Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la liberté de communication, notamment le déploiement du numérique hertzien, les industries de programme et la refondation du service public de l'audiovisuel, Paris le 21 mars 2000.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur la liberté de communication en seconde lecture à l'Assemblée nationale le 21 mars 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
J'ai plaisir à vous présenter les évolutions du projet de loi sur la liberté de communication présenté par le Gouvernement. Nous avions eu un débat riche en première lecture, et je pense que cette seconde lecture devrait nous donner l'occasion de nouveaux échanges fructueux. Je ne reviendrai pas sur les grands axes de la réforme, pour me concentrer sur le dispositif, je crois très attendu, proposé par le Gouvernement sur le numérique hertzien terrestre. Ce volet donne toute sa portée aux objectifs de fond de cette réforme, et notamment à deux priorités sur lesquelles je souhaite insister: la refondation du service public, et la dynamisation de l'industrie des programmes.
Le projet de loi avait fait l'objet d'un examen attentif par le Sénat. A l'occasion de cette seconde lecture, je tiens à remercier le rapporteur, Didier Mathus, la Commission et son président, Jean Le Garrec, pour le travail accompli, qui nous permet je crois d'aborder ce débat dans les meilleures conditions.
Je souhaite mentionner une évolution importante du texte par rapport au projet qui vous a été soumis initialement, concernant la situation de la Cinquième et de Arte. Le Gouvernement, sur ma proposition, a finalement préféré prévoir une organisation distincte pour ces deux chaînes, en choisissant de maintenir le pole français d'Arte hors du futur groupe France télévision. Le Sénat a voté cette disposition à l'unanimité.
S'agissant de la Sept Arte, comme vous le savez, notre partenaire allemand s'était inquiété du fait que son intégration dans la holding puisse remettre en cause indirectement l'indépendance d'Arte, garantie par le traité franco-allemand. Si nous ne partagions pas ces inquiétudes, il est toutefois rapidement devenu manifeste que les conditions sollicitées pour l'intégration de la Sept-Arte dans le groupe risquaient d'en compromettre le bon fonctionnement.
Il m'a semblé dans ces conditions préférable de chercher à conforter séparément les deux chaînes dans leur mission et leur vocation.
La Cinquième, garantie dans le respect de la spécificité des missions par la loi, est érigée au rang de société nationale de programme, au même titre que France 2 et France 3. Chaîne de la connaissance, de la formation et de l'emploi, elle contribuera, à l'égal des deux autres chaînes, à conforter le groupe France Télévision dans sa vocation à satisfaire les plus larges publics par des programmes de qualité.
Pour ce qui concerne la Sept-Arte, dont les missions sont définies de manière distincte par la loi, elle n'est plus seulement chargée de " fournir les programmes et les moyens nécessaires à l'exercice des missions du GEIE-ARTE ", mais aussi de les " concevoir ". La loi, conforte donc ce pôle d'excellence dans sa vocation européenne et culturelle. La composition du capital du pôle français d'Arte, aujourd'hui partagé entre l'Etat et les sociétés audiovisuelles publiques, est inchangée. Il appartiendra à Arte d'ouvrir une nouvelle phase de son développement, visant à élargir son audience, surtout en Allemagne, et aussi son champ de coopération internationale à de nouveaux partenaires.
Je souhaite vous présenter plus en détail le dispositif relatif au numérique hertzien terrestre retenu par le Gouvernement, avant d'évoquer à nouveau un axe central de la réforme engagée, le renforcement de l'industrie des programmes, qui sera conforté par l'avènement d'une "nouvelle télévision".
I - Le déploiement du numérique hertzien Terrestre : une nouvelle frontière pour la télévision
Compte tenu de l'importance et la technicité du sujet, j'ai souhaité mener une large concertation auprès de l'ensemble des acteurs concernés afin de définir le meilleur cadre juridique, économique et technique de cette nouvelle modalité de diffusion. Eclairé par cette consultation et par le rapport de synthèse de M. Raphaël Hadas Lebel, le Gouvernement est en mesure de présenter cette réforme à votre assemblée en seconde lecture, conformément à mon engagement devant vous.
Le dispositif proposé diffère de celui adopté par le Sénat en première lecture, dont le travail très complet doit être salué, la haute assemblée n'ayant disposé du rapport Hadas Lebel que le jour de sa remise, la veille du débat. La réforme s'inscrit résolument dans le choix du Gouvernement de s'engager fortement en faveur d'une large diffusion des nouvelles technologies. Complémentaire au développement d'Internet, la " nouvelle télévision " permettra à un public beaucoup plus large que celui des internautes et des abonnés à la télévision payante de se familiariser avec de nouveaux moyens de communication.
Au delà de puissantes nécessités d'ordre technique, au delà de l'avis de la plupart des experts présentant le déploiement du numérique hertzien comme inéluctable, le Gouvernement a choisi de s'engager dans cette voie, par une véritable loi de liberté de la communication, qui permettra de développer et de diversifier l'offre télévisuelle pour le plus grand nombre, tout en refondant le service public et en dynamisant l'industrie des programmes.
1.1. Développer et diversifier l'offre télévisuelle pour tous les français
Le déploiement du numérique hertzien terrestre devrait permettre de donner satisfaction aux nombreux téléspectateurs désireux de se voir offrir des programmes enrichis et en plus grand nombre. Il permettra notamment le développement des télévisons locales, en particulier associatives, répondant à la forte attente de programmes de proximité de nos concitoyens.
En permettant aux télévisions associatives d'accéder aux fréquences numériques, mais aussi analogiques, pour celles qui souhaiteraient se préparer dans les meilleures conditions à la transition, le projet offre un socle au développement du " tiers secteur " cher à certain d'entre vous. Pour ma part je retiendrai volontiers l'idée d'une " télévision citoyenne ", venant compléter la télévision de service public et la télévision commerciale. C'est bien là le signe qu'une nouvelle frontière est tracée pour la télévision.
Les conditions techniques et financières garantissant le développement de la " télévision citoyenne " seront précisément évaluées dans les prochains mois.
Le développement des nouvelles télévisions est rendu possible par les perspectives d'évolution du marché publicitaire, au delà même des modifications éventuelles de la réglementation, notamment concernant les secteurs exclus de publicité, ou le recours à la syndication, auxquelles il faudra réfléchir en étroite concertation avec l'ensemble des acteurs concernés.
Pour le téléspectateur, la " nouvelle télévision " est une révolution . N'oublions pas que 80 % des foyers ne sont pas raccordés au câble, ou ne sont pas équipés pour recevoir les programmes du satellite. Pour eux, l'introduction de la nouvelle télévision permettra de recevoir plus de trente chaînes, pour l'essentiel en clair, gratuites, et visant un large public. C'est le choix du Gouvernement.
Le dispositif qui vous est proposé cherche donc à concilier deux impératifs : d'une part, permettre l'arrivée de nouveaux acteurs dans la télévision hertzienne et contribuer, au-delà d'une plus grande variété de programmes, à diversifier le paysage audiovisuel ; d'autre part, inciter les opérateurs existants, dont l'implication sera essentielle pour un déploiement rapide du numérique de terre, à migrer dans des délais brefs vers ce nouveau mode de diffusion.
L'attribution des ressources numériques multiplexe par multiplexe, c'est à dire par bloc de canaux, n'a pas été retenue. Cette formule aurait été pénalisante pour les nouveaux entrants qui ne seraient pas en mesure de postuler pour un multiplexe entier. Elle n'aurait pas été la plus satisfaisante au regard de l'objectif de préservation du pluralisme des courants d'expression. Attribuer la ressource par multiplexe conduirait en effet à donner un " blanc seing " à un opérateur pour constituer son offre, privant l'autorité de régulation, le CSA, d'une prérogative importante.
L'attribution canal par canal présenterait des inconvénients inverses si elle n'était pas assortie de mesures favorisant le regroupement des chaînes et la gestion cohérente des multiplexes. Elle favoriserait certes le pluralisme, mais au prix d'un éclatement de l'offre audiovisuelle, qui risquerait d'être préjudiciable à un déploiement rapide du numérique hertzien.
Le projet préparé par le Gouvernement vise à concilier l'objectif démocratique de pluralisme et celui d'efficacité, en prévoyant que l'attribution de la ressource relève du CSA dans le cadre de critères précis fixés par la loi, qui prévoit par ailleurs des mécanismes d'attribution prioritaire.
Dans un contexte de croissance retrouvée, qu'il permettra d'amplifier, notamment par son impact sur les industries de contenu et de matériels électroniques, ce projet offre des perspectives à beaucoup d'opérateurs, nouveaux diffuseurs, mais aussi opérateurs de télédiffusion.
Le régime retenu pour TDF sur la proposition de C. Pierret favorisera le développement de cet opérateur, tout en ouvrant à la concurrence la diffusion en numérique, dont le coût sera beaucoup plus faible qu'en analogique.
L'autorité de régulation sera amenée à jouer un rôle éminent, légitime car l'attribution prédéterminée de la ressource serait très rigide. Pour autant, les interventions du CSA sont très encadrées par la loi, qui prévoit notamment des régimes prioritaires d'affectation et des critères précis pour l'allocation de la ressource.
Le CSA devra en premier lieu veiller, afin d'optimiser la gestion de la ressource, à favoriser les regroupements techniques et commerciaux, et à rechercher la plus grande cohérence dans les regroupements, en se fondant sur les propositions des candidats. Le CSA est par ailleurs tenu de regrouper les chaînes publiques numériques
Sans l'implication forte et immédiate des chaînes publiques et des opérateurs privés existants, le déploiement rapide du numérique hertzien terrestre serait compromis.
- C'est pourquoi la loi prévoit tout d'abord une attribution prioritaire de la ressource au service public, qui bénéficie d'un traitement particulier.
Tout en faisant place à de nouveaux opérateurs, notamment locaux, il est indispensable que les chaînes publiques constituent un élément moteur de l'offre proposée au public, afin de garantir le pluralisme et la diversité des programmes offerts par la nouvelle télévision.
Il vous est proposé à cette fin d'étendre aux fréquences numériques le mécanisme d'attribution prioritaire des fréquences prévu au bénéfice des chaînes de service public par la loi de 1986. Le Conseil Supérieur de l'audiovisuel affectera par conséquent en priorité la ressource numérique nécessaire à la diffusion des chaînes numériques de service public, chaque fois que le Gouvernement en aura fait le choix.
- En second lieu, le CSA devra attribuer deux canaux aux opérateurs privés existants.
Les opérateurs privés existants doivent au moins dans un premier temps diffuser leurs chaînes analogiques en numérique. A défaut, l'offre numérique sera peu attractive pour le public. Il est donc apparu opportun d'affecter une part de la ressource à ces opérateurs, en contrepartie des charges de diffusion simultanée de leurs programmes analogiques, dites de simulcast, qui pèsent sur eux.
Ces opérateurs disposent par conséquent d'un droit à l'attribution automatique d'un canal pour diffuser en simulcast leur chaîne analogique. En outre, le CSA leur attribuera un canal supplémentaire, à condition bien sûr que le service proposé soit conforme aux critères posés par la loi. Pour le reste, et dans la limite du dispositif anti-concentration, qui permet l'attribution de six canaux au plus à un opérateur, les diffuseurs existants postuleront lors des appels à candidature en concurrence avec de nouveaux opérateurs. Une part importante de la ressource numérique reste donc disponible pour ces derniers.
- Le dispositif offre des garanties importantes à ces nouveaux entrants, et devrait favoriser un développement rapide du numérique hertzien.
L'attribution multiplexe par multiplexe, pénalisante pour les nouveaux entrants, a été je le rappelle écartée. Le CSA devra favoriser le pluralisme dans l'attribution de la ressource hertzienne, dans le cadre de critères législatifs qui donnent toute leur chance aux nouveaux entrants, notamment : l'intérêt du projet pour le public, critère essentiel pour favoriser le développement des télévision locales ; les engagements du candidat en matière de couverture du territoire et de contribution à la production audiovisuelle et cinématographique nationale ; la contribution à un développement rapide du numérique.
Le CSA veillera aussi à prévenir l'éventuel " gel " des autorisations par l'usage des prérogatives dont il est doté par la loi, qui vaudront aussi pour le numérique hertzien.
Le distributeur de service (ou opérateur de multiplexe) joue aussi un rôle important. Personne morale indépendante des éditeurs regroupés sur chaque multiplexe, il est désigné d'un commun accord par les chaînes regroupées sur ce multiplexe. Le CSA est chargé de veiller à ce que les relations entre chaînes et opérateur de multiplexe soient équitables et non discriminatoires, il est doté à cette fin de pouvoirs d'arbitrage. Ce dispositif offre donc des garanties importantes aux nouveaux diffuseurs.
Un opérateur de télévision peut être à la fois actionnaire du distributeur de service et des chaînes regroupées sur le multiplexe géré par cet opérateur, afin de ne pas pénaliser ceux qui souhaitent pouvoir s'investir à la fois dans l'édition de chaînes et la gestion de multiplexes.
Le régime d'autorisation est incitatif. Il est prévu une durée de 10 ans, qui permet aux opérateurs d'amortir leurs investissements. En cas de simulcast, la durée de l'autorisation délivrée pour la diffusion analogique est portée jusqu'au terme de celle délivrée pour le simulcast, afin d'en harmoniser la date de reconduction par le CSA.
1. 2 - Refonder le service public de l'audiovisuel
Au delà des préoccupations tenant au pluralisme de l'offre, il importe de souligner l'impact décisif du passage au numérique pour la réforme du groupe France Télévision autour d'un projet fédérateur.
La loi traduit sur le plan de l'organisation du groupe France télévision le choix de l'ambition.
France télévision pourra créer des filiales dédiées à l'édition de programmes en numérique de service public, dont les missions seront précisées par un cahier des charges, et qui pourront recevoir à ce titre une part de la redevance. Cette possibilité permettra à la holding de conduire le développement du groupe dans les meilleures conditions.
Les missions de la holding sont renforcées pour lui permettre de conduire le développement du groupe, animé par une véritable stratégie industrielle, et non seulement de le coordonner.
Cette capacité d'impulsion conjuguée à la possibilité de créer une ou plusieurs nouvelles filiales, permettront une conduite optimale des projets de développement des trois sociétés nationales de programmes que sont F2, F3 et la Cinquième. Placée au même rang que F2 et F3, la 5ème trouvera donc à travers son intégration au groupe France télévision les conditions d'un développement ambitieux en numérique.
Le groupe aura par ailleurs vocation à développer ses liens avec RFO. La question s'est posée d'une éventuelle intégration de RFO dans le groupe France Télévision. J'ai préféré proposer la solution alternative d'une convention entre les deux structures, solution retenue par le Sénat. Je m'engage à ce que cette coopération étroite conforte RFO, et prenne en compte dans ses modalités les spécificités de chacun des DOM ou des TOM, ce qui serait peut-être plus difficile dans le cadre d'une intégration dans le futur groupe public.
L'ensemble des chaînes publiques profiteront du déploiement du numérique. Arte bénéficiera notamment d'une opportunité pour conforter sa vocation de chaîne culturelle et européenne et pour accentuer son rayonnement international.
Le succès de la réforme du service public audiovisuel dépend naturellement aussi de la mise à disposition de moyens financiers adaptés dans leur montant et leur modalité d'affectation.
D'une part, France Télévision pourra affecter une part de la redevance à l'édition de nouveaux programmes de service public en numérique gratuits, en particulier d'information, culturels, éducatifs, de proximité, et de diffusion d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles nationales et européennes. Cette option garantit à la fois la fois la présence du service public en numérique, et l'affectation des ressources publiques à des programmes.
L'augmentation de la part des financements publics, au détriment des financements publicitaires, validée par le Sénat, garantira un financement pérenne libérant les chaînes publiques d'une dépendance excessive à l'égard de la ressource publicitaire. Le principe du remboursement intégral par le budget de l'Etat de la perte de ressources résultant des exonérations de redevance conduira, je le rappelle, à apporter 1, 6 milliard de crédits budgétaires supplémentaires au financement de l'audiovisuel public, ce qui portera le montant total de la compensation à 2, 5 milliard par an à compter de 2001.
Une fois déduites les sommes correspondant au manque à gagner en ressources publicitaires, évaluées à ce jour à environ 1, 2 milliard de francs, il restera 1 milliard de ressources financières supplémentaires aux chaînes publiques pour financer l'amélioration de leurs programmes et les premiers investissements liés au passage au numérique de terre.
En invitant les chaînes publiques à jouer un rôle important dans la nouvelle télévision, le Gouvernement n'ignore donc pas les conséquences financières de ce choix.
Il lui appartiendra de se prononcer, après un examen attentif, sur les propositions des diffuseurs publics, en cours d'élaboration. Il apparaît d'ores et déjà clairement qu'une montée en charge des besoins liés au numérique est prévisible pour l'année 2002. Ils devront néanmoins être pris en compte dès la loi de finances pour 2001, compte tenu du calendrier prévisionnel qui permet d'envisager un lancement du numérique fin 2001.
Pour l'heure, ces besoins s'inscrivent dans le contexte favorable de la mise en uvre de l'engagement gouvernemental du remboursement intégral par le budget de l'Etat de la perte de ressources résultant des exonérations de redevance.
Le maintien de la redevance offre en outre des garanties essentielles. Ressource indépendante du budget de l'Etat, dont la progression spontanée est régulière (de l'ordre de 400 millions de francs par an), la redevance garantit dans la durée l'autonomie de fonctionnement de l'audiovisuel public.
Nous attendons de la mise en place du groupe la réalisation de gains de productivité, et donc des économies. Cependant, le fruit des synergies résultant de la mise en place d'une nouvelle stratégie, même si elles ne sont pas négligeables, ne permettra sans doute pas de couvrir l'ensemble des besoins de financement de France Télévision.
Je crois par conséquent, comme le rapporteur et beaucoup d'entre vous, que des ressources financières complémentaires devront être recherchées. Le moment venu, une dotation spécifique significative, dont le montant dépendra des projets finalement retenus, sera attribuée pour permettre le démarrage du groupe dans de bonnes conditions, son développement en numérique, et un investissement complémentaire dans les programmes, rendu nécessaire par l'élargissement de l'offre de service public et le renforcement de ses misions.
Je crois important qu'en contrepartie des moyens juridiques et financiers mis en place dans le cadre de la réforme, soit amplifié à l'avenir l'effort accompli par la télévision publique en faveur de la création, de l'innovation et de la diversité.
Le Gouvernement s'attachera, en tant qu'actionnaire et responsable de la tutelle de France télévision, notamment lors de l'élaboration des cahiers des charges et des contrats d'objectifs et de moyens, à ce que soit assurée la satisfaction de l'ensemble des publics par des programmes variés, accordant une large place aux oeuvres originales, dans l'ensemble des genres, de la fiction au documentaire.
Cette réforme offrira au service public une formidable opportunité pour prendre des risques, tant par les programmes proposés que par le choix des horaires, des formats et des thèmes traités. Les attentes du public et des créateurs de voir des oeuvres françaises audacieuses, ou des émissions novatrices, présentées à des horaires variés en journée, comme en soirée, sont légitimes. Je serai pour ma part très attentive à ce que le relâchement de la contrainte d'audience lié à la réduction de la durée de la publicité se traduise par une programmation ambitieuse, mettant notamment en valeur le patrimoine et l'actualité culturelle, sous toutes ses formes (livre, théâtre, cinéma, musique, etc.).
Cette exigence constitue la juste contrepartie des efforts accomplis pour permettre par cette loi, et par l'effort financier qui l'accompagne, la refondation du service public. Le succès de la réforme dépend aussi en grande partie de la mobilisation des équipes de la télévision publique, qui m'apparaissent très motivées par les perspectives offertes par la nouvelle télévision.
II - Dynamiser l'industrie des programmes.
2.1. Le renforcement de notre industrie des programmes est une nécessité
Sous financée, l'industrie des programmes audiovisuels est en situation précaire au regard de celle de nos partenaires allemands, britanniques, et aussi espagnols. Au regard de nos voisins, la situation de l'industrie cinématographique est certes meilleure, si l'on observe l'évolution de la part de marché du film français en salle (30 % en 1999), mais doit être améliorée. Cette situation, paradoxale au moment où de nouvelles opportunités, notamment d'exportation, sont offertes par l'émergence d'une nouvelle économie, doit être corrigée.
La préservation et le développement d'une grande diversité dans la production d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques constituent un impératif, si nous voulons résister à une américanisation totale, et permettre à nos industries de contenu de profiter d'une croissance retrouvée.
Une étape importante vient d'être franchie dans les relations entre cinéma et chaînes payantes par un accord négocié entre un opérateur important et l'ensemble des organisations professionnelles de cinéma, que j'ai pu réunir autour d'une même table la semaine dernière. Négocié pour 5 ans, cet accord garantit un engagement à haut niveau en faveur de l'industrie cinématographique, tout en offrant de sérieuses garanties de fluidité du marché. Les principes sur lesquels il repose me semblent devoir inspirer durablement les relations entre producteurs et chaînes payantes qui ont le privilège de diffuser des films en première exclusivité.
Si nous pouvons prévenir par ces principes tout risque de dérégulation du secteur du cinéma, qui serait fatal à la création, je souhaite vous faire part de ma préoccupation face à la dégradation de la situation de la création audiovisuelle.
Hier, se sont tenus des Etats généraux de la création audiovisuelle. Il s'y est fortement exprimée une émotion qui ne peut nous laisser insensibles. Quelques chiffres cités me confortent dans ma détermination à remédier à une situation préoccupante : 600 heures de fictions sont produites en France par an, contre 1300 en Grande Bretagne et 2 000 en Allemagne ; les fictions nationales représentent 47 % des fictions diffusées en première partie de soirée, contre 70 % en Allemagne et 90 % en Grande Bretagne, alors que nos fictions nationales réalisent d'excellentes audiences. Nos entreprises sont trop peu présentes sur les marchés étrangers, dégagent des marges bénéficiaires insuffisantes, sans commune mesure avec celles des diffuseurs privés, florissantes, et dont la capitalisation boursière connaît une croissance sans précédent.
Si nous ne pouvons que saluer de cette bonne santé des diffuseurs, qui doit leur permettre de se développer au plan international et de mener une diversification nécessaire, je crois aussi indispensable d'infléchir une tendance qui conduirait à priver les créateurs de contenus, première richesse de la nouvelle économie, des fruits de sa croissance.
La loi, sans même prendre en compte des effets du passage au numérique hertzien terrestre, permettra une forte relance de la production audiovisuelle.
La réforme du financement du service public aura un fort impact sur l'industrie des programmes : par l'apport de ressources publiques d'une part, l'évolution des ressources publiques excédant la baisse des recettes provenant de la publicité comme je viens de l'indiquer ; par les transferts d'une partie de ces recettes vers les autres diffuseurs d'autre part.
Ce double effet permettra en 2001 d'apporter un financement complémentaire de l'ordre de 500 millions de francs au bénéfice de la production cinématographique et audiovisuelle, par le jeu des obligations de production et de la taxe alimentant le compte de soutien, à laquelle toutes les ressources publiques et privées, et toutes les chaînes sont assujetties.
Plusieurs mesures nouvelles favoriseront le développement de la création : la soumission de l'ensemble des diffuseurs (hertziens, par câble et par satellite) à des obligations de contribution à la production d'une part ; la mise en place de dispositions favorisant la fluidité des droits et le renforcement de la production indépendante, qui est dotée par le texte qui vous est proposé d'un statut législatif.
La profession audiovisuelle réunie hier à l'occasion des Etats Généraux a insisté hier sur la nécessité absolue d'améliorer les conditions du financement du service public. J'ai annoncé des mesures importantes à ce titre : crédits budgétaires de 2,5 milliards de francs en faveur de l'audiovisuel public, en sus du produit de la redevance, surcompensant la baisse des recettes de publicité ; financement complémentaire sous forme d'une dotation spécifique substantielle pour permettre de conforter France télévision.
J'ai aussi retenu de ces Etats Généraux une attente forte pour que soient prises des mesures permettant d'améliorer la situation de la production indépendante. Je vous propose par conséquent d'adopter par la voie législative une mesure dont la portée me semble cruciale pour tous les producteurs, qui je pense y verront plus qu'un signe : la suppression de la prise en compte des parts de co-production dans le décompte des obligations des diffuseurs en faveur de la production indépendante.
Ainsi, les producteurs indépendants disposeront des droits correspondants qu'ils pourront valoriser au mieux. Ils retrouveront ainsi la jouissance d'une part importante de leur patrimoine.
Une seconde étape sera engagée dès l'issue notre débat, en vue notamment de l'élaboration des décrets d'application de la loi. Une large concertation sera engagée avec l'ensemble des acteurs concernés, prenant en compte l'ensemble des instruments disponibles pour stimuler la création.
La dynamisation de l'industrie des programmes a naturellement constitué aussi un axe prioritaire du dispositif relatif à la télévision numérique hertzienne, dont les effets à moyen terme seront je crois très stimulants pour la création audiovisuelle, comme cinématographique. Il nous faut en effet apporter des réponses à la mesure de l'enjeu : assurer la diversité, la qualité et le volume de notre création audiovisuelle nationale, à l'heure de la mondialisation qui nous menace d'uniformisation, et de la nouvelle économie dont l'industrie des contenus constitue la principale richesse.
2.2. Le déploiement du numérique hertzien terrestre constituera une opportunité nouvelle pour l'industrie des programmes.
Le numérique hertzien terrestre ne devra pas conduire à la seule diffusion des chaînes existantes, même améliorée par l'offre d'horaires décalés ou de services associés. Il est de ce fait apparu primordial de prendre en compte la contribution à la production nationale et européenne dans les critères d'attribution de la ressource hertzienne. De même, il est prévu, comme pour la diffusion analogique, un régime complet d'obligation pour les diffuseurs : quotas de diffusion, contribution à la production, notamment indépendante, etc.
L'offre de nouvelles chaînes, accompagnée d'une limitation de la durée de détention des droits de diffusion, permettra le développement d'un nouveau marché favorisant l'amortissement des catalogues d'oeuvres existantes, et donc l'amélioration de la situation financière des producteurs. En outre, une audience élargie et la création de nouvelles chaînes conduiront à une augmentation globale des recettes publicitaires des diffuseurs, et donc des investissements dans la production de nouvelles oeuvres.
Au delà de la relance de la production rendue possible par le jeu combiné de l'ensemble de ces dispositions, des aspects plus qualitatifs doivent être soulignés. Par la flexibilité de diffusion offerte, dans les horaires notamment, par le développement de nouvelles chaînes et l'arrivée de nouveaux diffuseurs, le passage au numérique permettra une plus grande diversité dans la programmation.
Le choix qui vous est proposé devrait permettre de tracer une nouvelle frontière pour la télévision, révolutionnaire pour le téléspectateur, offrant de nouvelles perspectives à un service public refondé, aux opérateurs privés existants et aux nouveaux, et à la "télévision citoyenne ", permettant enfin le nécessaire renforcement de l'industrie des programmes, à l'heure de la nouvelle économie.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 22 mars 2000)