Interviews de Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'état aux personnes handicapées, sur France Info le 20 décembre 2004 et BFM le 23 décembre 2004, sur le projet de loi pour "l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées", notamment les mesures concernant l'accessibilité des lieux publics, la création d'un droit à compensation, l'insertion professionnelle des personnes handicapées et le financement de la loi.

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Circonstance : Examen en seconde lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

Média : BFM - France Info

Texte intégral

Interview de Mme Montchamp sur France Info le 20 décembre 2004 :
Q- Vous êtes secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées. Les associations ont été scandalisées, et l'ont fait savoir, par le sort réservé par les sénateurs à votre projet de loi sur le handicap. C'est la première grande loi sur le sujet depuis 1975. Autrement dit, ce texte était très attendu. Un texte qui revient à partir d'aujourd'hui devant les députés. Est-ce que ce matin, vous pouvez rassurer les personnes handicapées ? Est-ce que les députés ont entendu la colère de leurs associations ?
R- Les députés l'ont entendu, le Gouvernement l'a compris. Pour l'accessibilité, la demande essentielle c'était un délai dans le texte. C'est important, indispensable.
Q- On parle, là, de l'accessibilité pour les lieux publics ? Il y avait ce délai contraignant de dix ans, délai qui avait été supprimé par les sénateurs, et c'est l'un des points qui avait vraiment provoqué la colère des associations.
R- Oui, parce que sinon on a le sentiment que la loi n'est pas mesurable, qu'on ne peut en vérifier l'efficacité.
Q- En réalité, c'était en faire un beau principe mais sans aucune obligation.
R- Oui ; parce qu'il est important de mettre des principes dans la loi, parce qu'aujourd'hui on est assez loin du compte, et je crois qu'il faut tous que nous nous mobilisions. Mais là, le délai de dix ans, qui va être réintroduit par le Gouvernement et par les députés, va permettre effectivement de mesurer tout cela.
Q- Alors, deuxième mesure, à la fois très symbolique et très concrète : l'enfant handicapé sera inscrit d'abord à l'école ordinaire, à l'école de son quartier comme les autres enfants, pour en finir avec des pratiques qui revenaient à une sorte d'exclusion automatique.
R- C'est cela. L'école de la République est faite pour tous les enfants de la République, et l'enfant handicapé, il doit pouvoir avoir un projet éducatif plein. C'est la raison pour laquelle on va systématiquement se poser la question de son arrivée à l'école. Pour autant, on ne dit pas que pour un enfant qui a besoin de beaucoup de soins, il sera de force à l'école du quartier, ce qui ne serait pas raisonnable, pas bien pour lui. Mais le simple fait d'inscrire automatiquement l'enfant va nous amener tout simplement à progresser sur ces sujets.
Q- Est-ce que vous prévoyez dans le même temps des mesures pour aider l'école à lieux faire face au sort de ces enfants handicapés, parce qu'il faut des moyens
aussi ?
R- Il faut plusieurs types de moyens. D'abord, avec F. Fillon, il y a une volonté extrêmement forte d'accompagnement, avec de nombreux auxiliaires de vie scolaire - il y en a 7 00 à la rentrée 2004-2005. Chaque année, nous augmenterons le nombre d'auxiliaires de vie, mais il faut également des services de soins, et ça fait partie du programme de créations de places du Gouvernement pour que les soins entrent dans l'école et accompagnent l'enfant handicapé.
Q- Un autre volet très important de cette loi - une grande innovation : la création d'un droit à compensation. Pourquoi est-elle si importante pour les personnes handicapées ?
R- C'est très important, parce qu'on ne peut plus, dans notre pays, renvoyer la personne handicapée aux revenus de l'exclusion. Et donc, la loi porte deux novations : la création d'une prestation compensation pour compenser le handicap - par des aides techniques et des aides humaines -, mais également pour compenser les ressources qu'une personne handicapée n'a pas nécessairement quand elle ne peut pas travailler.
Q- Vous parlez ressources, les associations parlent financement. Est-ce que globalement, cette loi sera réellement financée ?
R- Elle est tout à fait financée, d'abord par le produit du jour férié - c'est 850 millions d'euros de plus - ; il l'est également par l'augmentation du budget de l'Etat, plus 200 millions, et par l'augmentation du budget de la Sécurité sociale, plus 300 millions. Cela fait au total des sommes importantes, mais qui se traduisent en faits concrets. Cela veut dire concrètement qu'on va pouvoir créer 12 millions d'heures d'aides humaines en plus, 72 % de crédits supplémentaires pour augmenter les aides dont les personnes handicapées bénéficient déjà aujourd'hui.
Q- J. Chirac a fait de l'action pour aider les handicapés, l'une des priorités de son quinquennat. Et il constatait, après le détricoter de la loi par les sénateurs, que la société n'était pas assez solidaire. C'était pour les sénateurs, ça ?
R- Je crois que c'est pour chacun d'entre nous. Si nous ne nous y mettons pas tous, le regard n'évoluera pas. Aujourd'hui, je crois qu'il faut qu'on se secoue. Il y a un retard français important : retard dans les places, retard aussi dans notre approche des choses. Vous savez, aujourd'hui, vous mettez COTOREP dans un CV, vous n'avez aucune chance de décrocher un entretien. Il n'y a aucune raison à cela. Moi, je rencontre tous les jours des personnes handicapées qui font des choses absolument extraordinaires. J'ai vu récemment un pilote de système de détection incendie paraplégique avec son fauteuil, il pilote un avion et il surveille des feux de forêt. Je crois qu'il faut qu'on change notre manière d'aborder la question du handicap.
Q- Et ce matin, est-ce que les associations de personnes handicapées peuvent attendre sereinement le débat à l'Assemblée ? Elles n'auront pas de mauvaises surprises comme au Sénat ?
R- Il faut attendre sereinement ce débat. Il n'y aura aucune mauvaise surprise. La volonté du Gouvernement est totale, avec le président de la République qui nous a donné son impulsion, le Premier ministre est mobilisé et puis, très honnêtement, des avancées sans précédent pour ce texte qui réforme un texte vieux de trente ans.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 décembre 2004)
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Interview de Mme Montchamp sur BFM le 23 décembre 2004 :
Q- Vous êtes secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées. Argent, école, accès aux lieux publics : vous avez renforcé le projet de loi Handicaps. Ainsi par exemple, vous avez annoncé une garantie de ressources égale à 80 % du Smic net pour les personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler, à partir de juin ou juillet 2005. Mais il n'y a pas que cela. Tout d'abord, il y a aussi les établissements recevant du public ainsi que les transports qui ont désormais un délai de dix ans pour rendre leurs sites accessibles aux handicapés. Dix ans, n'est-ce pas trop long tout de
même ?
R- Il fallait bien trouver un délai maximum car, vous le savez, nous avons un retard considérable et, dans certains cas, les complexités architecturales, les efforts financiers qu'il va falloir engager sont importants. Mais je tiens à dire que nous avons introduit hier un délai de trois ans pour mettre en uvre des délais de substitution. Ainsi, l'accès sera à coup sûr possible même si effectivement, pour l'accès direct, le délai de dix ans a été réintroduit.
Q- Retards, dites-vous, j'allais dire aussi retards dans les mentalités en France, du côté des entreprises. Elles doivent actuellement embaucher 6 % de personnes handicapées dans leurs effectifs pour les personnes de plus de vingt salariés. Le taux d'emploi réel des handicapés serait d'à peine 4 % en France, et même certains considèrent que ce chiffre est complètement surestimé, on parle même de 2 %. Comment expliquez-vous qu'il y ait un tel retard dans les mentalités ? Qu'est-ce qui dérange d'embaucher des handicapés ?
R- Je crois que dans certains cas, dans certaines entreprises, on ne se pose pas la question, parce qu'en fait, ce n'est pas, comme vous le dites, dans les cultures. Dans d'autres cas, la question se pose, mais le chef d'entreprise peut avoir peur de mal faire. Je crois qu'il faut absolument qu'on montre le chemin aux entreprises.
Q- Mal faire, pourquoi ? Parce qu'on a peut de montrer un handicapé à l'accueil d'une entreprise, par exemple ?
R- Franchement, je ne pense pas que ça aille jusque là, même si on voit parfois des choses un petit peu étonnantes. Non, je crois que parfois on se demande si on saura accueillir, si on saura mettre en uvre, tout simplement, les modes de management et d'accompagnement. Mais il faut, là, que nous montrions absolument des exemples réussis. Moi, je suis toujours frappé par le cas absolument magistral de ce pilote de DUZ-10 [phon.] qui fait de la surveillance de feux forêt. Voilà quelqu'un qui est en fauteuil, qui est paraplégique, et qui pour autant, protège nos concitoyens dans des difficiles périodes d'été. Vous savez, on peut déplacer des montagnes.
Q- On donnait tout à l'heure l'exemple de Dassault-Aviation qui a créé une structure spécifique de prise en charge des salariés, il y a trois ans, qui a permis d'embaucher 11 % de personnes handicapées. Mais c'est là un exemple j'ai l'impression assez rare. Quand on parle du taux d'emploi des handicapés qui serait d'à peine 4 %, est ce le vrai taux ou est-il surestimé ?
R- Vous savez, le mode de calcul exclut jusqu'à présent ce que l'on appelle les "emplois exclus", c'est-à-dire les emplois qu'à partir d'une liste, on considère comme ne devant pas faire partie des emplois accessibles aux personnes handicapés. Evidemment, cela réduit la base. Donc, on est très proche du taux, mais sur une base d'emploi réduite. Quand la loi va amener un changement, nous serons à un taux réel.
Q- Cette liste noire n'existe plus ?
R- Voilà. La loi l'a supprimée, je pense que c'est une avancée extrêmement importante.
Q- Tant mieux. Autre nouveauté : l'aménagement raisonnable de poste. Les entreprises ne pourront plus refuser d'embaucher une personne qualifiée, sous prétexte que cette embauche suppose quelques installations complémentaires ?
R- Absolument, d'autant plus qu'aujourd'hui, avec l'AGECIP (phon) et avec le futur fonds Fonction publique - pour les entreprises publiques et les administrations -, les structures se verront doter de moyens pour l'aménagement de ces postes. Donc, on ne pourra plus se réfugier derrière cet argument désormais.
Q- Et puis, la dernière mesure : le relèvement de la contribution à l'insertion professionnelle des handicapés ?
R- Oui, c'est cela. Effectivement, une entreprise qui fera le choix de ne pas embaucher du tout, de ne pas, je dirais s'intéresser à la question de l'emploi des personnes handicapées, sera contrainte d'acquitter une cotisation de 1500 fois le SMIC [horaire]. C'est vrai que là, ça commence à faire beaucoup d'argent. Je suis convaincu que les chefs d'entreprise trouveront des solutions et iront dans ce sens. Ce sera de toute façon un progrès pour la collectivité de travail, parce que celles qui l'ont fait ne veulent plus revenir en arrière.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 décembre 2004)