Interview de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État, à Europe 1 le 19 janvier 2005, sur le mécontentement des fonctionnaires, les contraintes budgétaires et la réforme de l'Etat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Vous êtes au coeur de la contestation sociale R. Dutreil. La grève des trains et du RER est suivie. La prévention fonctionne : la SNCF a bien informé les passagers, bien organisé le trafic. Est-ce cela le service minimum à la française ?
R - On est dans une phase de transition, entre une époque où rien n'était fait pour protéger les consommateurs, les usagers, et cette promesse du président de la République, du service minimum. Il faut d'abord rappeler que le service minimum, cela existe pratiquement partout : les infirmières dans les hôpitaux sont là, les commissariats sont ouverts, l'Etat fonctionne en service continu. Il y a un secteur qui est depuis longtemps un secteur difficile, c'est celui des transports publics. Eh bien, à la RATP, cela marche parce qu'il y a eu une bonne négociation.
C'est ça le modèle. G. de Robien fait un travail efficace, peut-être difficile, mais efficace pour que, à la SNCF, ce soit la même chose, et cela a déjà progressé. Vous voyez, aujourd'hui, il y a déjà 1 206 trains qui sont annoncés, et c'est mieux qu'avant.
Q - Cela vous suffit-il quand vous dites que c'est une transition ou est-on en chemin vers quelque chose qui sera un peu plus, et accepter un service minimum à la française ?
R - Je serais vraiment satisfait lorsque l'usager du train pourra se rendre au boulot avec, avant, une certitude de trouver un train. Donc, on n'est pas arrivé au but, c'est clair, mais on est en bonne voie de le faire.
Q - C'est-à-dire améliorer l'information ou faire en sorte que la grève, qui est un droit, ne se produise que dans des cas exceptionnels ?
R - D'abord, plus généralement, il faut que l'on passe de cette culture du conflit, de cette culture de la grève, qui est quand même une originalité française - et pas la meilleure -, à une culture de la négociation, du donnant-donnant, de la prévention. Ce Gouvernement, qui pratique le dialogue social de façon transparente, est en train, petit à petit, d'apporter cela au secteur des transports publics, ce qui est une grande première.
Q - Les cheminots prennent le relais avec les électriciens, les gaziers, les chirurgiens, les urgentistes, les psychiatres ; il y en a beaucoup dans le secteur public. Mais comprenez-vous quand même qu'ils cessent le travail en guise de protestation parce qu'ils revendiquent en faveur du pouvoir d'achat, de l'emploi, des conditions de travail, des missions de service public ?
R - Il y a des inquiétudes, il faut les comprendre, et on peut rassurer aujourd'hui les fonctionnaires. Prenons l'exemple du pouvoir d'achat, c'est un problème très important : le fonctionnaire de l'Etat en 2005, va voir sa feuille de paye augmenter de 3,1 % en moyenne ; c'est plus que l'inflation. Et comme il y a des gens qui sont sous la moyenne, je le vois bien, on va leur donner un coup de pouce : [pour] les bas salaires un coup de pouce au 1er juillet ; ceux qui sont bloqués en fin de carrière, un coup de pouce avec une prime exceptionnelle. Nous voulons que la croissance profite à tous. Et nous le faisons de façon juste et raisonnable. "Raisonnable", cela veut dire qu'on n'augmente pas non plus les impôts, parce que nous sommes dans un pays où il y a trop d'impôts. Quand je vois que dans ma région, en Picardie, ils vont augmenter les impôts de 30 %, je dis : "Attention ! casse-cou, ce n'est
pas l'intérêt des...
Q - Ça, c'est autre chose. Ils pourraient dire que c'est la réforme que vous avez inventée, la décentralisation !
R - Ils le disent mais ce n'est pas la vérité.
Q - S'agit-il, à votre avis, de grèves contre vos réformes ou contre le changement ?
R - Le changement est absolument nécessaire ; tous les pays au monde font ce que nous faisons, c'est-à-dire, la réforme de l'Etat, cette mission qui m'a été confiée. Tous les pays au monde le font ! Pourquoi la France serait-elle le seul pays au monde à ne pas faire ce qui est nécessaire pour que l'on ait un pays efficace, compétitif ? Il faut réconcilier ces deux France, la France du privé, qui est formidable... Vous avez vu Airbus, hier, c'est la France dont on est fier, qui prend son envol, qui gagne, qui est leader dans le monde ! On est fier de cette France-là ! Eh bien moi, je suis fier aussi du service public. Les fonctionnaires font un boulot formidable, partout, dans les hôpitaux, dans la sécurité, dans la défense. Et donc, on leur dit...
Q - Oui, mais c'est pour cela que vous faites des réformes ; vous leur mettez l'épée dans le dos, pensent-ils !
R - ...Et on leur dit : on va mettre en place, non pas une révolution en un soir, mais une évolution en douceur, avec vous, et on va vous donner un dessein.
Q - Ce matin, dites-vous qu'il est possible d'arrêter les réformes, de les suspendre, de les retarder ? Je ne dis pas de revenir en arrière, mais de les ralentir ?
R - Je crois qu'un gouvernement qui renonce à ce qui est nécessaire au pays, qui renonce à l'intérêt général, est un gouvernement qui trahit. Je n'ai pas du tout envie de quitter ma mission. Cette mission, c'est de moderniser notre pays. C'est parfois difficile, je le vis tous les jours, c'est difficile, mais il faut y aller, il ne faut pas avoir peur !
Q - Oui, oui... Mais vous avez noté que le Medef tire au canon sur le Gouvernement qui ne réduit pas assez la dépense publique, qui trouve que les fonctionnaires coûtent trop cher, qu'il y en a trop, qui vous reproche de ne pas aller assez loin. Vous l'avez entendu cela ?
R - Vous voyez qu'il y a des gens qui trouvent que l'on va trop loin, et puis il y a des gens qui trouvent que l'on ne va pas assez loin. Nous, nous sommes dans une réforme qui est équilibrée et qui produit ses effets. Ce Gouvernement réforme l'Etat ; le président de la République voulait réformer l'Etat pour que le coeur régalien - la police, la justice, la défense - soit modernisé. Eh bien, cela commence à porter ses fruits. La délinquance baisse ; l'assurance maladie, P. Douste-Blazy l'a réformée, commence à porter ses fruits aussi. Nous avançons.
Q - Vous voyez que toute la semaine, on vous répond avec un mouvement de protestation sociale. Maintenez-vous que, conformément à une décision de J.-P. Raffarin en 2003, les journées de grève ne seront pas payées ?
R - C'est la loi, il faut l'appliquer bien entendu. Le Premier ministre a rappelé par une circulaire en 2003 que la loi devait être appliquée.
Pourquoi l'a-t-il rappelé ? Parce qu'avant elle n'était pas vraiment appliquée.
Q - Mais les syndicats vous disent ou vous rappellent que ce n'est pas nouveau. Vous voulez dire que ce n'était pas appliqué ?
R - Je veux dire qu'effectivement, avant, on prenait des facilités avec cette loi. Cette loi de 1961 n'était pas appliquée partout. Aujourd'hui, on l'applique partout. C'est-à-dire que, quand on fait grève, il y a une retenue. J'ai même un fonctionnaire qui m'a dit : "la retenue, c'est l'honneur de la grève". Donc, vous voyez qu'il y a des fonctionnaires qui comprennent cette application de la loi.
Q - Hasard du calendrier ? Vous avez prévu de recevoir, ensemble, après-demain, les sept fédérations de fonctionnaires au sein de l'Observatoire de l'emploi public. Allez-vous faire un geste, là ? Qu'attendez-vous ?
R - D'abord, c'est très important que le ministre de la Fonction publique sache combien il y a de fonctionnaires.
Q - Jusqu'à présent, on ne le savait pas ? Combien y a-t-il de fonctionnaires en France aujourd'hui ?
R - La Cour des comptes nous dit "mais vous ne savez combien il y a de fonctionnaires !". Nous avons environ 5 millions de fonctionnaires qui se répartissent : 50 % pour l'Etat, 30 % pour les collectivités territoriales, 20 % pour les hôpitaux. Et depuis 1980, le nombre d'emplois a augmenté d'un million ; depuis 1981, un million de fonctionnaires en plus. Où ? Dans les collectivités territoriales du fait de la décentralisation, dans les hôpitaux parce qu'on veut bien soigner les Français...
Q - Là, c'est normal...
R - ... Et c'est normal, et c'est bien. Et puis, il y a quand même une anomalie, c'est qu'on aurait pu probablement, dans le coeur de l'Etat, dans les bureaux, dans les fonctions internes, on aurait pu réduire les effectifs. Donc...
Q - Donc, le fautif c'est vous, l'Etat ?
R - Je préfère créer plus de postes de chercheurs, plus de postes d'infirmières, plus de postes de policiers dans les quartiers...
Q - Payez-les mieux !
R - ...Que des gens dans le coeur bureaucratique de l'Etat. Et quand on diminue de 1 000 emplois par an les effectifs des impôts, cela nous permet, comme on va le faire, comme ce Gouvernement va le faire, de créer plus de postes de chercheurs. C'est cela la réforme.
Q - Vous dites : 5 millions d'emplois, de fonctionnaires. Combien en faudrait-il ?
R - Il n'y a pas de chiffre magique. Il en faut en fonction des besoins des Français. Voilà. Eh bien il y a des endroits où on a besoin de plus de fonctionnaires, c'est là qu'il faut créer des postes, et puis il y a des secteurs qui...
Q - Faut-il réduire ou pas ?
R - Mais il y a des secteurs où on peut réduire les effectifs, grâce à l'administration électronique par exemple. Il n'y aucune raison que l'Etat soit à l'écart de la modernisation. Les gains de productivité c'est possible. Il ne faut pas avoir peur d'utiliser ces mots, ce sont des mots de la réalité d'aujourd'hui, partout.
Q - Les salaires : l'année prochaine, en 2006, allez-vous encore baisser le nombre de fonctionnaires ou réduire les emplois ? Cette année, en 2005, 7 200 supprimés dans la fonction publique ; pour 2006 ?
R - 2003, c'est la première année, depuis 1992, où effectivement on arrive à contrôler les effectifs. C'est-à-dire adapter les effectifs en fonction des besoins. Les Français ont besoin d'Etat.
Q - 2006 ?
R - ...Ils en ont besoin, mais les effectifs doivent être vraiment adaptés aux besoins. Et en 2006, on va continuer ce travail, qui est nouveau, c'est vrai, qui surprend, qui est de chercher l'efficacité, de chercher les gains de productivité, de réorganiser pour mettre les hommes et les femmes compétents que nous avons, là où on en a vraiment besoin.
Q - Donc, un peu moins. Les salaires, c'est un grand sujet de discorde, vous avez fini par consentir qu'ils augmentent en 2005 de 1 %, en deux temps...
R - Pas 1 %. Il faut faire attention aux chiffres. La feuille de paye moyenne des fonctionnaires va augmenter de 3,1 %, ce n'est pas 1 % ! Parce qu'un fonctionnaire est payé avec des mesures générales, cela s'appelle "le point", et puis aussi avec un avancement automatique, tous les trois ans...
Q - ...Ce 1 % représente combien d'argent en euros ?
R - On va mettre 1 milliard de plus sur la table en 2005 pour les fonctionnaires de l'Etat.
Q - Les syndicats vous réclamaient 5 % de plus, c'est-à-dire, en termes global ?
R - 10 milliards, ils demandaient 10 milliards pour l'ensemble des fonctionnaires. 10 milliards, cela fait 175 euros par Français.
Q - Et cela, vous dites que c'est...
R - ...Cela voudrait dire qu'il faudrait augmenter les impôts, et aujourd'hui, nous ne voulons pas augmenter les impôts. Il faut donc trouver des solutions justes, équitables. C'est ce que ce Gouvernement fait.
Q - Justement : pouvez-vous faire un geste supplémentaire sur les salaires ?
R - Nous avons fait un geste supplémentaire !
Q - Pouvez-vous faire un geste supplémentaire ? Parce que le 1 % ou les 3,1 % dont vous parlez sont mal acceptés.
R - La loi de Finances, ce n'est pas magique, il n'y a pas d'argent caché sous le tapis !
Q - Donc, la réponse est que ce n'est pas possible ?
R - La loi de Finances a été votée, elle va s'appliquer, et ensuite on préparera la loi de Finances 2006. Et ce que je souhaite, pour que les fonctionnaires soient compris, mobilisés, c'est que l'on puisse avoir un chemin sur le long terme. Parce que l'Etat, lui, regarde toujours juste l'année qui vient, et les fonctionnaires, eux, ont besoin d'avoir dix ans de visibilité devant eux.
Q - Une question politique, parce que je n'oublie pas, en vous regardant ici, que vous étiez venu présenter le projet de l'UMP, à l'origine, avec H. Gaymard et D. Bussereau. Un mot : l'UMP, les militants, etc., ont élu un président, N. Sarkozy. Pourquoi ces flèches de tous les côtés, pourquoi cette pression ? Voulez-vous qu'il s'en aille avant la fin de sa mission, voulez-vous qu'il réussisse ? Ou qu'il se mette "une balle dans la tête" et qu'il sorte de ses fonctions que vous n'avez pas acceptées.
R - Je me suis battu pour créer une UMP ; pourquoi ? Pour mettre un terme définitif aux divisions, aux querelles de personnes, aux querelles de chapelles. Donc, cette famille doit être rassemblée et réunie. Et c'est la volonté du président de la République. C'est lui le garant de l'unité de la famille. Et donc, on est tous dans la même famille, on doit travailler ensemble. Halte aux querelles !
Q - Mais là, vous me dites : "touche pas à Chirac !", vous ne dites pas : "touche pas à Sarkozy !" ?
R - Mais bien sûr "touche pas à Sarkozy !", c'est le président légitime du parti. Il n'y a aucune raison d'opposer l'un à l'autre. Au contraire, on a besoin de tous les talents, et en particulier des talents qui s'expriment à l'UMP aujourd'hui.
Q - D'accord. D'autant plus que la gauche vous regarde...
R - Et la gauche donne des leçons, et oublie les factures d'hier.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 21 janvier 2005)