Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à BFM le 28 janvier 2005, sur la mise en oeuvre de la réforme de procédure budgétaire, l'objectif de croissance et le chômage, et le financement international du développement.

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Média : BFM

Texte intégral

Q- Avec presque quatre mois d'avance, on commence à préparer le budget 2006 : séminaire gouvernemental, hier à Matignon, avant l'envoi des lettres de cadrage lundi aux ministres. Cela va donc très vite. Concernant les dépenses, on évoque la possibilité d'être un peu en dessous de la norme de "zéro volume" ; est-ce que ce sera tenable ?
R- Le Premier ministre prendra sa décision dans les jours qui viennent. Le "zéro volume", c'est ce que l'on a fait ces dernières années. Et cette politique est rentable pour les contribuables, d'abord parce que l'on a baissé les impôts et ensuite, parce que l'on a beaucoup baissé notre déficit budgétaire, comme l'a dit J.-F. Copé il y a quelques jours. Donc, il faut continuer dans cette voie. Vous savez que quand un jeune français ou une jeune française naît, il a sur sa tête, si je puis dire, 16.000 euros de dettes. Donc, on ne peut pas continuer comme ça, on va dans le mur. Donc, il faut continuer cette politique.
Q- Avec une nouvelle procédure : on se fixera des objectifs ministère par ministère pour rendre les ministres plus responsables, rendre le budget moins opaque ?
R- Oui, c'est une procédure qui est toute nouvelle. Je ne veux pas rentrer dans le détail technique. Mais en gros, avant, on avait environ un millier de chapitres budgétaires qui étaient extrêmement cloisonnés ; maintenant, nous aurons une centaine d'actions par ministère ou ministérielles, qui permettront de gérer les crédits de manière beaucoup plus souple. La deuxième caractéristique, c'est que l'évaluation de ses dépenses ne se fera pas sur leur augmentation ou leur diminution mais sur leur efficacité. Qu'est-ce que l'on fait avec tout cet argent ? Donc, c'est une vraie révolution pour tout le monde : pour le Gouvernement, pour les administrations, pour le Parlement qui aura beaucoup plus de pouvoir que ce n'était le cas auparavant et surtout, pour les citoyens qui sauront enfin ce que l'on fait vraiment de leurs impôts.
Q- Justement, à propos des impôts, on parle des recettes : Matignon souhaite un débat très large sur la fiscalité pour 2006. Que recouvre ce "débat ouvert" ? Est-ce que cela concerne les baisses d'impôts ? Sont-elles quand même maintenues et à quel niveau ?
R- Ce qui me frappe, en matière de fiscalité, c'est que le débat fait que, souvent, on se polarise sur quelques sujets. On parle de la baisse de l'impôt sur le revenu ; on a parlé beaucoup, il y a quelque un an et demi de la hausse de la taxe sur les tabacs... Mais on ne voit jamais l'ensemble. Donc, ce que voudrait J.-P. Raffarin - et c'est ce que l'on va faire avec J.-F. Copé -, c'est d'avoir une véritable stratégie transparente pour les deux ans et demi qui viennent, à la fois pour les impôts et les charges sociales. Donc, on sait quelles sont les grandes orientations : poursuite d'une baisse de l'impôt sur le revenu mais avec des modalités qu'il faut maintenant décider, et diminution des charges sur les bas salaires d'ici 2007 pour favoriser l'emploi. Donc, il faut mettre en route ces perspectives.
Q- Favoriser l'emploi... On attend les chiffres du chômage du mois de décembre ; les avez-vous ce matin ?
R- Je ne les ai pas encore et si je les avais, il faut respecter "l'embargo" !
Q- On n'entend plus tellement le Premier ministre promettre de baisser le chômage de 10 % cette année ; est-ce toujours d'actualité ?
R- Si, si, le Premier ministre l'a réitéré. Cette lutte contre le chômage est d'abord une affaire de volonté, puisque la croissance n'est pas seulement quelque chose qui nous est donnée, - donnée ou reprise par l'environnement international ; on connaît les problèmes du pétrole, du dollar, etc. La croissance, il faut aller la chercher nous-mêmes et faire sauter un certain nombre de blocages de la société française. Je crois que la clef de tout, c'est la confiance : la confiance pour les consommateurs pour qu'ils consomment davantage, la confiance pour les entreprises afin qu'elles investissent et créent des emplois. En tout cas, voilà l'axe de notre politique.
Q-- Vous maintenez toujours vos prévisions de croissance à 2,5 %, en dépit de ce que prévoient les instituts de conjoncture - ils sont plutôt à 1,7 % ou à 1,8 %. Or, en dessous de 2 %, le chômage ne baisse pas.
R- Les prévisions, on verra ce qu'elle donne. En 2003, ces mêmes instituts nous disaient que l'on aurait 1,6 de croissance et on a frôlé la récession à + 0,3. En 2004, on disait que ce sera tout juste 2,1 ou 2,2, en réalité, cela a été 2,4 % ou 2,5 %. On verra bien dans le courant de l'année comment les choses évoluent, mais pour nous, il n'y a aucune raison de remettre en cause les chiffres de la croissance de 2,5. Sur le chômage, qui est évidemment la question centrale, ce qu'il faut savoir, c'est que notre pays a beaucoup progressé ces dernières années, parce que l'on crée beaucoup plus d'emplois avec la croissance que ce n'était le cas auparavant. Et je crois au surplus qu'avec ce que le Premier ministre a décidé pour débrider les 35 heures dans le secteur privé, ce qui figure dans le plan de cohésion sociale de J.-L. Borloo, permettront d'améliorer significativement les choses.
Q- A Davos, où vous vous trouvez ce matin, cap sur l'Afrique, cap sur le développement. Des discours sur la pauvreté, l'aide au développement, ce n'est pas la première fois qu'on les entend. Est-ce que les bonnes intentions suffisent ? Est-ce que la volonté existe vraiment ? Peut-on passer des discours aux faits ?
R- Je crois déjà que, s'agissant de la France et de l'Europe, ce n'est pas seulement parler, on agit. On est un des pays et un des continents qui donnent le plus pour l'aide publique au développement, même si ce n'est pas suffisant. Et en matière commerciale - je fais là référence à mes anciennes fonctions de ministre de l'Agriculture -, l'Europe à elle seule absorbe 60 % des exportations agricoles africaines. Et ce n'est pas d'aujourd'hui, puisque grâce au général de Gaulle, c'est dès les années 60 que l'on a fait cette politique. Que dit J. Chirac ? Il dit que l'on ne peut pas rester comme cela. Il faudrait 50 milliards de plus de dollars pour faire reculer la pauvreté. Ce que dit J. Chirac, c'est que jamais les états n'augmenteront leur aide dans ces proportions et qu'il faut donc créer un mode de financement international pour financer ce développement et ce recul de la pauvreté et la lutte contre les maladies, notamment le Sida.
Q- Oui, mais cette taxe... Est-ce qu'il n'y a pas déjà trop d'impôts ? Est-ce que la France ne va pas être associée, encore une fois, à toujours plus de fiscalité ?
R- Franchement, les sommes dont on parle, c'est 3 % de l'augmentation de la richesse mondiale chaque année - je dis bien de l'augmentation, pas du stock. Par exemple, pour donner un ordre de grandeur, cela représenterait par exemple, parce qu'il y a plein d'idées possibles, un dollar par billet d'avion sur les lignes aériennes internationales. Donc que l'on ne me dise pas que de donner un dollar pour la solidarité mondiale et les plus pauvres, c'est de la surtaxation.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 janvier 2005)