Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre, sur les grands axes de la politique de l'emploi, Paris le 29 janvier 2005.

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Circonstance : Colloque sur le thème des défis pour l'emploi, au Sénat le 29 janvier 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de clore cette journée de débats consacrée aux défis pour l'emploi. Je félicite le Sénat et le journal La Tribune de cette initiative, qui constitue l'aboutissement d'un travail de réflexion mené en collaboration avec le Cercle des Economistes.
Parler comme vous l'avez fait aujourd'hui de défi marque bien ce que doit être notre objectif.
Un défi peut être relevé si nous savons collectivement faire preuve de lucidité, d'ambition et de constance dans l'action. Notre pays ne décline pas ; il n'est pas bloqué. Mais il a manqué de lucidité, faute d'avoir su poser un diagnostic partagé et d'avoir fermé les yeux sur l'évolution du monde.
Notre pays a manqué d'ambition, avec le sentiment fallacieux que "contre le chômage on a tout essayé" - sclérose intellectuelle qui nous a conduit à considérer l'emploi comme une richesse limitée, privilégiant le partage sur la création de valeur et le pouvoir d'achat, notamment par la réduction du temps de travail.
Notre pays a manqué de constance dans l'action, avec cette idée absurde que la France est un pays qu'on ne peut réformer que par " surprise " : 100 jours une fois tous les 5 ans.
Mon Gouvernement depuis aujourd'hui 1000 jours agit pour l'emploi avec lucidité, ambition et constance.
I - Les propositions que vous venez de sélectionner portent sur une grande variété de domaines. Elles montrent clairement que le combat pour l'emploi doit s'appuyer sur des valeurs, des réformes et une stratégie de préparation de l'avenir.
Les valeurs, ce sont celles de la République : la valorisation du travail et du mérite ; la lutte contre toutes les formes de discriminations ; l'égalité entre les hommes et femmes, ainsi que l'a rappelé le Président de la République lors de ses voeux aux forces vives ; l'immigration "co-choisie" avec les pays d'origine - la France s'engageant à former des étudiants et des travailleurs étrangers qui ont ensuite vocation pour certains à rester chez nous, pour d'autres à retourner dans leur pays.
Les réformes, ce sont les changements nécessaires pour nous adapter aux mouvements du monde et au vieillissement de la population.
La préparation de l'avenir, c'est la mobilisation de notre potentiel de formation, de créativité et de recherche pour entrer de plein pied dans la société de la connaissance.
II - Après avoir entendu vos propositions, je voudrais vous dire comment le gouvernement intègre votre réflexion à sa stratégie pour l'emploi et quels sont les chantiers qu'il entend mener à bien en 2005.
1 - La lutte contre le chômage a été engagée, dans un contexte économique mondial vous le savez très difficile.
Elle repose sur 3 piliers. Premier pilier, le retour de la croissance. La rupture de croissance de l'année 2000 a été enrayée ; nous sommes depuis 1 an et demi sur un rythme de croissance supérieur à 2%. Face aux turbulences internationales que provoquent les variations du dollar et du pétrole l'économie française fait preuve de résilience : elle tient. La dynamique de croissance interne n'est pas entamée, comme en témoignent les bons chiffres de consommation.
Elle continuera d'être stimulée par les mesures gouvernementales de valorisation du travail - telles la baisse des impôts et la hausse du SMIC - et de lutte contre la vie chère.
Deuxième pilier, la création d'entreprise. Le dynamisme d'une économie se mesure à sa capacité de créer de nouvelles entreprises.
On dit les Français moroses, inquiets.
Je suis convaincu que ces qualificatifs ne rendent pas convenablement compte de leur état d'esprit. Quand je vois le sondage réalisé par l'APCE et le Salon des Entrepreneurs, indiquant que 25% des Français ont envie de créer leur entreprise, je me dis aussi que malgré les inquiétudes légitimes, 'ils ont le "goût de l'avenir" et le "goût des projets".
Nous créons chaque année depuis 3 ans plus de 200 000 entreprises nouvelles.
2004 marque un nouveau record, avec 224 000 entreprises créées, ce qui est considérable. Or, une entreprise nouvelle, c'est 3 emplois supplémentaires dans les 3 ans.
Les créations d'entreprises sont là, il faut maintenant faciliter leur croissance.
C'est pourquoi nous avons organisé la fusion de l'ANVAR et de la BDPME, qui permet à nos entreprises d'avoir accès à une large gamme de financements pour accompagner leur développement.
C'est pourquoi Hervé Gaymard et Christian Jacob finalisent le projet de loi sur le développement de l'économie et des entreprises. Ce texte comprendra un ensemble de dispositions financières, fiscales et réglementaires pour faciliter et accompagner la croissance de nos entreprises.
Au-delà de ces initiatives transversales, Jean-Louis Borloo présentera un plan de développement des services à la personne pour permettre à ce secteur, prometteur mais insuffisamment professionnalisé, de franchir un nouveau cap.
En favorisant la constitution de véritables enseignes nationales, en simplifiant les réglementations existantes, en organisant de véritables perspectives de carrière aux salariés du secteur, en améliorant les dispositifs de crédit d'impôt, nous pouvons "libérer" un potentiel de 500 000 créations d'emplois à horizon de 3 ans, notamment dans le secteur de la santé et de l'accompagnement des personnes dépendantes. Troisième pilier le plan de cohésion sociale qui vient d'être voté par le Parlement et qui doit entrer en application très rapidement, c'est la responsabilité première de Jean-Louis BORLOO, le Ministre de l'emploi.
[Je souhaite que chacun prenne la mesure de l'effort consenti, qui marque une véritable stratégie de rupture par rapport aux pratiques antérieures de traitement passif du chômage.]
Notre effort est structuré autour de 2 logiques.
- créer des parcours vers l'emploi, par un accompagnement personnalisé des personnes éloignées de la vie économique. Toute personne titulaire d'un minimum social se verra proposer un véritable contrat d'avenir associant travail et formation. Les premiers contrats d'avenir seront signés en février ;
- réformer le service public de l'emploi, afin d'améliorer l'adéquation entre les métiers demandés par les entreprises et les qualifications. Il est ainsi mis fin au monopole de placement de l'ANPE, tandis que le regroupement des différents intervenants est encouragé par la mise en place de maisons de l'emploi. Celles-ci doivent constituer à terme de véritables "guichets uniques" capables d'orienter, de conseiller et de placer les demandeurs d'emploi.
Avec ces 3 piliers - croissance, création d'entreprises, cohésion sociale - je suis confiant en notre capacité à faire reculer durablement le chômage, engagement que j'ai pris à l'occasion de la présentation du contrat en fin d'année 2004 "France 2005".
Le chômage est stabilisé et commence à reculer ; l'économie française a retrouvé le chemin de la création d'emplois au second semestre 2004 et de nombreux indicateurs montrent que l'emploi augmente dans notre pays.
2 - Cette stratégie de lutte contre le chômage s'accompagne de la reconnaissance d'une plus grande liberté de choix dans la gestion des temps de la vie.
Liberté de choix en matière de formation, avec la mise en place du droit individuel à la formation. Meilleure conciliation, enfin, entre vie familiale et vie professionnelle avec le dispositif de prestation d'accueil du jeune enfant et l'aide fiscale aux crèches d'entreprises. Liberté de choix dans l'âge de départ en retraite, accompagnée de possibilités accrues de cumul entre emploi et retraite. Liberté de choix en matière de temps de travail avec la finalisation de la réforme des 35 heures : nous avons d'ores et déjà par décret porté de 180 à 220 heures le contingent légal d'heures supplémentaires. La semaine prochaine, l'Assemblée Nationale va discuter du développement du compte épargne temps et de la mise en place des " accords de temps choisi ".
3 - L'action du Gouvernement, enfin, s'étend à la mise en place, comme l'avait demandé le Président de la République, d'une véritable assurance emploi
Notre modèle de protection de l'emploi doit évoluer, ne pas chercher à protéger coûte que coûte les emplois existants mais, en contrepartie, "armer" les travailleurs pour leur permettre de s'adapter à l'évolution des emplois et des compétences. Il faut changer la perspective, encourager la prise de risque, l'esprit d'entreprendre, la mobilité et proposer de nouvelles protections.
Cette assurance emploi que nous mettons en place a deux dimensions.
Améliorer l'employabilité, ce qui suppose de passer d'une logique d'indemnisation à une logique de "dotation en capital" des travailleurs. La mise en place de la validation des acquis de l'expérience et du droit individuel à la formation constitue le socle de cette nouvelle politique, qui doit aussi encourager la portabilité des droits accumulés au titre de l'épargne salariale.
Autre dimension, la gestion des transitions professionnelles et la mise en place de passerelles.
- passerelles entre deux emplois, avec le droit au reclassement étendu aux salariés des PME ;
- passerelles entre le statut salarié et celui de créateur d'entreprises, en permettant depuis la loi sur l'initiative économique aux salariés de se mettre à temps partiel pour monter leurs projets ;
- passerelles entre emploi public et emploi privé, notamment pour les chercheurs, afin de développer l'emploi scientifique dans notre pays et de faciliter les coopérations public-privé.
L'assurance emploi va au-delà d'une plus grande sécurisation des parcours professionnels.
Les Français ont aussi besoin, pour se projeter dans l'avenir avec plus de confiance, d'identifier les projets et les pôles d'excellence autour desquels nos compétences scientifiques et industrielles peuvent se mobiliser et se structurer.
C'est pourquoi, après avoir conduit les réformes sociales nécessaires pour dégager l'horizon et débloquer la société française, le Gouvernement lance aujourd'hui une nouvelle vague de grands projets.
2005 est une année charnière où nous devons commencer à récolter ce que nous avons semé, qu'il s'agisse de la mise en place de pôles d'excellence ou de grands projets scientifiques, énergétiques, industriels et d'infrastructures, comme le projet international ITER ou le projet de réacteur nucléaire EPR. Dans les prochains mois une agence fédérera les énergies pour cette dynamique de projets.
Dans une économie mondialisée, où la connaissance et le savoir sont de plus en plus globalisés, celui qui porte et mène à bien des projets prend un avantage souvent décisif et durable. Car sur de nombreux marchés, il n'y a souvent place que pour un nombre limité de pôles d'excellence.
La France ne peut pas tout faire ; mais elle doit, dans certains domaines, être en Europe "tête de réseau". Systématiquement nous accompagnerons les PME dans leur nécessaire internationalisation. Je l'ai fait récemment au Mexique, je le ferai demain en Tunisie.
IV - Il n'y a pas de modèle unique de retour au plein emploi - chaque pays a son histoire. Je crois, cela dit, qu'il y a une voie européenne bien spécifique.
Des pays voisins, notamment en Europe du Nord, nous montrent qu'il est possible mettre au point des compromis efficaces alliant ambitions sociales et ouverture au monde.
Je me suis efforcé depuis 1000 jours de redonner toute sa place au dialogue social dans notre pays. Pour préparer le contrat "France 2005", j'ai engagé à l'automne 2004 des consultations avec les partenaires sociaux, le monde économique et associatif. J'ai été frappé par l'ampleur des consensus sur certains sujets : en particulier la nécessité de réconcilier les Français et l'entreprise, et pour cela de revaloriser l'apprentissage et la participation.
Je m'engagerai personnellement tout au long de l'année 2005 pour changer l'état d'esprit de notre pays sur ces deux sujets très importants.
L'apprentissage doit redevenir dans l'esprit de tous les Français une filière d'excellence. Nous passons en 2005 à la vitesse supérieure. Toute entreprise qui emploie un apprenti bénéficiera d'un crédit d'impôt de 1600 euros par apprenti - 2 200 euros si le jeune est en situation difficile - ce qui est considérable.
J'appelle les entreprises, les collectivités territoriales, les organismes consulaires et tous les partenaires de l'apprentissage à la mobilisation, pour que cet effort fiscal "fasse levier" et permette de faire de chaque apprenti un véritable étudiant des métiers.
Dans le même esprit, et avec à la même conviction, j'ai annoncé à l'occasion du contrat "France 2005" un ensemble d'initiatives visant à donner un second souffle à la participation.
Développer la participation répond en effet aux préoccupations essentielles d'une économie plongée dans la mondialisation :
- améliorer l'information des salariés sur la vie économique de leur entreprise ;
- leur permettre de bénéficier d'un retour financier de la croissance ;
- mieux enraciner les entreprises et les centres de décision dans les territoires, et donc favoriser la logique de projets par rapport à la logique de volatilité boursière.
Après les incitations fiscales inscrites dans le budget 2005, d'autres mesures précises sont en cours d'élaboration, telles celles visant à faire bénéficier les entreprises non cotées des mêmes facilités que celles dont bénéficient les entreprises cotées.
Vos débats et vos propositions montrent bien que le combat pour l'emploi a de multiples dimensions : la performance de notre système d'éducation, la qualité de notre recherche, la croissance de nos entreprises, la baisse des charges sociales sur le travail peu qualifié, un service public de l'emploi davantage tourné vers l'accompagnement personnalisé, un droit du travail plus sûr.
Nous réussirons à relever le défi de l'emploi à condition de parvenir à approfondir notre démocratie sociale, à instaurer un véritable dialogue républicain entre les différents échelons territoriaux responsables de l'emploi, de l'insertion et de la formation professionnelle, à développer la participation dans les entreprises.
Dans cette dynamique, nous renforcerons l'organisation décentralisée de la République mais nous demanderons à nos partenaires de partager la démarche qui consiste à maîtriser globalement les dépenses afin que l'impôt ne pénalise pas l'emploi.
Dans ce contexte le choix de l'emploi c'est le choix de l'avenir, le choix de la France.
(Source http://www.premier ministre.gouv.fr, le 31 janvier 2005)