Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, lors du point de presse conjoint avec M. Petros Molyviatis, ministre grec des affaires étrangères, sur les relations franco-grecques, la Constitution européenne, le rétablissement des relations diplomatiques franco-irakiennes et l'axe franco-allemand, Athènes le 6 juillet 2004.

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Circonstance : Voyage de Michel Barnier en Grèce, le 6 juillet 2004

Texte intégral

Merci, Monsieur le Ministre,
Bonjour et merci à chacune et chacun d'entre vous de votre attention. Je suis très touché par l'amitié et la grande qualité de l'accueil que je reçois ici et qui ne m'étonne pas. Mes premiers mots sont pour remercier le ministre grec des Affaires étrangères comme pour remercier le Premier ministre, qui m'a reçu ce matin. J'ai été heureux de le trouver dans son bureau, où il m'a reçu avec beaucoup de cordialité, pour un échange de vues très important sur l'ensemble des questions bilatérales, mais aussi des questions européennes.
Naturellement, j'ai félicité la Grèce pour cette superbe victoire de football. Il faut que vous sachiez que le ministre français des Affaires étrangères s'intéresse beaucoup au sport, et ce depuis longtemps : dans ma vie personnelle, j'ai eu la chance de passer dix ans à organiser des Jeux olympiques. J'étais président du Comité d'organisation, avec Jean-Claude Killy, des Jeux olympiques d'hiver de 1992, et je suis très très heureux de voir le moral avec lequel la Grèce aborde ce formidable événement que sont les Jeux olympiques d'été, après cette superbe victoire.
C'est d'ailleurs une des raisons, mais pas la seule, pour laquelle, pendant les cinq dernières années, j'ai suivi de très près, avec les autorités helléniques, la préparation des Jeux et notamment l'engagement européen, qui est extrêmement puissant, sur l'ensemble des infrastructures publiques concourant à la réussite des Jeux olympiques d'Athènes.
Puisque nous parlons de l'Union européenne, qui est notre sujet d'engagement commun avec Petros Molyviatis et tous les autres ministres, il faut dire que nous sommes dans un moment très important de cette construction européenne, avec beaucoup de défis à l'extérieur et à l'intérieur de l'Union : celui de la croissance, celui de l'emploi, celui de la dimension culturelle et sociale, que nous devons maintenant donner à cette Union pour que les citoyens se sentent plus proches de cette institution et, naturellement aussi, un enjeu important pour que cette Union fonctionne avec vingt-cinq pays aujourd'hui, bientôt vingt-sept, avec la Bulgarie et la Roumanie, l'obligation dans laquelle nous sommes d'avoir une Constitution européenne, qui puisse être utilisée. Il y a quelques semaines, le 18 juin, les chefs d'Etat et de gouvernement ont approuvé cette Constitution. Il faut maintenant que les citoyens puissent se l'approprier et qu'elle soit ratifiée, soit par la voie parlementaire, soit par la voie du référendum. Il faut donc transformer l'essai, je dirais un peu comme Charisteas, il faut donner un "coup de tête" pour transformer l'essai du 18 juin, et que cette Constitution soit opérationnelle. J'espère qu'on aura politiquement le même réflexe que Charisteas !
Enfin, un dernier mot sur les relations bilatérales, qui sont réellement excellentes et amicales entre nos deux pays et que nous souhaitons encore conforter dans les temps qui viennent. La Grèce est un partenaire important pour la France et, sur le plan culturel, nous avons encore des progrès à faire devant nous. Je pense à l'adhésion, que j'espère prochaine, à la candidature de la Grèce à l'Organisation internationale de la Francophonie. Sur le plan des échanges culturels, il y a beaucoup de projets devant nous ; sur le plan économique également, entre nos entreprises, ainsi que sur le plan politique, puisque que la Grèce, dans cette partie de l'Europe, à côté des Balkans, au coeur de la Méditerranée, si proche du Moyen-Orient, occupe une place névralgique et a un rôle politique majeur à jouer. Voilà pourquoi aussi dans cette région nous avons le souci de renforcer notre partenariat.
Q - Monsieur le Ministre, en vue du Conseil Affaires Générales lundi, qui portera également sur la Constitution, comment voyez-vous l'idée de la création d'une commission, qui sera chargée de promouvoir la Constitution ?
R - Oui, je connais cette idée, qui est avancée par l'ancien Premier ministre de Grèce, M. Simitis, que je connais bien. Je la trouve intéressante. Il faut naturellement vérifier qu'elle soit accueillie dans tous les Etats membres de la même manière. Cette initiative met le doigt sur un vrai problème : est-ce que nous allons aborder cette nouvelle étape politique de la ratification chacun chez soi et chacun pour soi ? Pour ma part, je considère que ce serait une erreur, sur un sujet aussi important, sur un texte qui est en réalité un nouveau Traité de Rome. Il sera d'ailleurs signé à Rome au mois d'octobre. Je considère qu'il faut un débat européen. Non pas vingt-cinq débats juxtaposés et échelonnés sur deux ans, avec le risque que ces débats soient détournés à des fins de politique intérieure dans chaque pays, mais au contraire qu'il y ait un vrai débat européen pour la première fois. Si possible, je l'ai dit au Premier ministre, dans la même période, assez courte, et tout cela doit se préparer d'une manière ou d'une autre : est-ce à travers une commission comme celle que propose M. Simitis ? Est-ce à travers une campagne financée par la Commission et le Parlement européen ? Toutes les idées sont utiles et il faut y réfléchir et préparer cette période de ratification qui va être difficile et qui est nécessaire. Ensemble, et pas chacun chez soi ou chacun pour soi.
Q - S'agissant de l'Irak : quand est-ce que la France compte rétablir ses relations diplomatiques avec Bagdad?
R - J'ai annoncé, le lendemain même du jour où le transfert de souveraineté a été effectif à Bagdad, que nous étions prêts à rétablir nos relations diplomatiques. Je l'ai annoncé mardi dernier, notre chargé d'affaires a été reçu hier par M. Allaoui et les choses vont se faire maintenant assez rapidement.
Q - Supposons que certains pays ne ratifient pas la Constitution européenne. Est-ce que la Constitution va être abandonnée ou est-ce que les autres pays vont avancer de leur côté ?
R - Il faut bien voir ce que c'est que ce nouveau traité constitutionnel. Ce n'est pas un état supplémentaire par rapport aux traités précédents. C'est une reconstruction de tous les traités, y compris du Traité de Rome de 1957. Ce traité restructure, reconstruit tous les traités, et perfectionne toutes les institutions. Il est donc difficilement imaginable que certains pays se disent "je vais avoir la Constitution" et d'autres pas. Voilà pour le plan pratique. Sur le plan juridique, les textes sont clairs, le droit communautaire est clair : pour que cette Constitution entre en vigueur, il faut qu'elle soit ratifiée par chacun des pays, chacun comme il l'entend - par ratification parlementaire ou ratification populaire -, comme il a été approuvé par chacun des chefs d'Etat et de gouvernement. C'est la loi. Donc si un ou deux pays ne ratifiaient pas ce texte, il n'y aurait plus de Constitution. Or nous avons besoin de la Constitution pour faire fonctionner cette Union européenne de vingt-cinq ou vingt-sept pays, avec ce qu'elle a déjà mis en commun, c'est-à-dire le marché commun, la monnaie unique, les politiques communes, et puis les outils de l'Europe politique qui sont dans cette Constitution et qui pour nous sont très importants : la politique étrangère et la politique de défense communes. Nous avons besoin de cette Constitution.
Q - (sur l'axe franco-allemand et l'Irak)
R - Il y a, depuis maintenant quelques dizaines d'années, une attitude que je crois utile pour tout le monde, pas seulement pour les Français et les Allemands : le dialogue, la concertation entre Français et Allemands. C'est d'ailleurs, permettez-moi de le rappeler, l'origine même du projet européen avec les Italiens, les Belges, les Luxembourgeois et les Néerlandais, en 1950. Nous avons beaucoup travaillé ensemble depuis ces dernières années, notamment à ces outils que j'ai évoqués tout à l'heure en parlant de la Constitution, pour que l'Europe soit non seulement une Europe économique ou monétaire, mais une Europe politique avec un ministre des Affaires étrangères de l'Europe et une politique de défense commune. Et pas seulement entre Français et Allemands. J'ai observé que la Grèce, qui a aussi cette ambition politique, et d'autres pays, sont sur la même ligne, et travaillent dans le même sens. Nous n'avons pas encore vraiment une politique étrangère commune. Nous n'avons pas encore le lieu, pour lequel je me suis battu à Bruxelles avec ce ministère, qui sera un lieu où s'élabore une culture diplomatique ou une analyse géopolitique communes. Voilà comment, quand il y a des crises qui arrivent autour de nous, nous sommes surpris et souvent désunis. Nous l'avons été dans un conflit très proche de vous, qui a été autrement tragique : en Bosnie, lorsque la Yougoslavie a explosé, avec deux cent mille morts, que nous avons été incapables d'empêcher, et nous avons été également divisés avec des analyses différentes.
La France et l'Allemagne avaient la même position sur le conflit irakien. J'observe que la France et l'Allemagne ont la même analyse avec d'autres pays, et qu'à Istanbul, où je me trouvais aux côtés du président de la République, nous avons été unanimes finalement, après un vrai dialogue, un travail entre nous avec les Américains et les autres partenaires, pour délibérer des conditions dans lesquelles l'OTAN pouvait être d'une certaine manière présente pour accompagner le processus de stabilité et de sécurité dans ce pays, pas avec des forces militaires organisées mais avec l'assistance technique et au titre de la formation aux côtés des pays qui le voudraient. S'agissant de la France, je veux confirmer que : un, nous n'enverrons pas, je l'ai dit depuis plusieurs semaines, de soldats français en Irak ; deux, nous serons présents, nous l'avons confirmé au Premier ministre, M. Allaoui, dans le processus de reconstruction politique et économique de l'Irak, avec les autres partenaires européens.
Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juillet 2004)