Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à France Inter le 24 août 2004, sur la collision entre un Mirage 2000 et un ULM, la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, les pensions militaires des combattants originaires des anciennes colonies, le rôle des militaires français dans le maintien de la paix, la défense européenne et le budget de la défense.

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Média : France Inter

Texte intégral

Annette Ardisson :
Bonjour madame Alliot-Marie.
Michèle Alliot-Marie :
Bonjour.
Q. Vous avez aujourd'hui des questions sur cette collision entre un Mirage 2000 et un ULM, des questions aussi sur l'existence de zones mixtes. Est-ce que l'enquête avance ?
R. Oui, j'ai demandé hier une enquête de commandement et il y a bien entendu une enquête civile qui est faite en même temps. Je dois dire que c'est un accident tout à fait dramatique, qui est extrêmement rare, il n'y en a pas eu depuis 20 ans et cela s'est passé dans un endroit qui est libre d'accès pour tous les usagers de l'aéronautique. Il y avait des Mirage qui s'entraînaient comme régulièrement sur des vols tactiques, c'est-à-dire à très basse altitude et c'est là où cette collision n'a pu être évitée malgré les manoeuvres qu'ont faites les pilotes, et il est vrai que, comme il s'agissait d'un ULM, ceux-ci ne sont pas détectables sur les radars, c'est sans doute la cause de cet accident dramatique, nous en saurons un peu plus lorsque les deux enquêtes seront terminées.
Q. Alors, initialement, vous étiez parmi nous ou en tout cas au téléphone, pour parler des cérémonies de la Libération, elles s'enchaînent, aujourd'hui la Libération de Paris, hommage aux combattants mais aussi devoir de mémoire et de pédagogie, or voilà qu'intervient le ixième acte antisémite, un incendie d'un centre social juif, il aurait pu y avoir des morts, et la question n'est plus que dire mais que faire pour que ça cesse.
R. Vous avez tout à fait raison, la France est certainement le pays au monde qui a la législation la plus stricte en termes de lutte contre l'antisémitisme et contre le racisme ; ceci dit nous voyons bien que la législation, les sanctions judiciaires, ne sont pas suffisantes. Il est vrai, aussi, qu'il faut qu'il y ait des explications au niveau de la formation. Cette formation est faite dans les écoles, mais elle doit être également réalisée à partir de l'exemple. Les cérémonies de commémorations sont une façon de rendre hommage à tous ceux qui ont participé à la Libération de notre pays et doivent être aussi, à l'égard des jeunes, l'occasion, le moyen de rappeler, de leur faire dire également par ceux qui ont mis en jeu leur vie pour faire respecter la liberté, pour faire respecter, je dirais, les droits de l'homme et le respect qui est dû à tout homme, pour leur faire dire ce que sont ces valeurs. c'est donc toute cette symbolique très forte qui est au cur de ces commémorations.
Q. Mais, matériellement, est-ce que vous seriez prête à mettre des hommes, ou plus d'hommes, pour la protection des lieux de cultes et des lieux associatifs ?
R. Il y a des protections qui sont assurées par la police et, au titre du ministère de la Défense, par la gendarmerie également, bien qu'en général ce soit davantage dans les zones de police que ceci se passe. Ceci dit, cela ne suffit pas, même si vous avez des gens en quasi-permanence autour des principaux lieux, vous voyez également parfois à travers certaines agressions, qu'il y a là des phénomènes dont l'origine est multiple et vous avez à la fois des gens qui sont profondément antisémites, vous avez aussi un certain nombre de déséquilibrés, il faut bien le dire.
Q. Alors, revenons-en à la Libération, je voudrais revenir sur un problème qui a été soulevé lors de l'hommage aux soldats d'Afrique, celui des pensions, elles ont été revalorisées mais restent très loin de ce qui est versé aux Français ...
R. C'est faux, et je voudrais qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. Nous versons des sommes qui représentent exactement le même pouvoir d'achat, et c'est toute la différence avec ce qui s'était passé au cours des années précédentes, puisque, au cours des années précédentes, il y avait eu un arrêt, un gel, au moment de la décolonisation et donc les pensions étaient restées à leur même niveau nominal, ce qui fait qu'avec notamment l'inflation, il y avait eu une baisse très sensible de pouvoir d'achat de ces anciens combattants. Aujourd'hui, nous avons rétabli la justice, c'est-à-dire que, avec cette somme, on peut faire exactement la même quantité d'achats que ce soit en France, que ce soit au Sénégal, que ce soit au Maroc, que ce soit à Djibouti.
Q. Mais moralement, on pourrait faire plus quand même, puisque ...
R. Il faut aussi avoir à l'esprit qu'il faut garder une équité, ce qui veut dire qu'il faudrait faire plus aussi en France. Aujourd'hui, ce que l'on peut dire, et c'était bien le but de ce que nous avons fait, c'est que nous donnons, proportionnellement, exactement la même chose en France et dans les autres pays pour les anciens combattants qui sont de nationalité étrangère.
Q. Alors, imaginons que les parlementaires français, reprenant une suggestion du président Wade du Sénégal, proposent une revalorisation de ces pensions supérieure à ce qui a été décidé jusqu'à présent. Le ministre de la Défense s'y oppose ?
R. D'abord, je voudrais dire que les parlementaires français ont tous été saisis de cette question, ils ont voté la décristallisation et ils l'ont votée dans la formule actuelle et ensuite je dis simplement qu'il ne s'agit pas de donner un minimum, un revenu minimum, si vous voulez, il s'agit de marquer pour les Français comme pour les étrangers qui viennent notamment des anciennes colonies, une reconnaissance de la France à travers une pension qui n'est pas un revenu comme une retraite, c'est quelque chose de tout à fait différent. Si on veut changer la nature de cette pension des anciens combattants, le Parlement peut certainement le faire, il faut aussi être conscient de ce que cela représenterait financièrement pour l'ensemble de ces anciens combattants.
Q. Michèle Alliot-Marie, au début du mois, vous étiez à la frontière entre le Darfour et le Tchad où sont stationnées des troupes françaises, c'est l'EUROCORPS avec à sa tête un Français qui vient de prendre le commandement de la force internationale chargée d'assurer la sécurité de Kaboul, c'est également un Français qui s'apprête à prendre la tête de la Force d'interposition au Kosovo. Ca fait combien d'hommes en opérations, tout ça ?
R. Nous avons un peu plus de 15 000 hommes qui sont aujourd'hui en opérations et qui sont des opérations de sécurisation d'un certain nombre de zones, qui sont des opérations que nous faisons sous mandat international. Il y a aujourd'hui, effectivement, des militaires français qui se trouvent en Côte d'Ivoire, qui se trouvent au Tchad et puis particulièrement pour aider au ravitaillement d'un certain nombre des camps de réfugiés du Darfour ou pour protéger la frontière. Nous en avons dans les Balkans, au Kosovo où nous allons prendre le commandement, - je m'y rends dans quelques jours pour cela -, en Bosnie également où nous participons également à cette force internationale et puis c'est vrai que la France, à travers l'EUROCORPS prend également le commandement de la force internationale en Afghanistan, cela représente un gros effort. Cela souligne également la qualité de nos militaires et également l'intérêt, nous l'avons vu notamment au Tchad, de nos forces prépositionnées, puisque ces forces prépositionnées nous permettent d'intervenir extrêmement rapidement : au Tchad, c'est en moins de 24 heures, après la décision du président de la République que l'ensemble de l'opération de soutien aux organisations humanitaires a été mis en place.
Q. Le départ des troupes américaines stationnées en Europe, pensez-vous que ça peut stimuler la construction de la Défense européenne, en un mot, pousser les Européens à mettre la main au porte-monnaie, ce que très peu font ?
R. Je pense effectivement qu'il va s'agir là pour un certain nombre de pays qui s'étaient uniquement appuyés sur l'OTAN et sur la protection des forces américaines, cela va être l'occasion d'un véritable électrochoc en quelque sorte et l'occasion de leur montrer, ce que d'ailleurs certains Américains disaient depuis un certain temps, que l'Europe doit être à même de se protéger elle-même. Je pense effectivement que cela peut changer sans doute l'état d'esprit de certains, nous allons voir cela à la prochaine réunion des ministres de la Défense européens au mois d'octobre.
Q. Il y a eu des rumeurs qui ont circulé sur le budget de la Défense, vous seriez sensée recevoir 700 millions de plus, puis ça a été démenti par votre Cabinet, qu'en est-il au juste ?
R. Le budget du ministère de la Défense fait tous les ans l'objet d'un certain nombre de discussions. Ces discussions sont pratiquement terminées mais au-delà même de ce vote, il y a ensuite un certain nombre d'aménagements dans la mise en oeuvre : les crédits sont débloqués au fur et à mesure et je crois qu'à ce moment là il y avait eu une confusion entre des déblocages, effectivement, que nous avions obtenu tout à fait normalement, et d'autre part des rallonges. Ce que je veux dire en la matière et ce que je peux confirmer, c'est que la loi de programmation militaire telle qu'elle a été votée en 2002, sera intégralement respectée parce qu'elle est indispensable à la fois à l'entretien, au renouvellement des matériels et également au fonctionnement de nos armées tel qu'il est exigé par les opérations extérieures dont nous avons parlé il y a un instant.
Michèle Alliot-Marie, merci.
Merci à vous.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 septembre 2004)