence avec votre ancien allié, Philippe de Villiers, et même plus qu'en concurrence, en bagarre. Vous délimitez les territoires ?
Charles PASQUA : Je n'ai discuté de rien avec qui que ce soit. J'ai fait ce que je crois être convenable. Mais quand je lis Le Monde d'hier et les propos que l'on prête à Philippe de Villiers, les choses me paraissent plus claires : il roule pour Raffarin.
Anita HAUSSER : Il faut expliquer les propos qu'on lui prête : Jean-Pierre Raffarin lui aurait dit que la majorité devait reposer sur trois piliers : l'ancien RPR, qui est l'UMP, l'UDF, la mouvance centriste, et les souverainistes, que lui incarnerait.
Charles PASQUA : Les "souverainistes", le mot est un peu excessif, si l'on considère que cela recouvre beaucoup de sensibilités. Mais ce qui est clair, c'est qu'effectivement, il y a un accord entre Raffarin et de Villiers.
Anita HAUSSER : Il existait déjà au moment des régionales.
Charles PASQUA : Depuis le début de la campagne des européennes, ce n'est pas ce qu'on entendait comme argumentation. Moi, je ne vais pas m'étendre là-dessus. Chacun fait ce qu'il veut. Les Français jugeront. Ceux qui veulent voter Raffarin ont donc le choix entre l'UMP d'une part, et de Villiers de l'autre. Et ceux qui veulent défendre les intérêts de la France, ils ont plutôt intérêt à voter pour moi et les listes que je présente.
Anita HAUSSER : Vous dites que vous représentez les intérêts de la France, mais vous n'êtes pas le seul à incarner la France. Vous vous êtes fait un peu voler vos thèmes, comme l'adhésion de la Turquie.
Charles PASQUA : Ce n'est pas la question. Il ne s'agit pas de se faire voler des thèmes ; il s'agit de voir ce qui se passe réellement. Je suis président d'un groupe au Parlement européen ; je suis à la tête de trente députés.
Anita HAUSSER : Est-ce qu'on peut présenter un bilan de ce groupe aujourd'hui ?
Charles PASQUA : Ce groupe, dans la plupart des cas, a une attitude déterminante. A la conférence des présidents notamment, où se situe le véritable pouvoir du Parlement européen, c'est souvent nous qui avons fait basculer les choses. Qui a obtenu qu'une enquête soit ouverte sur Eurostaf, sinon nous-mêmes ? D'autre part, qui a obtenu que la condamnation de la France et de l'Allemagne, telle qu'elle figurait dans un rapport présenté au Parlement européen, soit annulée ?"
Anita HAUSSER : Sur le pacte de stabilité ?
Charles PASQUA : Oui, sur le pacte de stabilité et sur le déficit. Les termes utilisés étaient injurieux à l'égard de la France et de l'Allemagne. J'ai moi-même présenté des amendements ; ces amendements ont été adoptés par la majorité du Parlement, sauf l'UDF qui a voté contre, et donc contre la France.
Anita HAUSSER : Quand vous observez ce qui s'est passé dimanche, les cérémonies pour commémorer le Débarquement, et puis maintenant le sommet du G8 à Sea Island, et de l'autre côté, l'adoption de la résolution de l'ONU sur l'Irak, vous interprétez cela comment ? Comme un recul de la France, comme un bon compromis ou comme des concessions obtenues de la part des Etats-Unis ?
Charles PASQUA : Je crois d'abord qu'il ne faut pas mélanger les choses. Je pense que l'hommage rendu aux Etats-Unis pour la part déterminante qu'ils ont prise, avec l'ancienne Union soviétique d'ailleurs, dans la victoire sur le nazisme et la libération de l'Europe, était tout à fait justifié. Donc, je ne pense pas qu'il y ait la moindre corrélation...
Anita HAUSSER : Il y a une continuité, même s'il n'y a pas de corrélation.
Charles PASQUA : Oui. Par contre, je pense que Jacques Chirac, que je connais bien, devait vivre difficilement le fait d'être en mauvais termes avec Bush. Maintenant, il n'est plus en mauvais termes avec Bush. On ne peut pas dire pour autant que la France ait eu une attitude très logique.
Anita HAUSSER : Il faut annuler la dette irakienne ? Vous qui avez beaucoup uvré pour le développement.
Charles PASQUA : Je crois qu'avant de dire qu'il faut annuler la dette irakienne, il faudrait mettre tout cela sur la table. Il ne faudrait pas que nous, nous annulions la dette irakienne, et que dans le même temps, les autres profitent de la situation, en ayant pratiquement l'exclusivité des approvisionnements pétroliers. Il vaudrait mieux essayer d'y voir clair."
(source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juin 2004)