Texte intégral
Q- Bonjour L. Fabius. Vos activités politiques vous ont amené dans le Sud de la France où vous vous trouvez ce matin. La nouvelle des dernières heures, c'est la décision de la CGT de s'opposer au traité de Constitution Européenne. On imagine que pour vous, L. Fabius, c'est une bonne nouvelle.
R- Écoutez, je ne vais pas la commenter. C'est une décision syndicale, et il y a une tradition sur laquelle le politique ne commente pas le syndical. C'est certainement une décision importante, parce que la CGT est évidemment le syndicat le plus massif en France, mais voilà je ne veux pas aller plus loin dans le commentaire.
Q- Vous êtes bien prudent ce matin. C'est les mises en garde de F. Hollande, aux tenants du non à l'intérieur du Parti socialiste ?
R- Non, c'est une ligne générale. Je crois qu'il ne faut pas qu'il y ait de confusion entre les organisations politiques et les organisations syndicales. Mais, en même temps, cette décision sera commentée compte tenu de l'importance de la CGT, c'est évident.
Q- Moi je pensais que c'était une bonne nouvelle pour vous mais puisque vous ne voulez pas le dire, je ne vais pas le dire à votre place hein ? Du coup A. Duhamel disait : le temps du oui s'affaiblit il y a une dynamique du non qui se met en place. Vous partagez ce sentiment, L. Fabius ?
R- Je ne sais pas mais ce qui est certain c'est que, puisque le référendum va avoir lieu, vraisemblablement au mois de juin - enfin on n'en connaît pas encore la date - eh bien il faut se concentrer sur la question qui est posée, et puis évidemment la question du climat est également importante. Mais je ne veux pas trop, si vous le voulez bien, commenter ça parce que vous connaissez ma position, je suis d'un côté - et c'est tout à fait normal - respectueux de la décision prise par le Parti socialiste, majoritairement. En même temps, on connaît mes convictions en faveur du non, qui sont des convictions personnelles, et je ne vais pas changer de convictions. Donc ne me maintenez pas trop là-dessus parce que sinon on risque de tourner en rond !
Q- Alors la dernière question : cette discrétion, cette prudence, L. Fabius, ça va être votre ligne de conduite jusqu'au référendum ?
R- Ce n'est pas de la prudence. Si vous voulez je veux être loyal vis-à-vis de mon organisation, et fidèle à mes convictions. En plus, il y a évidemment la question de la Constitution Européenne qui est posée, mais il y a beaucoup d'autres questions européennes qui sont posées et qui ont un lien, plus ou moins direct, ou pas trop de liens directs avec la Constitution. Par exemple, vous avez vu que j'ai mené, avec beaucoup d'autres, et le Parti socialiste, une offensive forte contre la directive Bolkestein qui peut avoir pour effet de provoquer le dumping social partout en Europe. Le gouvernement dans un premier temps avait soutenu cette directive, même s'il dit aujourd'hui le contraire. Là, le Président de la République semble avoir fait machine arrière. Mais j'ai peur que dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, ce soit simplement tactique et qu'on nous "la resserve" - passez-moi cette expression - après le référendum. De la même façon, je m'exprime aujourd'hui dans Le Figaro, vous l'avez peut-être vu, pour dire que l'euro cher est un grand handicap pour l'Europe, pour notre économie, et que je souhaiterais que la Banque Centrale Européenne, qui est inerte, intervienne comme le fait d'ailleurs la Banque Centrale Américaine, parce qu'à force de ne pas intervenir, on va accélérer les délocalisations. On va avoir aussi des questions financières qui vont se poser. Il y a d'autres questions liées à l'élargissement, la question de la Turquie. Bref, il n'y a pas que la Constitution. L'Europe est évidemment aujourd'hui décisive. Moi je suis un pro-européen fervent, mais je ne veux pas n'importe quelle Europe. Je veux une Europe sociale.
Q- Vous verra t-on demain dans les défilés contre les 35 heures et pour le pouvoir d'achat ?
R- Oui, j'irai, comme beaucoup de socialistes, mais c'est un défilé à l'initiative des organisations syndicales qui sont unies et j'ai été invité à Lourdes, à Carcassonne, donc je défilerai là-bas comme beaucoup de mes camarades à travers la France. Je crois que F. Hollande sera dans l'Ouest, d'autres camarades à Paris. J'aurais aimé pouvoir être chez moi à Rouen, mais il se trouve que je serai à Carcassonne demain.
Q- Voyez, tout à l'heure à propos de l'Europe, il ne fallait pas mélanger le syndical et le politique et puis vous dites que vous-même vous serez dans les défilés syndicaux demain. Deux poids, deux mesures !
R- Ah oui, mais attention J.-M. Aphatie, les défilés de demain n'ont pas comme objectif du tout la Constitution européenne. C'est un défilé contre la remise en cause des 35 heures, pour la défense du pouvoir d'achat, et contre la politique économique et sociale du Gouvernement. Ce sont ça les thèmes, et je crois qu'ils sont parfaitement fondés.
Q- Et donc on va vous accuser peut-être de récupération. Le Parti socialiste récupère le mouvement syndical ?
R- Non, mais c'est l'éternel problème. Si nous ne sommes pas là, on dit : pourquoi ne sont-ils pas là ? Et si on est là on dit, attention. C'est pourquoi il faut, bien sûr, en tant que citoyen, et en même temps responsable, être dans les manifestations lorsqu'elles sont fondées, lorsqu'on partage leur objectif mais pas du tout essayer de les récupérer. Pas du tout. Là, en l'occurrence, le mot d'ordre contre la remise en cause des 35 heures est tout à fait fondé, parce que - vous en avez parlé plusieurs fois à l'antenne - l'opération que fait le Gouvernement est une opération de mensonges. Le Gouvernement dit : il s'agit de permettre aux salariés de travailler plus pour gagner plus, mais ce n'est pas du tout vrai quand on regarde dans le détail le texte. On va demander aux salariés, exiger d'eux parce qu'ils n'ont pas le choix, de travailler plus mais pas pour gagner plus... Cela va être la même chose si vous voulez que l'opération du lundi de Pentecôte. Et puis en plus, quand on regarde encore une fois très en détail le texte, ça veut dire que dans les faits, la durée du travail va pouvoir être menée - vous l'avez vu - jusqu'à 48 heures par semaine. Et je me demande si tout ça n'a pas un but bien précis : c'est au fond de détourner l'attention - mais le gouvernement n'y parviendra pas - du chômage, en faisant comme si la situation massive du chômage aujourd'hui était due, non pas à une mauvaise politique économique et sociale, mais au fait que les gens ne voulaient pas travailler assez. Alors moi je m'élève absolument contre ça. Et puis il y a les questions de pouvoir d'achat, où il y a un recul très très important. Les questions de l'Éducation Nationale. Donc c'est tout ça qui fait mal.
Q- On croyait que vous étiez ami avec F. Hollande et on a découvert, dimanche, qu'il y avait des tensions entre vous. Alors que se passet- il, L. Fabius ?
R- Non, non, je suis tout à fait ami avec François et je suis tout à fait à ses côtés dans la direction du Parti socialiste. On peut avoir sur tel ou tel point une différence d'approche, mais je tiens énormément à l'unité du Parti socialiste et de la gauche. J'ai moi-même dirigé le Parti socialiste, je sais à quel point son unité est importante. Donc ne tombons pas dans des questions de personnes. Essayons - enfin moi, j'essaie pour ma part, mais ce n'est pas toujours facile - de rester un peu au-dessus de la mêlée. C'est ce que demande la population. La population est très critique vis-à-vis de la situation actuelle, de la politique du gouvernement. Mais maintenant elle nous demande de faire des propositions et c'est ce qu'on commence à faire.
Q- F. Hollande aurait été blessé par une de vos formules de samedi : "Je souhaite une opposition ferme, avez-vous dit, et pas en caoutchouc". "Le caoutchouc", il l'a pris pour lui, il avait raison ou il avait tort ?
R- J'ai vu qu'il y avait eu des réactions, des sur-réactions, et moi-même j'ai entendu un certain nombre de petites phrases qui n'étaient peut-être pas destinées à d'autres que moi. Non, la question de fond que j'ai posée, c'est celle-ci, Monsieur Aphatie.
Q- En deux mots.
R- Nous vivons en France une situation vraiment sérieuse et même grave, où vous avez d'un côté une partie de la population, qui a fait de bonnes études, qui a une bonne situation, un logement, etc.
Q- En deux mots !
R- Et qui croit à l'avenir. Et puis vous avez une France, plus nombreuse, à travers différentes couches sociales, qui est à ce point dans une situation difficile, qu'elle perd même l'espérance. J'estime ça extrêmement dangereux. Et si nous voulons, nous, redonner un débouché social, économique, politique à cette France-là, qui est désespérée, il faut que nous pratiquions une opposition ferme, responsable, offensive - j'avais dit au congrès de Dijon, et notre ligne a été suivie, "frontale"...
Q- On ne va pas rentrer dans le congrès de Dijon.
R- ... Et en même temps, qu'il fallait que nous développions nos propositions.
Q- D'accord, d'accord. Allez, vous en reparlerez avec F. Hollande. L. Fabius était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 février 2005)
R- Écoutez, je ne vais pas la commenter. C'est une décision syndicale, et il y a une tradition sur laquelle le politique ne commente pas le syndical. C'est certainement une décision importante, parce que la CGT est évidemment le syndicat le plus massif en France, mais voilà je ne veux pas aller plus loin dans le commentaire.
Q- Vous êtes bien prudent ce matin. C'est les mises en garde de F. Hollande, aux tenants du non à l'intérieur du Parti socialiste ?
R- Non, c'est une ligne générale. Je crois qu'il ne faut pas qu'il y ait de confusion entre les organisations politiques et les organisations syndicales. Mais, en même temps, cette décision sera commentée compte tenu de l'importance de la CGT, c'est évident.
Q- Moi je pensais que c'était une bonne nouvelle pour vous mais puisque vous ne voulez pas le dire, je ne vais pas le dire à votre place hein ? Du coup A. Duhamel disait : le temps du oui s'affaiblit il y a une dynamique du non qui se met en place. Vous partagez ce sentiment, L. Fabius ?
R- Je ne sais pas mais ce qui est certain c'est que, puisque le référendum va avoir lieu, vraisemblablement au mois de juin - enfin on n'en connaît pas encore la date - eh bien il faut se concentrer sur la question qui est posée, et puis évidemment la question du climat est également importante. Mais je ne veux pas trop, si vous le voulez bien, commenter ça parce que vous connaissez ma position, je suis d'un côté - et c'est tout à fait normal - respectueux de la décision prise par le Parti socialiste, majoritairement. En même temps, on connaît mes convictions en faveur du non, qui sont des convictions personnelles, et je ne vais pas changer de convictions. Donc ne me maintenez pas trop là-dessus parce que sinon on risque de tourner en rond !
Q- Alors la dernière question : cette discrétion, cette prudence, L. Fabius, ça va être votre ligne de conduite jusqu'au référendum ?
R- Ce n'est pas de la prudence. Si vous voulez je veux être loyal vis-à-vis de mon organisation, et fidèle à mes convictions. En plus, il y a évidemment la question de la Constitution Européenne qui est posée, mais il y a beaucoup d'autres questions européennes qui sont posées et qui ont un lien, plus ou moins direct, ou pas trop de liens directs avec la Constitution. Par exemple, vous avez vu que j'ai mené, avec beaucoup d'autres, et le Parti socialiste, une offensive forte contre la directive Bolkestein qui peut avoir pour effet de provoquer le dumping social partout en Europe. Le gouvernement dans un premier temps avait soutenu cette directive, même s'il dit aujourd'hui le contraire. Là, le Président de la République semble avoir fait machine arrière. Mais j'ai peur que dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, ce soit simplement tactique et qu'on nous "la resserve" - passez-moi cette expression - après le référendum. De la même façon, je m'exprime aujourd'hui dans Le Figaro, vous l'avez peut-être vu, pour dire que l'euro cher est un grand handicap pour l'Europe, pour notre économie, et que je souhaiterais que la Banque Centrale Européenne, qui est inerte, intervienne comme le fait d'ailleurs la Banque Centrale Américaine, parce qu'à force de ne pas intervenir, on va accélérer les délocalisations. On va avoir aussi des questions financières qui vont se poser. Il y a d'autres questions liées à l'élargissement, la question de la Turquie. Bref, il n'y a pas que la Constitution. L'Europe est évidemment aujourd'hui décisive. Moi je suis un pro-européen fervent, mais je ne veux pas n'importe quelle Europe. Je veux une Europe sociale.
Q- Vous verra t-on demain dans les défilés contre les 35 heures et pour le pouvoir d'achat ?
R- Oui, j'irai, comme beaucoup de socialistes, mais c'est un défilé à l'initiative des organisations syndicales qui sont unies et j'ai été invité à Lourdes, à Carcassonne, donc je défilerai là-bas comme beaucoup de mes camarades à travers la France. Je crois que F. Hollande sera dans l'Ouest, d'autres camarades à Paris. J'aurais aimé pouvoir être chez moi à Rouen, mais il se trouve que je serai à Carcassonne demain.
Q- Voyez, tout à l'heure à propos de l'Europe, il ne fallait pas mélanger le syndical et le politique et puis vous dites que vous-même vous serez dans les défilés syndicaux demain. Deux poids, deux mesures !
R- Ah oui, mais attention J.-M. Aphatie, les défilés de demain n'ont pas comme objectif du tout la Constitution européenne. C'est un défilé contre la remise en cause des 35 heures, pour la défense du pouvoir d'achat, et contre la politique économique et sociale du Gouvernement. Ce sont ça les thèmes, et je crois qu'ils sont parfaitement fondés.
Q- Et donc on va vous accuser peut-être de récupération. Le Parti socialiste récupère le mouvement syndical ?
R- Non, mais c'est l'éternel problème. Si nous ne sommes pas là, on dit : pourquoi ne sont-ils pas là ? Et si on est là on dit, attention. C'est pourquoi il faut, bien sûr, en tant que citoyen, et en même temps responsable, être dans les manifestations lorsqu'elles sont fondées, lorsqu'on partage leur objectif mais pas du tout essayer de les récupérer. Pas du tout. Là, en l'occurrence, le mot d'ordre contre la remise en cause des 35 heures est tout à fait fondé, parce que - vous en avez parlé plusieurs fois à l'antenne - l'opération que fait le Gouvernement est une opération de mensonges. Le Gouvernement dit : il s'agit de permettre aux salariés de travailler plus pour gagner plus, mais ce n'est pas du tout vrai quand on regarde dans le détail le texte. On va demander aux salariés, exiger d'eux parce qu'ils n'ont pas le choix, de travailler plus mais pas pour gagner plus... Cela va être la même chose si vous voulez que l'opération du lundi de Pentecôte. Et puis en plus, quand on regarde encore une fois très en détail le texte, ça veut dire que dans les faits, la durée du travail va pouvoir être menée - vous l'avez vu - jusqu'à 48 heures par semaine. Et je me demande si tout ça n'a pas un but bien précis : c'est au fond de détourner l'attention - mais le gouvernement n'y parviendra pas - du chômage, en faisant comme si la situation massive du chômage aujourd'hui était due, non pas à une mauvaise politique économique et sociale, mais au fait que les gens ne voulaient pas travailler assez. Alors moi je m'élève absolument contre ça. Et puis il y a les questions de pouvoir d'achat, où il y a un recul très très important. Les questions de l'Éducation Nationale. Donc c'est tout ça qui fait mal.
Q- On croyait que vous étiez ami avec F. Hollande et on a découvert, dimanche, qu'il y avait des tensions entre vous. Alors que se passet- il, L. Fabius ?
R- Non, non, je suis tout à fait ami avec François et je suis tout à fait à ses côtés dans la direction du Parti socialiste. On peut avoir sur tel ou tel point une différence d'approche, mais je tiens énormément à l'unité du Parti socialiste et de la gauche. J'ai moi-même dirigé le Parti socialiste, je sais à quel point son unité est importante. Donc ne tombons pas dans des questions de personnes. Essayons - enfin moi, j'essaie pour ma part, mais ce n'est pas toujours facile - de rester un peu au-dessus de la mêlée. C'est ce que demande la population. La population est très critique vis-à-vis de la situation actuelle, de la politique du gouvernement. Mais maintenant elle nous demande de faire des propositions et c'est ce qu'on commence à faire.
Q- F. Hollande aurait été blessé par une de vos formules de samedi : "Je souhaite une opposition ferme, avez-vous dit, et pas en caoutchouc". "Le caoutchouc", il l'a pris pour lui, il avait raison ou il avait tort ?
R- J'ai vu qu'il y avait eu des réactions, des sur-réactions, et moi-même j'ai entendu un certain nombre de petites phrases qui n'étaient peut-être pas destinées à d'autres que moi. Non, la question de fond que j'ai posée, c'est celle-ci, Monsieur Aphatie.
Q- En deux mots.
R- Nous vivons en France une situation vraiment sérieuse et même grave, où vous avez d'un côté une partie de la population, qui a fait de bonnes études, qui a une bonne situation, un logement, etc.
Q- En deux mots !
R- Et qui croit à l'avenir. Et puis vous avez une France, plus nombreuse, à travers différentes couches sociales, qui est à ce point dans une situation difficile, qu'elle perd même l'espérance. J'estime ça extrêmement dangereux. Et si nous voulons, nous, redonner un débouché social, économique, politique à cette France-là, qui est désespérée, il faut que nous pratiquions une opposition ferme, responsable, offensive - j'avais dit au congrès de Dijon, et notre ligne a été suivie, "frontale"...
Q- On ne va pas rentrer dans le congrès de Dijon.
R- ... Et en même temps, qu'il fallait que nous développions nos propositions.
Q- D'accord, d'accord. Allez, vous en reparlerez avec F. Hollande. L. Fabius était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 février 2005)