Texte intégral
Le 3 février 2004
J.-P. Elkabbach-. Bienvenue J.-M. Ayrault, merci d'être là. ?
- "Bonjour."
Q- Deux sujets : laïcité d'abord. Le Premier ministre promet une loi claire et courte, une chance laissée au dialogue et à la médiation, des garanties pour éviter l'intégrisme dans les lieux de santé, de justice et les prisons. Si J.-P. Raffarin tient ses promesses, commune une main tendue, est-ce que vous la saisissez ?
R- "Bien sûr. Non seulement nous la saisissons, mais nous souhaitons cette loi. Depuis plusieurs mois, comme beaucoup, je suis arrivé à la conclusion avec mes amis socialistes qu'il fallait une loi, parce que depuis 15 ans, la société française a profondément changé. Ce qui était possible par la jurisprudence du Conseil d'Etat ne marche plus. Il y a une pression communautariste certes minoritaire mais qui existe à la fois sur les jeunes filles, et à l'époque où la parité est dans la loi, c'était inacceptable, et puis aussi sur le contenu même des cours. Donc je crois qu'il faut rappeler ce qui est le principe fondamental de la République française, c'est-à-dire la laïcité à l'école publique."
Q- Mais qu'est-ce qui, à votre avis, comporte le plus de risque avec le fondamentaliste qui court ? Une loi ou pas de loi ? Plus de loi ou moins de loi ?
R- "Moi je crois qu'il faut rappeler, on n'a pas à s'excuser sans cesse de rappeler ce qu'est la République française. La société a changé, je l'ai dit. Il y a en France la présence d'une communauté religieuse musulmane, qui est très importante et qui doit trouver sa place, mais qui doit aussi s'inscrire dans la modernité, comme le christianisme l'a fait, comme le judaïsme l'a fait, et les lois de 1905, ça fera un an. L'année prochaine elles auront 100 ans. Ce ne sont pas des lois contre la religion et la liberté religieuse. Ce sont des lois qui défendent la liberté de conscience et qui en même temps ont amené la paix civile."
Q- Et elles ont fini par être acceptées. Ni la commission Stasi, ni le Président de la République, le 17 décembre ne s'étaient arrêtés, vous vous en souvenez M. Ayrault, à l'école. La laïcité est un principe républicain beaucoup plus ample. Les racismes actuels, selon vous, anti-juifs et anti-musulmans, est-ce qu'ils sont les fruits de la laïcité ?
R- "Non bien au contraire, c'est parce qu'il n'y a pas assez de laïcité. Et la laïcité, c'est une valeur de liberté et on ne comprend pas assez. D'ailleurs quand je vois certaines polémiques à l'étranger, je suis extrêmement surpris parce que la laïcité, c'est vraiment une garantie pour la liberté de conscience et la liberté religieuse. Mais la laïcité, c'est plus que ça et les Français y sont très attachés. Dans l'idée de laïcité, il y a aussi l'idée d'égalité, d'émancipation sociale - émancipation des hommes et des femmes, émancipation des individus. Et moi je suis socialiste et bien sûr je suis d'abord républicain, mais pour que la laïcité soit pleinement vécue, il faut aller plus loin que le rappel des principes. Il faut aussi la faire vivre concrètement en luttant contre toutes les formes de discrimination sociale. C'est-à-dire que la République française, c'est une République laïque, mais n'oublions pas aussi, elle doit être une République sociale."
Q-Lisez dans France Soir la tribune libre, étonnante d'ailleurs, d'Hani Ramadan, vous savez le frère, celui qui était pour la lapidation. Je vous cite deux phrases : " Dans les pays musulmans, des millions de femmes sortent voilées uniquement pour obéir à une injonction divine. La femme en Islam est la perle qui illumine le foyer et la société. L'être humain n'est réellement libre qu'à partir du moment où il se soumet entièrement à Dieu et à Dieu seul ". Ici en France, ça doit être la loi de la République ou la loi de Dieu ?
R- "A l'évidence, la loi de la République, et la loi de la République, c'est la loi de la liberté. Et pour les femmes d'abord parce que quand j'entends un discours comme ça, d'abord il correspond à des sociétés archaïques, des sociétés presque je dirais rurales, qui ne correspondent pas à la modernité. Donc aujourd'hui la modernité, le progrès, c'est l'égalité, l'égalité entre les hommes et les femmes, c'est la mixité. Par exemple, moi à Nantes, j'ai totalement refusé qu'il y ait des moments séparés pour les hommes et les femmes dans les piscines. C'est une évidence. Donc je crois qu'il faut rappeler tout ça, et je vous dirais, franchement, l'écrasante majorité des musulmans français souhaitent, comme les catholiques, les juifs français, être des citoyens à part entière, être considérés d'abord comme des citoyens et ils sont aussi, j'en suis sûr, partisans de la séparation des églises et de l'Etat."
Q- Et la grande majorité des députés socialistes que vous présidez, ils vont faire quoi ?
R- "Ils sont pour la loi dans leur écrasante majorité, c'est clair."
Q- Donc une loi de concorde nationale.
R- "J'ai employé cette expression, une loi de concorde nationale, une loi de concorde républicaine. Je souhaite avec mes amis pouvoir voter cette loi. C'est pour ça que nous déposons quelques amendements, très peu d'amendements, l'un sur le dialogue, pour que cette loi qui interdit les signes religieux à l'école soit appliquée par le dialogue, parce que le but, c'est intégré les enfants et non les exclure, mais aussi pour que la loi soit la plus claire possible et telle qu'elle est aujourd'hui, moi je trouve qu'il manque de la clarté. On est passé d'ostentatoire à ostensible. Disons-le clairement : les signes visibles sont interdits à l'école publique."
Q- Il y aura un débat, mais beaucoup re-citeront M. Long, P. Veil qui étaient dans la commission ou R.-G. Schwartzenberg. Au passage, vous êtes maire de Nantes, vous êtes le familier, et l'ami aussi de A. Dermouche, le nouveau préfet du Jura. Qui le vise, qui provoque la ville et l'Etat ?
R- "Je m'interroge. Cela peut être des règlements de compte individuel mais je n'imagine pas des choses pareilles, c'est peut-être des esprits dérangés, mais ils sont sans doute inspirés et inspirés par une forme de racisme, d'intolérance extrêmement grave. Moi je souhaite vraiment que la police et la justice trouvent très, très vite les coupables et qu'ils soient très sévèrement châtiés, parce que Aissa Dermouche, c'est d'abord le produit de la République. C'est d'abord un bel exemple de réussite républicaine. Ce n'est pas pour des raisons religieuses qu'il a été nommé."
Q- A . Juppé. Les Français seront fixés sur ses choix pris seul et en conscience pour son avenir. S'il décide non pas la retraite, mais un départ progressif par étape, qu'est-ce que vous direz ?
R- "Ca, c'est son choix. Moi je respecte son choix, et je pense que l'homme Juppé aujourd'hui souffre parce que la décision est dure, mais c'est une décision de la justice et ses juges se sont prononcés en toute indépendance, et je rappelle quand même qu'ils ont appliqué la loi votée par le Parlement, y compris M. Juppé, c'est même une loi de la majorité. Donc je pense que la loi, personne n'est au-dessus de la loi, qu'on soit simple citoyen ou qu'on soit parlementaire, c'est la même chose."
Q- Je vous cite deux phrases, J.-M. Ayrault, vous me dites comment vous réagissez. J. Chirac : " la France a besoin d'hommes de la compétence et de la qualité exceptionnelle d'A . Juppé ".
R- "Oui, mais moi je"
Q- Et A. Montebourg : " la prétendue honnêteté de Juppé n'est qu'une imposture. Le président de la République donne l'impression d'apporter son soutien à un délinquant ".
R- "Ecoutez, je vais vous dire, je ne veux pas moi-même en rajouter sur la décision des juges parce que la décision des juges sanctionne A . Juppé. Elle est d'une extrême sévérité, donc ils se sont prononcés, et je respecte cette décision. Par contre"
Q- C'est vous qui dites d'une extrême sévérité. C'est un peu lourd, vous le reconnaissez.
R- "Oui c'est vrai parce que j'ai lu les attendus des juges, et cette extrême sévérité ne vise pas qu'A . Juppé, elle vise aussi J. Chirac. C'est très clair. Elle vise le système que J. Chirac avait mis en place, dont M. Juppé a été je dirais l'artisan d'une certaine façon, lui qui doit toute sa carrière à J. Chirac. Alors, moi, ce qui m'a choqué dans la déclaration de J. Chirac, J.-P. Elkabbach, moi je vais vous le dire, c'est qu'il est le chef de l'Etat, le garant de l'indépendance de la justice et là, on a l'impression qu'il fait pression. Je trouve que c'est très grave et comme M. Raffarin lui-même a dit : " cette décision n'est que provisoire ", comme s'il y avait encore des choses qui allaient se préparer."
Q- Oui, il y a l'appel.
R- "Oui mais attendez, ce n'est pas à eux d'en juger."
Q- On en a parlé hier avec P. Devedjian.
R- "Le président, le Premier ministre sont des garants de l'indépendance de la justice. Ils n'ont pas comme ça à se mêler du processus judiciaire. Je trouve qu'il y avait quelque chose de très grave qui a été Aujourd'hui on pourrait imaginer, beaucoup de Français le disent, que ce n'est peut-être pas M. Juppé qui aurait du être à Nanterre, c'est peut-être J. Chirac."
Q- Vous le dites aussi vous.
R- "Oui, il est protégé par son statut. Vous savez M. Berlusconi en Italie a fait voter une loi pour se protéger un peu comme J. Chirac l'est aujourd'hui, sauf qu'en Italie, le Conseil constitutionnel a annulé la loi."
Q- En 2002, vous avez voté pour qui ?
R- "J'ai voté pour J. Chirac parce que je voulais surtout faire barrage à Le Pen, mais"
Q- Il ne fallait pas voter pour lui.
R- "Je n'ai pas voté pour la personne de J. Chirac, j'ai voté pour la République ce jour-là. Il y a eu 82 % de Français qui se sont prononcés pour ça. Aujourd'hui, moi je souhaite vraiment qu'on écrive une nouvelle page et une page de confiance et cette page de confiance, je crois qu'elle ne peut pas se faire avec la politique actuelle, parce qu'il y a une loi qui se prépare, J.-P. Elkabbach, qu'il ne faut pas oublier, qui est la loi Perben II, qui va être examinée bientôt par le Parlement et qui vise à mettre la justice au pas, à mettre les procureurs aux ordres et aujourd'hui je trouve qu'on"
Q- Ca promet des débats animés.
R- "Non mais franchement, je trouve qu'on vient aux vieilles pratiques. On a l'impression que les barbouzes sont de retour, les écoutes téléphoniques. Ca ne va pas. Je crois que si vraiment M. Chirac et M. Raffarin sont de bonne foi, qu'ils retirent ce projet de loi Perben II, je trouve que c'est trop grave."
Q- Quand vous dites : les barbouzes sont de retour, il y a deux choses. Il y a la commission des trois magistrats hyper indépendants qui vont juger et puis dernière chose, vous devriez lire aujourd'hui l'Est Républicain qui publie " le verbatim du témoignage " auprès du procureur de la République de Nanterre, de la présidente qui a condamné Juppé. C'est plus désopilant et creux, si vous le lisez bien, que convaincant.
R- "Oui, mais ce n'est pas ça le problème. Le problème c'est qu'il ne faudrait pas que cette affaire dans l'affaire occulte la réalité. La réalité, c'est qu'il y a eu un jugement d'un tribunal indépendant et je crois que c'est important que la justice puisse continuer à travailler en toute indépendance dans notre pays. C'est aussi l'intérêt de la démocratie."
Q- Merci d'être venu. Je rappelle le succès de la fête de musique qui s'appelle
R- "La Folle journée."
Q- La Folle journée, chez vous à Nantes, c'est une très bonne idée.
R- "Merci Jean-Pierre."
Q- C'est un succès. Vous recommencez en 2005, sans doute.
R- "Oui, j'espère que vous viendrez l'année prochaine."
Q- La culture, si elle est libre, est un instrument fort et rentable pour les villes et les régions.
R- "Oui et puis aussi pour le plaisir et l'émancipation des individus."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 février 2004)
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mes chers collègues,
" L'idéal laïque unit tous les hommes parce qu'il les élève au dessus de tout enfermement ". Cette pensée du philosophe Henri Pena-Ruiz est la vraie dimension de notre débat. Loin de défendre un dogme, loin de combattre les croyances, loin d'enfermer les enfants dans un moule, nous sommes là pour poursuivre une oeuvre d'émancipation commencée il y a près de cent ans.
Ayons-en de la fierté.
Née dans la douleur, la laïcité a patiemment conquis les coeurs. Elle a construit une école de tolérance où la neutralité de l'Etat garantit la liberté de croyance pour chaque citoyen et l'égalité entre chacune des religions. Elle a modelé un vivre ensemble et apaisé la communauté nationale. Voilà pourquoi il faut y tenir comme à la prunelle de nos yeux. Voilà pourquoi il faut la préserver de la confusion trop courante du spirituel et du temporel.
Oui depuis quelques années, cette confusion a resurgi.
L'Islam cherche sa place dans le monde. Il cherche sa place en France. Porteur d'une histoire et d'une civilisation longtemps rayonnantes, il est aujourd'hui confronté à une crise d'adaptation à la modernité, comme l'ont été, avant lui, le christianisme ou le judaïsme.
La question du voile dans nos écoles est l'une des expressions de cette quête identitaire. Il ne faut ni l'ignorer, ni en avoir peur. Il faut au contraire aider nos compatriotes musulmans à la surmonter. Et c'est tout le sens de notre débat.
Le dire n'est pas montrer les musulmans du doigt. Ce n'est pas les désigner comme fauteurs de trouble. Qui ne voit qu'ils sont les premières victimes des régimes théocratiques ou des groupes fondamentalistes . Qui ne voit qu'ils sont les premiers à souffrir de la suspicion et des discriminations. Qui ne voit que l'écrasante majorité d'entre eux veulent vivre en paix, ailleurs dans le monde et dans notre République.
Je veux le dire du haut de cette tribune à nos compatriotes musulmans. Vous êtes des citoyens à part entière ! Vous avez les mêmes droits, les mêmes devoirs, les mêmes engagements ! Nul ne peut vous séparer des autres Français ! Et cela vaut pour tous ceux qui croient comme pour ceux qui ne croient pas.
La loi que nous voulons faire n'est pas une loi contre l'Islam, elle n'est pas une loi contre les religions. Elle est une loi de liberté, d'égalité et de justice. Elle veut préserver l'école de pressions religieuses ou politico-religieuses. Elle considère toutes les religions de la même manière. Elle noue le dialogue avant toute sanction.
Comme l'ont écrit Marceau Long et Patrick Weil, tous deux membres de la commission Stasi, " dans notre tradition laïque, l'Etat est protecteur du libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression ou de sa non-expression. Il se doit d'intervenir quand elle est menacée. Les jeunes filles non voilées et celles qui n'ont pas fait leur choix librement n'ont pas moins que les autres le droit à leur liberté de conscience ".
Alors oui cet interdit est le gage d'une liberté. La liberté d'être un citoyen comme les autres, que l'on ne regarde pas en fonction de son appartenance ou de son sexe. La liberté d'être une femme sans tutelle, sans contrainte du regard des autres.
J'entends certains s'émouvoir de cette loi. Nous serions en train d'ouvrir la boîte de Pandore. Nous serions en train de réveiller les intégrismes. Etrange retournement. C'est le retour du religieux dans l'espace politique qui provoque les tensions et les affrontements. Et la laïcité n'aurait pas voix au chapitre ? Et les laïques seraient sommés de se taire ?
On nous dit aussi, " la France est isolée ". Mais oui mes chers collègues, la France est isolée. Elle l'est depuis cent ans. Nous sommes la seule nation d'Europe à avoir une constitution laïque. Et pourtant ce débat court l'Europe. Il provoque des réactions passionnées dans les chancelleries et les opinions, attestant de la force planétaire du symbole. La laïcité est une histoire universelle qui va de Gambetta à Taslima Nasreen, d'Atatürk à Shirin Ebadi. Elle est une lumière pour les femmes prisonnières de l'obscurantisme, elle est un espoir pour les minorités opprimées.
Dans quelle démocratie sommes-nous donc pour avoir peur de défendre l'une de nos valeurs les plus fortes de tolérance, de concorde, de pacification ? Que ceux qui hésitent au premier anathème regardent l'extraordinaire acquis de la séparation des églises et de l'Etat.
Toutes les croyances ou les non-croyances ont droit de cité. Aucune n'écrase l'autre. La France, que l'histoire a intronisée fille aînée de l'église, peut ainsi brasser depuis un siècle les plus grandes populations musulmanes, juives de toute l'Europe. Chaque année des milliers de couples se forment par delà les confessions, les origines. Aucune nation au monde n'a réussi une telle mixité culturelle.
Voulons-nous donc perdre cet exceptionnel héritage ? L'antisémitisme, la haine de l'islam ne sont pas les fruits vénéneux de trop de laïcité, mais de trop peu de laïcité. Quand un homme est désigné parce qu'il est juif, musulman ou chrétien, ce n'est pas à cause de la laïcité, c'est parce que nous ne respectons pas les principes de la laïcité qui interdisent de considérer le citoyen en fonction de son appartenance.
Nul dans le monde ne peut s'en inquiéter. Ce sont les mêmes principes qui nous ont placés à l'avant-garde du refus de la guerre des civilisations. C'est leur cohérence qui nous fait considérer chaque culture égale de l'autre.
Cessons donc de trembler à la première manifestation des intégristes. Ceux-ci existaient avant cette loi. En arrivant au grand jour, ils montrent seulement leur intolérance et leur faiblesse numérique. Non les musulmans français ne sont pas avec eux. Non les musulmans français ne veulent pas s'isoler dans le voile. Au contraire. Ce dont ils souffrent, en tant que citoyens, c'est que la République soit infidèle à ses principes, qu'elle tolère trop souvent et depuis trop longtemps la discrimination sociale qui les frappe plus que tous autres. Ce sont les inégalités qui excluent, pas la laïcité. Et de ce point de vue, Monsieur le Premier ministre, je crains que votre politique économique et sociale ne creuse le fossé. Car pour nous socialistes, la République sociale est le prolongement de la République laïque.
Alors de grâce arrêtons de reculer sur nos principes en les confondant avec leurs faiblesses d'application. Retrouvons le courage des républicains du siècle dernier qui ont osé affronter le cléricalisme pour mieux protéger la liberté de conscience et de croyance. Le désarroi que vit notre Nation s'enracine trop souvent dans le sentiment que ses représentants n'assument pas les valeurs qui fondent son vivre ensemble.
Mesdames et messieurs, on ne légifère pas en s'excusant !
Nous savons tous que la dérive communautariste s'étend à d'autres sphères de la vie publique. On exige la récusation d'un magistrat parce qu'il est juif. On refuse des soins parce qu'ils sont administrés par un homme. On ne veut pas recevoir une patiente parce qu'elle porte un voile musulman. On conteste un enseignement parce qu'il ne correspond pas au livre sacré. Et de concession en concession, la communauté nationale se fragmente en communautés rivales avec pour seule devise : " chacun chez soi et Dieu pour tous ! ".
Qui veut de cette France là, éparpillée, suspicieuse,
sans mémoire commune, sans projet collectifUne loi ne fait pas un destin, elle n'est qu'un symbole, nous disent ses détracteurs. Eh bien oui mes chers collègues. Je la revendique comme tel. La Raison doit parfois s'appuyer sur un symbole pour répondre à la puissance des signes que manient les fondamentalismes. Il traduit la volonté de préserver, d'adapter le pacte républicain et d'ouvrir la porte à un nouveau processus d'intégration qui prend en compte l'enracinement de l'Islam dans notre pays.
Mais quand on use des symboles en matière législative, la difficulté est de bien choisir ses mots pour qu'ils soient compréhensibles et applicables par tous. Et c'est tout l'objet de nos divergences avec votre projet, Monsieur le Premier ministre.
Je dois dire que l'idée présidentielle de confier la rédaction du texte à un ministre qui s'y opposait n'a pas grandi sa crédibilité, ce qui n'est pas bien grave, ni celle du projet de loi, ce qui l'est beaucoup plus. La seule circonstance atténuante de M.Ferry est de l'avoir écrit sous la dictée de l'Elysée avec pour consigne expresse de concilier ceux qui croient à la loi et ceux qui n'y croient pas.
Tâche impossible qui a conduit à toutes les confusions, sémantique, juridique et politique. Je crains que votre loi, Monsieur le Premier Ministre, ne change rien à la jurisprudence qui depuis quinze ans jette la communauté éducative dans l'incertitude. Ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est Nicolas Sarkozy quand il est allé expliquer votre projet au Conseil français du culte musulman en décembre dernier.
Changer le terme ostentatoire par ostensible risque de conduire aux mêmes difficultés d'interprétation et provoquer les mêmes contentieux. Je souhaite bien du plaisir au rédacteur des décrets d'application qui va devoir décider des signes qui sont ostensibles de ceux qui ne le sont pas ? Un bandana est-il de même nature que le voile ? A partir de quelle taille tolèrera-t-on les croix ? Les sikhs peuvent-ils transiger " sur un filet transparent " ? Comparativement la querelle théologique sur le sexe des anges apparaîtra bien terne ! M.Ferry a illustré cette impossible interprétation en se livrant à de stupéfiantes exégèses sur le port de la barbe ou de la main de Fatma qui n'ont fait qu'ajouter le risible à la confusion.
Consciemment ou inconsciemment, vous avez conforté le sentiment que l'interdiction vise avant tout les musulmans. Grave contresens. Là où il fallait éviter toute distinction entre les religions, vous faites une hiérarchie entre les bons et les mauvais signes. Là où il fallait l'égalité et la justice, vous accentuez l'exclusion. Là où il fallait la clarté, vous semez le trouble.
Comment comprendre le désaveu de notre travail de législateur quand vous ignorez les propositions de la mission parlementaire conduite par le président de notre Assemblée qui ont été votées à la quasi-unanimité de ses membres après six mois de travaux ?
Comment interpréter la danse de Saint Guy qui a saisi votre gouvernement et sa majorité ? Monsieur de Villepin s'inquiète des retombées de votre projet sur notre diplomatie. Mme Alliot-Marie et M. Darcos réclament une loi claire. M.Juppé défend votre texte après avoir soutenu celui de M.Debré. M.Madelin votera " non ". M.Balladur " hésite ", ostensiblement. C'est le grand concert de la discordance.
Oui c'est là un mauvais exemple. Quand on légifère sur la République, on dépasse ses intérêts " de boutique ", on transcende les clivages partisans, on recherche l'assentiment le plus large. Méditez donc, mesdames et messieurs de l'UMP, la leçon des législateurs de 1905 qui ont travaillé à unir les Républicains des deux rives .
Tel est le vu des socialistes. Je l'ai dit et je le répète, nous souhaitons de tout cur voter une loi de concorde nationale. Nous voulons témoigner que la Nation est encore capable de transcender ses frontières politiques et de s'unir autour de valeurs partagées. Les amendements que nous proposons à votre projet s'inscrivent dans cet esprit. Repris des propositions de la mission Debré, ils n'ont d'autre souci que d'établir une règle claire, égalitaire et applicable.
Mesdames et Messieurs de la majorité
Je veux encore croire qu'il n'est pas trop tard et que vous saurez vous hisser à la hauteur de l'Histoire. Affranchissez-vous des illères et des carcans. Si nous échouons à porter une vision commune, si la loi que nous votons n'offre pas les conditions d'un apaisement, alors craignons de libérer les passions. Une loi qui ne change rien est une loi qui ne sert à rien. Ce serait une faute.
Car pour nous socialistes, cette loi n'est qu'un commencement. Elle est la porte d'entrée pour réussir une tâche inaccomplie : l'émancipation sociale de nos concitoyens issus de l'immigration et la place de l'Islam dans la République. En avez-vous conscience ?
Ayons la lucidité de reconnaître que nous avons, en ces deux domaines, subi un échec collectif. Plus que tous autres, les enfants de l'immigration vivent une triple discrimination. Discrimination sociale avec un chômage qui les touche trois fois plus que leurs compatriotes et des revenus inférieurs. Discrimination urbaine qui les cantonne majoritairement dans des quartiers ghettos. Discrimination culturelle qui les désigne trop souvent comme des citoyens à part du fait de leur nom ou de leur religion. A l'évidence, nos systèmes publics d'intégration ne répondent plus. Ils ne leur fournissent plus les mêmes chances d'ascension sociale. Comment s'étonner que certains cèdent au repli identitaire et aux sirènes religieuses ? Comment croire qu'une loi interdisant les signes religieux à l'école, fût-elle nécessaire, suffira à leur faire retrouver les valeurs de la République ? C'est toute notre approche qu'il faut repenser.
Voilà pourquoi je juge parfaitement légitime le débat sur la nécessité de mesures positives pour combattre les discriminations. Oui les enfants de l'immigration ont besoin d'une aide spécifique. Oui ils rencontrent plus de handicaps que les autres. La société française est prête à le comprendre. Encore faut-il s'entendre sur les critères. Entendre le ministre de l'Intérieur soumettre l'aide de l'Etat aux " quartiers sensibles " à leur volonté de réduire la délinquance est franchement intolérable. C'est faire porter à leurs habitants une responsabilité collective des actes délictueux. C'est leur demander de se substituer au travail de la police et de la justice. C'est les maintenir dans un état de dépendance paternaliste.
De même ne suis-je pas favorable aux quotas ethniques qui enferment le citoyen dans son appartenance communautaire. Pour quelques-uns que l'on promeut, que deviennent tous les autres ? On les oublie ? On fait comme s'ils n'existaient pas ?
L'intégration trouvera vraiment son sens quand l'Etat l'imposera comme sa priorité et l'appliquera dans chacune de ses politiques publiques : plan de destruction des ghettos à cinq ans, mixité urbaine, nouvelles filières de soutien éducatif, incitations puissantes aux entreprises et à l'administration pour embaucher les jeunes des quartiers, service civique pour apprendre la solidarité. Les solutions ne manquent pas.
Je veux dire aussi l'ardente obligation de préserver partout la mixité dans nos espaces publics. Les femmes sont les plus exposées aux discriminations. Elles ont droit à une pleine égalité qu'aucune séparation, aucune tutelle ne peuvent altérer. Et ce message s'adresse particulièrement à toutes les religions qui relèguent trop souvent la femme.
Toutes ces ambitions ne pourront pleinement s'épanouir sans regarder en face la question de l'exercice de l'Islam dans la République.
Rien ne serait pire que de poursuivre cette politique de l'autruche qui depuis cinquante ans consiste à ignorer la grande misère dans laquelle les musulmans pratiquent leur culte. J'entends de justes philippiques sur l'Islam des caves, vivier de l'intégrisme. J'entends beaucoup de dénonciations sur les prêches d'imams venus de l'étranger et peu respectueux de nos principes laïques. Mais combien de municipalités délivrent des permis de construire pour les mosquées ? Lesquelles acceptent des carrés musulmans dans leurs cimetières ? Qui se penche sur la formation d'imams français ? Comme le dit l'écrivain Tahar Ben Jelloun, " la France peut être la chance de prouver que l'Islam est compatible avec la démocratie et la laïcité ".
A force d'immobilisme, on offre des arguments à tous les bons apôtres qui veulent réformer les lois de 1905. La tentation effleure déjà le ministre de l'Intérieur . Ce serait le plus mauvais service à rendre à l'Islam et à la République.
Les lois de 1905 ont apporté la paix religieuse. Elles ont forgé des règles claires et souples comme en attestent l'existence d'aumôneries dans les lycées ou la création du conseil français du culte musulman. Nous pouvons encore les améliorer en encourageant, par exemple, le double enseignement de la laïcité et de l'histoire des religions à l'école ou en fondant une charte de la laïcité. Mais vouloir les réformer, c'est rompre l'équilibre de notre pacte républicain ; c'est ouvrir la voie aux dérives du modèle communautariste.
Mesdames et messieurs,
Tels sont les enjeux de notre débat. Ils touchent aux fondements de notre identité républicaine. C'est à cette hauteur-là, que le groupe socialiste se déterminera. Sans considération tactique, sans arrière pensée électorale. Seule comptera pour nous la qualité de la loi, sa capacité à mettre fin à un conflit dans une société qui a profondément changé depuis quinze ans et à établir les fondations d'une nouvelle intégration. Il ne tient qu'à vous et à votre gouvernement, Monsieur le Premier ministre, de saisir la main tendue. En cette affaire si importante qui concerne l'intérêt des enfants, je ne saurais trop vous rappeler un extrait de la célèbre circulaire qu'avait adressé Jules Ferry aux enseignants, le 17 novembre 1883.
" Ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. Si étroit que vous semble peut-être un cercle d'action ainsi tracé, faites-vous un devoir d'honneur de n'en jamais sortir, restez en deçà de cette limite plutôt que de vous exposer à la franchir ; vous ne toucherez jamais avec trop de scrupules à cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience de l'enfant. "
Puisse cette sagesse là, Monsieur le Premier ministre, inspirer votre loi.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 5 février 2004)
J.-P. Elkabbach-. Bienvenue J.-M. Ayrault, merci d'être là. ?
- "Bonjour."
Q- Deux sujets : laïcité d'abord. Le Premier ministre promet une loi claire et courte, une chance laissée au dialogue et à la médiation, des garanties pour éviter l'intégrisme dans les lieux de santé, de justice et les prisons. Si J.-P. Raffarin tient ses promesses, commune une main tendue, est-ce que vous la saisissez ?
R- "Bien sûr. Non seulement nous la saisissons, mais nous souhaitons cette loi. Depuis plusieurs mois, comme beaucoup, je suis arrivé à la conclusion avec mes amis socialistes qu'il fallait une loi, parce que depuis 15 ans, la société française a profondément changé. Ce qui était possible par la jurisprudence du Conseil d'Etat ne marche plus. Il y a une pression communautariste certes minoritaire mais qui existe à la fois sur les jeunes filles, et à l'époque où la parité est dans la loi, c'était inacceptable, et puis aussi sur le contenu même des cours. Donc je crois qu'il faut rappeler ce qui est le principe fondamental de la République française, c'est-à-dire la laïcité à l'école publique."
Q- Mais qu'est-ce qui, à votre avis, comporte le plus de risque avec le fondamentaliste qui court ? Une loi ou pas de loi ? Plus de loi ou moins de loi ?
R- "Moi je crois qu'il faut rappeler, on n'a pas à s'excuser sans cesse de rappeler ce qu'est la République française. La société a changé, je l'ai dit. Il y a en France la présence d'une communauté religieuse musulmane, qui est très importante et qui doit trouver sa place, mais qui doit aussi s'inscrire dans la modernité, comme le christianisme l'a fait, comme le judaïsme l'a fait, et les lois de 1905, ça fera un an. L'année prochaine elles auront 100 ans. Ce ne sont pas des lois contre la religion et la liberté religieuse. Ce sont des lois qui défendent la liberté de conscience et qui en même temps ont amené la paix civile."
Q- Et elles ont fini par être acceptées. Ni la commission Stasi, ni le Président de la République, le 17 décembre ne s'étaient arrêtés, vous vous en souvenez M. Ayrault, à l'école. La laïcité est un principe républicain beaucoup plus ample. Les racismes actuels, selon vous, anti-juifs et anti-musulmans, est-ce qu'ils sont les fruits de la laïcité ?
R- "Non bien au contraire, c'est parce qu'il n'y a pas assez de laïcité. Et la laïcité, c'est une valeur de liberté et on ne comprend pas assez. D'ailleurs quand je vois certaines polémiques à l'étranger, je suis extrêmement surpris parce que la laïcité, c'est vraiment une garantie pour la liberté de conscience et la liberté religieuse. Mais la laïcité, c'est plus que ça et les Français y sont très attachés. Dans l'idée de laïcité, il y a aussi l'idée d'égalité, d'émancipation sociale - émancipation des hommes et des femmes, émancipation des individus. Et moi je suis socialiste et bien sûr je suis d'abord républicain, mais pour que la laïcité soit pleinement vécue, il faut aller plus loin que le rappel des principes. Il faut aussi la faire vivre concrètement en luttant contre toutes les formes de discrimination sociale. C'est-à-dire que la République française, c'est une République laïque, mais n'oublions pas aussi, elle doit être une République sociale."
Q-Lisez dans France Soir la tribune libre, étonnante d'ailleurs, d'Hani Ramadan, vous savez le frère, celui qui était pour la lapidation. Je vous cite deux phrases : " Dans les pays musulmans, des millions de femmes sortent voilées uniquement pour obéir à une injonction divine. La femme en Islam est la perle qui illumine le foyer et la société. L'être humain n'est réellement libre qu'à partir du moment où il se soumet entièrement à Dieu et à Dieu seul ". Ici en France, ça doit être la loi de la République ou la loi de Dieu ?
R- "A l'évidence, la loi de la République, et la loi de la République, c'est la loi de la liberté. Et pour les femmes d'abord parce que quand j'entends un discours comme ça, d'abord il correspond à des sociétés archaïques, des sociétés presque je dirais rurales, qui ne correspondent pas à la modernité. Donc aujourd'hui la modernité, le progrès, c'est l'égalité, l'égalité entre les hommes et les femmes, c'est la mixité. Par exemple, moi à Nantes, j'ai totalement refusé qu'il y ait des moments séparés pour les hommes et les femmes dans les piscines. C'est une évidence. Donc je crois qu'il faut rappeler tout ça, et je vous dirais, franchement, l'écrasante majorité des musulmans français souhaitent, comme les catholiques, les juifs français, être des citoyens à part entière, être considérés d'abord comme des citoyens et ils sont aussi, j'en suis sûr, partisans de la séparation des églises et de l'Etat."
Q- Et la grande majorité des députés socialistes que vous présidez, ils vont faire quoi ?
R- "Ils sont pour la loi dans leur écrasante majorité, c'est clair."
Q- Donc une loi de concorde nationale.
R- "J'ai employé cette expression, une loi de concorde nationale, une loi de concorde républicaine. Je souhaite avec mes amis pouvoir voter cette loi. C'est pour ça que nous déposons quelques amendements, très peu d'amendements, l'un sur le dialogue, pour que cette loi qui interdit les signes religieux à l'école soit appliquée par le dialogue, parce que le but, c'est intégré les enfants et non les exclure, mais aussi pour que la loi soit la plus claire possible et telle qu'elle est aujourd'hui, moi je trouve qu'il manque de la clarté. On est passé d'ostentatoire à ostensible. Disons-le clairement : les signes visibles sont interdits à l'école publique."
Q- Il y aura un débat, mais beaucoup re-citeront M. Long, P. Veil qui étaient dans la commission ou R.-G. Schwartzenberg. Au passage, vous êtes maire de Nantes, vous êtes le familier, et l'ami aussi de A. Dermouche, le nouveau préfet du Jura. Qui le vise, qui provoque la ville et l'Etat ?
R- "Je m'interroge. Cela peut être des règlements de compte individuel mais je n'imagine pas des choses pareilles, c'est peut-être des esprits dérangés, mais ils sont sans doute inspirés et inspirés par une forme de racisme, d'intolérance extrêmement grave. Moi je souhaite vraiment que la police et la justice trouvent très, très vite les coupables et qu'ils soient très sévèrement châtiés, parce que Aissa Dermouche, c'est d'abord le produit de la République. C'est d'abord un bel exemple de réussite républicaine. Ce n'est pas pour des raisons religieuses qu'il a été nommé."
Q- A . Juppé. Les Français seront fixés sur ses choix pris seul et en conscience pour son avenir. S'il décide non pas la retraite, mais un départ progressif par étape, qu'est-ce que vous direz ?
R- "Ca, c'est son choix. Moi je respecte son choix, et je pense que l'homme Juppé aujourd'hui souffre parce que la décision est dure, mais c'est une décision de la justice et ses juges se sont prononcés en toute indépendance, et je rappelle quand même qu'ils ont appliqué la loi votée par le Parlement, y compris M. Juppé, c'est même une loi de la majorité. Donc je pense que la loi, personne n'est au-dessus de la loi, qu'on soit simple citoyen ou qu'on soit parlementaire, c'est la même chose."
Q- Je vous cite deux phrases, J.-M. Ayrault, vous me dites comment vous réagissez. J. Chirac : " la France a besoin d'hommes de la compétence et de la qualité exceptionnelle d'A . Juppé ".
R- "Oui, mais moi je"
Q- Et A. Montebourg : " la prétendue honnêteté de Juppé n'est qu'une imposture. Le président de la République donne l'impression d'apporter son soutien à un délinquant ".
R- "Ecoutez, je vais vous dire, je ne veux pas moi-même en rajouter sur la décision des juges parce que la décision des juges sanctionne A . Juppé. Elle est d'une extrême sévérité, donc ils se sont prononcés, et je respecte cette décision. Par contre"
Q- C'est vous qui dites d'une extrême sévérité. C'est un peu lourd, vous le reconnaissez.
R- "Oui c'est vrai parce que j'ai lu les attendus des juges, et cette extrême sévérité ne vise pas qu'A . Juppé, elle vise aussi J. Chirac. C'est très clair. Elle vise le système que J. Chirac avait mis en place, dont M. Juppé a été je dirais l'artisan d'une certaine façon, lui qui doit toute sa carrière à J. Chirac. Alors, moi, ce qui m'a choqué dans la déclaration de J. Chirac, J.-P. Elkabbach, moi je vais vous le dire, c'est qu'il est le chef de l'Etat, le garant de l'indépendance de la justice et là, on a l'impression qu'il fait pression. Je trouve que c'est très grave et comme M. Raffarin lui-même a dit : " cette décision n'est que provisoire ", comme s'il y avait encore des choses qui allaient se préparer."
Q- Oui, il y a l'appel.
R- "Oui mais attendez, ce n'est pas à eux d'en juger."
Q- On en a parlé hier avec P. Devedjian.
R- "Le président, le Premier ministre sont des garants de l'indépendance de la justice. Ils n'ont pas comme ça à se mêler du processus judiciaire. Je trouve qu'il y avait quelque chose de très grave qui a été Aujourd'hui on pourrait imaginer, beaucoup de Français le disent, que ce n'est peut-être pas M. Juppé qui aurait du être à Nanterre, c'est peut-être J. Chirac."
Q- Vous le dites aussi vous.
R- "Oui, il est protégé par son statut. Vous savez M. Berlusconi en Italie a fait voter une loi pour se protéger un peu comme J. Chirac l'est aujourd'hui, sauf qu'en Italie, le Conseil constitutionnel a annulé la loi."
Q- En 2002, vous avez voté pour qui ?
R- "J'ai voté pour J. Chirac parce que je voulais surtout faire barrage à Le Pen, mais"
Q- Il ne fallait pas voter pour lui.
R- "Je n'ai pas voté pour la personne de J. Chirac, j'ai voté pour la République ce jour-là. Il y a eu 82 % de Français qui se sont prononcés pour ça. Aujourd'hui, moi je souhaite vraiment qu'on écrive une nouvelle page et une page de confiance et cette page de confiance, je crois qu'elle ne peut pas se faire avec la politique actuelle, parce qu'il y a une loi qui se prépare, J.-P. Elkabbach, qu'il ne faut pas oublier, qui est la loi Perben II, qui va être examinée bientôt par le Parlement et qui vise à mettre la justice au pas, à mettre les procureurs aux ordres et aujourd'hui je trouve qu'on"
Q- Ca promet des débats animés.
R- "Non mais franchement, je trouve qu'on vient aux vieilles pratiques. On a l'impression que les barbouzes sont de retour, les écoutes téléphoniques. Ca ne va pas. Je crois que si vraiment M. Chirac et M. Raffarin sont de bonne foi, qu'ils retirent ce projet de loi Perben II, je trouve que c'est trop grave."
Q- Quand vous dites : les barbouzes sont de retour, il y a deux choses. Il y a la commission des trois magistrats hyper indépendants qui vont juger et puis dernière chose, vous devriez lire aujourd'hui l'Est Républicain qui publie " le verbatim du témoignage " auprès du procureur de la République de Nanterre, de la présidente qui a condamné Juppé. C'est plus désopilant et creux, si vous le lisez bien, que convaincant.
R- "Oui, mais ce n'est pas ça le problème. Le problème c'est qu'il ne faudrait pas que cette affaire dans l'affaire occulte la réalité. La réalité, c'est qu'il y a eu un jugement d'un tribunal indépendant et je crois que c'est important que la justice puisse continuer à travailler en toute indépendance dans notre pays. C'est aussi l'intérêt de la démocratie."
Q- Merci d'être venu. Je rappelle le succès de la fête de musique qui s'appelle
R- "La Folle journée."
Q- La Folle journée, chez vous à Nantes, c'est une très bonne idée.
R- "Merci Jean-Pierre."
Q- C'est un succès. Vous recommencez en 2005, sans doute.
R- "Oui, j'espère que vous viendrez l'année prochaine."
Q- La culture, si elle est libre, est un instrument fort et rentable pour les villes et les régions.
R- "Oui et puis aussi pour le plaisir et l'émancipation des individus."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 février 2004)
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mes chers collègues,
" L'idéal laïque unit tous les hommes parce qu'il les élève au dessus de tout enfermement ". Cette pensée du philosophe Henri Pena-Ruiz est la vraie dimension de notre débat. Loin de défendre un dogme, loin de combattre les croyances, loin d'enfermer les enfants dans un moule, nous sommes là pour poursuivre une oeuvre d'émancipation commencée il y a près de cent ans.
Ayons-en de la fierté.
Née dans la douleur, la laïcité a patiemment conquis les coeurs. Elle a construit une école de tolérance où la neutralité de l'Etat garantit la liberté de croyance pour chaque citoyen et l'égalité entre chacune des religions. Elle a modelé un vivre ensemble et apaisé la communauté nationale. Voilà pourquoi il faut y tenir comme à la prunelle de nos yeux. Voilà pourquoi il faut la préserver de la confusion trop courante du spirituel et du temporel.
Oui depuis quelques années, cette confusion a resurgi.
L'Islam cherche sa place dans le monde. Il cherche sa place en France. Porteur d'une histoire et d'une civilisation longtemps rayonnantes, il est aujourd'hui confronté à une crise d'adaptation à la modernité, comme l'ont été, avant lui, le christianisme ou le judaïsme.
La question du voile dans nos écoles est l'une des expressions de cette quête identitaire. Il ne faut ni l'ignorer, ni en avoir peur. Il faut au contraire aider nos compatriotes musulmans à la surmonter. Et c'est tout le sens de notre débat.
Le dire n'est pas montrer les musulmans du doigt. Ce n'est pas les désigner comme fauteurs de trouble. Qui ne voit qu'ils sont les premières victimes des régimes théocratiques ou des groupes fondamentalistes . Qui ne voit qu'ils sont les premiers à souffrir de la suspicion et des discriminations. Qui ne voit que l'écrasante majorité d'entre eux veulent vivre en paix, ailleurs dans le monde et dans notre République.
Je veux le dire du haut de cette tribune à nos compatriotes musulmans. Vous êtes des citoyens à part entière ! Vous avez les mêmes droits, les mêmes devoirs, les mêmes engagements ! Nul ne peut vous séparer des autres Français ! Et cela vaut pour tous ceux qui croient comme pour ceux qui ne croient pas.
La loi que nous voulons faire n'est pas une loi contre l'Islam, elle n'est pas une loi contre les religions. Elle est une loi de liberté, d'égalité et de justice. Elle veut préserver l'école de pressions religieuses ou politico-religieuses. Elle considère toutes les religions de la même manière. Elle noue le dialogue avant toute sanction.
Comme l'ont écrit Marceau Long et Patrick Weil, tous deux membres de la commission Stasi, " dans notre tradition laïque, l'Etat est protecteur du libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression ou de sa non-expression. Il se doit d'intervenir quand elle est menacée. Les jeunes filles non voilées et celles qui n'ont pas fait leur choix librement n'ont pas moins que les autres le droit à leur liberté de conscience ".
Alors oui cet interdit est le gage d'une liberté. La liberté d'être un citoyen comme les autres, que l'on ne regarde pas en fonction de son appartenance ou de son sexe. La liberté d'être une femme sans tutelle, sans contrainte du regard des autres.
J'entends certains s'émouvoir de cette loi. Nous serions en train d'ouvrir la boîte de Pandore. Nous serions en train de réveiller les intégrismes. Etrange retournement. C'est le retour du religieux dans l'espace politique qui provoque les tensions et les affrontements. Et la laïcité n'aurait pas voix au chapitre ? Et les laïques seraient sommés de se taire ?
On nous dit aussi, " la France est isolée ". Mais oui mes chers collègues, la France est isolée. Elle l'est depuis cent ans. Nous sommes la seule nation d'Europe à avoir une constitution laïque. Et pourtant ce débat court l'Europe. Il provoque des réactions passionnées dans les chancelleries et les opinions, attestant de la force planétaire du symbole. La laïcité est une histoire universelle qui va de Gambetta à Taslima Nasreen, d'Atatürk à Shirin Ebadi. Elle est une lumière pour les femmes prisonnières de l'obscurantisme, elle est un espoir pour les minorités opprimées.
Dans quelle démocratie sommes-nous donc pour avoir peur de défendre l'une de nos valeurs les plus fortes de tolérance, de concorde, de pacification ? Que ceux qui hésitent au premier anathème regardent l'extraordinaire acquis de la séparation des églises et de l'Etat.
Toutes les croyances ou les non-croyances ont droit de cité. Aucune n'écrase l'autre. La France, que l'histoire a intronisée fille aînée de l'église, peut ainsi brasser depuis un siècle les plus grandes populations musulmanes, juives de toute l'Europe. Chaque année des milliers de couples se forment par delà les confessions, les origines. Aucune nation au monde n'a réussi une telle mixité culturelle.
Voulons-nous donc perdre cet exceptionnel héritage ? L'antisémitisme, la haine de l'islam ne sont pas les fruits vénéneux de trop de laïcité, mais de trop peu de laïcité. Quand un homme est désigné parce qu'il est juif, musulman ou chrétien, ce n'est pas à cause de la laïcité, c'est parce que nous ne respectons pas les principes de la laïcité qui interdisent de considérer le citoyen en fonction de son appartenance.
Nul dans le monde ne peut s'en inquiéter. Ce sont les mêmes principes qui nous ont placés à l'avant-garde du refus de la guerre des civilisations. C'est leur cohérence qui nous fait considérer chaque culture égale de l'autre.
Cessons donc de trembler à la première manifestation des intégristes. Ceux-ci existaient avant cette loi. En arrivant au grand jour, ils montrent seulement leur intolérance et leur faiblesse numérique. Non les musulmans français ne sont pas avec eux. Non les musulmans français ne veulent pas s'isoler dans le voile. Au contraire. Ce dont ils souffrent, en tant que citoyens, c'est que la République soit infidèle à ses principes, qu'elle tolère trop souvent et depuis trop longtemps la discrimination sociale qui les frappe plus que tous autres. Ce sont les inégalités qui excluent, pas la laïcité. Et de ce point de vue, Monsieur le Premier ministre, je crains que votre politique économique et sociale ne creuse le fossé. Car pour nous socialistes, la République sociale est le prolongement de la République laïque.
Alors de grâce arrêtons de reculer sur nos principes en les confondant avec leurs faiblesses d'application. Retrouvons le courage des républicains du siècle dernier qui ont osé affronter le cléricalisme pour mieux protéger la liberté de conscience et de croyance. Le désarroi que vit notre Nation s'enracine trop souvent dans le sentiment que ses représentants n'assument pas les valeurs qui fondent son vivre ensemble.
Mesdames et messieurs, on ne légifère pas en s'excusant !
Nous savons tous que la dérive communautariste s'étend à d'autres sphères de la vie publique. On exige la récusation d'un magistrat parce qu'il est juif. On refuse des soins parce qu'ils sont administrés par un homme. On ne veut pas recevoir une patiente parce qu'elle porte un voile musulman. On conteste un enseignement parce qu'il ne correspond pas au livre sacré. Et de concession en concession, la communauté nationale se fragmente en communautés rivales avec pour seule devise : " chacun chez soi et Dieu pour tous ! ".
Qui veut de cette France là, éparpillée, suspicieuse,
sans mémoire commune, sans projet collectifUne loi ne fait pas un destin, elle n'est qu'un symbole, nous disent ses détracteurs. Eh bien oui mes chers collègues. Je la revendique comme tel. La Raison doit parfois s'appuyer sur un symbole pour répondre à la puissance des signes que manient les fondamentalismes. Il traduit la volonté de préserver, d'adapter le pacte républicain et d'ouvrir la porte à un nouveau processus d'intégration qui prend en compte l'enracinement de l'Islam dans notre pays.
Mais quand on use des symboles en matière législative, la difficulté est de bien choisir ses mots pour qu'ils soient compréhensibles et applicables par tous. Et c'est tout l'objet de nos divergences avec votre projet, Monsieur le Premier ministre.
Je dois dire que l'idée présidentielle de confier la rédaction du texte à un ministre qui s'y opposait n'a pas grandi sa crédibilité, ce qui n'est pas bien grave, ni celle du projet de loi, ce qui l'est beaucoup plus. La seule circonstance atténuante de M.Ferry est de l'avoir écrit sous la dictée de l'Elysée avec pour consigne expresse de concilier ceux qui croient à la loi et ceux qui n'y croient pas.
Tâche impossible qui a conduit à toutes les confusions, sémantique, juridique et politique. Je crains que votre loi, Monsieur le Premier Ministre, ne change rien à la jurisprudence qui depuis quinze ans jette la communauté éducative dans l'incertitude. Ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est Nicolas Sarkozy quand il est allé expliquer votre projet au Conseil français du culte musulman en décembre dernier.
Changer le terme ostentatoire par ostensible risque de conduire aux mêmes difficultés d'interprétation et provoquer les mêmes contentieux. Je souhaite bien du plaisir au rédacteur des décrets d'application qui va devoir décider des signes qui sont ostensibles de ceux qui ne le sont pas ? Un bandana est-il de même nature que le voile ? A partir de quelle taille tolèrera-t-on les croix ? Les sikhs peuvent-ils transiger " sur un filet transparent " ? Comparativement la querelle théologique sur le sexe des anges apparaîtra bien terne ! M.Ferry a illustré cette impossible interprétation en se livrant à de stupéfiantes exégèses sur le port de la barbe ou de la main de Fatma qui n'ont fait qu'ajouter le risible à la confusion.
Consciemment ou inconsciemment, vous avez conforté le sentiment que l'interdiction vise avant tout les musulmans. Grave contresens. Là où il fallait éviter toute distinction entre les religions, vous faites une hiérarchie entre les bons et les mauvais signes. Là où il fallait l'égalité et la justice, vous accentuez l'exclusion. Là où il fallait la clarté, vous semez le trouble.
Comment comprendre le désaveu de notre travail de législateur quand vous ignorez les propositions de la mission parlementaire conduite par le président de notre Assemblée qui ont été votées à la quasi-unanimité de ses membres après six mois de travaux ?
Comment interpréter la danse de Saint Guy qui a saisi votre gouvernement et sa majorité ? Monsieur de Villepin s'inquiète des retombées de votre projet sur notre diplomatie. Mme Alliot-Marie et M. Darcos réclament une loi claire. M.Juppé défend votre texte après avoir soutenu celui de M.Debré. M.Madelin votera " non ". M.Balladur " hésite ", ostensiblement. C'est le grand concert de la discordance.
Oui c'est là un mauvais exemple. Quand on légifère sur la République, on dépasse ses intérêts " de boutique ", on transcende les clivages partisans, on recherche l'assentiment le plus large. Méditez donc, mesdames et messieurs de l'UMP, la leçon des législateurs de 1905 qui ont travaillé à unir les Républicains des deux rives .
Tel est le vu des socialistes. Je l'ai dit et je le répète, nous souhaitons de tout cur voter une loi de concorde nationale. Nous voulons témoigner que la Nation est encore capable de transcender ses frontières politiques et de s'unir autour de valeurs partagées. Les amendements que nous proposons à votre projet s'inscrivent dans cet esprit. Repris des propositions de la mission Debré, ils n'ont d'autre souci que d'établir une règle claire, égalitaire et applicable.
Mesdames et Messieurs de la majorité
Je veux encore croire qu'il n'est pas trop tard et que vous saurez vous hisser à la hauteur de l'Histoire. Affranchissez-vous des illères et des carcans. Si nous échouons à porter une vision commune, si la loi que nous votons n'offre pas les conditions d'un apaisement, alors craignons de libérer les passions. Une loi qui ne change rien est une loi qui ne sert à rien. Ce serait une faute.
Car pour nous socialistes, cette loi n'est qu'un commencement. Elle est la porte d'entrée pour réussir une tâche inaccomplie : l'émancipation sociale de nos concitoyens issus de l'immigration et la place de l'Islam dans la République. En avez-vous conscience ?
Ayons la lucidité de reconnaître que nous avons, en ces deux domaines, subi un échec collectif. Plus que tous autres, les enfants de l'immigration vivent une triple discrimination. Discrimination sociale avec un chômage qui les touche trois fois plus que leurs compatriotes et des revenus inférieurs. Discrimination urbaine qui les cantonne majoritairement dans des quartiers ghettos. Discrimination culturelle qui les désigne trop souvent comme des citoyens à part du fait de leur nom ou de leur religion. A l'évidence, nos systèmes publics d'intégration ne répondent plus. Ils ne leur fournissent plus les mêmes chances d'ascension sociale. Comment s'étonner que certains cèdent au repli identitaire et aux sirènes religieuses ? Comment croire qu'une loi interdisant les signes religieux à l'école, fût-elle nécessaire, suffira à leur faire retrouver les valeurs de la République ? C'est toute notre approche qu'il faut repenser.
Voilà pourquoi je juge parfaitement légitime le débat sur la nécessité de mesures positives pour combattre les discriminations. Oui les enfants de l'immigration ont besoin d'une aide spécifique. Oui ils rencontrent plus de handicaps que les autres. La société française est prête à le comprendre. Encore faut-il s'entendre sur les critères. Entendre le ministre de l'Intérieur soumettre l'aide de l'Etat aux " quartiers sensibles " à leur volonté de réduire la délinquance est franchement intolérable. C'est faire porter à leurs habitants une responsabilité collective des actes délictueux. C'est leur demander de se substituer au travail de la police et de la justice. C'est les maintenir dans un état de dépendance paternaliste.
De même ne suis-je pas favorable aux quotas ethniques qui enferment le citoyen dans son appartenance communautaire. Pour quelques-uns que l'on promeut, que deviennent tous les autres ? On les oublie ? On fait comme s'ils n'existaient pas ?
L'intégration trouvera vraiment son sens quand l'Etat l'imposera comme sa priorité et l'appliquera dans chacune de ses politiques publiques : plan de destruction des ghettos à cinq ans, mixité urbaine, nouvelles filières de soutien éducatif, incitations puissantes aux entreprises et à l'administration pour embaucher les jeunes des quartiers, service civique pour apprendre la solidarité. Les solutions ne manquent pas.
Je veux dire aussi l'ardente obligation de préserver partout la mixité dans nos espaces publics. Les femmes sont les plus exposées aux discriminations. Elles ont droit à une pleine égalité qu'aucune séparation, aucune tutelle ne peuvent altérer. Et ce message s'adresse particulièrement à toutes les religions qui relèguent trop souvent la femme.
Toutes ces ambitions ne pourront pleinement s'épanouir sans regarder en face la question de l'exercice de l'Islam dans la République.
Rien ne serait pire que de poursuivre cette politique de l'autruche qui depuis cinquante ans consiste à ignorer la grande misère dans laquelle les musulmans pratiquent leur culte. J'entends de justes philippiques sur l'Islam des caves, vivier de l'intégrisme. J'entends beaucoup de dénonciations sur les prêches d'imams venus de l'étranger et peu respectueux de nos principes laïques. Mais combien de municipalités délivrent des permis de construire pour les mosquées ? Lesquelles acceptent des carrés musulmans dans leurs cimetières ? Qui se penche sur la formation d'imams français ? Comme le dit l'écrivain Tahar Ben Jelloun, " la France peut être la chance de prouver que l'Islam est compatible avec la démocratie et la laïcité ".
A force d'immobilisme, on offre des arguments à tous les bons apôtres qui veulent réformer les lois de 1905. La tentation effleure déjà le ministre de l'Intérieur . Ce serait le plus mauvais service à rendre à l'Islam et à la République.
Les lois de 1905 ont apporté la paix religieuse. Elles ont forgé des règles claires et souples comme en attestent l'existence d'aumôneries dans les lycées ou la création du conseil français du culte musulman. Nous pouvons encore les améliorer en encourageant, par exemple, le double enseignement de la laïcité et de l'histoire des religions à l'école ou en fondant une charte de la laïcité. Mais vouloir les réformer, c'est rompre l'équilibre de notre pacte républicain ; c'est ouvrir la voie aux dérives du modèle communautariste.
Mesdames et messieurs,
Tels sont les enjeux de notre débat. Ils touchent aux fondements de notre identité républicaine. C'est à cette hauteur-là, que le groupe socialiste se déterminera. Sans considération tactique, sans arrière pensée électorale. Seule comptera pour nous la qualité de la loi, sa capacité à mettre fin à un conflit dans une société qui a profondément changé depuis quinze ans et à établir les fondations d'une nouvelle intégration. Il ne tient qu'à vous et à votre gouvernement, Monsieur le Premier ministre, de saisir la main tendue. En cette affaire si importante qui concerne l'intérêt des enfants, je ne saurais trop vous rappeler un extrait de la célèbre circulaire qu'avait adressé Jules Ferry aux enseignants, le 17 novembre 1883.
" Ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. Si étroit que vous semble peut-être un cercle d'action ainsi tracé, faites-vous un devoir d'honneur de n'en jamais sortir, restez en deçà de cette limite plutôt que de vous exposer à la franchir ; vous ne toucherez jamais avec trop de scrupules à cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience de l'enfant. "
Puisse cette sagesse là, Monsieur le Premier ministre, inspirer votre loi.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 5 février 2004)