Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les orientations de la prochaine présidence française de l'Union européenne, notamment la réforme des institutions, l'élaboration de la Charte européenne des droits civiques et sociaux, la coopération européenne en matière d'éducation, de sport et d'emploi, l'affirmation de l'Europe sur la scène internationale, Paris le 18 janvier 2000.

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Circonstance : Voeux à la presse le 18 janvier 2000

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Chers Amis,
J'ignore si, dans les rêves qu'ils faisaient il y a plusieurs décennies en pensant à l'an 2000, nos prédécesseurs imaginaient que les voeux se transmettraient alors par visioconférence, par téléportage ou par télépathie. Mais il est un fait que cette heureuse tradition des voeux a survécu.
J'ai donc le plus grand plaisir, pour la troisième année consécutive, à vous rencontrer pour cette occasion traditionnelle et sympathique. Je voudrais naturellement vous dire quelques mots sur les grands rendez- vous européens qui attendent la France en cette année charnière, chargée de symboles.
Je ne reviendrai que brièvement sur l'année passée. 1999 a été très riche en événements européens, certains attendus, comme l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam ou le renouvellement du Parlement de Strasbourg, d'autres plus inattendus, comme la crise et la démission de la Commission européenne présidée par Jacques Santer ou encore les avancées remarquables, que beaucoup ne pensaient pas possibles, du moins aussi rapidement, en matière d'Europe de la défense.
Je dirai simplement qu'au total, l'Europe a beaucoup progressé.
Elle a progressé vers la démocratie avec l'entrée en fonction d'une nouvelle Commission européenne, plus soucieuse de transparence, de collégialité, avec la nouvelle assurance du Parlement européen, lui aussi renouvelé et plus conscient de la réalité de ses pouvoirs, considérablement renforcés par le Traité d'Amsterdam.
L'Europe a également progressé dans le domaine social et économique, avec la mise en place réussie de l'euro, avec l'Euro-11, préfiguration du nécessaire gouvernement économique européen, avec le Pacte européen pour l'emploi adopté en juin à Berlin, début de concrétisation de la priorité donnée à l'emploi et à la croissance en Europe. J'ajoute, bien sûr, que nous ne pouvons que nous réjouir de la croissance retrouvée dans nos pays, et tout particulièrement en France, après les craintes apparues à la fin de 1998 et au début de 1999. Les chiffres définitifs de croissance pour 1999 confirmeront bientôt que, comme l'avait prédit Dominique Strauss- Kahn - auquel je tiens à rendre ici un hommage particulier - le ralentissement n'était qu'un "trou d'air" passager et que l'Europe est entrée dans une phase durable et soutenue de croissance.
Enfin, l'Europe a préparé l'avenir. Avec l'accord sur l'Agenda 2000, au printemps dernier à Berlin, nous avons établi les finances communautaires pour les sept années à venir, préparant ainsi l'élargissement à l'Europe centrale et orientale. Avec l'entrée en fonction de "Monsieur PESC", Javier Solana, avec l'accord sur l'Europe de la défense conclu à Helsinki, mais aussi avec l'accueil à la table de négociations de six nouveaux pays candidats, nous avons posé certaines des fondations indispensables de l'Europe forte et réunifiée de demain.
Je n'oublie certes pas que l'année passée a également mis en lumière certaines des insuffisances de l'Europe. J'ai parlé des avancées considérables de l'Europe de la défense, qui vont nous permettre de disposer de réelles capacités autonomes d'action. Mais nous ne devons pas oublier que l'urgence de ces avancées est justement apparue lors du conflit du Kosovo, au printemps dernier, qui a non seulement souligné que la paix sur notre Continent devait rester notre première raison d'être, notre quête permanente, mais aussi que l'Europe souffrait, dans certains domaines, d'une insuffisance cruelle de moyens d'action.
De même, les élections européennes de juin dernier, marquées par un taux d'abstention considérable - et d'explication, tout simplement - restait immense, que nos concitoyens, sans être hostiles à la construction européenne - de nombreuses enquêtes d'opinion nous le montrent - demeuraient au moins méfiants, ou indifférents, face à des mécanismes et à des structures jugées trop opaques, trop lointaines, peu en prise avec leurs préoccupations quotidiennes. J'ajoute quand même que les résultats de ces élections en France ont, en revanche, été pour le gouvernement de Lionel Jospin un signal positif et un encouragement à poursuivre notre action.
Le travail qui nous attend en cette année 2000, en cette fin de millénaire - vous me pardonnerez de m'en tenir à une certaine orthodoxie arithmétique - , est donc considérable. Notre responsabilité sera bien sûr d'autant plus éminente que, comme vous le savez tous, la France exercera, pendant le second semestre, la présidence tournante de l'Union, après nos amis portugais et avant nos amis suédois.
Il est encore un peu tôt pour exposer dans le détail ce que sera le calendrier de notre présidence, ne serait- ce que parce que nous ne voulons pas préjuger des résultats de la présidence portugaise.
Mais je peux d'ores et déjà indiquer, comme le président de la République et le Premier ministre l'ont fait à l'occasion des voeux du gouvernement, quelques-uns unes de nos orientations.
En premier lieu, il nous reviendra de mener à bien la nécessaire réforme des institutions, préalable aux premières adhésions des pays d'Europe centrale et orientale. J'ai eu souvent l'occasion de dire que cet élargissement, que je vois plutôt comme la véritable réunification de l'Europe, est incontestablement la tâche première et historique de l'Union européenne pour les prochaines décennies.
Après la mise en place d'un cadre budgétaire adéquat, que j'ai évoquée, l'autre préalable incontournable est la réforme des institutions. Il nous faut, en effet, achever le chantier de leur modernisation, inabouti à Amsterdam, afin que l'Europe élargie, dans quelques années, puisse fonctionner efficacement.
Tel est l'objet de la Conférence intergouvernementale qui sera lancée dans quelques semaines et qui devrait aboutir, nous l'espérons, à la fin de cette année. Il s'agit de parvenir d'abord à trois réformes essentielles : la généralisation du recours au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, au lieu de l'unanimité, la révision de la pondération des voix, c'est- à- dire une meilleure prise en compte du poids réel des Etats les uns par rapport aux autres, et le resserrement de l'effectif de la Commission européenne.
Ce sont là trois aspects qui nous permettront d'améliorer considérablement le fonctionnement de l'Union, comme jamais cela n'a été fait depuis le début de la construction européenne. C'est pourquoi je ne partage pas l'opinion de ceux qui souhaiteraient tout remettre à plat, en regrettant le manque d'ambition supposé de cette réforme. Je l'ai déjà dit, à trop vouloir charger la barque, on s'interdirait simplement d'aboutir à un accord avant plusieurs années, et l'on retarderait donc considérablement les premières adhésions. Bien sûr, nous ne devons pas nous empêcher d'avancer, si cela est possible, sur d'autres questions, au cours de cette CIG : je pense à tout ce qu'on appelle les questions connexes par rapport aux trois principales - par exemple, l'abaissement du seuil pour réunir une majorité qualifiée ou l'extension de la co- décision entre le Conseil et le Parlement européen - ou encore à l'amélioration de la procédure, fondamentale dans une Europe plus vaste et plus hétérogène, des coopérations renforcées entre quelques Etats membres.
En tout cas, la présidence française, après le travail que la présidence portugaise effectue actuellement, consacrera toute son énergie au succès de cette négociation décisive et prioritaire.
Plus généralement, nous veillerons à ce que l'élan collectif donné au processus d'élargissement à Helsinki soit maintenu. J'estime, en particulier, qu'il sera nécessaire d'utiliser pleinement la Conférence européenne. Il est important de faire vivre cette instance de dialogue collectif et de coopération multilatérale entre Etats membres actuels et pays candidats et j'en ferai un des axes de mon action.
Notre autre grande piste de travail, tout au long de cette année, sera de progresser vers l'Europe citoyenne, c'est- à- dire vers une Europe plus en prise avec les préoccupations quotidiennes de ses habitants.
L'une des étapes majeures de cette évolution, qui en posera, en quelque sorte, les fondements, sera l'élaboration de la Charte européenne des droits civiques et sociaux. Son objet sera de consacrer les droits du citoyen européen du XXIème siècle, c'est- à- dire de confirmer les libertés et droits fondamentaux qui figurent déjà dans divers textes, mais aussi - et ce sera l'apport essentiel de cette Charte - de consacrer de nouveaux droits sociaux, comme par exemple, le droit à la santé, à l'éducation, au logement, à un revenu minimum, etc...
Le comité chargé de la rédaction de cette Charte, qui réunit représentants des gouvernements, des parlements nationaux et du Parlement européen a commencé ses travaux en décembre dernier sous la présidence de l'ancien président de la République fédérale d'Allemagne Roman Herzog. Nous espérons bien qu'il pourra aboutir d'ici la fin de l'année.
Ensuite, nous devrons progresser dans la définition de politiques concrètes destinées à améliorer la vie quotidienne des citoyens de l'Europe. Il y a, bien sûr, la poursuite, après le Conseil européen de Tampere de l'automne dernier, de la mise en place d'un espace européen de sécurité et de justice, pour que l'Europe soit synonyme de plus de justice et de plus de sécurité, non seulement pour combattre la criminalité organisée, mais aussi pour faciliter la vie quotidienne des Européens, qui traversent de plus en plus les frontières nationales, qu'il s'agisse des travailleurs transfrontaliers, des couples mixtes, des étudiants, des touristes, etc...
Je viens de citer les étudiants. Je souhaite justement insister sur notre volonté de jeter les bases d'une Europe du savoir, d'un espace européen de l'éducation et de la connaissance. Avec mon collègue et ami Claude Allègre, nous réfléchissons actuellement à des propositions dans ce domaine, en vue de favoriser encore davantage les échanges, la mobilité des étudiants, des enseignants, des chercheurs, de faciliter, dans tous les domaines, la coopération, les projets communs à tout le continent. Il s'agit là, incontestablement, d'un de nos grands devoirs pour la décennie à venir.
Nous devrons également poursuivre l'effort, engagé par Lionel Jospin depuis juin 97, de réorientation de la construction européenne vers le social, la croissance et l'emploi. Le Pacte européen pour l'emploi a certes représenté un premier pas important, mais nettement insuffisant. Il nous faut lui donner corps. De ce point de vue, nous travaillons en étroite concertation avec la présidence portugaise au succès du sommet prévu à Lisbonne en mars prochain et qui sera consacré à l'emploi, la croissance et la compétitivité. Nous nous réjouissons bien évidemment de la décrue considérable du chômage en Europe - et particulièrement en France, un demi- million de chômeurs en moins en deux ans et demi, je le souligne - . Mais il est clair que nous ne devons pas baisser la garde si nous voulons revenir, comme l'a dit le Premier ministre, à la société de plein- emploi.
Enfin, j'évoquerai un domaine qui occupe une place croissante non seulement dans la vie quotidienne de nos concitoyens, mais aussi sur le plan social et économique, je veux parler du sport. Non seulement parce que 2000 sera une grande année sportive - et vous me permettrez, c'est l'époque, d'exprimer le voeu que le début de la présidence française, le ler juillet, soit salué, dès le lendemain, par une victoire de la France à l'Euro-2000, ce serait le plus heureux des présages - , mais aussi parce que nous souhaitons que la dimension européenne soit au service du sport, qu'il s'agisse de la nécessaire lutte contre le dopage ou de la reconnaissance de la valeur sociale et éducative du sport face aux règles communautaires, je pense en particulier aux excès de la commercialisation du sport.
Là aussi, nous travaillons avec Marie George Buffet, qui mène une action remarquable en France, pour que la présidence française soit l'occasion d'avancer dans cette direction.
Enfin, et ce sera notre troisième grande piste d'action, nous devrons travailler cette année à l'affermissement d'une Europe puissante. Non pas une Europe en quête de domination ou de suprématie, mais une Europe politiquement adulte, capable de promouvoir son modèle de société, qui est, par sa spécificité, par sa combinaison unique de performance économique et d'exigence sociale, l'un des fondements de l'identité européenne, et, osons le terme, de ce qui fait la civilisation européenne.
Cela voudra d'abord dire défendre notre modèle de développement économique et social dans les négociations internationales. Le nouveau cycle de négociations commerciales n'a pu être lancé à Seattle et nous devons en tirer tous les enseignements nécessaires. Mais il le sera certainement en 2001 et notre volonté devra donc être, dans un souci d'unité et de solidarité des Quinze, de promouvoir dans sa préparation notre conception d'une mondialisation maîtrisée, régulée. Une mondialisation synonyme de croissance pour l'ensemble des régions du monde, de progrès social, de respect de l'homme et de son environnement. Pas une mondialisation sauvage, version moderne de la loi de la jungle, qui fait travailler les enfants de huit ans, qui oublie les règles élémentaires de la nature, qui laisse naviguer des navires épaves aux mains d'équipages de fortune.
L'Europe puissance, ce devra être également une Europe politique capable de faire porter son message de paix et de solidarité dans le monde. Je l'ai mentionné au début, nous avons franchi, de ce point de vue, des pas importants en 1999. Il importe maintenant de donner à ces nouvelles orientations une réalité, qu'il s'agisse du volet politique - et je souhaite pleine réussite dans ses nouvelles fonctions à Javier Solana - ou du volet militaire, avec la mise en oeuvre des orientations d'Helsinki. De plus, la France exercera, en même temps que la présidence de l'Union, la présidence de l'UEO. Double opportunité, mais aussi double responsabilité !
Pour conclure, je veux vous redire l'importance que j'attache à l'information des citoyens sur l'Europe. L'Europe est encore beaucoup trop mal connue de ses citoyens, quand son action n'est pas caricaturée.
J'ai mené l'année dernière une campagne d'information - modeste par ses moyens mais non pas par sa volonté pédagogique - sur la construction européenne à l'étape du traité d'Amsterdam. Nous avons également poursuivi la mise en place du réseau national d'information sur l'Europe, avec la création, dans les régions et les départements, de points d'information sur l'Europe au service des citoyens, le plus près possible de chez eux.
Je poursuivrai cet effort au cours des prochains mois, dans le contexte de la préparation de la présidence française, afin que ce moment important dans la vie communautaire soit une occasion d'échanger, d'expliquer, de débattre. Cet effort se poursuivra bien entendu durant la présidence, notamment au travers du site Internet de la présidence française, que nous voulons le plus complet, le plus attrayant et le plus informatif possible. Je veillerai, en particulier, à ce qu'il soit le meilleur instrument de travail et d'information possible pour vous, tout au long de ces six mois.
Car vous avez un rôle essentiel à jouer dans l'information de nos concitoyens sur l'Europe. Je serai donc heureux de poursuivre avec vous le dialogue entamé depuis maintenant plus de deux ans et demi. J'espère que cette année symbolique qu'est 2000 nous donnera l'occasion de nous rencontrer souvent pour faire avancer l'Europe.
Je vous souhaite, à vous tous, à vos familles et à tous ceux qui vous sont chers, une très bonne et heureuse année 2000./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2000)