Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, sur l'apport de l'Union européenne aux régions ultra-périphériques et notamment à La Réunion et sur les atouts que donne la Constitution à la construction européenne, La Réunion le 18 février 2005.

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Circonstance : Déplacement à La Réunion du 18 au 22 février 2005

Texte intégral

Madame la présidente du Conseil général,
Messieurs les députés européens,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
A quelques mois du référendum voulu par le Président de la République pour la ratification du projet de Constitution pour l'Europe, j'ai souhaité ici, et d'abord à La Réunion, m'adresser directement à vous pour mettre en avant ce que cette Europe trop souvent décriée apporte à l'outre-mer en général, et à La Réunion en particulier.
Tous nos compatriotes d'outre-mer doivent en effet s'en convaincre : l'Europe, quelles que soient les distances, fait désormais partie de votre vie quotidienne. Qu'il s'agisse d'étudier, de se former, d'être soigné, de se déplacer, l'Europe est là, présente, palpable, sous une forme ou sous une autre, pour vous accompagner dans la plupart des actes de votre vie courante. Il s'agit simplement d'en prendre mieux conscience, pour mieux apprécier cet apport décisif.
Et c'est d'ailleurs précisément parce que vous êtes une vraie part de cette Europe qui se consolide, et même aux avant-postes des frontières externes de cette Union européenne élargie, que chacun d'entre vous sera prochainement appelé à se déterminer, par son bulletin de vote, sur un Traité constitutionnel qui donne à l'Union une nouvelle règle de vie commune.
La Réunion a toujours donné l'exemple, dans toutes les consultations électorales européennes.
C'est en effet la collectivité territoriale d'outre-mer qui manifeste régulièrement le plus d'intérêt pour l'évolution du projet européen et pour l'amélioration de ses acquis : en témoigne le taux de participation à ces consultations, de loin le plus élevé de toutes les autres collectivités d'outre-mer. Juste retour des choses, me direz-vous, c'est aussi aujourd'hui La Réunion qui représente à elle seule tout l'outre-mer français au Parlement européen, avec vos trois députés européens, dont je me réjouis de la présence aujourd'hui de deux d'entre eux à mes côtés, Paul Vergès et Jean-Claude Fruteau, et dont la troisième, Margie Sudre, est retenue en ce moment même à Paris pour y défendre ce même projet de traité constitutionnel.
C'est que vous avez compris que pour votre île, comme pour la France dans son ensemble, l'Europe constitue une chance à saisir. Pour être encore plus claire, l'Europe est un formidable atout pour vous : pour vous en tant que Réunionnais ; mais aussi pour vous en tant que citoyen européen. Et j'aimerais vous en faire la démonstration.
D'abord en m'adressant aux Réunionnais que vous êtes avant tout.
Je ne cesse de réaffirmer auprès de nos concitoyens, au gouvernement, et à Bruxelles, que l'outre-mer est une formidable richesse pour l'Europe. Il lui offre en effet une dimension géopolitique enviée à l'heure de la mondialisation, mais aussi des ressources, et une diversité culturelle uniques.
Mais force est de reconnaître que l'Europe est aussi un formidable atout et une chance pour l'outre-mer, où son statut est garanti, en particulier pour ce que l'on nomme les " régions ultra-périphériques ", au nombre desquelles figure La Réunion.
Partie intégrante de l'Union, La Réunion y gagne sur tous les fronts :
elle y trouve d'abord une véritable reconnaissance institutionnelle que lui confère son statut de région ultra-périphérique, qui est notablement renforcé par ce projet de traité constitutionnel ;
elle en obtient ensuite des financements importants pour contribuer à son développement économique et social ;
elle bénéficie enfin de garanties quant à la préservation de son identité culturelle, ainsi que des marges de manuvre pour son action régionale.
Je souhaite brièvement revenir sur chacun de ces trois apports essentiels pour la Réunion.
1 - D'abord, la position institutionnelle des RUP est préservée, et plus encore consolidée dans le texte de la future Constitution, à l'article III-424. Ce socle constitutionnel préserve tous les avantages reconnus dans le précédent traité à l'article 299.2., et constituera le nouvel instrument juridique de référence en vue d'adapter les politiques communautaires au bénéfice de ces régions. Cet article inscrit clairement dans le texte fondamental la nécessaire prise en compte des spécificités de l'outre-mer, et ce dans toutes les politiques de l'Union européenne : il dispose en effet que les actes européens devront être adoptés - je cite - " en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultra-périphériques ", notamment " leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles ".
J'avais d'ailleurs appelé en son temps l'attention de la Commission sur la nécessité que le champ de cet article recouvre bien l'ensemble des politiques communautaires, que les départements d'outre-mer soient explicitement énumérés et que la liste des actes communautaires comprenne les lois, lois-cadre, règlements et décisions européens, pour tenir compte de la nouvelle hiérarchie des normes communautaires. C'est désormais chose faite dans ce nouvel article, qui va donc bien au-delà de ce qui existait jusqu'à présent. Il faut le reconnaître, et s'en réjouir.
Il nous reste à faire vivre ces nouvelles dispositions, en particulier en liaison étroite avec nos partenaires Espagnols et Portugais et leurs régions ultrapériphériques.
La Commission elle-même en a déjà tiré certaines conséquences. Dans sa communication intitulée " pour un partenariat renforcé pour les régions ultra-périhériques " du 26 mai 2004, elle propose en effet de définir une stratégie spécifique de développement pour les RUP, en confirmant la nécessité de définir des modalités d'adaptation de la politique de cohésion économique et sociale.
A cet effet, la Commission propose d'instaurer au profit des RUP un programme spécifique de compensation des handicaps. J'insiste sur la nouveauté du raisonnement : il ne s'agit plus de se référer à un niveau de PIB inférieur à la moyenne communautaire, mais bien de prendre en compte les handicaps structurels, et donc permanents, des Régions ultra-périphériques. Il faut donc y voir une réponse positive aux craintes exprimées par ceux redoutant la remise en cause de l'effort financier consenti par l'Union européenne du fait de l'élargissement. La Commission propose que ce Fonds soit doté d'une enveloppe de 1,1 milliard pour la période 2007-2013 ; nous négocions pied à pied avec la Commission, en liaison avec l'Espagne et le Portugal, pour que la répartition de ce financement ne se fasse pas sur la base de la seule population, mais aussi sur celle de l'éloignement, cause majeure du déficit d'accessibilité et de compétitivité auquel ce programme veut répondre.
Ensuite, la Commission envisage également un plan d'action pour le grand voisinage, dont l'objectif est d'élargir l'espace naturel d'influence des RUP, en réduisant les obstacles qui limitent les possibilités d'échanges régionaux. Cet instrument répond donc bien à vos attentes, visant à mieux coopérer avec les Etats tiers qui sont vos voisins. Nous veillons ici à corriger une anomalie de la Commission, qui exclut la seule Réunion des crédits du volet de coopération transfrontalière. Monsieur le Président Vergès, je compte d'ailleurs sur vous et vos homologues des autres RUP pour relayer notre action auprès de la Commission.
2 - Mais au-delà de cette reconnaissance institutionnelle, l'Europe offre surtout à l'outre-mer une contribution financière décisive au développement économique et à l'amélioration des conditions de vie des populations. Elle y apporte des financements complémentaires au travers des fonds structurels.
Je souhaite rappeler à cet égard qu'avec une dotation de près d'1,6 milliard d'euros de fonds structurels sur la période 2000-2006, l'enveloppe allouée à La Réunion constitue le document de programmation le plus considérable de France, tant sur le plan financier que sur le plan de l'envergure des infrastructures de développement ainsi soutenues.
Sa mise en uvre se déroule dans le cadre d'un partenariat original et particulièrement efficace, je tiens à nouveau à le souligner, entre l'Etat, le Conseil régional et le Conseil général, autour des principes de partenariat, de délégation, de mutualisation et de transparence.
La réalité européenne sur l'île : elle est donc un peu partout, sous vos yeux. Regardez autour de vous les grands projets structurants que vous avez décidés pour votre île, et qui se réalisent peu à peu. Partout, l'Europe y contribue, dans des proportions souvent décisives. Quelques exemples concrets pour illustrer la diversité de ces interventions :
le lycée de Saint-André III, au profit de mille élèves de l'est de l'île, a bénéficié de 8,4 millions d'euros du fonds européen de développement régional sur un total de 14 millions d'euros ;
le projet d'irrigation du littoral ouest de La Réunion par le transfert des eaux d'Est en Ouest, lancé par le département en 1983, permettra d'irriguer plus de 7 000 hectares pour l'agriculture ;
la route des Tamarins, qui sur 34 km à 2 fois 2 voies gratuites, représente une belle opportunité de développement pour Les Hauts, tout en facilitant les déplacements entre Saint-Denis et Saint-Pierre : le FEDER y contribue à hauteur de 75 millions d'euros ;
le projet de cyclotron, qui permettra à votre île de bénéficier d'un équipement de pointe en matière d'imagerie médicale et de renforcer la vocation régionale du pôle santé : l'Europe devrait apporter 60 % des 14 millions d'euros nécessaires ;
l'extension du Port Est qui, avec 90 % d'escales, accueille l'essentiel du trafic commercial de Port Réunion : ce projet est financé par le FEDER à hauteur de 40 % ;
les ateliers permanents de lutte contre l'illettrisme, mis en place dans la zone nord de l'île, au bénéfice des demandeurs d'emploi, des titulaires du RMI, des jeunes en difficulté ou de toute personne non salariée.
dans le même ordre d'idées, l'accompagnement scolaire, qui propose, à côté de l'école, l'appui et les ressources complémentaires pour les écoliers, collégiens et lycéens qui en sont démunis dans leur environnement familial et social : l'intervention du FSE s'élève là aussi à 5,2 millions d'euros ;
enfin, on ne saurait oublier le dispositif mis en place par le 4ème RSMA pour aider les jeunes Réunionnais en situation difficile, sur cofinancement du FSE à hauteur de plus de 30 millions d'euros. Depuis le début de la programmation, il a formé plus de 4 600 jeunes stagiaires, avec des taux de réussite et de réinsertion professionnelle remarquables.
Vous le voyez, et il y aurait de multiples autres exemples à citer, le bilan de l'action de l'Europe à La Réunion est tout à fait impressionnant.
Je m'empresse d'ajouter que tous ces crédits sont particulièrement bien utilisés puisque La Réunion a su éviter, cette année encore, l'écueil du dégagement d'office qui renvoie à Bruxelles les crédits non consommés, tout en menant à bien une programmation de qualité, qui lui a permis d'obtenir la réserve de performance la plus importante de l'ensemble des régions françaises.
Je pourrais aussi évoquer la protection de certains secteurs-clés de l'économie réunionnaise, qu'il s'agisse de la filière " canne-sucre-rhum ", de l'élevage ou de la pêche. Vous les connaissez bien. Les chiffres ici aussi parlent d'eux-mêmes : en moyenne depuis 10 ans, La Réunion a bénéficié de près de 45% des aides à l'agriculture et à la pêche des DOM (hors fonds structurels et hors banane), soit plus de 200 M sur la période. Sachez que le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, Dominique Bussereau, et moi-même, sommes pleinement conscients de cette importante contribution, et que nous défendrons avec énergie ces soutiens vitaux à l'économie réunionnaise durant l'année 2005, qui sera riche en négociations.
3 - Je ne saurais cependant terminer sans mentionner un autre volet essentiel que garantit votre appartenance à l'Union : la préservation de la diversité et, je dirais même, de l'originalité.
L'Europe consacre en effet et renforce en son sein l'amalgame harmonieux des langues, des cultures, des particularismes régionaux et de la diversité. Elle garantit le libre choix de chacun, et les droits y afférant. L'outre-mer français, qui y contribue de la façon la plus marquée dans tout l'espace européen, en tire à la fois protection, reconnaissance et pérennité.
Voici donc les principaux points forts de cette nouvelle Constitution aujourd'hui entre vos mains. Elle vous offre de meilleurs outils pour construire La Réunion de demain, qui puisse être une société humaine et solidaire.
Mais au-delà de ce que cette Constitution vous apporte en tant que Réunionnais, il y a aussi toutes les avancées dont vous allez bénéficier au même titre que l'ensemble des citoyens européens.
Nous avions en effet besoin d'une Constitution, qui soit un Traité pour longtemps. L'Union européenne vit depuis dix ans dans la négociation permanente et, en pratique, dans une certaine précarité institutionnelle. La Constitution permet d'y mettre un terme. Elle fait même davantage : elle consolide tous les traités signés depuis 1957 en un seul texte qui précise les objectifs, les valeurs, les principes de fonctionnement et les politiques de l'Union. Elle représente donc la clé de voûte de l'édifice commun bâti depuis près de 50 ans.
L'Union ne peut fonctionner à 25 ou plus, comme elle fonctionnait à 6 ou 15. La Constitution simplifie les procédures, reflète mieux le poids des grands Etats grâce à la prise de décision à la double majorité des Etats et des populations.
La Constitution renforce le poids de la France au sein du Conseil, qui passe de 8% à 12%, et donne à notre Parlement national les moyens de contrôler que l'Union européenne n'empiète pas sur ses prérogatives.
Cet instrument, sur lequel chacun d'entre vous est appelé à se déterminer, possède bien des atouts. J'en citerai brièvement les principaux :
C'est d'abord une avancée réelle pour le fondement démocratique de l'Union. Le texte a été mûrement préparé par une Convention pluraliste institutionnellement et politiquement, dont les travaux ont été publiés et transparents.

Le contenu du texte lui-même accroît le caractère démocratique de la construction européenne. Les prérogatives du Parlement européen, donc des députés européens que vous avez élus, se trouvent renforcées, en particulier dans le domaine législatif. Un droit d'initiative populaire est également introduit : un million de citoyens pourra demander à la Commission de soumettre une proposition législative. Enfin, le contrôle des parlements nationaux et du Comité des Régions se renforce sur l'activité législative de la Commission.
Deuxième atout : ce texte apporte comme jamais auparavant, un certain nombre de progrès pour les personnes, car la Constitution confère aux citoyens européens des droits nouveaux. Grâce à la charte des droits fondamentaux, qu'elle incorpore, les droits politiques et sociaux, l'égalité entre hommes et femmes, la non-discrimination, le respect des droits des minorités et la solidarité sont mieux protégés. Y sont même introduits des droits dits de " nouvelle génération ", comme la bioéthique et l'environnement.
Et croyez bien qu'il ne s'agit pas que de bonnes paroles. Car ces droits et ces valeurs vont ainsi devenir une condition pour toute nouvelle adhésion à l'Europe. Mais aussi parce que les lois européennes qui les violeraient seraient automatiquement annulées par la Cour de Justice, que chaque citoyen pourra saisir directement.
Troisième atout : La Constitution consolide la dimension sociale de l'Europe, en affirmant pour la première fois l'objectif du plein emploi et du progrès social. Lorsque j'entends dire que cette Constitution consacrerait une Europe " libérale ", je voudrais répondre qu'au contraire, ce Traité est le plus social que l'Europe n'ait jamais eu. Et c'est d'ailleurs la Confédération européenne des syndicats qui l'affirme elle-même Car la Constitution renforce le dialogue social, elle donne enfin une base juridique aux services publics, qualifiés de " services d'intérêt économique général ", et elle permet à l'Union d'intervenir dans le domaine de la santé publique. Le principe de l'exception culturelle est également enfin reconnu. Autant d'avancées bien réelles.
Autre atout : Le nouveau texte fondateur confère à l'Union les moyens d'être plus présente et plus influente sur la scène internationale : la personnalité juridique, pour conclure des engagements internationaux ; une représentation politique de haut niveau, avec un Président stable du Conseil européen et un ministre des Affaires étrangères. L'Europe y gagnera en termes de lisibilité et de crédibilité.
J'ajoute qu'avec une clause de défense mutuelle et une coopération structurée, une véritable politique de défense est enfin reconnue. La Constitution permettra aussi à l'Union d'être plus efficace dans la gestion des crises, y compris sur le plan humanitaire, avec le développement envisagé d'une force européenne de protection civile.
Cinquième et dernier atout : le texte qui vous est soumis donne à l'Union de nouveaux moyens pour lutter contre la criminalité et l'immigration clandestine, par un renforcement de la coopération entre magistrats et policiers, la perspective de création d'un parquet européen, et l'élaboration d'une véritable politique commune en matière d'asile et d'immigration.
Mesdames, Messieurs,

Vous aurez tous bientôt en mains, puisqu'il sera distribué dans chaque foyer français, le texte sur lequel vous devez vous prononcer.
Peut-être trouverez-vous ce texte long, voire compliqué. Mais au-delà de ses formulations juridiques, je vous invite à vous prononcer sur tous les apports que je me suis efforcée d'expliciter aujourd'hui devant vous. Oui, ce projet de constitution représente une avancée pour l'Europe, une avancée pour la France, une avancée pour La Réunion.
Par votre vote, il vous appartient désormais de décider de l'Europe que vous voulez. Car l'Europe de demain sera celle que vous aurez décidée.
Ce choix, je vous invite à l'exprimer massivement : à vous de décider de votre avenir en Europe !
Je vous remercie.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 22 février 2005)