Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la réforme des institutions communautaires préalable à l'élargissement et la définition des frontières géographiques de l'Europe, Berlin le 19 janvier 2000.

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Circonstance : Audition de M. Moscovici à la Commission des affaires européennes du Bundestag à Berlin le 19 janvier 2000

Texte intégral

En guise d'introduction, je voudrais simplement vous dire que j'étais venu ici, pour la journée, d'une part afin d'avoir cette audition devant la Commission des Affaires européennes du Bundestag, qui est la première d'un ministre des Affaires européennes français devant cette commission, et ensuite, pour voir dans quelques minutes Christoph Zöpel, mon homologue allemand.
Les sujets à l'ordre du jour sont les sujets de la prochaine présidence française, c'est à dire essentiellement l'emploi, la défense européenne, l'avancée du processus d'élargissement et la réforme des institutions européennes à travers la conférence intergouvernementale. J'aurai l'occasion de vérifier que les positions du gouvernement allemand et du gouvernement français sont proches, notamment sur le binôme élargissement/réformes institutionnelles.
On a souvent dit que nous étions opposés, les Allemands étant favorables à l'élargissement et les Français ayant une approche plus politique, plus institutionnelle. La réalité d'aujourd'hui est toute différente. Nous avons le même souhait de voir l'Europe s'élargir à 20, 27, 28, 30. Nous avons le même souhait que cet élargissement se fasse le plus vite possible. Nous avons le même souhait que cet élargissement soit réussi. Pour qu'il soit réussi, il faut qu'il soit maîtrisé. Il faut que les pays candidats remplissent les critères nécessaires à l'entrée dans l'UE. Il faut aussi que les institutions européennes fonctionnent. Si elles fonctionnent à quinze, - ce qui est loin d'être le cas -, il faut aussi qu'elles fonctionnent à plus de quinze. C'est l'enjeu de la CIG, sur laquelle, je crois, nous avons une vision très proche. Si je devais résumer la formule, je dirais que nous voulons une CIG ambitieuse et réaliste. Aller loin, traiter les trois sujets non traités à Amsterdam. Traiter le maximum de questions connexes à ces trois questions. Je veux parler, par exemple, de la responsabilité individuelle des commissaires, de l'extension de la co-décision en même temps que s'étend la majorité qualifiée, et aussi du fonctionnement de certaines institutions, comme la Cour de Justice ou le Parlement européen. Enfin, nous sommes tout à fait ouverts pour voir comment encore accroître l'importance des coopérations renforcées dans une Europe élargie qui aura donc besoin de souplesse.
Aller loin donc, et je réfute tous les procès qui sont faits parfois à la France d'être restrictive sur le sujet. Aller loin, aussi loin que possible dans un laps de temps court, puisqu'il est souhaitable que nous ayons fini fin 2000. Ce délai court interdit qu'on remette tout sur le chantier. Il faut conclure vite sur les institutions, si on veut élargir vite. Il faudra donc y revenir plus tard. Cette CIG est importante, mais elle n'est qu'une étape. Voilà pourquoi, si nous sommes ambitieux, nous devons aussi être réalistes, dans un contexte où certains veulent aller plus loin mais, où d'autres considèrent aussi que c'est déjà aller beaucoup trop loin.
Voilà ce que je pouvais dire pour commencer. Mais je pense que si la France et l'Allemagne partagent cette conception, ce sera un point d'appui très fort, pour cette année, pour notre présidence.
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Q - M. Delors critique aujourd'hui le processus d'élargissement. Il a dit qu'il voyait des conséquences négatives pour l'approfondissement du processus d'unification. Quel est votre commentaire ?
R - Je crois que Jacques Delors a posé de vraies questions. C'est vrai qu'en réalisant l'élargissement qui va toucher jusqu'à trente pays désormais pour l'Union européenne, nous courons le risque de la dilution, si nous n'approfondissons pas en même temps l'Union européenne.
Je rejoins aussi Jacques Delors sur un autre point qui est le souhait qu'il a de retrouver ou de redéfinir un projet pour l'Europe. Si l'Europe n'est abordée qu'en termes de grand marché d'un côté, ou de l'autre côté, à travers des transferts de souveraineté qui forcément heurtent les réalités nationales, alors cet élargissement nous posera des problèmes. C'est pour cela que cet élargissement, qui est nécessaire, qui est historiquement justifié, qui est porteur d'espérances formidables, doit être aussi accompagné d'une redéfinition du projet européen. Projet qui doit d'ailleurs être rapproché des préoccupations des citoyens. Puis il faut donner un toit politique à l'Europe.
Mon troisième point d'accord avec Jacques Delors est le suivant : je pense aussi qu'il y a un groupe de nations qui, par leur rôle historique, par leur conscience européenne, ont vocation à constituer une avant-garde ou un cur en Europe.
Là où je me sépare de Jacques Delors, c'est sur l'idée d'avoir un traité dans le traité, de constituer une fédération à quelques-uns uns. D'abord, parce que je crois que ce n'est pas faisable. Ensuite, parce que je ne vois pas comment nous pourrions exclure de politiques communes des pays qui les pratiquent déjà avec nous. Troisièmement, parce que j'ai lu le plaidoyer final dans cet article de Jacques Delors pour les institutions actuelles, c'est-à-dire pour l'équilibre entre le Parlement, la Commission et le Conseil. Par définition, cet équilibre ne peut être valide que s'il s'applique à l'Europe tout entière.
Cela dit, je trouve que c'est une contribution passionnante, importante, qui lance un débat que je ne veux pas fuir. Mais pour moi, ce n'est pas une critique de l'Europe. C'est un appel à penser globalement la période qui s'ouvre, et aussi un avertissement. Nous ne pouvons pas continuer tranquillement comme si cet élargissement était un élargissement comme tous les autres. Avec cet élargissement, l'Europe prend une nouvelle dimension. Il est clair aussi qu'elle change de nature.
Q - Si vous permettez une question sur la politique fiscale. M. Eichel vient de déclarer que, ou bien il y aura une solution d'ici l'été, ou bien les tentatives d'arriver à une solution européenne seront vaines. Ne serait-ce pas un sujet pour la présidence française ?
R - C'est la position du gouvernement allemand. Je ne la commenterai pas. La seule chose que je peux dire, c'est que pour nous ce sujet est toujours présent et très important, puisqu'il n'est pas forcément contradictoire avec ce que dit M. Eichel et qu'il peut aussi s'interpréter comme un appel puissant à la présidence portugaise. Dans ce cas-là, nous le soutiendrons bien sûr.
Q - Encore une question concernant l'élargissement. Estimez-vous nécessaire que l'Union européenne définisse ses frontières géographiques, en d'autres termes que le processus d'élargissement ait des limites géographiques ? L'Ukraine pourrait-elle être admise un jour, ou la Géorgie ?
R - Là aussi, c'est un sujet sur lequel je suis d'accord avec Jacques Delors. Je crois qu'il a déclaré hier que c'est la " question à 1000 Euros ". A l'évidence ce qui se passe aujourd'hui nous incite à réfléchir aux frontières de l'Europe, en étant aussi conscient que ces frontières sont évolutives. Je crois que les inscrire dans le marbre aujourd'hui n'aurait pas de sens. Ce serait figer les choses. Le critère de l'appartenance à l'Europe, pour moi, est simple. Ce sont des valeurs partagées et un modèle politique et social partagé. La frontière extérieure, celle dont je parle toujours, existe : c'est la Russie qui constitue un système, je crois, différent, un partenaire essentiel avec lequel nous devons avoir des relations très fortes, mais pas un membre de l'Union européenne. Ce qui ne veut pas dire que l'appartenance à l'Europe un jour de pays comme l'Ukraine ou les Etats du Caucase puisse être tranchée aujourd'hui, dans un sens ou dans un autre./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2000)