Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Monsieur le Député-Maire,
C'est pour moi un réel plaisir que d'être aujourd'hui sur la Côte d'Azur, dans ce département des Alpes Maritimes, à Cannes, ville à laquelle de nombreux liens m'unissent.
Je tiens, Monsieur le Président de l'INAVEM, Madame la Présidente du SMAV, à vous remercier de vos propos d'accueil et à vous dire tout le plaisir que j'ai à me trouver aujourd'hui parmi vous à l'occasion de ces XXèmes assises nationales des associations d'aide aux victimes.
Je tiens également à vous dire combien je suis sensible au thème que vous avez choisi de consacrer à vos réflexions : " LES VICTIMES IGNOREES, OUBLIEES, NEGLIGEES ".
C'est à ma connaissance dans un ouvrage publié en 1997, par l'avocate Jehanne COLLARD, que la terrible expression d'" oubliées de la Justice " est venue qualifier les victimes. La justesse de ce propos, ne s'est pas totalement démentie, comme le prouve votre choix.
Après 20 années qui ont vu se multiplier les initiatives gouvernementales en direction des victimes d'infractions pénales, à la faveur d'une collaboration sans cesse renouvelée avec l'ensemble des partenaires de l'institution judiciaire, ce thème des victimes oubliées, j'en suis malheureusement persuadée, a pu apparaître à certains esprits conformistes comme un sujet désuet, sinon provocateur. Dénonçant un phénomène de mode, ces derniers considèrent que l'on en fait aujourd'hui trop pour les victimes.
Tout comme vous, depuis ma nomination au secrétariat d'Etat aux droits des victimes, je n'ai de cesse de combattre cette attitude qui, en réalité, me donne à mesurer l'ampleur de la tâche qui est la mienne - et que nous partageons désormais. J'entrevois également les efforts pédagogiques que nous devons déployer auprès de ceux qui sont habituellement enclins à reprocher le manque de proximité des pouvoirs publics et l'absence de solidarité nationale.
La création d'un secrétariat d'Etat dédié à la cause des victimes, comme ma présence ici parmi vous - et en tout lieu où la défense de leurs intérêts l'exigera - témoignent, je puis vous l'assurer, de la volonté résolue de l'Etat de mieux prendre en compte la situation des victimes, de reconnaître, d'établir, de préserver durablement leurs droits. Mais que l'on entende bien le message du Gouvernement délivré à l'occasion de cette création, sans équivalent européen, ni certainement mondial. L'idée n'est pas d'instituer une " république des victimes ", pas plus que de créer un " ministère de l'assistanat ". Elle n'est pas non plus, au nom de je ne sais quel combat politique, de s'approprier les victimes et de leur faire dire ce que l'on aimerait entendre d'elles. Elle est simplement de reconnaître ce qui a été longtemps nié : l'indifférence, la solitude, voire l'abandon et la détresse dans lesquels se trouvent bien souvent celles et ceux qui ont subi le traumatisme d'une infraction.
C'est la raison pour laquelle le thème de vos Assises est d'une grande justesse.
C'est vrai, beaucoup de choses ont en effet été réalisées en deux décennies. Aujourd'hui, je crois que nous pouvons nous accorder sur le fait que les réformes qui sont intervenues ces dernières années ont permis de construire un véritable corps de règles en faveur des victimes d'infractions pénales, de leur accorder des indemnisations qui prennent mieux en compte les préjudices subis et d'assurer à leur profit une prise en charge globale et durable, dans le cadre d'une solidarité qui dépasse le cadre judiciaire.
A cet égard, le programme national d'action en faveur des victimes présenté par le Garde des Sceaux lors du conseil des ministres du 18 septembre 2002 - dont je partage pleinement les objectifs et compte poursuivre la mise en uvre - a permis de relancer l'action, de dynamiser les initiatives entreprises, de créer un support adapté pour mener aussi bien les réformes législatives et réglementaires qui s'imposaient (en matière d'information de la victime au stade de l'exécution des peines par exemple), que les travaux de réflexion et de concertation interministérielles qu'impliquent la plupart des améliorations qu'il comporte.
Mais force est de reconnaître qu'il y a encore du chemin à faire pour que ces droits puissent être effectivement exercés et pour que nos institutions, au premier rang desquelles l'institution judiciaire, donnent aux victimes les moyens d'avoir effectivement accès à ces dispositifs.
A titre d'exemple, je citerai les dispositions de la loi du 9 septembre 2002 qui a permis de rééquilibrer les droits des victimes, en prévoyant notamment la possibilité pour la victime d'obtenir la désignation d'un avocat dès le début de la procédure, ainsi que l'octroi de l'aide juridictionnelle de plein droit pour les crimes les plus graves.
Cependant, à ce jour, combien de commissariats de police et de brigades de gendarmeries notifient effectivement ces dispositions aux victimes? Combien de barreaux ont mis en place des permanences spécialisées afin d'assurer la défense des victimes qui se présentent dans le cadre des audiences de comparution immédiate ?
On mesure mieux l'urgence des efforts à déployer lorsque l'on sait que les dispositions de la loi du 15 juin 2000 consacrées aux victimes ne sont pas encore aujourd'hui totalement et uniformément connues et mises en oeuvre.
Combien de victimes sont encore aujourd'hui niées, lorsqu'elles se voient refuser leur plainte par le commissariat ou la brigade de gendarmerie les plus proches de leur domicile, ou lorsqu'elles sont invitées à consigner leurs déclarations sur un simple registre de main-courante ?
Combien de victimes sont encore aujourd'hui oubliées, lorsqu'elles ne sont pas avisées de la date d'audience, particulièrement en cas de comparution immédiate de l'auteur, ou lorsqu'elles ne sont pas informées des motifs de classement sans suite ?
Combien de victimes sont encore aujourd'hui ignorées, lorsque les parquets, par méconnaissance des dispositions de l'article 41 al.7 du code de procédure pénale, ne mandatent pas les associations d'aide aux victimes pour venir en aide à celles qui nécessitent une intervention immédiate, lorsque les juges d'instruction ne respectent pas aussi scrupuleusement qu'il le faudrait leur devoir d'information envers les parties civiles, ou encore lorsque les présidents d'audience correctionnelle, par manque de temps, ne les informent pas de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ?
Ces situations, que nous connaissons tous, sont devenues insupportables pour les victimes. Certes, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice à l'évolution de la criminalité va venir répondre à certaines de ces situations, mais il faudra suivre avec attention son application sur le terrain.
En réalité, l'enjeu aujourd'hui est sans doute de faire évoluer les mentalités et les pratiques pour que la " bientraitance des victimes " devienne une culture unanimement partagée par l'ensemble des professionnels du droit et de la justice. C'est la raison pour laquelle je multiplie actuellement les déplacements, tant dans les juridictions, les institutions sanitaires et sociales, qu'auprès des victimes, pour m'informer sur les dispositifs existants, évaluer leur pertinence, mais aussi recenser les expériences innovantes pour les diffuser auprès de tous.
J'envisage également de réunir, à brève échéance, l'ensemble des associations et des représentants de la société civile pour mener un état des lieux contradictoire, tant quantitatif que qualitatif, sur la situation des victimes dans notre pays. Je reste persuadée que seuls l'exposé et la confrontation des expériences, puis l'élaboration d'un consensus le plus large possible sur les voies et moyens à utiliser, permettront d'améliorer la mise en uvre globale de la politique publique en faveur des victimes.
C'est dans cet esprit que le développement de schémas départementaux d'aide aux victimes, à même de mobiliser, au-delà de l'institution judiciaire, tous les services de l'Etat et des collectivités territoriales concernés, sous l'égide du préfet, me paraît prioritaire. Cette proposition du Conseil national de l'aide aux victimes doit à mon sens être généralisée dans les délais les plus brefs.
En outre, dès la formation initiale, les auditeurs de justice devraient recevoir une formation spécifique sur la prise en compte des besoins des victimes par l'institution judiciaire. Le contenu des programmes de formation initiale et continue des magistrats doit à ce titre être revu avec l'Ecole nationale de la magistrature. De même, les stages des auditeurs dans les associations d'aide aux victimes doivent être multipliés.
J'ai déjà rencontré les représentants nationaux des avocats qui doivent contribuer à une implication plus grande des barreaux dans l'assistance aux victimes et dans la formation à développer en ce domaine par les centres de formation à cette profession.
Mais je souhaite ici, tout particulièrement devant vous, insister sur l'importance de l'action des associations d'aide aux victimes.
La couverture de l'ensemble du territoire national par des associations d'aide aux victimes est désormais effective : 168 associations interviennent dans tous les départements. Il s'agit dès lors, comme l'a souligné le Conseil national de l'aide aux victimes, de favoriser la mise en place de permanences délocalisées de ces associations, dans les maisons de justice et du droit, les commissariats ou gendarmeries, les hôpitaux, mais aussi de développer leur capacité d'intervention, notamment en urgence, par une extension des horaires d'ouverture et l'instauration de permanences téléphoniques. Je souhaite par-dessus tout une égalité de traitement entre les victimes où qu'elles se trouvent sur le territoire national.
La signature progressive de conventions pluri-annuelles d'objectifs entre les juridictions, les cours d'appels et les associations devraient fournir le cadre juridique adapté au développement de ces actions.
Je vous rappelle à cet égard qu'il a été demandé aux cours d'appel de veiller à ce que l'attribution des subventions privilégie les associations qui se mobilisent pour élargir leurs horaires de permanence, pour aller au devant des victimes qui ont été gravement traumatisées par l'infraction et pour s'investir dans l'accompagnement des victimes tout au long de la procédure judiciaire, jusqu'à l'exécution du jugement. Le thème de vos Assises démontre, s'il en était besoin, à quel point cette démarche active des associations d'aide aux victimes est aujourd'hui essentielle pour ne pas oublier celles d'entre elles qui, on le sait, ont parfois une certaine pudeur à solliciter de l'aide.
Il convient également d'insister sur le fait que la prise en charge des victimes les plus fragiles implique un accueil, une écoute et une orientation adaptés, par des personnels spécialisés, dont le nombre reste encore insuffisant. C'est pourquoi, les projets tendant à augmenter les temps d'intervention de psychologues, au sein des associations qui en sont le plus dépourvues, seront privilégiés.
Nous nous emploierons dans le cadre du budget 2005, sur cet objectif.
A ce propos, j'ai bien entendu, Monsieur le Président de l'INAVEM, le message que vous avez voulu m'adresser au sujet des crédits de l'aide aux victimes. J'en profite pour rappeler qu'ils représentent la part la plus importante des crédits d'intervention du ministère de la Justice et qu'ils ont été doublés en l'espace de 5 ans, passant de 2,3 M à près de 5 M.
D'importantes mesures nouvelles ont été sollicitées et obtenues en 2004, avec une augmentation de 16 % par rapport à 2003,des crédits délégués aux cours d'appel, afin notamment de compenser la sortie du dispositif emplois-jeunes et de prendre en compte le besoin de recrutement de psychologues dans les associations.
Par ailleurs, outre que les délégations de crédit ont été adressées cette année aux cours d'appel dès le mois de mars, le développement des conventions pluriannuelles d'objectifs que j'évoquais à l'instant, donnera aux associations une meilleure visibilité de leurs ressources sur 3 ans.
Mais revenons à notre sujet.
Les victimes négligées sont également celles qui, convoquées à une audience, attendent l'examen de leur affaire dans des conditions d'accueil qui ne respectent pas toujours leur dignité. Dans bien des cas, les victimes partagent les mêmes bancs que le public, au risque de côtoyer la famille ou les partisans de la personne mise en cause et d'être confrontées à la difficulté de suivre correctement et sereinement les débats.
Aussi, j'ai demandé aux chefs des cours d'appel de m'adresser un état complet des conditions d'accueil des victimes dans chaque salle d'audience pénale. Je compte bien, si cela est nécessaire, prendre des mesures appropriées pour que désormais les victimes soient accueillies en ces lieux dans des conditions décentes.
Les victimes oubliées sont aussi celles qui ayant obtenu une décision de justice en leur faveur, éprouvent les plus grandes difficultés à obtenir le versement des dommages et intérêts qui leur ont été alloués.
Certes, certaines d'entre elles disposent de la faculté de saisir les commissions d'indemnisations des victimes d'infraction. A cet égard, la modification apportée par la loi du 9 mars 2004, prévoyant l'obligation pour le Fonds de Garantie de proposer une offre d'indemnisation à la victime dès la saisine de la CIVI, pour les dossiers qui ne soulèvent pas de contestation, permettra sans aucun doute de faciliter les procédures d'indemnisation. J'attends avec intérêt les propositions que le groupe de travail du Conseil National de l'Aide aux Victimes, formulera dès le mois de septembre dans un pré-rapport.
Mais les victimes qui ne remplissent pas les conditions de saisine des CIVI sont souvent contraintes de mettre elles-mêmes en uvre des mesures d'exécution forcée, le plus souvent à leurs frais, quand elles n'obtiennent pas le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
La loi du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions juridiques et judiciaires, a déjà permis d'améliorer l'exécution des jugements en donnant la possibilité aux huissiers de justice d'interroger directement le fichier des comptes bancaires couramment appelé FICOBA.
Il convient d'aller plus loin en développant les moyens de coercition qui existent à l'égard de la personne condamnée.
Cela passe sans doute par une implication plus forte en ce domaine des parquets, des juges de l'application des peines et des services pénitentiaires d'insertion et de probation. Je souhaite également qu'une réflexion soit engagée sur un rôle plus actif des associations d'aide aux victimes à ce stade.
Les victimes négligées sont également celles qui ont l'impression que l'institution judiciaire n'a pas complètement répondu à leurs attentes. Le temps du procès pénal est un moment fort pour la victime qui en sort très souvent ébranlée. Elle n'est donc pas à même de saisir la portée des informations qui lui sont données, par exemple sur la saisine de la CIVI ou sur la condamnation de l'auteur des faits à lui verser des dommages et intérêts
En effet, l'expérience a démontré que si nombre de victimes étaient réellement démunies face à l'adversité dans laquelle une infraction, un accident, une catastrophe, bref un déséquilibre passager ou irrémédiable les précipitait, pour la plupart d'entre elles, leur principale difficulté ne se posait qu'en termes d'information (savoir ce qui se passe), de communication (savoir à qui s'adresser) ou de choix (quelle voie choisir). Il est à cet égard important de ne pas tenir - ou maintenir - la victime en situation de minorité par rapport à ses interlocuteurs, même les plus attentionnés, ce qui aggrave durablement sa perte d'autonomie et conduit à sa " survictimation " .
Les associations d'aide aux victimes ont en ce domaine un rôle primordial à jouer, notamment pour accompagner la victime après l'audience.
Je crois que le développement de bureaux d'exécution des peines, testés dans quelques juridictions, pourrait permettre d'expérimenter les mesures concrètes à prendre en faveur des victimes, après le procès pénal.
J'envisage également de proposer la rédaction d'un livret explicatif sur l'exécution des peines, qui serait édité par le ministère de la Justice et qui pourrait être remis aux victimes au moment de l'audience.
Mais là n'est pas l'essentiel. Il importe surtout que la victime puisse avoir le sentiment que justice a été rendue.
On peut alors se poser la question s'il n'est pas temps de réfléchir à une nouvelle conception de la justice qui consiste à développer une approche complémentaire à celle de la justice pénale traditionnelle, qui est centrée sur la sanction de l'auteur et l'indemnisation des dommages engendrés par l'infraction. Il s'agirait alors de permettre à la victime de reprendre le contrôle de sa vie et, au lien social rompu, de se reconstituer.
Des initiatives de ce qu'on a coutume d'appeler la " justice restaurative ", selon le terme anglo-saxon, ou la " justice restauratrice ", ont été menées notamment en Belgique, en Angleterre et au Québec et font actuellement l'objet d'évaluations positives de la part des victimes concernées. Les premiers résultats ont en effet montré que ces expériences ont aidé la victime à sortir de son sentiment de dévalorisation et à retrouver une image positive d'elle-même.
Je propose que des recherches associant universitaires, juridictions et associations d'aide aux victimes puissent être conduites à titre expérimentaldans deux domaines où la justice pénale traditionnelle peine à répondre aux attentes des victimes. D'abord celui des infractions involontaires d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique en matière d'accident de la route, où l'on sait que même l'aggravation générale des peines, à laquelle on assiste actuellement, ne réparera jamais le dommage irréversible causé, à savoir la mort d'un être cher ou le handicap à vie. Ensuite celui des crimes et délits causés par les mineurs. En cette matière, la mesure de réparation pénale constitue il me semble une piste de réflexion intéressante.
Il existe enfin des catégories de victimes ignorées - même si je n'aime pas utiliser ce mot qui a tendance à enfermer plus qu'à émanciper - qui n'ont pas encore reçu de la part de l'institution judiciaire toute l'attention que leur situation de grande faiblesse, ou même de dépendance, rend pourtant plus que nécessaire.
Je pense d'abord aux femmes victimes de violences conjugales. J'attends beaucoup des propositions du groupe de travail du Conseil national de l'aide aux victimes, constitué à l'initiative du Garde des Sceaux, qui permettront, je l'espère, d'une part de traiter plus efficacement ce contentieux pénal, et d'autre part de promouvoir les actions les plus innovantes d'accompagnement et de protection des victimes de ces actes de violences intolérables. A cet égard, je forme des vux pour que la candidature de l'INAVEM soit retenue dans le cadre du programme d'initiative communautaire EQUAL, dont l'objectif est le retour à l'emploi et la réinsertion professionnelle des femmes victimes de violences intra-familiales.
On sait que le risque de maltraitance est à son maximum lorsqu'une personne est dépendante de son entourage social ou familial.
Tel est le cas des personnes handicapées pour lesquelles des mesures spécifiques doivent être prises pour tenir compte de leur particulière vulnérabilité.
Mais tel est le cas aussi des personnes âgées, ces victimes " invisibles " tout à la fois ignorées, oubliées et négligées. Qu'elles soient à leur domicile, seules ou en famille, ou en résidence spécialisée, les personnes âgées peuvent être soumises à des actes de violence, d'abus de faiblesse ou de négligence, mais aussi, et peut-être surtout, exposées à des carences graves et à des manques.
La maltraitance par omission (maintenant bien connue et bien repérée pour les mineurs) n'est pas encore suffisamment identifiée chez nos aînés et partant, n'est pas prise en charge, ou lorsqu'elle l'est, aboutit trop souvent à une hospitalisation qui peut être fatale pour des personnes fragilisées.
Il ne s'agit pas de stigmatiser tous ceux et celles qui, souvent au prix de leur propre indépendance, s'occupent des personnes âgées, mais il est temps que nous nous interrogions sur l'aide que nous pouvons leur apporter et sur la capacité qu'aura notre société à intégrer le vieillissement et son cortège de difficultés.
Je voudrais également que l'on se penche sur le sort des victimes d'actes de discrimination de toutes natures, pour lesquelles il convient de développer des mesures d'aide et d'assistance adaptées, en lien avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations, dont la création m'est chère puisque j'ai participé aux travaux de la commission présidée par Bernard STASI, qui en a préconisé la création..
Je pense bien évidemment aux victimes du racisme, de la xénophobie, de l'antisémitisme, et l'actualité nous montre hélas la réalité de ce phénomène insupportable.
Je pense aussi aux victimes de l'homophobie, dont les manifestations, nous l'avons récemment déploré, peuvent prendre des formes barbares.
Mais je pense également à ces jeunes filles, qui, dans les cités, subissent le poids des cultures et ne trouvent pas la force, ni l'appui nécessaire, pour déposer plainte après un viol ou une agression sexuelle. Le combat, car c'en est un, mené par le mouvement " Ni putes ni soumises " est à cet égard exemplaire et je souhaitais lui rendre hommage ici.
Les victimes ignorées sont aussi les victimes de l'esclavage contemporain pour lesquelles il apparaît nécessaire, comme le préconisait le rapport du Conseil national de l'aide aux victimes consacré à cette question, de mettre en place des lieux d'accueil spécialisés et sécurisés.
Mais il y a bien d'autres victimes pour lesquelles l'attention ou la protection de l'Etat s'avère aujourd'hui nécessaire. Sans doute conviendrait-il d'employer l'expression générique des "accidentés de la vie", désormais largement utilisée qui, si elle n'a aucune valeur juridique et recouvre des situations très variées, n'en demeure pas moins parlante pour nos concitoyens. L'intitulé même du secrétariat d'Etat et son décret d'attribution ne posent du reste sémantiquement aucune limite à son périmètre d'action puisqu'ils permettent son intervention en direction de toutes les victimes, sans distinction ni exclusive.
Comme vous pouvez le constater, il reste encore beaucoup à entreprendre. Pour paraphraser Madame Nicole CHAMBRON, dans l'étude qu'elle a réalisée en 1999 sur les victimes non reconnues, je dirai que les victimes ont obtenu le droit à la parole et qu'elles ont maintenant droit à une réponse. Je suis d'autant plus confiante en l'avenir que je sais pouvoir compter sur votre engagement pour contribuer, à mes côtés, à satisfaire les légitimes attentes des victimes.
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 16 juillet 2004)
Monsieur le Président,
Monsieur le Député-Maire,
C'est pour moi un réel plaisir que d'être aujourd'hui sur la Côte d'Azur, dans ce département des Alpes Maritimes, à Cannes, ville à laquelle de nombreux liens m'unissent.
Je tiens, Monsieur le Président de l'INAVEM, Madame la Présidente du SMAV, à vous remercier de vos propos d'accueil et à vous dire tout le plaisir que j'ai à me trouver aujourd'hui parmi vous à l'occasion de ces XXèmes assises nationales des associations d'aide aux victimes.
Je tiens également à vous dire combien je suis sensible au thème que vous avez choisi de consacrer à vos réflexions : " LES VICTIMES IGNOREES, OUBLIEES, NEGLIGEES ".
C'est à ma connaissance dans un ouvrage publié en 1997, par l'avocate Jehanne COLLARD, que la terrible expression d'" oubliées de la Justice " est venue qualifier les victimes. La justesse de ce propos, ne s'est pas totalement démentie, comme le prouve votre choix.
Après 20 années qui ont vu se multiplier les initiatives gouvernementales en direction des victimes d'infractions pénales, à la faveur d'une collaboration sans cesse renouvelée avec l'ensemble des partenaires de l'institution judiciaire, ce thème des victimes oubliées, j'en suis malheureusement persuadée, a pu apparaître à certains esprits conformistes comme un sujet désuet, sinon provocateur. Dénonçant un phénomène de mode, ces derniers considèrent que l'on en fait aujourd'hui trop pour les victimes.
Tout comme vous, depuis ma nomination au secrétariat d'Etat aux droits des victimes, je n'ai de cesse de combattre cette attitude qui, en réalité, me donne à mesurer l'ampleur de la tâche qui est la mienne - et que nous partageons désormais. J'entrevois également les efforts pédagogiques que nous devons déployer auprès de ceux qui sont habituellement enclins à reprocher le manque de proximité des pouvoirs publics et l'absence de solidarité nationale.
La création d'un secrétariat d'Etat dédié à la cause des victimes, comme ma présence ici parmi vous - et en tout lieu où la défense de leurs intérêts l'exigera - témoignent, je puis vous l'assurer, de la volonté résolue de l'Etat de mieux prendre en compte la situation des victimes, de reconnaître, d'établir, de préserver durablement leurs droits. Mais que l'on entende bien le message du Gouvernement délivré à l'occasion de cette création, sans équivalent européen, ni certainement mondial. L'idée n'est pas d'instituer une " république des victimes ", pas plus que de créer un " ministère de l'assistanat ". Elle n'est pas non plus, au nom de je ne sais quel combat politique, de s'approprier les victimes et de leur faire dire ce que l'on aimerait entendre d'elles. Elle est simplement de reconnaître ce qui a été longtemps nié : l'indifférence, la solitude, voire l'abandon et la détresse dans lesquels se trouvent bien souvent celles et ceux qui ont subi le traumatisme d'une infraction.
C'est la raison pour laquelle le thème de vos Assises est d'une grande justesse.
C'est vrai, beaucoup de choses ont en effet été réalisées en deux décennies. Aujourd'hui, je crois que nous pouvons nous accorder sur le fait que les réformes qui sont intervenues ces dernières années ont permis de construire un véritable corps de règles en faveur des victimes d'infractions pénales, de leur accorder des indemnisations qui prennent mieux en compte les préjudices subis et d'assurer à leur profit une prise en charge globale et durable, dans le cadre d'une solidarité qui dépasse le cadre judiciaire.
A cet égard, le programme national d'action en faveur des victimes présenté par le Garde des Sceaux lors du conseil des ministres du 18 septembre 2002 - dont je partage pleinement les objectifs et compte poursuivre la mise en uvre - a permis de relancer l'action, de dynamiser les initiatives entreprises, de créer un support adapté pour mener aussi bien les réformes législatives et réglementaires qui s'imposaient (en matière d'information de la victime au stade de l'exécution des peines par exemple), que les travaux de réflexion et de concertation interministérielles qu'impliquent la plupart des améliorations qu'il comporte.
Mais force est de reconnaître qu'il y a encore du chemin à faire pour que ces droits puissent être effectivement exercés et pour que nos institutions, au premier rang desquelles l'institution judiciaire, donnent aux victimes les moyens d'avoir effectivement accès à ces dispositifs.
A titre d'exemple, je citerai les dispositions de la loi du 9 septembre 2002 qui a permis de rééquilibrer les droits des victimes, en prévoyant notamment la possibilité pour la victime d'obtenir la désignation d'un avocat dès le début de la procédure, ainsi que l'octroi de l'aide juridictionnelle de plein droit pour les crimes les plus graves.
Cependant, à ce jour, combien de commissariats de police et de brigades de gendarmeries notifient effectivement ces dispositions aux victimes? Combien de barreaux ont mis en place des permanences spécialisées afin d'assurer la défense des victimes qui se présentent dans le cadre des audiences de comparution immédiate ?
On mesure mieux l'urgence des efforts à déployer lorsque l'on sait que les dispositions de la loi du 15 juin 2000 consacrées aux victimes ne sont pas encore aujourd'hui totalement et uniformément connues et mises en oeuvre.
Combien de victimes sont encore aujourd'hui niées, lorsqu'elles se voient refuser leur plainte par le commissariat ou la brigade de gendarmerie les plus proches de leur domicile, ou lorsqu'elles sont invitées à consigner leurs déclarations sur un simple registre de main-courante ?
Combien de victimes sont encore aujourd'hui oubliées, lorsqu'elles ne sont pas avisées de la date d'audience, particulièrement en cas de comparution immédiate de l'auteur, ou lorsqu'elles ne sont pas informées des motifs de classement sans suite ?
Combien de victimes sont encore aujourd'hui ignorées, lorsque les parquets, par méconnaissance des dispositions de l'article 41 al.7 du code de procédure pénale, ne mandatent pas les associations d'aide aux victimes pour venir en aide à celles qui nécessitent une intervention immédiate, lorsque les juges d'instruction ne respectent pas aussi scrupuleusement qu'il le faudrait leur devoir d'information envers les parties civiles, ou encore lorsque les présidents d'audience correctionnelle, par manque de temps, ne les informent pas de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ?
Ces situations, que nous connaissons tous, sont devenues insupportables pour les victimes. Certes, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice à l'évolution de la criminalité va venir répondre à certaines de ces situations, mais il faudra suivre avec attention son application sur le terrain.
En réalité, l'enjeu aujourd'hui est sans doute de faire évoluer les mentalités et les pratiques pour que la " bientraitance des victimes " devienne une culture unanimement partagée par l'ensemble des professionnels du droit et de la justice. C'est la raison pour laquelle je multiplie actuellement les déplacements, tant dans les juridictions, les institutions sanitaires et sociales, qu'auprès des victimes, pour m'informer sur les dispositifs existants, évaluer leur pertinence, mais aussi recenser les expériences innovantes pour les diffuser auprès de tous.
J'envisage également de réunir, à brève échéance, l'ensemble des associations et des représentants de la société civile pour mener un état des lieux contradictoire, tant quantitatif que qualitatif, sur la situation des victimes dans notre pays. Je reste persuadée que seuls l'exposé et la confrontation des expériences, puis l'élaboration d'un consensus le plus large possible sur les voies et moyens à utiliser, permettront d'améliorer la mise en uvre globale de la politique publique en faveur des victimes.
C'est dans cet esprit que le développement de schémas départementaux d'aide aux victimes, à même de mobiliser, au-delà de l'institution judiciaire, tous les services de l'Etat et des collectivités territoriales concernés, sous l'égide du préfet, me paraît prioritaire. Cette proposition du Conseil national de l'aide aux victimes doit à mon sens être généralisée dans les délais les plus brefs.
En outre, dès la formation initiale, les auditeurs de justice devraient recevoir une formation spécifique sur la prise en compte des besoins des victimes par l'institution judiciaire. Le contenu des programmes de formation initiale et continue des magistrats doit à ce titre être revu avec l'Ecole nationale de la magistrature. De même, les stages des auditeurs dans les associations d'aide aux victimes doivent être multipliés.
J'ai déjà rencontré les représentants nationaux des avocats qui doivent contribuer à une implication plus grande des barreaux dans l'assistance aux victimes et dans la formation à développer en ce domaine par les centres de formation à cette profession.
Mais je souhaite ici, tout particulièrement devant vous, insister sur l'importance de l'action des associations d'aide aux victimes.
La couverture de l'ensemble du territoire national par des associations d'aide aux victimes est désormais effective : 168 associations interviennent dans tous les départements. Il s'agit dès lors, comme l'a souligné le Conseil national de l'aide aux victimes, de favoriser la mise en place de permanences délocalisées de ces associations, dans les maisons de justice et du droit, les commissariats ou gendarmeries, les hôpitaux, mais aussi de développer leur capacité d'intervention, notamment en urgence, par une extension des horaires d'ouverture et l'instauration de permanences téléphoniques. Je souhaite par-dessus tout une égalité de traitement entre les victimes où qu'elles se trouvent sur le territoire national.
La signature progressive de conventions pluri-annuelles d'objectifs entre les juridictions, les cours d'appels et les associations devraient fournir le cadre juridique adapté au développement de ces actions.
Je vous rappelle à cet égard qu'il a été demandé aux cours d'appel de veiller à ce que l'attribution des subventions privilégie les associations qui se mobilisent pour élargir leurs horaires de permanence, pour aller au devant des victimes qui ont été gravement traumatisées par l'infraction et pour s'investir dans l'accompagnement des victimes tout au long de la procédure judiciaire, jusqu'à l'exécution du jugement. Le thème de vos Assises démontre, s'il en était besoin, à quel point cette démarche active des associations d'aide aux victimes est aujourd'hui essentielle pour ne pas oublier celles d'entre elles qui, on le sait, ont parfois une certaine pudeur à solliciter de l'aide.
Il convient également d'insister sur le fait que la prise en charge des victimes les plus fragiles implique un accueil, une écoute et une orientation adaptés, par des personnels spécialisés, dont le nombre reste encore insuffisant. C'est pourquoi, les projets tendant à augmenter les temps d'intervention de psychologues, au sein des associations qui en sont le plus dépourvues, seront privilégiés.
Nous nous emploierons dans le cadre du budget 2005, sur cet objectif.
A ce propos, j'ai bien entendu, Monsieur le Président de l'INAVEM, le message que vous avez voulu m'adresser au sujet des crédits de l'aide aux victimes. J'en profite pour rappeler qu'ils représentent la part la plus importante des crédits d'intervention du ministère de la Justice et qu'ils ont été doublés en l'espace de 5 ans, passant de 2,3 M à près de 5 M.
D'importantes mesures nouvelles ont été sollicitées et obtenues en 2004, avec une augmentation de 16 % par rapport à 2003,des crédits délégués aux cours d'appel, afin notamment de compenser la sortie du dispositif emplois-jeunes et de prendre en compte le besoin de recrutement de psychologues dans les associations.
Par ailleurs, outre que les délégations de crédit ont été adressées cette année aux cours d'appel dès le mois de mars, le développement des conventions pluriannuelles d'objectifs que j'évoquais à l'instant, donnera aux associations une meilleure visibilité de leurs ressources sur 3 ans.
Mais revenons à notre sujet.
Les victimes négligées sont également celles qui, convoquées à une audience, attendent l'examen de leur affaire dans des conditions d'accueil qui ne respectent pas toujours leur dignité. Dans bien des cas, les victimes partagent les mêmes bancs que le public, au risque de côtoyer la famille ou les partisans de la personne mise en cause et d'être confrontées à la difficulté de suivre correctement et sereinement les débats.
Aussi, j'ai demandé aux chefs des cours d'appel de m'adresser un état complet des conditions d'accueil des victimes dans chaque salle d'audience pénale. Je compte bien, si cela est nécessaire, prendre des mesures appropriées pour que désormais les victimes soient accueillies en ces lieux dans des conditions décentes.
Les victimes oubliées sont aussi celles qui ayant obtenu une décision de justice en leur faveur, éprouvent les plus grandes difficultés à obtenir le versement des dommages et intérêts qui leur ont été alloués.
Certes, certaines d'entre elles disposent de la faculté de saisir les commissions d'indemnisations des victimes d'infraction. A cet égard, la modification apportée par la loi du 9 mars 2004, prévoyant l'obligation pour le Fonds de Garantie de proposer une offre d'indemnisation à la victime dès la saisine de la CIVI, pour les dossiers qui ne soulèvent pas de contestation, permettra sans aucun doute de faciliter les procédures d'indemnisation. J'attends avec intérêt les propositions que le groupe de travail du Conseil National de l'Aide aux Victimes, formulera dès le mois de septembre dans un pré-rapport.
Mais les victimes qui ne remplissent pas les conditions de saisine des CIVI sont souvent contraintes de mettre elles-mêmes en uvre des mesures d'exécution forcée, le plus souvent à leurs frais, quand elles n'obtiennent pas le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
La loi du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions juridiques et judiciaires, a déjà permis d'améliorer l'exécution des jugements en donnant la possibilité aux huissiers de justice d'interroger directement le fichier des comptes bancaires couramment appelé FICOBA.
Il convient d'aller plus loin en développant les moyens de coercition qui existent à l'égard de la personne condamnée.
Cela passe sans doute par une implication plus forte en ce domaine des parquets, des juges de l'application des peines et des services pénitentiaires d'insertion et de probation. Je souhaite également qu'une réflexion soit engagée sur un rôle plus actif des associations d'aide aux victimes à ce stade.
Les victimes négligées sont également celles qui ont l'impression que l'institution judiciaire n'a pas complètement répondu à leurs attentes. Le temps du procès pénal est un moment fort pour la victime qui en sort très souvent ébranlée. Elle n'est donc pas à même de saisir la portée des informations qui lui sont données, par exemple sur la saisine de la CIVI ou sur la condamnation de l'auteur des faits à lui verser des dommages et intérêts
En effet, l'expérience a démontré que si nombre de victimes étaient réellement démunies face à l'adversité dans laquelle une infraction, un accident, une catastrophe, bref un déséquilibre passager ou irrémédiable les précipitait, pour la plupart d'entre elles, leur principale difficulté ne se posait qu'en termes d'information (savoir ce qui se passe), de communication (savoir à qui s'adresser) ou de choix (quelle voie choisir). Il est à cet égard important de ne pas tenir - ou maintenir - la victime en situation de minorité par rapport à ses interlocuteurs, même les plus attentionnés, ce qui aggrave durablement sa perte d'autonomie et conduit à sa " survictimation " .
Les associations d'aide aux victimes ont en ce domaine un rôle primordial à jouer, notamment pour accompagner la victime après l'audience.
Je crois que le développement de bureaux d'exécution des peines, testés dans quelques juridictions, pourrait permettre d'expérimenter les mesures concrètes à prendre en faveur des victimes, après le procès pénal.
J'envisage également de proposer la rédaction d'un livret explicatif sur l'exécution des peines, qui serait édité par le ministère de la Justice et qui pourrait être remis aux victimes au moment de l'audience.
Mais là n'est pas l'essentiel. Il importe surtout que la victime puisse avoir le sentiment que justice a été rendue.
On peut alors se poser la question s'il n'est pas temps de réfléchir à une nouvelle conception de la justice qui consiste à développer une approche complémentaire à celle de la justice pénale traditionnelle, qui est centrée sur la sanction de l'auteur et l'indemnisation des dommages engendrés par l'infraction. Il s'agirait alors de permettre à la victime de reprendre le contrôle de sa vie et, au lien social rompu, de se reconstituer.
Des initiatives de ce qu'on a coutume d'appeler la " justice restaurative ", selon le terme anglo-saxon, ou la " justice restauratrice ", ont été menées notamment en Belgique, en Angleterre et au Québec et font actuellement l'objet d'évaluations positives de la part des victimes concernées. Les premiers résultats ont en effet montré que ces expériences ont aidé la victime à sortir de son sentiment de dévalorisation et à retrouver une image positive d'elle-même.
Je propose que des recherches associant universitaires, juridictions et associations d'aide aux victimes puissent être conduites à titre expérimentaldans deux domaines où la justice pénale traditionnelle peine à répondre aux attentes des victimes. D'abord celui des infractions involontaires d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique en matière d'accident de la route, où l'on sait que même l'aggravation générale des peines, à laquelle on assiste actuellement, ne réparera jamais le dommage irréversible causé, à savoir la mort d'un être cher ou le handicap à vie. Ensuite celui des crimes et délits causés par les mineurs. En cette matière, la mesure de réparation pénale constitue il me semble une piste de réflexion intéressante.
Il existe enfin des catégories de victimes ignorées - même si je n'aime pas utiliser ce mot qui a tendance à enfermer plus qu'à émanciper - qui n'ont pas encore reçu de la part de l'institution judiciaire toute l'attention que leur situation de grande faiblesse, ou même de dépendance, rend pourtant plus que nécessaire.
Je pense d'abord aux femmes victimes de violences conjugales. J'attends beaucoup des propositions du groupe de travail du Conseil national de l'aide aux victimes, constitué à l'initiative du Garde des Sceaux, qui permettront, je l'espère, d'une part de traiter plus efficacement ce contentieux pénal, et d'autre part de promouvoir les actions les plus innovantes d'accompagnement et de protection des victimes de ces actes de violences intolérables. A cet égard, je forme des vux pour que la candidature de l'INAVEM soit retenue dans le cadre du programme d'initiative communautaire EQUAL, dont l'objectif est le retour à l'emploi et la réinsertion professionnelle des femmes victimes de violences intra-familiales.
On sait que le risque de maltraitance est à son maximum lorsqu'une personne est dépendante de son entourage social ou familial.
Tel est le cas des personnes handicapées pour lesquelles des mesures spécifiques doivent être prises pour tenir compte de leur particulière vulnérabilité.
Mais tel est le cas aussi des personnes âgées, ces victimes " invisibles " tout à la fois ignorées, oubliées et négligées. Qu'elles soient à leur domicile, seules ou en famille, ou en résidence spécialisée, les personnes âgées peuvent être soumises à des actes de violence, d'abus de faiblesse ou de négligence, mais aussi, et peut-être surtout, exposées à des carences graves et à des manques.
La maltraitance par omission (maintenant bien connue et bien repérée pour les mineurs) n'est pas encore suffisamment identifiée chez nos aînés et partant, n'est pas prise en charge, ou lorsqu'elle l'est, aboutit trop souvent à une hospitalisation qui peut être fatale pour des personnes fragilisées.
Il ne s'agit pas de stigmatiser tous ceux et celles qui, souvent au prix de leur propre indépendance, s'occupent des personnes âgées, mais il est temps que nous nous interrogions sur l'aide que nous pouvons leur apporter et sur la capacité qu'aura notre société à intégrer le vieillissement et son cortège de difficultés.
Je voudrais également que l'on se penche sur le sort des victimes d'actes de discrimination de toutes natures, pour lesquelles il convient de développer des mesures d'aide et d'assistance adaptées, en lien avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations, dont la création m'est chère puisque j'ai participé aux travaux de la commission présidée par Bernard STASI, qui en a préconisé la création..
Je pense bien évidemment aux victimes du racisme, de la xénophobie, de l'antisémitisme, et l'actualité nous montre hélas la réalité de ce phénomène insupportable.
Je pense aussi aux victimes de l'homophobie, dont les manifestations, nous l'avons récemment déploré, peuvent prendre des formes barbares.
Mais je pense également à ces jeunes filles, qui, dans les cités, subissent le poids des cultures et ne trouvent pas la force, ni l'appui nécessaire, pour déposer plainte après un viol ou une agression sexuelle. Le combat, car c'en est un, mené par le mouvement " Ni putes ni soumises " est à cet égard exemplaire et je souhaitais lui rendre hommage ici.
Les victimes ignorées sont aussi les victimes de l'esclavage contemporain pour lesquelles il apparaît nécessaire, comme le préconisait le rapport du Conseil national de l'aide aux victimes consacré à cette question, de mettre en place des lieux d'accueil spécialisés et sécurisés.
Mais il y a bien d'autres victimes pour lesquelles l'attention ou la protection de l'Etat s'avère aujourd'hui nécessaire. Sans doute conviendrait-il d'employer l'expression générique des "accidentés de la vie", désormais largement utilisée qui, si elle n'a aucune valeur juridique et recouvre des situations très variées, n'en demeure pas moins parlante pour nos concitoyens. L'intitulé même du secrétariat d'Etat et son décret d'attribution ne posent du reste sémantiquement aucune limite à son périmètre d'action puisqu'ils permettent son intervention en direction de toutes les victimes, sans distinction ni exclusive.
Comme vous pouvez le constater, il reste encore beaucoup à entreprendre. Pour paraphraser Madame Nicole CHAMBRON, dans l'étude qu'elle a réalisée en 1999 sur les victimes non reconnues, je dirai que les victimes ont obtenu le droit à la parole et qu'elles ont maintenant droit à une réponse. Je suis d'autant plus confiante en l'avenir que je sais pouvoir compter sur votre engagement pour contribuer, à mes côtés, à satisfaire les légitimes attentes des victimes.
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 16 juillet 2004)