Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec France 3 et LCI le 7 janvier 2005 à Bruxelles, sur la proposition française de création d'une force de protection civile européenne en cas de catastrophe naturelle, et sur le sort de la journaliste Florence Aubenas et de son accompagnateur, Hussein Hanoun disparus le 5 en Irak.

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Média : France 3 - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q - Pouvez-vous nous ré-expliquer un petit peu l'objectif et les missions qu'aurait cette force de protection civile européenne ?
R - Quand il y a une catastrophe ou une tragédie comme celle que nous vivons tous en Asie - mais on peut se souvenir d'autres catastrophes, d'autres tremblements de terre, en Grèce, en Turquie, en Amérique du Sud, la tempête en France, les inondations en Allemagne, les incendies au Portugal - ce n'est jamais la bonne volonté qui manque, il y a toujours de nombreuses bonnes volontés de la part des collectivités locales, d'associations, des Etats membres qui sont prêts, mais tous partent un peu les uns à côté des autres. Donc, l'idée que j'avais eue, il y a assez longtemps au moment du tremblement de terre de Grèce et de Turquie, c'est celle de la création de cette force de protection civile. Ce n'est pas quelque chose de très important à Bruxelles, ce n'est pas une construction nouvelle, c'est un petit état major capable de faire appel à des unités spécialisées qui existent déjà : des pompiers français, des électriciens luxembourgeois, des médecins anglais, des hôpitaux ici ou là, préparés à travailler ensemble, mutualisables. C'est l'idée de la mutualisation, au fond, qui est au coeur même du projet européen. Lorsque, en fonction de la catastrophe et de l'endroit où il se produit il faut partir, on part ensemble, parce qu'on est préparés à partir ensemble.
Q - Cela dit, on comprend bien cette volonté de dialogue entre ces unités civiles, ce qui va poser problème, c'est la logistique, puisque la logistique dépend en général des différentes forces armées. Comment est-ce que vous allez effectivement assurer la collaboration entre les moyens militaires et les moyens civils ?
R - Un grand problème, en effet, c'est de pouvoir être transporté vers la zone où s'est produite la catastrophe et, une fois dans la zone, aller, comme on le voit actuellement en Indonésie, au plus près des villages, parfois inaccessibles par la route, donc trouver des hélicoptères. En effet, il faut que cette force de protection civile européenne ait des capacités militaires ou civiles de transport. Et voilà pourquoi Javier Solana, le Haut Représentant chargé de la politique extérieure et de sécurité commune, va avoir cette mission d'évaluation de la façon de coordonner les moyens militaires utilisables en cas de catastrophe. J'ajoute que dans la Constitution européenne il y a maintenant, au moment où elle sera approuvée, plusieurs dispositions qui donnent cette compétence à l'Union européenne, compétence partagée avec les Etats pour la protection civile et pour la santé ; il y a aussi une clause à laquelle j'avais beaucoup travaillé, une clause de solidarité à l'intérieur de l'Union : cette fois-ci, si un Etat membre est touché par un attentat, ou si un Etat connaît une tragédie, comme le 11 septembre aux Etats-Unis, il peut faire appel à la solidarité des autres. Nous avançons vers cette idée de réagir ensemble, d'être solidaires ensemble les uns avec les autres et vis-à-vis des autres régions du monde.
Q - Pensez-vous que cette idée va être reçue maintenant par les autres Etats membres, parce qu'il y en a certains qui sont assez réticents voire frileux par rapport à cette idée ?
R - Non, je ne crois pas que les gens soient frileux, il y a tous ces problèmes de compétence. Les Etats membres qui ont leurs habitudes, les régions qui ont compétence parce qu'en Allemagne, par exemple, la protection civile est une compétence des régions et non pas de l'Etat fédéral. Mais je pense que cette idée est juste, qu'elle est une belle idée en plus, qu'elle est efficace et dans les conclusions de notre Conseil extraordinaire aujourd'hui à Bruxelles pour faire face à la catastrophe d'Asie, il y a cette idée, qui se concrétiserait non pas sous la forme d'une force mais sous une forme de capacité commune de protection civile ; donc nous avançons dans la bonne direction.
Q - Un mot sur les autres priorités du Conseil. Quelles sont, selon vous, les priorités essentielles qui doivent être retenues par les Vingt-cinq aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'on peut attendre à l'issue de ce Conseil ?
R - La preuve est faite que l'Union européenne des vingt-cinq Etats membres sont ensemble pour réagir sur tous les fronts de la solidarité. Dans l'urgence avec les associations, avec nos moyens civils et militaires, avec les collectivités territoriales. Donc, des sommes ont été dégagées pour accompagner cet effort de solidarité dans l'urgence. Et puis il y a, après l'urgence, la reconstruction ; de la santé publique, de l'éducation, de la réhabilitation. Et là encore nous dégageons des fonds. Nous avons demandé à la Commission de nous proposer une ligne budgétaire exceptionnelle, représentant peut-être plusieurs centaines de millions d'euros, pour agir dans les prochaines années. Et puis il y aura aussi une discussion que nous avons préparée pour le Club de Paris et pour les donateurs afin d'alléger la dette des pays qui ont été touchés. Sur ces trois sujets, nous avons décidé d'agir ensemble et puis également de tirer des leçons, notamment avec l'idée à laquelle je tiens et que le président de la République a soutenue dans son intervention à Paris, d'une force européenne de protection civile.
Q - Une question d'actualité. Notre consoeur en Irak. Cela va faire maintenant trois jours que nous n'avons pas de nouvelle de notre consoeur de Libération en Irak. Est-ce que vous avez des informations, est-ce que vous êtes inquiet ?
R - Florence Aubenas et son accompagnateur-traducteur, Hussein Hanoun, ont disparu il y a maintenant plusieurs jours. Nous n'avons pas de nouvelles d'eux. Pour autant nous n'avons pas de certitude sur ce qui leur est arrivé. J'ai une inquiétude que je partage avec ses confrères, vous-même, son journal "Libération", leurs familles. Mais nous n'avons pas de certitude. Qu'est-ce que nous faisons dans ce cas-là ? Nous n'attendons pas seulement, nous cherchons, nous demandons des informations aux autorités irakiennes, dans les hôpitaux, dans tous les endroits où la journaliste a pu se trouver, où elle a pu passer. Au moment où je vous parle, nous n'avons pas de certitude sur ce qui est arrivé.
Q - Vous recommandez aux rédactions de ne pas envoyer de confrères à Bagdad ?
R - Nous avons recommandé, bien avant la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, de faire attention. Christian Chesnot et Georges Malbrunot eux-mêmes d'ailleurs, le jour de leur libération, ont recommandé de faire attention, de ne pas aller en Irak. Naturellement, je comprends le souci et le devoir d'informer les rédactions ; les journaux prennent leurs responsabilités, mais c'est ma responsabilité de dire qu'il faut faire attention. Ce pays est dangereux et, on le voit bien, il y a des risques tous les jours.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 janvier 2005)