Texte intégral
Mesdames et messieurs
Je souhaite tout d'abord vous dire que je suis heureux de revenir devant vous à l'occasion de la rentrée universitaire.
C'est certes toujours un plaisir mais c'est aussi l'opportunité de préciser certaines des orientations que j'ai esquissées le 30 septembre dernier lors de la pose de la première pierre de l'université Denis Diderot - Paris 7.
Je voudrais donc aujourd'hui aborder sans détours quatre orientations qui me semblent essentielles : l'approfondissement du processus LMD, la politique des sites, l'évaluation et la contractualisation.
J'estime en effet qu'il faut approfondir et élargir l'adaptation de notre enseignement supérieur à l'espace européen de l'enseignement supérieur.
Vous avez dans ce domaine pris de l'avance. Aujourd'hui, les trois quarts des universités ont mis en oeuvre le " LMD " et le quart restant est engagé dans le calendrier contractuel de 2005 et de 2006.
Je veux tout d'abord saluer votre mobilisation, celle des établissements comme celle des universitaires. Je sais le travail que représente cette refonte en profondeur de l'offre de formation et les concertations qu'elle exige. J'en connais aussi les contraintes. Par votre adhésion collective, vous avez fait de cette politique un engagement irréversible du pays.
Afin de consolider votre action, il convient de prendre aujourd'hui une mesure de portée générale.
À partir du moment où la compétence d'un établissement a été reconnue dans le système LMD par l'habilitation à un niveau et dans un champ donnés, il est donc autorisé à délivrer les diplômes correspondants. Cet établissement pourra organiser la formation en partenariat avec un ou plusieurs établissements étrangers reconnus compétents dans leurs pays et délivrer les diplômes conjointement. Cela devrait permettre d'élargir, singulièrement au niveau du master, une offre de diplômes conjoints qui renforcera la dimension d'internationalisation de notre enseignement supérieur au-delà du programme " Erasmus Mundus ".
Cette capacité d'initiative sera, bien entendu, évaluée a posteriori lors de la campagne d'habilitation suivante. Je suis convaincu que la qualité des réalisations partenariales ainsi opérées sera " un plus " pour l'évaluation et l'habilitation.
Il convient aussi d'approfondir notre politique. J'envisage cet approfondissement, dès cette année, dans deux directions.
D'une part, j'ai décidé d'ouvrir le chantier de l'application de la démarche LMD aux formations du secteur santé. Il va de soi qu'il faudra tenir compte des caractéristiques particulières de ce secteur : il s'agit de l'accès à des professions réglementées, nombreuses et diverses. Il me semble parfaitement possible de conjuguer cahiers des charges solides et capacités d'innovation, formation professionnalisée et initiation à la recherche, standards nationaux et européens et évaluation périodique de la qualité. Les étudiants du secteur santé doivent avoir accès à la reconnaissance universitaire européenne qu'offre le système LMD. Des groupes de travail vont prochainement être mis en place conjointement avec le ministère de la santé. Vous y participerez bien évidemment, tout comme vous participez déjà aux réflexions sur " Hôpital 2007 " et son application aux centres hospitaliers et universitaires.
D'autre part, j'ai annoncé l'ouverture d'une concertation nationale sur le doctorat.
Je n'ai évidemment pas à vous convaincre de l'importance de ce dossier que le sommet de Berlin de 2003 a remis sur le devant de la scène internationale. Il n'y a pas de politique universitaire digne de ce nom en dehors d'un espace doctoral fort, point d'articulation avec la politique de recherche et marque de l'excellence. Nous avons déjà fait beaucoup avec les écoles doctorales qui sont un grand succès. C'est pourquoi je propose de renforcer encore les partenariats qui constituent les écoles doctorales pour accroître la qualité de notre offre et de faire de l'accréditation des écoles doctorales une condition de la capacité à délivrer le doctorat.
Dans mon esprit, les écoles doctorales ont vocation à fédérer, dans leurs thématiques, toutes les forces scientifiques susceptibles de concourir à la formation des docteurs au meilleur niveau. Elles devront davantage s'ouvrir à l'international. C'est pourquoi dès novembre un projet modernisant les cotutelles internationales de thèse sera soumis au CNESER. Elles devront aussi développer leur action en vue de l'insertion professionnelle des docteurs, notamment dans les entreprises. Un texte d'orientation lancera dès la semaine prochaine cette concertation nationale dont j'attends beaucoup, tout particulièrement dans le cadre du débat sur la recherche.
Ces lignes d'action devraient déjà nous mettre en bonne position lors du Sommet de Bergen en mai 2005. Mais il faut aller plus loin encore.
À la lecture du communiqué rapportant ma communication en Conseil des ministres de la semaine dernière sur la rentrée universitaire, il ne vous aura pas échappé que je souhaite étendre la démarche LMD à l'ensemble de l'enseignement supérieur français, sur la base d'exigences de qualité de niveau international. À cette fin, j'ai demandé à Jean-Marc Monteil d'engager des discussions avec chaque ministère ayant en charge des écoles supérieures.
Je sais que cela peut susciter des inquiétudes de votre part mais elles ne me sembleraient pas justifiées.
Le ministre français chargé de l'enseignement supérieur se doit de défendre les intérêts de tout l'enseignement supérieur français quand il se trouve dans les enceintes internationales. Au moment où l'enjeu est de tenir notre place dans l'espace européen et mondial, les débats conflictuels typiquement français entre universités et écoles sont complètement dépassés.
À ce titre, je veux saluer les résultats obtenus pour l'habilitation des nouveaux masters de recherche qui associent étroitement universités et grandes écoles. Ce que je propose pour les études doctorales ne pourra que renforcer ces coopérations.
Mais surtout les universités représentent dans l'enseignement supérieur français une puissance scientifique sans comparaison. Contrairement à ce que l'on peut lire ici ou là, les universités sont un creuset de notre recherche publique.
À partir du moment où l'évaluation est fondée sur la réalité de l'activité scientifique, je ne vois pas bien ce que les universités auraient à craindre. Je vois par contre ce qu'un enseignement supérieur plus coopératif au meilleur niveau scientifique pourrait avoir d'attractif à l'échelle internationale. Quelles que soient les limites des classements internationaux, il me semble évident que nous trouverions dans cette coopération des atouts pour nous présenter plus à notre avantage dans l'espace mondial.
Par ailleurs, on me dit parfois que le master universitaire (standard mondial) obéit à un schéma peu compatible avec le seuil à bac 4 habituellement pratiqué. Il faut traiter cette question sur laquelle j'ai besoin de l'avis de votre Conférence.
Je la formulerai en ces termes : " À partir du moment où la carte nationale des masters permettrait à chaque licencié de poursuivre ses études, faut-il autoriser les universités à organiser le recrutement des étudiants dans leurs cursus de masters ? "
Ces considérations sur une offre française plus lisible à l'international m'amènent naturellement à évoquer devant vous une deuxième orientation structurante : la politique de sites.
Je l'ai déjà dit et je le répète : le maillage du territoire universitaire est aujourd'hui suffisant. Il convient de ne plus disperser nos forces mais plutôt de renforcer les sites existants, tous les sites, en affirmant leur identité c'est-à-dire en pensant leur différenciation en fonction de leur contribution au développement du pays.
Il me semble que je rejoins sur ce sujet les réflexions actuelles de votre Conférence.
Je sais que vous envisagez la constitution de pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ; d'aucuns parlent de " campus de recherche ", ce qui a fait réagir plusieurs d'entre vous.
Là encore, il faut aller à l'essentiel. Nous avons besoin de structurer nos forces dans les sites pour leur donner une meilleure visibilité nationale ou internationale et accroître l'attractivité du territoire, de tous les territoires. Sur ce sujet, il me semble y avoir un large consensus. La vraie question porte sur la manière de faire.
Je n'ai pas à ce stade de conclusions définitives pour des raisons évidentes, tenant au calendrier du débat sur la recherche.
A ceux d'entre vous qui pourraient redouter que l'université ne se trouve affaiblie par les mesures prises, je veux cependant dire aujourd'hui que je ne prendrai aucune décision qui puisse avoir une telle conséquence.
Et ceci parce que notre objectif est bien de trouver une meilleure adéquation entre notre système français et les pratiques internationales. Le standard mondial est précisément centré sur les universités, alors que la France a développé un modèle articulé autour d'une plus grande multiplicité d'acteurs. Ce qu'il faut, c'est offrir à ces acteurs la possibilité de travailler ensemble dans un pôle ou un campus - peu importe le mot, encore qu'il n'y ait pas de campus sans étudiants ! - un pôle ou un campus donc, adossé à une structure universitaire apte à innover en partenariat avec les entreprises et les collectivités territoriales.
L'heure n'est donc plus à une compétition stérile entre établissements français sur un même site mais à une coopération sur des bases claires et fédérant les forces existantes les plus dynamiques. La compétition de la science est au moins européenne, sinon mondiale. Dès lors, il faut permettre aux différents acteurs français - universités, organismes nationaux de recherche, grandes écoles, centres hospitaliers universitaires, entreprises - de conjuguer voire d'agréger leurs forces afin d'atteindre le niveau le plus élevé auquel ils peuvent prétendre. Dans ce jeu " gagnant-gagnant ", chacun doit se trouver à la fois mieux identifié et mieux valorisé.
Ce ne sont là encore que des idées générales bien sûr, mais vous en comprenez le sens. C'est pourquoi j'attache la plus grande importance à la contribution que votre Conférence peut apporter à ces réflexions et je sais que vous en débattrez dès cet après-midi.
Troisième chantier, celui de l'évaluation.
Les universités seront de plus en plus responsables de la définition de leur politique comme de leur organisation et de leur gestion. Elles devront donc être comptables de leurs résultats.
À cette fin, l'évaluation de la qualité devra être le pivot et le régulateur du système. Elle conditionnera le contrat que la Nation doit conclure avec ses universités et le soutien de l'État.
C'est pourquoi la question de l'évaluation est désormais centrale. Le paysage actuel est paradoxalement marqué par une pléthore d'évaluations qui obscurcissent pour l'État comme pour le citoyen la vision de l'établissement et de ses performances. Il doit être possible de clarifier ce paysage comme beaucoup le demandent dans le cadre du débat sur la recherche.
En premier lieu, il convient de rendre obligatoire dans chaque établissement un dispositif d'auto-évaluation portant sur l'ensemble des missions et sur la gestion. Il sera diligenté par l'établissement lui-même selon des formes qu'il définira, en faisant appel en tant que de besoin à des regards extérieurs. La pertinence et l'efficacité du dispositif mis en place seront mesurées au niveau national et le soutien de l'État devra tenir compte d'une façon ou d'une autre des efforts faits en la matière.
En deuxième lieu, le renforcement du rôle des instances d'évaluation dans le cadre d'un système moins normé a priori impose à ces instances une obligation : la transparence des critères. Je demande donc à ces instances chargées de l'évaluation des formations et des diplômes, des projets de recherche et des équipes elles-mêmes qu'elles formalisent leurs critères d'appréciation et les rendent publics. C'est un travail exigeant, mais indispensable pour assurer notre crédibilité, dans le cadre européen et international.
Cela m'amène à évoquer un troisième point.
Le Sommet de Berlin de septembre 2003 a préconisé une évaluation indépendante et publique. Que les critères soient rendus publics, je viens d'en parler. Reste l'indépendance. Dans notre pays, la tradition républicaine confie à l'État le rôle d'assurer la garantie de la qualité. Je ne crois pas qu'il faille revenir là-dessus. L'État doit garder la décision. Mais il pourrait par contre prendre ses décisions sur la base d'informations évaluatives publiques et donc partagées, émanant d'instances d'évaluation indépendantes. Je souhaite également pouvoir disposer de l'avis de votre Conférence sur cette question, le plus rapidement possible.
Enfin, il nous faut inventer un nouveau contrat.
Il est aujourd'hui clair que le système SAN REMO n'est plus adapté ni au LMD, ni à une meilleure prise en compte de la recherche, ni à la mise en place de la loi organique sur les lois de finances (LOLF), ni à la nécessaire reconnaissance des performances.
Je souhaite donc qu'une concertation soit engagée avec vous pour définir ensemble les évolutions souhaitables.
Si les modalités sont à préciser, je me dois cependant d'indiquer la direction à suivre. Elle me semble de pure logique. La LOLF prévoit explicitement un contrat d'objectifs entre l'État et les établissements qu'il finance. Ce contrat fixe - comme son nom l'indique - les objectifs à atteindre, mesurés par des indicateurs partagés. En fonction de ces objectifs et des résultats obtenus par l'établissement sur la période antérieure, l'État précise ses engagements sur la durée du contrat.
Je crois le moment venu d'aller clairement dans ce sens, le contrat devenant l'instrument de l'articulation objectifs/résultats/moyens. Nous devons y travailler ensemble dès cette année pour une mise en uvre dès les contrats 2006.
Notre réflexion commune sera alimentée par l'expérimentation que nous menons désormais avec quatre établissements dans le cadre de la LOLF. Cela doit être l'occasion d'innover et d'étudier les diverses pistes permettant aux universités d'avoir la pleine maîtrise de leurs moyens, objectif dont j'ai rappelé la nécessité le 30 septembre dernier. L'expérimentation m'apparaît en l'espèce une bonne pratique pour faire évoluer nos méthodes d'action, notre réglementation, voire notre législation. Dans ce domaine aussi, pour emporter la conviction sur des évolutions, rien ne vaut mieux que de les justifier par les projets des acteurs eux-mêmes.
À chaque fois qu'un consensus suffisamment large se sera dégagé sur des évolutions de nos règles, vous me trouverez prêt à prendre les mesures nécessaires.
Mesdames et messieurs,
Notre ambition est à la hauteur des enjeux internationaux qui se présentent et ces enjeux évoluent de manière permanente. Sans bouleverser ce qui existe et qui a donné la preuve de son efficacité, il faut engager les évolutions indispensables à l'amélioration du rang de notre université dans le monde. Cela passe aussi bien par des orientations politiques fortes que par des adaptations spontanées comme l'université et les universitaires savent les mettre en oeuvre dans la confrontation internationale.
C'est pourquoi je souhaite à la fois réunir et faire fructifier les bonnes pratiques et engager des évolutions qui écartent les réponses un peu convenues dans la nouvelle donne internationale.
Je ne doute, ni de l'engagement de votre conférence, ni de la qualité de cet engagement pour accompagner ma volonté de donner à notre enseignement supérieur et à notre recherche universitaire les instruments de l'amélioration continue de leur réussite.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 26 octobre 2004)