Discours de M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et aux affaires rurales, sur la situation de la filière viande, la sécurité alimentaire, l'équarissage, le dialogue avec la grande distribution, Paris le 28 septembre 2004.

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Circonstance : Assemblée générale du syndicat national de l'industrie des viandes à Paris le 28 septembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président du SNIV,
Monsieur le Président de la Commission Agriculture et du Développement Rural au Parlement Européen,
Mesdames, Messieurs,
Je veux tout d'abord vous remercier, Monsieur le Président, d'avoir accepté de modifier, au tout dernier moment, le programme de votre Assemblée générale, afin de me permettre d'être parmi vous aujourd'hui. Et c'est donc avec grand plaisir que j'ouvre aujourd'hui votre assemblée générale.
Vous le savez, ma présence aux côtés d'Hervé GAYMARD marque la volonté du Gouvernement de démultiplier l'action de notre ministère, notamment dans le domaine des industries agroalimentaires. C'est l'un des trois domaines de compétences dont j'ai spécifiquement la charge et pour lequel le Premier Ministre m'a demandé l'élaboration d'un grand plan d'action.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler que l'industrie agroalimentaire est la première industrie nationale, que c'est une industrie qui réussit, qui crée des emplois (420 000 emplois, première industrie manufacturière, seule créatrice d'emplois sur les dix dernières années). Les entreprises et coopératives qui la composent sont réparties sur tout le territoire ; 8 sur 10 sont des PME ou des TPE ; enfin, elles assurent 70% des débouchés de notre agriculture. Bref, c'est une industrie qui fait la course en tête, qui doit continuer à la faire et c'est pour cela que nous entendons l'accompagner : le ministère de l'agriculture est donc bien également le ministère de l'industrie agroalimentaire !
Dans ce contexte, votre secteur prend une importance toute particulière. Avec 13 milliards d'euros, les industries des viandes de boucherie réalisent 15 % du chiffre d'affaires des industries agroalimentaires. Et elles emploient 50 000 salariés, soit 12,5 % des effectifs des IAA.
Or elles connaissent des difficultés structurelles importantes. Les industries des viandes nécessitent des investissements lourds, et présentent une rentabilité parmi les plus faibles des industries agroalimentaires - j'y reviendrai -.
Je crois, cela dit, que l'on peut être raisonnablement optimiste quant à la capacité d'adaptation de la filière : vous avez su prouver que vous pouviez travailler efficacement dans un esprit constructif. Ainsi l'aspect " accompagnement et prévention des conséquences sur l'emploi des évolutions économiques des filières " a pris une place importante dans la filière bétail et viande à partir de 2002. Les partenaires sociaux de cette filière et l'Etat ont signé un accord national tripartite, pour accompagner les plans de formation des entreprises du secteur après la crise de la "vache folle". Cet accompagnement a permis aux entreprises de doubler leur effort de formation et, je le souligne, de consolider et développer leurs effectifs de 8%.
Les actions, conduites au sein de l'interprofession, INTERBEV, ont été, et restent, remarquables. Je note d'ailleurs que vous avez su trouver, collectivement, les ressources pour renouveler l'accord interprofessionnel. Nous venons de le recevoir, je puis vous assurer que nous allons rapidement l'étudier.
Monsieur le Président, votre discours d'orientation a clairement montré la gravité de la situation, sans céder au catastrophisme. Je vous en sais gré. Car lorsqu' existe une dynamique de projets et la détermination à aller de l'avant, on peut avoir confiance en l'avenir. S'il y a des obstacles à franchir, vous avez la ressource et les capacités pour relever ces défis. Et pour cela, je sais - vous m'avez interpellé à plusieurs reprises sur ce sujet - que l'État doit vous accompagner. Ais-je besoin de le dire, nous n'avons, Hervé GAYMARD et moi-même, pas l'habitude de reculer devant nos responsabilités.
Je voudrais donc vous apporter des réponses sur quelques points importants, que vous avez abordés. Avant de reparler du Partenariat pour l'industrie agroalimentaire, dont vous êtes évidemment partie intégrante.
· La situation générale de la filière viande bovine
La régression de la consommation de viandes de boucherie est un phénomène structurel, depuis plus de 20 ans, qui a été amplifié lors des crises (ESB) de 1996 et de 2000. Toutefois, grâce aux efforts de tous et notamment de l'interprofession, INTERBEV, nous avons su reconquérir le marché de la viande bovine, puisque aujourd'hui la consommation française a retrouvé le niveau qui prévalait avant la crise de 2000/2001. Qui aurait pu prévoir, voici 4 ans, un rebond aussi rapide ?
La diminution de la production communautaire de viande bovine est par contre un phénomène récent, que la réforme de la PAC pourrait amplifier. A cet égard, je suis convaincu que le choix de la France de préserver des soutiens couplés (notamment le couplage à 100% de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA)) donne un avantage comparatif à la production française. Vous pouvez compter sur l'action de l'Etat, à vos côtés, pour préserver le dynamisme de l'élevage français ; à cet égard, le " plan bâtiments " qui va débuter en 2005 et qui sera doté d'entrée de plus de 60 M d'euros, constitue un signal très clair. Il n'y a pas en effet de grande politique de l'élevage sans une véritable volonté en matière de modernisation des bâtiments.
· La réglementation sanitaire et le principe de précaution
J'en viens maintenant à la réglementation sanitaire, où le dispositif mis en place est extrêmement exigeant.
L'évolution favorable de l'ESB en France, grâce à l'efficacité des mesures de sécurisation mises en place ces dernières années (sans doute deux fois moins de cas cette année que l'an passé), doit nous conduire, en effet, à nous interroger sur le maintien de certaines mesures. Je vous rejoins tout à fait sur ce point, Monsieur le Président. C'est pourquoi nous travaillons en permanence avec l'AFSSA, la DGS et la DGCCRF.
S'agissant des tests à l'abattoir, Hervé Gaymard a déjà décidé de relever le seuil d'âge de 24 à 30 mois, à partir du 1er juillet. Nous avons encore beaucoup à faire, c'est certain mais nous sommes ouverts à de telles évolutions. Bien entendu, elles ne pourront se faire que sous réserve d'une base scientifique et de dispositifs parfaitement sécurisés. Les consommateurs ne comprendraient pas que l'on renonce à des mesures censées les protéger, sans leur offrir toutes les garanties nécessaires.
Concernant le " paquet hygiène ", et plus particulièrement la mise en place de la chaîne d'informations sanitaires entre élevages et abattoirs, ce volet fait depuis plusieurs mois l'objet d'une large concertation avec les professionnels de l'élevage et de l'abattage. Des groupes de travail ont été organisés. La France va adresser pour le 25 octobre une proposition à la Commission européenne. Celle-ci, tout en gardant l'esprit du législateur européen en termes de responsabilité des opérateurs des filières et de cheminement de l'information, prend en compte les observations et avis émis par les professionnels. Vous pouvez être assuré, Monsieur le Président, qu'Hervé GAYMARD et moi-même restons particulièrement attentifs à ce que ce dispositif ne devienne pas une " usine à gaz ".
· L'équarrissage
Venons en maintenant à ce sujet qui a suscité beaucoup de réactions depuis un an.
Comme vous le savez, ce service public mis en place dès 1997, dans un contexte sanitaire extrêmement tendu, assure la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux et des matières à risques. Il a permis aux industries des viandes, ainsi qu'aux éleveurs, de bénéficier d'un service gratuit contribuant au maintien de l'excellent niveau de sécurité sanitaire de notre pays.
Nous avons dû revoir, en 2004, un mode de financement mis en place dans l'urgence au moment de la crise ESB, mais qui n'avait pas vocation à être pérennisé. Je rappelle aussi que les règles que nous avons dû respecter s'appliquent uniformément dans tous les États membres de l'Union européenne.
Vous savez que la taxe d'abattage est un élément important du dispositif autorisé par la Commission européenne. Notre souci constant a été de créer un mode de financement qui réponde aux exigences communautaires. Mais il ne fallait en aucun cas pénaliser les industries qui n'auraient ni la position géographique, ni le poids économique permettant une négociation, dans de bonnes conditions, avec les prestataires du service public de l'équarrissage. Enfin, l'objectif était bien sûr de préserver les éleveurs bovins, en permettant un prélèvement sur la filière du coût correspondant à l'élimination des cadavres en ferme.
Nous savons les difficultés rencontrées par vos entreprises, qui ne peuvent à elles seules incorporer cette charge nouvelle. Nous vous avons donc accompagnés dans vos démarches de répercussion de cette taxe vers l'aval. Le modèle de facture proposé en juin dernier est ainsi, je le crois, largement utilisé. J'ajoute que des solutions ont été trouvées pour tenir compte des spécificités de certaines filières, comme celle des jeunes bovins.
Malgré cela, le sujet reste difficile, et je tiens à vous assurer que avons toujours eu la volonté de trouver le juste équilibre entre des impératifs sanitaires et économiques.
Hervé GAYMARD l'a d'ailleurs clairement dit aux interprofessions INTERBEV et INAPORC qu'il a reçues les 18 et 19 mai derniers. Nous l'avons également très concrètement montré en introduisant dans le projet de loi pour le développement des territoires ruraux, qui revient en 2ème lecture à l'Assemblée nationale la semaine prochaine, des dispositions spécifiques concernant l'équarrissage.
Nous sommes donc prêts à étudier toute proposition d'évolution du service public de l'équarrissage, et ce dès 2005, à condition que celle-ci préserve un service public garant de la sécurité sanitaire, soit conforme au droit communautaire et de la concurrence, et permette une couverture de l'ensemble du territoire national dans des conditions équitables.
Soyons clairs : ce n'est pas sous la pression d'un contentieux juridique que nous travaillons à l'évolution du dispositif actuel, mais bien sur la base d'une analyse objective de la situation, et des difficultés qui en résultent. Je tiens d'ailleurs à saluer ici la mobilisation des interprofessions. Sans leur implication courageuse, nous ne pourrions progresser.
L'heure est, donc, plus que jamais, au travail collectif sur ce dossier. Hervé GAYMARD et moi-même attendons avec intérêt vos propositions, dans le cadre des groupes de travail que nous avons constitués ensemble.
· La loyauté des transactions
J'en viens maintenant à un problème dont j'entends beaucoup parler, bien évidemment, dans les déplacements que j'effectue régulièrement dans les régions ou les rencontres que j'ai avec les professionnels : les relations avec la grande distribution.
Nous prônons un dialogue renforcé au sein de la filière avec la grande distribution. Vous savez que le gouvernement a, sous l'impulsion du ministre de l'Economie et des Finances, Nicolas SARKOZY, engagé une nouvelle dynamique. Pour la première fois, un gouvernement a réuni autour d'une même table les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Une première étape a été franchie avec l'accord du 17 juin. Vous savez aussi qu'un travail a été confié à une commission d'experts, présidée par le Premier Président de la Cour de Cassation, M. CANIVET. Nous attendons ses conclusions pour le 15 octobre. Je comprends vos inquiétudes quant à l'évolution du corpus législatif actuel. Il nous faut en effet agir avec prudence.
· Le Partenariat National IAA
Ces points étant précisés, je souhaiterai revenir plus en détail sur le Partenariat. Car nos travaux font écho, je l'espère, aux questions que vous avez posées dans votre intervention, Mr le Président. Les entreprises du secteur de la viande représentent 1 emploi sur 8 dans l'industrie agroalimentaire, et 1 entreprise sur 3 : vous êtes donc impliqués au premier chef dans l'élaboration du PNDIAA.
Je travaille, depuis juin, à l'élaboration de ce grand plan d'action, avec 7 groupes qui sont à l'uvre sur 7 grandes thématiques. Je vous l'ai dit : l'industrie agroalimentaire fait la course en tête. Mais c'est justement lorsque l'on réussit qu'il faut anticiper, avant que des fragilités ne se transforment en vraies difficultés.
L'industrie des viandes est bien évidemment concernée par la réflexion engagée et doit saisir cette opportunité. Les travaux du 1er groupe, chargé du diagnostic, l'ont montré : la filière viande nous révèle encore des points de faiblesse, auxquels il s'agit de remédier. Des intervenants ont cité les nécessaires réorganisations de certains outils industriels. Le classement des secteurs par tranche de taux de concentration montre, en effet, que le secteur viande évolue encore en ordre relativement dispersé.
Les travaux d'autres groupes du PNDIAA ont également souligné, dans votre secteur, le manque de fonds propres des entreprises et leur forte intensité capitalistique pour une faible rentabilité, qui décourage parfois les investisseurs. Les crises sanitaires sur les produits animaux, le corpus réglementaire exigeant, contribuent aussi à l'hésitation des investisseurs. Enfin, les industries des viandes souffrent trop souvent d'une image peu favorable véhiculée dans l'opinion. Les conditions de travail sont parfois, il est vrai, encore difficiles mais elles vont évoluer grâce à votre dynamisme.
Ces facteurs suffiraient à justifier l'effort constant du gouvernement pour vous accompagner : les aides pour les viandes de boucherie représentent ainsi ¼ de l'ensemble des aides publiques aux investissements accordées aux IAA. Et cette proportion s'élève à 50 % si l'on prend l'ensemble des viandes (y compris les industries de la volaille et la charcuterie - salaison).
Sachez-le : le gouvernement entend conforter vos démarches en faveur d'une meilleure structuration. Nous devons ensemble afficher clairement notre souhait de faire évoluer les choses, de construire l'avenir. Mais il faut aller plus loin, et cela ne dépend pas des pouvoirs publics. C'est bien l'ensemble des acteurs - salariés, banques, fonds d'investissements - qu'il vous faut convaincre de votre détermination.
Votre industrie a des atouts, elle doit les faire valoir et nous serons à vos côtés. Ainsi, elle est sans doute moins soumise aux risques de délocalisation. Elle bénéficie d'un certain capital confiance des consommateurs envers la viande française, un capital qui s'est forgé tout au long de la crise de l'ESB, qu'il faut valoriser et amplifier. Votre industrie connaît l'importance de l'innovation, face à une possible baisse future des volumes d'abattage.
L'objectif du Partenariat, c'est précisément d'encourager cette nouvelle dynamique, avec vous. Les groupes de travail ont déjà bien avancé, que ce soit sur la " photographie " du secteur, les outils de développement économique des entreprises, l'accompagnement à l'exportation, l'encouragement à la recherche et à l'innovation, la réflexion sur l'application des normes et réglementations, la valorisation des métiers de l'agroalimentaire, les réponses aux attentes de la société.
J'entends respecter un calendrier resserré : présenter un plan d'action en juin 2005, avec des mesures concrètes, ciblées et je l'espère, efficaces. La première étape intervient dans quelques semaines : je vous donne rendez-vous au SIAL (17-21 octobre) pour vous présenter un état des lieux précis, des orientations affirmées et des premières mesures.
Puis je souhaite que nous passions nos travaux une nouvelle fois au filtre de l'expérience de terrain : j'animerai ainsi cet automne 7 réunions en région sur les 7 grandes problématiques qui ont été définies avec les professionnels. Je compte sur l'industrie des viandes pour être partie prenante à cette démarche : je compte sur vous pour ces rendez-vous. Vous savez que je suis un élu de terrain mais aussi un ancien chef d'entreprise : je privilégie le pragmatisme et le concret dans l'action. Cela implique un dialogue régulier et ouvert sur tous les sujets qui vous concernent (recherche et développement, fonds propres, valorisation de l'agroalimentaire et de ses métiers). Je suis à votre écoute.
· Les produits élaborés en viande bovine
Vous l'avez compris : le Partenariat national pour le développement de l'industrie agroalimentaire met en avant la recherche de valeur ajoutée. Or vous l'avez souligné, plus il y a transformation des produits, plus leur origine risque d'être masquée, et plus le risque d'importation des produits bruts est élevé. Cette tendance est déjà sensible pour les viandes de porc et de volailles.
Vous avez dans ce contexte, je l'ai noté, affirmé votre souci de contribuer à la valorisation de la production bovine française, et cela me paraît essentiel alors que nous constatons une forte croissance des produits élaborés. Je pense aussi que cette problématique pourrait être très utilement approfondie. Elle s'inscrit, et toute initiative en ce sens également, dans la réflexion menée pour le PNDIAA.
Nous sommes donc ouverts à l'étude et à l'adoption de dispositions innovantes. A ce titre, concernant la mise en place d'un Observatoire du marché de détail de la viande et des comportements alimentaires, de nombreuses études sont déjà réalisées, notamment par l'OFIVAL et SECODIP. Sachez que j'y suis tout à fait favorable.
Conclusion
Parce que nous évoluons dans un contexte de concurrence internationale toujours plus vive, tant pour notre production agricole que pour nos outils de transformation, et parce que l'avenir se bâtit en équipe, nous devons plus que jamais savoir travailler ensemble -producteurs, transformateurs, distributeurs, Etat -, pour préserver notre modèle agricole, la richesse de nos territoires, pour conforter l'excellence de nos filières, pour développer nos emplois et nos entreprises.
Dans ce contexte, l'existence d'interprofessions fortes est indispensable. Vous avez renouvelé l'accord INTERBEV, et je m'en félicite. Il vous faut continuer à conforter l'Interprofession porcine INAPORC, qui a réalisé depuis sa création, en décembre 2003, un travail remarquable. J'appelle également de mes vux la constitution d'une interprofession dans le secteur avicole.
Nous saurons relever les défis qui nous sont posés parce que nous aurons su engager toutes les énergies dans une dynamique collective. Le Partenariat National pour les IAA s'inscrit pleinement dans cet esprit de projets et d'adaptation permanente aux évolutions de notre environnement. Et notre ministère est plus que jamais à votre écoute comme à celle de tous les acteurs du monde agricole, rural et agroalimentaire.
Sachez qu'Hervé GAYMARD et moi-même, sommes et serons à vos côtés.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 29 septembre 2004)