Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Rarement notre Organisation a-t-elle eu à faire face à autant de crises complexes en même temps. Ces crises, elle doit, nous devons, les gérer simultanément dans tous leurs aspects et surtout leur apporter des solutions aussi durables que possible. Parallèlement, il nous faut bien sûr prévenir l'apparition de nouveaux conflits.
Le ministre des Affaires étrangères espagnol, mon ami Miguel Moratinos, a donc pris une décision très opportune en nous réunissant pour réfléchir aux aspects civils de la gestion des crises, qui représentent aujourd'hui une part croissante de l'action internationale.
Un premier constat s'impose : 30 % des pays sortant d'un conflit y retombent, et ce pourcentage atteint 60 % en Afrique.
Dans la gestion de ces crises, l'action des Casques bleus a été, et reste, centrale. Mais il est clair que pour restaurer la confiance, reconstruire des institutions, relancer l'économie ou initier un processus électoral, il nous faut, aussi et surtout, envoyer sur le terrain des policiers, des juges, des observateurs des Droits de l'Homme, des spécialistes des services publics.
Mes récentes visites en Haïti et au Kosovo m'ont permis de mesurer les difficultés rencontrées par les Nations unies dans cette tâche.
Leurs difficultés résultent, à mon avis, des trois principaux défis auxquels nous sommes confrontés.
Premier défi : réagir à temps !
Sachons tout d'abord être modestes : lorsqu'une crise éclate, c'est que la communauté internationale n'a pas pu, ou n'a pas su, en prévenir l'apparition. Elle doit donc s'interroger sur son action passée, en particulier dans les domaines du développement et de la protection des Droits de l'Homme.
Une fois qu'une crise éclate, les actions civiles doivent être mises en oeuvre au plus tôt.
Pourquoi ? D'une part parce que c'est dans ces situations d'instabilité et d'incertitude extrêmes que sont en général commises les pires violences contre les populations civiles, les plus graves atteintes aux Droits de l'Homme. D'autre part, parce que c'est à ce moment-là que se préparent et se fondent les stratégies de sortie de crise.
Pourtant, comme le constate le rapport du Secrétaire général sur la justice et l'Etat de droit, nos capacités de réaction rapide restent très insuffisantes comparées à nos capacités militaires, que nous avons trop tendance à privilégier du fait de l'urgence des besoins.
A ce manque de moyens s'ajoutent une lenteur de procédure et une rareté de moyens qui accroissent le décalage entre les attentes des populations et les réalisations concrètes. Or, quand les fruits du retour à la paix se font trop attendre, certains peuvent trouver un intérêt à prolonger l'état de guerre.
Comment réagir ?
D'abord, en renforçant les moyens humains à la disposition de l'ONU par la mise en place d'un vivier de juristes, de policiers, de juges et d'experts en Droits de l'Homme, rapidement disponibles. C'est la voie dans laquelle l'Union européenne s'est engagée.
Ensuite, en réfléchissant à la mise en place d'instruments financiers rapidement mobilisables. Nous pourrons ainsi espérer enclencher sans tarder un cercle vertueux dans lequel s'intègreront les populations civiles.
Enfin bien sûr, en accroissant les financements disponibles. Comparé aux 4 milliards de dollars du budget 2004 des opérations de maintien de la paix, le financement de certaines actions, pourtant essentielles, comme les activités de "DDR", désarmement, démobilisation, et surtout réinsertion des anciens combattants, ou la mise en place de tribunaux mixtes sont souvent dérisoires.
Deuxième défi à relever : celui de la coordination.
Face à la complexité des crises, il faut savoir "jouer" collectif. Car les acteurs ne manquent pas : fonds et agences des Nations unies, institutions financières internationales, organisations régionales, ONG, acteurs civils, militaires et humanitaires.
Malgré les tentatives de réforme, la coordination entre ces nombreux intervenants reste notoirement insuffisante, ce qui autorise encore trop de duplications et d'incohérences sur le terrain.
Dans le même sens, il faut continuer à renforcer les responsabilités des représentants spéciaux du Secrétaire général des Nations unies et des coordinateurs-résidents du PNUD.
Autre pratique utile à étendre à mon sens : la création de "groupes de contact" ad hoc. Ces groupes, composés des pays les plus intéressés à la résolution d'une crise, permettent de dégager des analyses communes et des priorités autour desquelles il est possible de fonder des stratégies cohérentes pour l'action.
Enfin, nous espérons que le panel de haut niveau, mis en place par le Secrétaire général, fera des propositions concrètes visant à mettre en place des mécanismes permanents de coordination entre institutions mondiales et régionales, avec les ONG et le secteur privé.
Le troisième défi est celui de la sortie de crise.
C'est une problématique délicate : comment aider un pays en crise sans le rendre dépendant de l'assistance internationale ? Comment passer d'une logique de substitution à une approche d'appropriation par les populations locales ? Comment déraciner durablement les facteurs de crises ?
Tout d'abord en mettant l'accent sur la formation, et l'assistance, c'est la voie que privilégie systématiquement l'Union européenne en veillant à respecter les spécificités culturelles locales.
Il convient aussi de mieux associer la société civile. A cet égard, les propositions du rapport Cardoso sur "la société civile et les Nations unies", méritent d'être examinées en détail et dans un esprit très ouvert.
J'aimerais enfin mettre l'accent sur les besoins des opérations de maintien de la paix en matière linguistique. S'agissant notamment de police civile, les personnels francophones font cruellement défaut, en Haïti, mais aussi en Côte d'Ivoire, ou en République démocratique du Congo (RDC).
La France a engagé des efforts en vue de mieux répondre à ces besoins et souhaite mobiliser l'ensemble des contributeurs potentiels, particulièrement au sein de la communauté francophone, afin de répondre aux appels du Secrétaire général.
La gestion de crise n'est plus le domaine réservé du Conseil de sécurité, ni même des Nations unies. Elle relève de la responsabilité de la communauté internationale toute entière.
C'est donc ensemble que nous devons réfléchir à "l'avant" et à "l'après urgence" de la gestion de crise. Avant l'urgence, il y a le temps de la prévention. Après l'urgence, il y a le temps de la transition. C'est vers une intégration de ces trois temps dans notre action collective que nous devons aller. C'est dans cette direction que la France travaillera avec ses partenaires de l'Union européenne et des Nations unies.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 septembre 2004)
Mesdames et Messieurs,
Rarement notre Organisation a-t-elle eu à faire face à autant de crises complexes en même temps. Ces crises, elle doit, nous devons, les gérer simultanément dans tous leurs aspects et surtout leur apporter des solutions aussi durables que possible. Parallèlement, il nous faut bien sûr prévenir l'apparition de nouveaux conflits.
Le ministre des Affaires étrangères espagnol, mon ami Miguel Moratinos, a donc pris une décision très opportune en nous réunissant pour réfléchir aux aspects civils de la gestion des crises, qui représentent aujourd'hui une part croissante de l'action internationale.
Un premier constat s'impose : 30 % des pays sortant d'un conflit y retombent, et ce pourcentage atteint 60 % en Afrique.
Dans la gestion de ces crises, l'action des Casques bleus a été, et reste, centrale. Mais il est clair que pour restaurer la confiance, reconstruire des institutions, relancer l'économie ou initier un processus électoral, il nous faut, aussi et surtout, envoyer sur le terrain des policiers, des juges, des observateurs des Droits de l'Homme, des spécialistes des services publics.
Mes récentes visites en Haïti et au Kosovo m'ont permis de mesurer les difficultés rencontrées par les Nations unies dans cette tâche.
Leurs difficultés résultent, à mon avis, des trois principaux défis auxquels nous sommes confrontés.
Premier défi : réagir à temps !
Sachons tout d'abord être modestes : lorsqu'une crise éclate, c'est que la communauté internationale n'a pas pu, ou n'a pas su, en prévenir l'apparition. Elle doit donc s'interroger sur son action passée, en particulier dans les domaines du développement et de la protection des Droits de l'Homme.
Une fois qu'une crise éclate, les actions civiles doivent être mises en oeuvre au plus tôt.
Pourquoi ? D'une part parce que c'est dans ces situations d'instabilité et d'incertitude extrêmes que sont en général commises les pires violences contre les populations civiles, les plus graves atteintes aux Droits de l'Homme. D'autre part, parce que c'est à ce moment-là que se préparent et se fondent les stratégies de sortie de crise.
Pourtant, comme le constate le rapport du Secrétaire général sur la justice et l'Etat de droit, nos capacités de réaction rapide restent très insuffisantes comparées à nos capacités militaires, que nous avons trop tendance à privilégier du fait de l'urgence des besoins.
A ce manque de moyens s'ajoutent une lenteur de procédure et une rareté de moyens qui accroissent le décalage entre les attentes des populations et les réalisations concrètes. Or, quand les fruits du retour à la paix se font trop attendre, certains peuvent trouver un intérêt à prolonger l'état de guerre.
Comment réagir ?
D'abord, en renforçant les moyens humains à la disposition de l'ONU par la mise en place d'un vivier de juristes, de policiers, de juges et d'experts en Droits de l'Homme, rapidement disponibles. C'est la voie dans laquelle l'Union européenne s'est engagée.
Ensuite, en réfléchissant à la mise en place d'instruments financiers rapidement mobilisables. Nous pourrons ainsi espérer enclencher sans tarder un cercle vertueux dans lequel s'intègreront les populations civiles.
Enfin bien sûr, en accroissant les financements disponibles. Comparé aux 4 milliards de dollars du budget 2004 des opérations de maintien de la paix, le financement de certaines actions, pourtant essentielles, comme les activités de "DDR", désarmement, démobilisation, et surtout réinsertion des anciens combattants, ou la mise en place de tribunaux mixtes sont souvent dérisoires.
Deuxième défi à relever : celui de la coordination.
Face à la complexité des crises, il faut savoir "jouer" collectif. Car les acteurs ne manquent pas : fonds et agences des Nations unies, institutions financières internationales, organisations régionales, ONG, acteurs civils, militaires et humanitaires.
Malgré les tentatives de réforme, la coordination entre ces nombreux intervenants reste notoirement insuffisante, ce qui autorise encore trop de duplications et d'incohérences sur le terrain.
Dans le même sens, il faut continuer à renforcer les responsabilités des représentants spéciaux du Secrétaire général des Nations unies et des coordinateurs-résidents du PNUD.
Autre pratique utile à étendre à mon sens : la création de "groupes de contact" ad hoc. Ces groupes, composés des pays les plus intéressés à la résolution d'une crise, permettent de dégager des analyses communes et des priorités autour desquelles il est possible de fonder des stratégies cohérentes pour l'action.
Enfin, nous espérons que le panel de haut niveau, mis en place par le Secrétaire général, fera des propositions concrètes visant à mettre en place des mécanismes permanents de coordination entre institutions mondiales et régionales, avec les ONG et le secteur privé.
Le troisième défi est celui de la sortie de crise.
C'est une problématique délicate : comment aider un pays en crise sans le rendre dépendant de l'assistance internationale ? Comment passer d'une logique de substitution à une approche d'appropriation par les populations locales ? Comment déraciner durablement les facteurs de crises ?
Tout d'abord en mettant l'accent sur la formation, et l'assistance, c'est la voie que privilégie systématiquement l'Union européenne en veillant à respecter les spécificités culturelles locales.
Il convient aussi de mieux associer la société civile. A cet égard, les propositions du rapport Cardoso sur "la société civile et les Nations unies", méritent d'être examinées en détail et dans un esprit très ouvert.
J'aimerais enfin mettre l'accent sur les besoins des opérations de maintien de la paix en matière linguistique. S'agissant notamment de police civile, les personnels francophones font cruellement défaut, en Haïti, mais aussi en Côte d'Ivoire, ou en République démocratique du Congo (RDC).
La France a engagé des efforts en vue de mieux répondre à ces besoins et souhaite mobiliser l'ensemble des contributeurs potentiels, particulièrement au sein de la communauté francophone, afin de répondre aux appels du Secrétaire général.
La gestion de crise n'est plus le domaine réservé du Conseil de sécurité, ni même des Nations unies. Elle relève de la responsabilité de la communauté internationale toute entière.
C'est donc ensemble que nous devons réfléchir à "l'avant" et à "l'après urgence" de la gestion de crise. Avant l'urgence, il y a le temps de la prévention. Après l'urgence, il y a le temps de la transition. C'est vers une intégration de ces trois temps dans notre action collective que nous devons aller. C'est dans cette direction que la France travaillera avec ses partenaires de l'Union européenne et des Nations unies.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 septembre 2004)