Texte intégral
(Intervention à la réunion ministérielle du Conseil de l'Atlantique nord à Bruxelles le 9 décembre 2004) :
Monsieur le Président,
Permettez-moi de commencer par un mot personnel.
Il s'agit de la dernière session de notre Conseil à laquelle participe Colin Powell. Je voudrais naturellement le remercier de ses propos et lui transmettre un témoignage de respect et de gratitude. A un moment difficile, il a fait preuve d'intelligence des situations et des hommes. Cette attitude fut importante pour notre organisation.
Colin Powell a beaucoup contribué à notre Alliance. Celle-ci lui est redevable de la façon dont se sont déroulés son récent élargissement et le processus de transformation décidés au Sommet de Prague. Cela s'est révélé important pour la relation transatlantique qui fonde l'OTAN.
Nous devons poursuivre ces efforts de transformation de l'Alliance. Ils passent aussi par un renouveau du dialogue transatlantique. L'attachement que nous avons tous à la relation transatlantique n'offre pas, à lui seul, de garantie contre les divergences lorsque notre Alliance doit affronter des défis nouveaux.
Nous devons sans doute faire mieux pour préserver l'efficacité de cette relation essentielle. Je ferai deux observations :
- Première observation : notre dialogue doit être rénové, plus diversifié, plus régulier, comme le Secrétaire général l'a dit, parce que les défis sont nouveaux et que l'Alliance ne peut seulement y répondre dans l'urgence comme c'est souvent le cas pour les crises et les opérations. Nous devons plus souvent parler politique entre nous.
- Deuxième observation : nous devons mieux reconnaître, à l'OTAN, que l'Europe a changé et va encore changer. C'est évidemment le cas avec la réunification de notre continent, avec l'élargissement de l'OTAN et de l'Union. Mais, politiquement aussi, l'Union européenne s'est transformée. Elle est devenue aujourd'hui un partenaire à part entière de l'OTAN dans la gestion des crises. Il aurait été impensable, il y a cinq ans, que l'Union puisse prendre la relève de l'OTAN en Bosnie.
Le dialogue entre l'Amérique du Nord et l'Europe n'a plus seulement lieu à l'OTAN. Celui existant entre les États-Unis, ou le Canada, et l'Union y contribue aussi, et le fera de façon croissante.
Cette transformation de la relation transatlantique nous oblige aussi à revoir nos habitudes à l'OTAN.
Ma conviction est toutefois que la relation transatlantique n'en sera que plus vivante et forte. Je pense que notre organisation a tout à gagner à cette approche rénovée.
S'agissant de l'Ukraine, je souhaite saluer l'action des médiateurs européens, Javier Solana et les présidents Kwasniewski et Adamkus, effectuée en bonne intelligence européenne, pour que le nouveau scrutin se tienne dans des conditions démocratiques et pour écarter le risque de violence. Mais il doit être clair que la seule question qui nous a mobilisés est la démocratie et le souci que la volonté de la population ukrainienne soit respectée. Nous savons combien ces développements marquent actuellement notre relation avec la Russie.
Nous devons démentir le sentiment, à Moscou, que l'Ukraine serait un pays dont le sort pourrait faire l'objet d'une rivalité entre les alliés et la Russie. Notre souci est celui de la sincérité des élections et seulement celui-ci. La présence d'observateurs internationaux est donc importante, comme l'ont souligné Javier Solana et Colin Powell.
L'Afghanistan doit demeurer la priorité de notre action. La France prend sa part de ces efforts. Nous sommes disposés à apporter une contribution supplémentaire à la FIAS pour la sécurisation des élections parlementaires au printemps.
Deux questions se posent :
- celle des synergies entre Enduring Freedom et la FIAS ;
- celle de la lutte contre les drogues.
Comment améliorer les synergies entre les forces militaires sur le terrain ?
Diverses formules sont envisageables. Mais un rapprochement entre les deux opérations, qui ne sont pas de même nature, ne pourra être réussi que si l'effort de l'ensemble des Alliés en Afghanistan demeure équilibré.
Le soutien aux autorités afghanes de la lutte contre la drogue revêt désormais une grande priorité.
Cette lutte doit s'inscrire dans une stratégie globale : il faut un engagement plus fort qu'aujourd'hui des autorités afghanes et une contribution de la communauté internationale, dans le cadre du G8, pour aider au développement d'une économie de substitution et, aussi, une action des États de la région.
L'action militaire peut être un élément de cette stratégie. Mais elle ne peut s'y substituer.
Les autorités afghanes doivent demeurer, de manière visible, responsables de la mise en uvre de cette politique, notamment s'agissant des mesures de coercition comme l'éradication et l'arrestation de trafiquants.
Nous devons aussi, sans doute, rechercher une synergie plus efficace entre les efforts civils conduits au sein du G8 et l'action militaire qui peut être faite en soutien des autorités.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2004)
(Point de presse à l'issue de la réunion ministérielle du Consiel de l'Atlantique nord à Bruxelles le 9 décembre 2004) :
J'ai trouvé aujourd'hui, pour ce deuxième Conseil ministériel auquel je participais - le premier, c'était un moment très précis dans mon esprit, puisque c'était le jour même de mon premier Conseil des ministres, et j'étais arrivé en fin de matinée le 2 avril, je crois au lendemain même de ma nomination à la tête de la diplomatie française -, j'ai trouvé l'atmosphère à la fois particulière et constructive.
Particulière, parce que c'était, pour Colin Powell, la dernière séance. Et il y avait autour du départ d'un homme respecté, écouté, une atmosphère particulière.
J'ai d'ailleurs moi-même, je crois, été le premier à exprimer un témoignage de remerciement à Colin Powell, ce matin, pour l'intelligence des situations et des hommes dont il a fait preuve, durant les huit mois où nous avons eu à travailler ensemble, et pendant lesquels nous avons construit une relation amicale.
Et je le dis d'autant plus, vous le savez, que durant ces huit mois, et naturellement auparavant, il y a eu sur des problèmes importants, des désaccords et des divergences, entre Américains et Français, et je voulais, comme je l'ai fait ce matin devant mes collègues, adresser publiquement ce témoignage d'amitié et de reconnaissance à l'égard de Colin Powell et lui exprimer mes voeux pour les prochaines étapes de sa vie personnelle.
L'atmosphère était également constructive, oui, un peu dans l'esprit de ce que j'avais dit, justement, le 2 avril : quels que soient nos désaccords passés, et nous ne les oublions pas, nous voulons regarder devant. Et nous voulons, pour l'avenir, travailler aujourd'hui dans le cadre de l'OTAN, puisque c'est l'objet de cette réunion, et également en dehors, dans d'autres circonstances, de la manière la plus constructive, pour assurer, partout où il le faut, davantage de stabilité et de sécurité, des progrès aussi.
J'avais dit cet état d'esprit en arrivant au mois d'avril, notamment à propos de la crise irakienne, et je pense que la France, tout au long de ces derniers mois, a non seulement indiqué cet état d'esprit constructif mais l'a prouvé, s'agissant de l'Irak.
A la fois dans la discussion puis l'approbation de la Résolution 1546, dans la discussion, puis l'approbation du tour de table au Club de Paris concernant la dette, dans la préparation, puis les conclusions de la Conférence de Charm el-Cheikh, nous avons prouvé concrètement, précisément, cet état d'esprit pour aider à la reconstruction politique et économique de l'Irak, à partir d'une conviction que, je le répète devant vous, on ne sortira pas de cette tragédie par les armes ni par des opérations militaires, mais davantage par la démocratie et un processus politique qui est engagé et qui doit réussir, notamment avec l'échéance du 30 janvier, avec les élections en Irak, qui sont une échéance à mes yeux difficile et possible.
Ce matin, dans mon intervention, j'évoquais les enjeux concrets et les rendez-vous de 2005 : Balkans, Bosnie, Kosovo, Afghanistan.
Je vous dirai un mot également de ce qui est notre raison d'être ensemble ici. C'est-à-dire la relation transatlantique. C'est la raison d'être de l'OTAN, que cette relation transatlantique, depuis sa création. Dans le cadre de cette alliance, le dialogue transatlantique s'est construit, amplifié dans l'OTAN, j'allais dire, depuis le début, exclusivement dans l'OTAN. L'OTAN a été en effet le lieu exclusif, pendant très longtemps, de ce dialogue transatlantique. Et je pense que l'OTAN continue, et continuera, d'avoir un rôle essentiel. Elle devra s'adapter, comme cela a été décidé à Prague.
Et nous participons sans aucun complexe à cette organisation et à son progrès. Nous le prouvons d'ailleurs en Afghanistan ou au Kosovo en étant aujourd'hui, nous Français, à la tête des forces militaires engagées dans le cadre de l'OTAN.
S'agissant de l'Afghanistan, d'ailleurs, j'ai annoncé ce matin un effort supplémentaire de la France pour la préparation et la sécurisation des élections, qui auront lieu lorsque le président Karzaï le décidera, au printemps prochain.
Alors que nous sommes dans l'OTAN, sans complexe, avec nos convictions, nous y participons, et nous souhaitons que cette organisation vive avec son temps.
Mais c'est un temps qui change, voilà le deuxième point de ce paradoxe, de ce nouveau paradoxe s'agissant de la relation transatlantique tel que je la ressens. Et ce qui change, c'est la nature même de l'Union européenne, qui est, bien sûr, un grand marché, une union monétaire, et qui devient progressivement un acteur politique, avec notamment les nouveaux outils qui sont contenus dans la Constitution européenne.
Parmi ces outils, il y a la politique étrangère commune - pas unique, commune. C'est un chapitre que je connais bien, la défense européenne, qui est en construction. On voit bien que c'est acteur politique que nous devenons - et c'est un de mes voeux politiques personnels les plus anciens, vous le savez -, l'Union européenne et les États-Unis ont un dialogue transatlantique, comme nous en avons avec le Canada. Ce dialogue transatlantique se consolide et a beaucoup de raisons d'être aussi. L'OTAN n'est donc plus le lieu exclusif aujourd'hui du dialogue transatlantique.
Et nous avons, dans ce dialogue entre Américains et Européens, de vrais enjeux qui justifient ce que j'ai appelé ce nouveau partenariat, ce nouveau dialogue transatlantique.
Le principal de ces enjeux, et la preuve pour moi d'un vrai dialogue entre Américains et Européens, c'est le conflit israélo-palestinien, qui exige aujourd'hui, dans le nouveau contexte que nous connaissons au Proche-Orient, clairement un nouvel engagement commun des États-Unis d'Amérique et de l'Union européenne, et d'autres partenaires, notamment les Russes et notamment les Nations unies, mais d'abord des États-Unis d'Amérique et de l'Union européenne. Voilà ce que j'ai appelé ce nouveau paradoxe de la relation transatlantique et des différentes dimensions ou des différentes enceintes dans lesquelles elle doit, à la fois se prolonger, se développer et se rénover.
Nous avons eu, après la réunion ministérielle de l'OTAN, un dialogue OTAN-Russie, et c'est pour moi la deuxième fois, avec mon collègue et ami Sergueï Lavrov. Ce dialogue a été pour moi l'occasion de dire que, s'agissant de la crise en Ukraine, qui évolue heureusement vers une issue politique et pacifique, notre attitude en temps qu'Européens - puisque c'est Javier Solana qui le premier a parlé et bien parlé et bien agi en notre nom -, notre attitude n'a pas été de prendre parti pour un camp contre l'autre, ni de soutenir un candidat contre l'autre. Notre attitude a été de défendre les principes, la démocratie, et de dire que dans ce pays, notamment, mais partout, la volonté du peuple devait être respectée.
Je pense que ce message a été compris, et il y aura même, sur cette question de l'Ukraine, une position commune de l'OTAN et de la Russie dans la conclusion, dans la déclaration finale de notre réunion.
Je vais maintenant répondre à vos questions, si vous le voulez bien, à la fois, sur les grands rendez-vous de 2005, notamment sur ceux que nous avons en Afghanistan et dans les Balkans. Voilà. Je suis à votre disposition.
Q - Monsieur le Ministre, êtes-vous déçu par le manque de progrès sur le renforcement de l'OTAN en Afghanistan ? Comment voyez-vous les synergies entre l'Operation Enduring Freedom et la FIAS, et est-ce qu'on peut voir la visite du président Bush en février comme un nouveau début dans les relations entre les États-Unis et l'Union européenne ?
R - Oui, j'ai parlé à plusieurs reprises du but de notre rencontre, de cette relation transatlantique, de ses différentes enceintes, de ses différentes dimensions, des raisons de prolonger, d'amplifier, de rénover cette relation transatlantique. Et je trouve symbolique et important que le Président des États-Unis choisisse de venir en Europe pour établir les conditions, avec nous, de ce nouvel élan de ces relations, de cette alliance.
J'ai dit souvent que l'alliance, pour moi, ce n'était pas l'allégeance, ni d'un côté, ni de l'autre, mais une alliance fondée sur le respect mutuel. Et je trouve très important que le président des États-Unis, George Bush, au lendemain de son élection, de son investiture, vienne participer lui-même à ce nouvel élan.
Sur l'extension de la FIAS dans l'Ouest de l'Afghanistan, en effet, nous constatons que les conditions n'ont pas encore été réunies pour accroître les forces et l'effort, si je peux dire. Cela ne nous a pas empêché, nous Français, d'exprimer notre proposition d'augmenter notre propre effort, je l'ai dit tout à l'heure, pour la préparation, la sécurisation, l'accompagnement de ce rendez-vous très important des élections. Après, la première preuve de la reconstruction politique et démocratique de l'Afghanistan qu'a été l'élection du président Karzaï, les nouvelles élections qui sont prévues au printemps seront une deuxième preuve. Donc il faut réussir cette étape. Et nous voulons prendre notre part à la réussite de cette deuxième étape des élections en Afghanistan, où je vais d'ailleurs me rendre en visite officielle à la fin de ce mois.
Q - Monsieur le Ministre, il y a une échéance toute proche la semaine prochaine, c'est le Conseil européen. Les autorités turques ont exclu avec beaucoup de fermeté l'idée qu'il puisse y avoir mention dans le communiqué final du sommet d'un partenariat privilégié, d'une troisième voie, je ne sais pas comment l'appeler. Comment pensez-vous pouvoir aplanir cette divergence à la fois avec la Turquie et entre les pays de l'Union européenne ?
R - Cette question n'est pas liée au sujet d'aujourd'hui, vous en êtes bien d'accord ! Non, parce que, quelquefois, tout le monde veut s'occuper des adhésions de l'Union européenne, et cela, c'est l'affaire des Européens, de personne d'autre ! Savoir qui entre, comment, à quel moment dans l'Union européenne, c'est l'affaire des Européens ! Alors, je prends le risque de vous répondre quand même, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui, dans la formation où nous nous trouvons. Et cela ne le sera jamais.
Nous avons engagé avec la Turquie, qui est un grand pays avec un peuple, un dialogue depuis très longtemps. Nous l'avons engagé lucidement en 1963, et je vous rappelle qu'à l'époque, le général de Gaulle présidait la France, et le chrétien-démocrate, Konrad Adenauer, était le chancelier allemand.
Et constamment, étape par étape, ce dialogue a été maintenu, amplifié. Les Turcs se sont engagés sur ce chemin en fonction des engagements et des promesses qui leur ont été faits, et ils ont fait beaucoup d'effort sur ce chemin pour rapprocher leur modèle de développement économique, politique et social du modèle européen, plutôt que de choisir un autre modèle.
Je pense d'abord très important que l'on préserve cette perspective et qu'on la consolide dans notre propre intérêt, pour le progrès de la Turquie et pour la stabilité et le progrès de l'Union européenne.
Nous sommes au point de savoir, le 17 décembre, si, dans quelles conditions, et à quel moment, seront engagées des négociations d'adhésion.
Le président de la République a clairement dit son souhait que ces négociations d'adhésion soient décidées avec l'objectif de les réussir. Parce qu'en effet, qui dit négociation d'adhésion ne dit pas adhésion.
Le chemin sera long, il y aura beaucoup d'étapes, beaucoup de conditions, et je crois que les Turcs savent tout cela. Donc la perspective est claire, nous souhaitons que ces négociations d'adhésion soient ouvertes à la fin de l'année 2005, au début de l'année 2006 - on verra bien quelle date choisiront les chefs d'État, c'est leur responsabilité, à partir de la proposition de la Commission - et nous souhaitons qu'elles réussissent.
Mais cela restera, comme l'a dit la Commission elle-même, un processus ouvert, dont la conclusion n'est pas écrite d'avance. Et s'agissant d'ailleurs du choix, finalement, si ces négociations aboutissent à un traité d'adhésion, je rappelle que chaque pays aura la responsabilité d'approuver un tel traité d'adhésion.
Je rappelle aussi que s'agissant de la France, le président de la République a décidé que la Constitution française serait modifiée pour prévoir précisément sur ce sujet un referendum.
C'est le peuple français qui décidera finalement, dans dix ou quinze ans, d'approuver ce traité d'adhésion, si nous y parvenons, avec la Turquie, et ce n'est pas la première fois, puisqu'il y a déjà eu, pour un autre grand pays, le Royaume-Uni, une telle procédure populaire pour le traité d'adhésion.
Alors j'ai dit que c'était un processus ouvert, avec des conditions, dont la conclusion n'est pas écrite d'avance. Ce qu'a simplement dit le président de la République, ce qui fait l'objet de débats et des discussions qui ont lieu avec la présidence, c'est que dans les conclusions du 17 décembre, nous souhaiterions simplement, parce que c'est la vérité, que soit prévue l'autre option, c'est-à-dire l'hypothèse où ces conclusions n'aboutissent pas, où il y a un échec, ce que nous ne souhaitons pas. Qu'on prévoie clairement que tout ce qui a été fait durant tout ce temps entre l'Union européenne et la Turquie ne soit pas perdu, et qu'un lien très fort, soit organisé, d'une manière ou d'une autre, entre la Turquie et l'Union européenne.
Voilà, c'est cela l'objet de ce travail qui est fait sur cette autre option. Encore une fois, cela ne correspond pas à ce que le président de la République et le gouvernement français souhaitent. Nous l'avons déjà dit, je le répète devant vous. Mais elle peut se produire.
Q - Une question d'aujourd'hui, une polémique très vive à mon avis. M. Powell critique quelques pays pour ne pas envoyer des militaires qui sont dans l'OTAN à la mission d'entraînement en Irak. Même si la France est un cas spécial, depuis 1966, est-ce que vous pourriez nous donner une opinion, parce que la France se trouve parmi ces pays, comme l'Espagne et l'Allemagne.
R - Il n'y a pas de malentendu ni d'ambiguïté sur cette question. Dès le début où il a été question d'une intervention de l'OTAN en Irak, nous avons exprimé des réserves.
Là encore, avec le seul souci d'être utiles, de dire des choses utiles pour que le processus politique et économique de reconstruction de l'Irak fonctionne, nous avons exprimé des réserves. Et dès le début, nous avons également dit qu'il n'y aurait pas, je le répète, ni aujourd'hui, ni demain, de soldats ni d'officiers français en Irak. Donc la règle du jeu est claire.
J'ai ajouté aujourd'hui que compte tenu de la situation en Irak en matière de sécurité, il serait sans doute plus efficace et plus utile que la formation des forces de sécurité se passe en dehors de l'Irak. Donc, s'agissant des premiers éléments de cette formation qui vont d'ailleurs avoir lieu dans la zone verte, qui préfigure ce qu'on a appelé l'académie militaire en Irak, il n'y aura pas d'officiers ni de formateurs français. Je précise que le projet d'académie, qui est pour l'instant virtuel, se situera naturellement quelque part, enfin, dans la banlieue de Bagdad, mais pour l'instant, compte tenu de la situation, la formation a lieu dans la zone verte. Mais elle a lieu sans officier français. Et nous ne sommes pas le seul pays dans ce cas-là, vous le savez.
Q - Est-ce que vous croyez possible de réparer vos relations de confiance avec l'administration américaine tant que le problème de l'Irak continuera à vous diviser, d'une certaine façon ?
R - Mais nous avons beaucoup de terrains sur lesquels nous travaillons en confiance. Beaucoup. La lutte contre le terrorisme en est un et sans doute le premier. Beaucoup de cas de gestion de crises, en Afrique, à Haïti, au Kosovo, en Afghanistan.
Donc, il ne faut pas décrire les choses de manière toujours négative, parce qu'il y a eu ce problème sérieux, grave, et ce désaccord, à propos de la guerre, des conditions de l'engagement de cette guerre en Irak.
Aujourd'hui, nous voulons regarder devant nous, voilà notre état d'esprit. Encore une fois, nous n'oublions pas ces désaccords et le passé. Nous n'oublions pas non plus que, s'agissant de la France et des États-Unis d'Amérique, nous sommes Alliés depuis le début. Ils sont nos plus anciens Alliés, nous sommes leurs plus anciens Alliés. Voilà, nous travaillons dans cet état d'esprit-là, en nous disant les choses, et en travaillant ensemble dans beaucoup de domaines.
Q - Pour revenir sur la question de la Turquie, puisque les autorités turques ont dit très fermement ces derniers temps qu'elles refusaient le fait que le partenariat spécial puisse être envisagé dans les conclusions du Conseil européen, est-ce que vous envisagez que la semaine prochaine, le 17 décembre, la Turquie puisse dire "non merci", c'est-à-dire que la Turquie puisse dire "oui, on veut bien lancer les négociations, mais avec l'objectif clair et unique de l'adhésion et pas l'option du partenariat spécial" ?
R - Je n'ai pas utilisé dans ma réponse l'expression que vous venez d'utiliser, vous l'avez bien noté. Cela, c'est une première précision. Je n'ai pas qualifié l'autre option. Je ne pense pas qu'on doive ou qu'on puisse la qualifier aujourd'hui, simplement, il faut la prévoir.
Parce que c'est la vérité d'un processus qui n'est pas écrit d'avance dans sa conclusion. Et la Commission l'a dit elle-même, en parlant d'un processus ouvert. Ouvert sur quoi ? Ouvert sur un succès ? Nous le souhaitons, et nous allons y travailler ; ouvert peut-être sur un échec, que nous ne souhaitons pas, voilà.
Vous savez, quand je dois expliquer cette question turque, je l'ai fait l'autre jour devant l'Assemblée nationale française, aux citoyens français qui sont inquiets, qui se posent des questions, je demande d'abord qu'on prenne le temps de regarder sérieusement les choses, sans polémique, sans caricature.
Pourquoi des hommes d'État comme De Gaulle et Adenauer ont engagé ce processus ? Parce qu'ils avaient une vision de la stabilité, de l'intérêt de notre continent. Quelles questions l'adhésion éventuelle de la Turquie pose-t-elle ?
C'est la question très importante de nos frontières définitives. Au sud-est de l'Union européenne, cette question turque, c'est la question de notre frontière définitive. Donc c'est une question très importante. Et je vais un peu plus loin, selon que la Turquie entre ou n'entre pas dans l'Union, de toute façon, elle est là. Et selon qu'elle entre ou qu'elle n'entre pas, la question est de savoir si elle sera une frontière définitive externe ou interne. Quel est notre intérêt ? Personnellement, je pense que notre intérêt, le moment venu -, et ce moment n'est pas encore venu, ni demain, ni après-demain matin, le moment sera venu lorsque tous les critères politiques et économiques seront respectées, sans raccourci, sans complaisance, objectivement, impartialement - notre intérêt, c'est que ce soit une frontière interne, que ce grand pays soit dans le modèle européen démocratique, - il a encore des efforts à faire, politiques, économiques - que ce soit un pays qui se développe et un pays stable.
Je pense que c'est notre intérêt, et l'intérêt de l'Union européenne. Mais dans mon pays, il faut, comme peut-être dans d'autres pays, prendre le temps de ce débat et d'avoir un vrai débat sur cette question.
Q - Vous envisagez la possibilité qu'on arrive à une crise au Conseil européen, que la Turquie n'accepte pas ?
R - Nous ne travaillons pas dans cet état d'esprit là. Nous travaillons pour réussir à consolider, étape par étape, le dialogue avec la Turquie et je pense que c'est également son état d'esprit. Donc je n'imagine pas l'hypothèse que vous évoquez.
Q - Normalement quand on prévoit un échec, c'est parce qu'on ne veut pas vraiment un succès. Est-ce que la France est en train de changer complètement la position qu'elle a maintenue jusqu'à maintenant ?
R - La réponse est non. Nous n'avons changé ni d'opinion ni de vision. Je crois que les déclarations du président de la République d'abord, à ses côtés celles du gouvernement français, et du ministre que je suis, ont toujours été claires et dans la même ligne. Donc nous n'avons changé ni d'opinion ni de vision.
Q - A propos du Kosovo, comment pensez-vous que la situation va évoluer l'année prochaine ? L'ambassadeur Eide a dit que des contacts de haut niveau devraient commencer maintenant, mais la situation semble être difficile alors que le nouveau Premier ministre va peut-être être inculpé par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
R - La situation au Kosovo est très fragile. J'ai personnellement visité chacun des pays des Balkans depuis que je suis ministre et c'est une partie de l'Europe ou j'ai décidé de m'engager fortement et personnellement, non seulement en tant que ministre français, mais aussi en tant que ministre européen. Je pense en effet que, dans les Balkans, l'Union européenne subit un test de crédibilité pour sa propre politique étrangère et de voisinage et sa propre capacité d'assurer pour elle-même et par elle-même la sécurité et la stabilité du continent.
C'est pour cela que l'opération Althéa est très importante et très symbolique dans le cadre de Berlin Plus, comme d'ailleurs ce que nous faisons plus modestement en Macédoine.
La situation est fragile, on l'a vu au mois de mars lorsqu'il y a eu des violences inadmissibles contre la minorité serbe. On le voit avec le nouveau gouvernement à Pristina. Est-ce qu'il aura la capacité de mener les réformes qui doivent être menées au Kosovo ? Je le souhaite. Je parle de la décentralisation, de la protection des minorités.
Mais là encore nous n'avons pas d'alternative, sauf à accepter l'embrasement ou à nouveau des guerres comme celle, moyenâgeuse, que les Européens n'ont pas été capables d'empêcher il y a 15 ans, après l'explosion de la Yougoslavie.
Donc, nous n'avons pas d'alternative au maintien de l'effort militaire de stabilisation et, dans chacun de ces territoires, encourager et soutenir la démocratie et le progrès économique ; parce que tout forme un tout, tout est lié.
Qu'est-ce qui assurera durablement la stabilité ? C'est la perspective européenne, parce que c'est une perspective à laquelle on n'est pas obligé d'adhérer mais lorsqu'on y adhère comme c'est le cas de la Croatie, qui a fait ce choix, et avant elle la Slovénie, comme c'est clairement l'intention de la Serbie de l'Albanie ou de la Macédoine, on fait la promesse de se tenir bien. Le projet européen c'est cela, le projet européen, c'est pour moi le plus beau projet politique puisque c'est un projet qui engage ceux qui sont dedans à fabriquer du progrès, de la paix, de la stabilité plutôt que d'entretenir des conflits.
Et cela a marché depuis 50 ans à l'Ouest de l'Europe. Cela marche maintenant au centre de l'Europe et au Nord et cela doit marcher au sud-est. C'est un projet de civilisation. Nous sommes sur cette route.
Naturellement, si on choisi la perspective européenne, ce n'est pas en même temps pour garder de vieux réflexes nationalistes, je dis bien nationalistes. Donc ces pays doivent choisir et plusieurs sont en train de le faire ou ont déjà choisi.
Par exemple, ce qui s'est passé en Macédoine est extrêmement important, avec l'échec du référendum, parce que c'est la preuve qu'un gouvernement pluriethnique est possible dans cette région. C'est une bonne preuve pour d'autres territoires, notamment au Kosovo.
Voilà, donc il y a un nouvel état d'esprit au Kosovo. Il y a de nouvelles équipes avec Soeren Jessen-Petersen, le représentant du Secrétaire général des Nations unies, le Haut Représentant Javier Solana, le général de Kermabon. Je pense qu'il y a une volonté à Pristina, que nous encourageons, de parler avec Belgrade. J'ai fait passer ces messages quand je suis allé à Belgrade voir M. Kostunica et M. Tadic ; et je pense que nous devrions être entendus.
Parce que tous ces dirigeants ont l'avenir de leur peuple, des nouvelles générations, entre les mains.
Q - Concernant la visite du président Bush, qui pensez-vous qu'il devrait pouvoir rencontrer ici à l'OTAN ? Le Secrétaire général ? Ses homologues ?
R - Je n'ai pas le sentiment que cette question soit tranchée pour l'instant. Il y a plusieurs niveaux de représentation, de dialogue, possibles. Je ne peux pas me prononcer sur ce point aujourd'hui.
Q - Je voudrais savoir si vous partagez l'avis de quelques pays que l'accord aujourd'hui sur l'Irak est un succès ? Jusqu'à présent, il y avait quelques chiffres sur le nombre d'hommes devant rejoindre d'une façon immédiate l'Irak, et ces chiffres ont changé ; alors il y a un peu de confusion. Quel est votre avis sur ce sujet ? C'est succès ou pas ?
R - Je ne sais pas s'il faut qualifier de succès ou d'échec ce qui consiste simplement à faire ce qu'on a dit il y a quelques mois déjà à Istanbul. Je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de nouveau, sauf que cela aurait pu être fait plus tôt. Il faut être pragmatique compte tenu des circonstances difficiles à Bagdad. Pour l'instant, ce qui est en cause, c'est simplement l'activation d'une décision prise en matière de formation de forces de sécurité, dans les conditions que j'ai rappelées pour les pays qui ont décidé de ne pas y participer, c'est le cas de mon pays, sur place.
Je redis que nous ne sommes pas opposés à aider à la formation des forces de sécurité ou notamment des gendarmes en dehors du territoire irakien si la demande nous en est faite. Ce n'est pas de cela dont il s'agit, ce qui est en cause, ce qui a été confirmé aujourd'hui, c'est une première étape concrète dans la mise en oeuvre d'une décision prise à Istanbul.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2004)
(Entretien avec France inter à Bruxelles le 9 décembre 2004) :
Q - Colin Powell s'en va, est-ce une page qui se tourne ?
R - Oui, c'est une page qui se tourne, ce sont les Américains qui la tournent à la suite de la réélection de George Bush et, au-delà de toutes les considérations politiques, sur le plan humain, sur le plan personnel, c'est un moment important, nous l'avons tous ressenti comme cela aujourd'hui à Bruxelles.
J'ai moi-même eu l'occasion d'adresser à Colin Powell, avec lequel j'ai eu des relations amicales depuis 8 mois, très franches mais amicales, un témoignage de reconnaissance parce qu'il a fait preuve, tout au long de cette période difficile, où nous n'avons pas toujours été d'accord, nous Français et Américains, notamment à propos de l'Irak, il a fait preuve, toujours, d'une intelligence des situations et des hommes.
C'est un homme qui a une longue expérience militaire, politique, diplomatique et c'est un homme qui est extrêmement chaleureux et très cordial.
Il y avait donc une ambiance très particulière à l'occasion de son départ.
Q - L'arrivée de Mme Condoleezza Rice est-ce plus qu'un changement de style simplement ?
R - Ce sont deux personnalités différentes et Condi Rice est une femme de caractère, chacun le sait. J'aurai d'ailleurs l'occasion de la rencontrer prochainement pour la connaître, au-delà des quelques contacts que nous avons eus lorsque le président Bush est venu sur les plages de Normandie pour la commémoration du Débarquement.
Je ne crois pas que la politique américaine va changer avec un nouveau secrétaire d'État. C'est le président Bush qui fixe la ligne et, s'il y a des changements, ils seront liés à la volonté du président Bush et aux nouvelles circonstances. Probablement, avec cette page qui se tourne, il y a aussi des nouveaux problèmes, des nouveaux enjeux et notamment au coeur de notre relation transatlantique. Pour moi, le premier enjeu aujourd'hui est celui du conflit israélo-palestinien. Voilà, si nous voulons donner une réalité et un nouvel élan à cette relation entre Américains et Européens, un vrai sujet c'est, ensemble, d'obtenir que l'on fasse repartir le Processus de paix, dont cette région, dont les enfants de Palestine, dont les enfants d'Israël ont tant envie et tant besoin, depuis si longtemps. En tout cas, c'est ma priorité aujourd'hui.
Q - Comment expliquer la solidarité nationale à laquelle vous faites appel, vis-à-vis des compatriotes rapatriés de Côte d'Ivoire ?
R - Comment imaginer qu'il en soit autrement ? Il y a, au fronton de toutes nos mairies, des mots qui veulent dire quelque chose : "Égalité, Liberté, Fraternité".
Nous avons simplement donné une preuve de cette fraternité entre des Français qui se trouvaient dans de très grandes difficultés. Ils ont été soutenus, secourus, protégés par nos soldats et tous ont exprimé un vrai témoignage de reconnaissance pour l'attitude de l'armée française sur place en Côte d'Ivoire. Ils ont été accueillis de manière formidable par beaucoup de volontaires, par l'administration à Paris, j'ai moi-même eu l'occasion d'être là, à l'arrivée des avions à Roissy. Et puis, nous allons continuer de les aider comme autrefois nous avons voulu aider les rapatriés d'Algérie. C'est le sens de la décision qu'a prise le Premier ministre avec une loi ancienne, pour faire jouer ce mouvement de fraternité et de solidarité.
Q - Que répondez-vous aux gens qui disent qu'au fond, le parallèle avec l'Algérie est peut-être un peu malheureux ?
R - Les situations ne sont pas comparables. Simplement, il y a une loi qui existe et qui prévoyait des dispositifs particuliers pour aider des Français, encore une fois dans des circonstances très différentes, qui ont été obligés de "se rapatrier", de revenir dans la mère patrie si je puis dire.
C'est aujourd'hui le cas de beaucoup de nos compatriotes de Côte d'Ivoire qui ont tout perdu dans ces moments tragiques et donc, c'est le même esprit si je puis dire, même si les circonstances en effet sont très différentes.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2004)
Monsieur le Président,
Permettez-moi de commencer par un mot personnel.
Il s'agit de la dernière session de notre Conseil à laquelle participe Colin Powell. Je voudrais naturellement le remercier de ses propos et lui transmettre un témoignage de respect et de gratitude. A un moment difficile, il a fait preuve d'intelligence des situations et des hommes. Cette attitude fut importante pour notre organisation.
Colin Powell a beaucoup contribué à notre Alliance. Celle-ci lui est redevable de la façon dont se sont déroulés son récent élargissement et le processus de transformation décidés au Sommet de Prague. Cela s'est révélé important pour la relation transatlantique qui fonde l'OTAN.
Nous devons poursuivre ces efforts de transformation de l'Alliance. Ils passent aussi par un renouveau du dialogue transatlantique. L'attachement que nous avons tous à la relation transatlantique n'offre pas, à lui seul, de garantie contre les divergences lorsque notre Alliance doit affronter des défis nouveaux.
Nous devons sans doute faire mieux pour préserver l'efficacité de cette relation essentielle. Je ferai deux observations :
- Première observation : notre dialogue doit être rénové, plus diversifié, plus régulier, comme le Secrétaire général l'a dit, parce que les défis sont nouveaux et que l'Alliance ne peut seulement y répondre dans l'urgence comme c'est souvent le cas pour les crises et les opérations. Nous devons plus souvent parler politique entre nous.
- Deuxième observation : nous devons mieux reconnaître, à l'OTAN, que l'Europe a changé et va encore changer. C'est évidemment le cas avec la réunification de notre continent, avec l'élargissement de l'OTAN et de l'Union. Mais, politiquement aussi, l'Union européenne s'est transformée. Elle est devenue aujourd'hui un partenaire à part entière de l'OTAN dans la gestion des crises. Il aurait été impensable, il y a cinq ans, que l'Union puisse prendre la relève de l'OTAN en Bosnie.
Le dialogue entre l'Amérique du Nord et l'Europe n'a plus seulement lieu à l'OTAN. Celui existant entre les États-Unis, ou le Canada, et l'Union y contribue aussi, et le fera de façon croissante.
Cette transformation de la relation transatlantique nous oblige aussi à revoir nos habitudes à l'OTAN.
Ma conviction est toutefois que la relation transatlantique n'en sera que plus vivante et forte. Je pense que notre organisation a tout à gagner à cette approche rénovée.
S'agissant de l'Ukraine, je souhaite saluer l'action des médiateurs européens, Javier Solana et les présidents Kwasniewski et Adamkus, effectuée en bonne intelligence européenne, pour que le nouveau scrutin se tienne dans des conditions démocratiques et pour écarter le risque de violence. Mais il doit être clair que la seule question qui nous a mobilisés est la démocratie et le souci que la volonté de la population ukrainienne soit respectée. Nous savons combien ces développements marquent actuellement notre relation avec la Russie.
Nous devons démentir le sentiment, à Moscou, que l'Ukraine serait un pays dont le sort pourrait faire l'objet d'une rivalité entre les alliés et la Russie. Notre souci est celui de la sincérité des élections et seulement celui-ci. La présence d'observateurs internationaux est donc importante, comme l'ont souligné Javier Solana et Colin Powell.
L'Afghanistan doit demeurer la priorité de notre action. La France prend sa part de ces efforts. Nous sommes disposés à apporter une contribution supplémentaire à la FIAS pour la sécurisation des élections parlementaires au printemps.
Deux questions se posent :
- celle des synergies entre Enduring Freedom et la FIAS ;
- celle de la lutte contre les drogues.
Comment améliorer les synergies entre les forces militaires sur le terrain ?
Diverses formules sont envisageables. Mais un rapprochement entre les deux opérations, qui ne sont pas de même nature, ne pourra être réussi que si l'effort de l'ensemble des Alliés en Afghanistan demeure équilibré.
Le soutien aux autorités afghanes de la lutte contre la drogue revêt désormais une grande priorité.
Cette lutte doit s'inscrire dans une stratégie globale : il faut un engagement plus fort qu'aujourd'hui des autorités afghanes et une contribution de la communauté internationale, dans le cadre du G8, pour aider au développement d'une économie de substitution et, aussi, une action des États de la région.
L'action militaire peut être un élément de cette stratégie. Mais elle ne peut s'y substituer.
Les autorités afghanes doivent demeurer, de manière visible, responsables de la mise en uvre de cette politique, notamment s'agissant des mesures de coercition comme l'éradication et l'arrestation de trafiquants.
Nous devons aussi, sans doute, rechercher une synergie plus efficace entre les efforts civils conduits au sein du G8 et l'action militaire qui peut être faite en soutien des autorités.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2004)
(Point de presse à l'issue de la réunion ministérielle du Consiel de l'Atlantique nord à Bruxelles le 9 décembre 2004) :
J'ai trouvé aujourd'hui, pour ce deuxième Conseil ministériel auquel je participais - le premier, c'était un moment très précis dans mon esprit, puisque c'était le jour même de mon premier Conseil des ministres, et j'étais arrivé en fin de matinée le 2 avril, je crois au lendemain même de ma nomination à la tête de la diplomatie française -, j'ai trouvé l'atmosphère à la fois particulière et constructive.
Particulière, parce que c'était, pour Colin Powell, la dernière séance. Et il y avait autour du départ d'un homme respecté, écouté, une atmosphère particulière.
J'ai d'ailleurs moi-même, je crois, été le premier à exprimer un témoignage de remerciement à Colin Powell, ce matin, pour l'intelligence des situations et des hommes dont il a fait preuve, durant les huit mois où nous avons eu à travailler ensemble, et pendant lesquels nous avons construit une relation amicale.
Et je le dis d'autant plus, vous le savez, que durant ces huit mois, et naturellement auparavant, il y a eu sur des problèmes importants, des désaccords et des divergences, entre Américains et Français, et je voulais, comme je l'ai fait ce matin devant mes collègues, adresser publiquement ce témoignage d'amitié et de reconnaissance à l'égard de Colin Powell et lui exprimer mes voeux pour les prochaines étapes de sa vie personnelle.
L'atmosphère était également constructive, oui, un peu dans l'esprit de ce que j'avais dit, justement, le 2 avril : quels que soient nos désaccords passés, et nous ne les oublions pas, nous voulons regarder devant. Et nous voulons, pour l'avenir, travailler aujourd'hui dans le cadre de l'OTAN, puisque c'est l'objet de cette réunion, et également en dehors, dans d'autres circonstances, de la manière la plus constructive, pour assurer, partout où il le faut, davantage de stabilité et de sécurité, des progrès aussi.
J'avais dit cet état d'esprit en arrivant au mois d'avril, notamment à propos de la crise irakienne, et je pense que la France, tout au long de ces derniers mois, a non seulement indiqué cet état d'esprit constructif mais l'a prouvé, s'agissant de l'Irak.
A la fois dans la discussion puis l'approbation de la Résolution 1546, dans la discussion, puis l'approbation du tour de table au Club de Paris concernant la dette, dans la préparation, puis les conclusions de la Conférence de Charm el-Cheikh, nous avons prouvé concrètement, précisément, cet état d'esprit pour aider à la reconstruction politique et économique de l'Irak, à partir d'une conviction que, je le répète devant vous, on ne sortira pas de cette tragédie par les armes ni par des opérations militaires, mais davantage par la démocratie et un processus politique qui est engagé et qui doit réussir, notamment avec l'échéance du 30 janvier, avec les élections en Irak, qui sont une échéance à mes yeux difficile et possible.
Ce matin, dans mon intervention, j'évoquais les enjeux concrets et les rendez-vous de 2005 : Balkans, Bosnie, Kosovo, Afghanistan.
Je vous dirai un mot également de ce qui est notre raison d'être ensemble ici. C'est-à-dire la relation transatlantique. C'est la raison d'être de l'OTAN, que cette relation transatlantique, depuis sa création. Dans le cadre de cette alliance, le dialogue transatlantique s'est construit, amplifié dans l'OTAN, j'allais dire, depuis le début, exclusivement dans l'OTAN. L'OTAN a été en effet le lieu exclusif, pendant très longtemps, de ce dialogue transatlantique. Et je pense que l'OTAN continue, et continuera, d'avoir un rôle essentiel. Elle devra s'adapter, comme cela a été décidé à Prague.
Et nous participons sans aucun complexe à cette organisation et à son progrès. Nous le prouvons d'ailleurs en Afghanistan ou au Kosovo en étant aujourd'hui, nous Français, à la tête des forces militaires engagées dans le cadre de l'OTAN.
S'agissant de l'Afghanistan, d'ailleurs, j'ai annoncé ce matin un effort supplémentaire de la France pour la préparation et la sécurisation des élections, qui auront lieu lorsque le président Karzaï le décidera, au printemps prochain.
Alors que nous sommes dans l'OTAN, sans complexe, avec nos convictions, nous y participons, et nous souhaitons que cette organisation vive avec son temps.
Mais c'est un temps qui change, voilà le deuxième point de ce paradoxe, de ce nouveau paradoxe s'agissant de la relation transatlantique tel que je la ressens. Et ce qui change, c'est la nature même de l'Union européenne, qui est, bien sûr, un grand marché, une union monétaire, et qui devient progressivement un acteur politique, avec notamment les nouveaux outils qui sont contenus dans la Constitution européenne.
Parmi ces outils, il y a la politique étrangère commune - pas unique, commune. C'est un chapitre que je connais bien, la défense européenne, qui est en construction. On voit bien que c'est acteur politique que nous devenons - et c'est un de mes voeux politiques personnels les plus anciens, vous le savez -, l'Union européenne et les États-Unis ont un dialogue transatlantique, comme nous en avons avec le Canada. Ce dialogue transatlantique se consolide et a beaucoup de raisons d'être aussi. L'OTAN n'est donc plus le lieu exclusif aujourd'hui du dialogue transatlantique.
Et nous avons, dans ce dialogue entre Américains et Européens, de vrais enjeux qui justifient ce que j'ai appelé ce nouveau partenariat, ce nouveau dialogue transatlantique.
Le principal de ces enjeux, et la preuve pour moi d'un vrai dialogue entre Américains et Européens, c'est le conflit israélo-palestinien, qui exige aujourd'hui, dans le nouveau contexte que nous connaissons au Proche-Orient, clairement un nouvel engagement commun des États-Unis d'Amérique et de l'Union européenne, et d'autres partenaires, notamment les Russes et notamment les Nations unies, mais d'abord des États-Unis d'Amérique et de l'Union européenne. Voilà ce que j'ai appelé ce nouveau paradoxe de la relation transatlantique et des différentes dimensions ou des différentes enceintes dans lesquelles elle doit, à la fois se prolonger, se développer et se rénover.
Nous avons eu, après la réunion ministérielle de l'OTAN, un dialogue OTAN-Russie, et c'est pour moi la deuxième fois, avec mon collègue et ami Sergueï Lavrov. Ce dialogue a été pour moi l'occasion de dire que, s'agissant de la crise en Ukraine, qui évolue heureusement vers une issue politique et pacifique, notre attitude en temps qu'Européens - puisque c'est Javier Solana qui le premier a parlé et bien parlé et bien agi en notre nom -, notre attitude n'a pas été de prendre parti pour un camp contre l'autre, ni de soutenir un candidat contre l'autre. Notre attitude a été de défendre les principes, la démocratie, et de dire que dans ce pays, notamment, mais partout, la volonté du peuple devait être respectée.
Je pense que ce message a été compris, et il y aura même, sur cette question de l'Ukraine, une position commune de l'OTAN et de la Russie dans la conclusion, dans la déclaration finale de notre réunion.
Je vais maintenant répondre à vos questions, si vous le voulez bien, à la fois, sur les grands rendez-vous de 2005, notamment sur ceux que nous avons en Afghanistan et dans les Balkans. Voilà. Je suis à votre disposition.
Q - Monsieur le Ministre, êtes-vous déçu par le manque de progrès sur le renforcement de l'OTAN en Afghanistan ? Comment voyez-vous les synergies entre l'Operation Enduring Freedom et la FIAS, et est-ce qu'on peut voir la visite du président Bush en février comme un nouveau début dans les relations entre les États-Unis et l'Union européenne ?
R - Oui, j'ai parlé à plusieurs reprises du but de notre rencontre, de cette relation transatlantique, de ses différentes enceintes, de ses différentes dimensions, des raisons de prolonger, d'amplifier, de rénover cette relation transatlantique. Et je trouve symbolique et important que le Président des États-Unis choisisse de venir en Europe pour établir les conditions, avec nous, de ce nouvel élan de ces relations, de cette alliance.
J'ai dit souvent que l'alliance, pour moi, ce n'était pas l'allégeance, ni d'un côté, ni de l'autre, mais une alliance fondée sur le respect mutuel. Et je trouve très important que le président des États-Unis, George Bush, au lendemain de son élection, de son investiture, vienne participer lui-même à ce nouvel élan.
Sur l'extension de la FIAS dans l'Ouest de l'Afghanistan, en effet, nous constatons que les conditions n'ont pas encore été réunies pour accroître les forces et l'effort, si je peux dire. Cela ne nous a pas empêché, nous Français, d'exprimer notre proposition d'augmenter notre propre effort, je l'ai dit tout à l'heure, pour la préparation, la sécurisation, l'accompagnement de ce rendez-vous très important des élections. Après, la première preuve de la reconstruction politique et démocratique de l'Afghanistan qu'a été l'élection du président Karzaï, les nouvelles élections qui sont prévues au printemps seront une deuxième preuve. Donc il faut réussir cette étape. Et nous voulons prendre notre part à la réussite de cette deuxième étape des élections en Afghanistan, où je vais d'ailleurs me rendre en visite officielle à la fin de ce mois.
Q - Monsieur le Ministre, il y a une échéance toute proche la semaine prochaine, c'est le Conseil européen. Les autorités turques ont exclu avec beaucoup de fermeté l'idée qu'il puisse y avoir mention dans le communiqué final du sommet d'un partenariat privilégié, d'une troisième voie, je ne sais pas comment l'appeler. Comment pensez-vous pouvoir aplanir cette divergence à la fois avec la Turquie et entre les pays de l'Union européenne ?
R - Cette question n'est pas liée au sujet d'aujourd'hui, vous en êtes bien d'accord ! Non, parce que, quelquefois, tout le monde veut s'occuper des adhésions de l'Union européenne, et cela, c'est l'affaire des Européens, de personne d'autre ! Savoir qui entre, comment, à quel moment dans l'Union européenne, c'est l'affaire des Européens ! Alors, je prends le risque de vous répondre quand même, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui, dans la formation où nous nous trouvons. Et cela ne le sera jamais.
Nous avons engagé avec la Turquie, qui est un grand pays avec un peuple, un dialogue depuis très longtemps. Nous l'avons engagé lucidement en 1963, et je vous rappelle qu'à l'époque, le général de Gaulle présidait la France, et le chrétien-démocrate, Konrad Adenauer, était le chancelier allemand.
Et constamment, étape par étape, ce dialogue a été maintenu, amplifié. Les Turcs se sont engagés sur ce chemin en fonction des engagements et des promesses qui leur ont été faits, et ils ont fait beaucoup d'effort sur ce chemin pour rapprocher leur modèle de développement économique, politique et social du modèle européen, plutôt que de choisir un autre modèle.
Je pense d'abord très important que l'on préserve cette perspective et qu'on la consolide dans notre propre intérêt, pour le progrès de la Turquie et pour la stabilité et le progrès de l'Union européenne.
Nous sommes au point de savoir, le 17 décembre, si, dans quelles conditions, et à quel moment, seront engagées des négociations d'adhésion.
Le président de la République a clairement dit son souhait que ces négociations d'adhésion soient décidées avec l'objectif de les réussir. Parce qu'en effet, qui dit négociation d'adhésion ne dit pas adhésion.
Le chemin sera long, il y aura beaucoup d'étapes, beaucoup de conditions, et je crois que les Turcs savent tout cela. Donc la perspective est claire, nous souhaitons que ces négociations d'adhésion soient ouvertes à la fin de l'année 2005, au début de l'année 2006 - on verra bien quelle date choisiront les chefs d'État, c'est leur responsabilité, à partir de la proposition de la Commission - et nous souhaitons qu'elles réussissent.
Mais cela restera, comme l'a dit la Commission elle-même, un processus ouvert, dont la conclusion n'est pas écrite d'avance. Et s'agissant d'ailleurs du choix, finalement, si ces négociations aboutissent à un traité d'adhésion, je rappelle que chaque pays aura la responsabilité d'approuver un tel traité d'adhésion.
Je rappelle aussi que s'agissant de la France, le président de la République a décidé que la Constitution française serait modifiée pour prévoir précisément sur ce sujet un referendum.
C'est le peuple français qui décidera finalement, dans dix ou quinze ans, d'approuver ce traité d'adhésion, si nous y parvenons, avec la Turquie, et ce n'est pas la première fois, puisqu'il y a déjà eu, pour un autre grand pays, le Royaume-Uni, une telle procédure populaire pour le traité d'adhésion.
Alors j'ai dit que c'était un processus ouvert, avec des conditions, dont la conclusion n'est pas écrite d'avance. Ce qu'a simplement dit le président de la République, ce qui fait l'objet de débats et des discussions qui ont lieu avec la présidence, c'est que dans les conclusions du 17 décembre, nous souhaiterions simplement, parce que c'est la vérité, que soit prévue l'autre option, c'est-à-dire l'hypothèse où ces conclusions n'aboutissent pas, où il y a un échec, ce que nous ne souhaitons pas. Qu'on prévoie clairement que tout ce qui a été fait durant tout ce temps entre l'Union européenne et la Turquie ne soit pas perdu, et qu'un lien très fort, soit organisé, d'une manière ou d'une autre, entre la Turquie et l'Union européenne.
Voilà, c'est cela l'objet de ce travail qui est fait sur cette autre option. Encore une fois, cela ne correspond pas à ce que le président de la République et le gouvernement français souhaitent. Nous l'avons déjà dit, je le répète devant vous. Mais elle peut se produire.
Q - Une question d'aujourd'hui, une polémique très vive à mon avis. M. Powell critique quelques pays pour ne pas envoyer des militaires qui sont dans l'OTAN à la mission d'entraînement en Irak. Même si la France est un cas spécial, depuis 1966, est-ce que vous pourriez nous donner une opinion, parce que la France se trouve parmi ces pays, comme l'Espagne et l'Allemagne.
R - Il n'y a pas de malentendu ni d'ambiguïté sur cette question. Dès le début où il a été question d'une intervention de l'OTAN en Irak, nous avons exprimé des réserves.
Là encore, avec le seul souci d'être utiles, de dire des choses utiles pour que le processus politique et économique de reconstruction de l'Irak fonctionne, nous avons exprimé des réserves. Et dès le début, nous avons également dit qu'il n'y aurait pas, je le répète, ni aujourd'hui, ni demain, de soldats ni d'officiers français en Irak. Donc la règle du jeu est claire.
J'ai ajouté aujourd'hui que compte tenu de la situation en Irak en matière de sécurité, il serait sans doute plus efficace et plus utile que la formation des forces de sécurité se passe en dehors de l'Irak. Donc, s'agissant des premiers éléments de cette formation qui vont d'ailleurs avoir lieu dans la zone verte, qui préfigure ce qu'on a appelé l'académie militaire en Irak, il n'y aura pas d'officiers ni de formateurs français. Je précise que le projet d'académie, qui est pour l'instant virtuel, se situera naturellement quelque part, enfin, dans la banlieue de Bagdad, mais pour l'instant, compte tenu de la situation, la formation a lieu dans la zone verte. Mais elle a lieu sans officier français. Et nous ne sommes pas le seul pays dans ce cas-là, vous le savez.
Q - Est-ce que vous croyez possible de réparer vos relations de confiance avec l'administration américaine tant que le problème de l'Irak continuera à vous diviser, d'une certaine façon ?
R - Mais nous avons beaucoup de terrains sur lesquels nous travaillons en confiance. Beaucoup. La lutte contre le terrorisme en est un et sans doute le premier. Beaucoup de cas de gestion de crises, en Afrique, à Haïti, au Kosovo, en Afghanistan.
Donc, il ne faut pas décrire les choses de manière toujours négative, parce qu'il y a eu ce problème sérieux, grave, et ce désaccord, à propos de la guerre, des conditions de l'engagement de cette guerre en Irak.
Aujourd'hui, nous voulons regarder devant nous, voilà notre état d'esprit. Encore une fois, nous n'oublions pas ces désaccords et le passé. Nous n'oublions pas non plus que, s'agissant de la France et des États-Unis d'Amérique, nous sommes Alliés depuis le début. Ils sont nos plus anciens Alliés, nous sommes leurs plus anciens Alliés. Voilà, nous travaillons dans cet état d'esprit-là, en nous disant les choses, et en travaillant ensemble dans beaucoup de domaines.
Q - Pour revenir sur la question de la Turquie, puisque les autorités turques ont dit très fermement ces derniers temps qu'elles refusaient le fait que le partenariat spécial puisse être envisagé dans les conclusions du Conseil européen, est-ce que vous envisagez que la semaine prochaine, le 17 décembre, la Turquie puisse dire "non merci", c'est-à-dire que la Turquie puisse dire "oui, on veut bien lancer les négociations, mais avec l'objectif clair et unique de l'adhésion et pas l'option du partenariat spécial" ?
R - Je n'ai pas utilisé dans ma réponse l'expression que vous venez d'utiliser, vous l'avez bien noté. Cela, c'est une première précision. Je n'ai pas qualifié l'autre option. Je ne pense pas qu'on doive ou qu'on puisse la qualifier aujourd'hui, simplement, il faut la prévoir.
Parce que c'est la vérité d'un processus qui n'est pas écrit d'avance dans sa conclusion. Et la Commission l'a dit elle-même, en parlant d'un processus ouvert. Ouvert sur quoi ? Ouvert sur un succès ? Nous le souhaitons, et nous allons y travailler ; ouvert peut-être sur un échec, que nous ne souhaitons pas, voilà.
Vous savez, quand je dois expliquer cette question turque, je l'ai fait l'autre jour devant l'Assemblée nationale française, aux citoyens français qui sont inquiets, qui se posent des questions, je demande d'abord qu'on prenne le temps de regarder sérieusement les choses, sans polémique, sans caricature.
Pourquoi des hommes d'État comme De Gaulle et Adenauer ont engagé ce processus ? Parce qu'ils avaient une vision de la stabilité, de l'intérêt de notre continent. Quelles questions l'adhésion éventuelle de la Turquie pose-t-elle ?
C'est la question très importante de nos frontières définitives. Au sud-est de l'Union européenne, cette question turque, c'est la question de notre frontière définitive. Donc c'est une question très importante. Et je vais un peu plus loin, selon que la Turquie entre ou n'entre pas dans l'Union, de toute façon, elle est là. Et selon qu'elle entre ou qu'elle n'entre pas, la question est de savoir si elle sera une frontière définitive externe ou interne. Quel est notre intérêt ? Personnellement, je pense que notre intérêt, le moment venu -, et ce moment n'est pas encore venu, ni demain, ni après-demain matin, le moment sera venu lorsque tous les critères politiques et économiques seront respectées, sans raccourci, sans complaisance, objectivement, impartialement - notre intérêt, c'est que ce soit une frontière interne, que ce grand pays soit dans le modèle européen démocratique, - il a encore des efforts à faire, politiques, économiques - que ce soit un pays qui se développe et un pays stable.
Je pense que c'est notre intérêt, et l'intérêt de l'Union européenne. Mais dans mon pays, il faut, comme peut-être dans d'autres pays, prendre le temps de ce débat et d'avoir un vrai débat sur cette question.
Q - Vous envisagez la possibilité qu'on arrive à une crise au Conseil européen, que la Turquie n'accepte pas ?
R - Nous ne travaillons pas dans cet état d'esprit là. Nous travaillons pour réussir à consolider, étape par étape, le dialogue avec la Turquie et je pense que c'est également son état d'esprit. Donc je n'imagine pas l'hypothèse que vous évoquez.
Q - Normalement quand on prévoit un échec, c'est parce qu'on ne veut pas vraiment un succès. Est-ce que la France est en train de changer complètement la position qu'elle a maintenue jusqu'à maintenant ?
R - La réponse est non. Nous n'avons changé ni d'opinion ni de vision. Je crois que les déclarations du président de la République d'abord, à ses côtés celles du gouvernement français, et du ministre que je suis, ont toujours été claires et dans la même ligne. Donc nous n'avons changé ni d'opinion ni de vision.
Q - A propos du Kosovo, comment pensez-vous que la situation va évoluer l'année prochaine ? L'ambassadeur Eide a dit que des contacts de haut niveau devraient commencer maintenant, mais la situation semble être difficile alors que le nouveau Premier ministre va peut-être être inculpé par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
R - La situation au Kosovo est très fragile. J'ai personnellement visité chacun des pays des Balkans depuis que je suis ministre et c'est une partie de l'Europe ou j'ai décidé de m'engager fortement et personnellement, non seulement en tant que ministre français, mais aussi en tant que ministre européen. Je pense en effet que, dans les Balkans, l'Union européenne subit un test de crédibilité pour sa propre politique étrangère et de voisinage et sa propre capacité d'assurer pour elle-même et par elle-même la sécurité et la stabilité du continent.
C'est pour cela que l'opération Althéa est très importante et très symbolique dans le cadre de Berlin Plus, comme d'ailleurs ce que nous faisons plus modestement en Macédoine.
La situation est fragile, on l'a vu au mois de mars lorsqu'il y a eu des violences inadmissibles contre la minorité serbe. On le voit avec le nouveau gouvernement à Pristina. Est-ce qu'il aura la capacité de mener les réformes qui doivent être menées au Kosovo ? Je le souhaite. Je parle de la décentralisation, de la protection des minorités.
Mais là encore nous n'avons pas d'alternative, sauf à accepter l'embrasement ou à nouveau des guerres comme celle, moyenâgeuse, que les Européens n'ont pas été capables d'empêcher il y a 15 ans, après l'explosion de la Yougoslavie.
Donc, nous n'avons pas d'alternative au maintien de l'effort militaire de stabilisation et, dans chacun de ces territoires, encourager et soutenir la démocratie et le progrès économique ; parce que tout forme un tout, tout est lié.
Qu'est-ce qui assurera durablement la stabilité ? C'est la perspective européenne, parce que c'est une perspective à laquelle on n'est pas obligé d'adhérer mais lorsqu'on y adhère comme c'est le cas de la Croatie, qui a fait ce choix, et avant elle la Slovénie, comme c'est clairement l'intention de la Serbie de l'Albanie ou de la Macédoine, on fait la promesse de se tenir bien. Le projet européen c'est cela, le projet européen, c'est pour moi le plus beau projet politique puisque c'est un projet qui engage ceux qui sont dedans à fabriquer du progrès, de la paix, de la stabilité plutôt que d'entretenir des conflits.
Et cela a marché depuis 50 ans à l'Ouest de l'Europe. Cela marche maintenant au centre de l'Europe et au Nord et cela doit marcher au sud-est. C'est un projet de civilisation. Nous sommes sur cette route.
Naturellement, si on choisi la perspective européenne, ce n'est pas en même temps pour garder de vieux réflexes nationalistes, je dis bien nationalistes. Donc ces pays doivent choisir et plusieurs sont en train de le faire ou ont déjà choisi.
Par exemple, ce qui s'est passé en Macédoine est extrêmement important, avec l'échec du référendum, parce que c'est la preuve qu'un gouvernement pluriethnique est possible dans cette région. C'est une bonne preuve pour d'autres territoires, notamment au Kosovo.
Voilà, donc il y a un nouvel état d'esprit au Kosovo. Il y a de nouvelles équipes avec Soeren Jessen-Petersen, le représentant du Secrétaire général des Nations unies, le Haut Représentant Javier Solana, le général de Kermabon. Je pense qu'il y a une volonté à Pristina, que nous encourageons, de parler avec Belgrade. J'ai fait passer ces messages quand je suis allé à Belgrade voir M. Kostunica et M. Tadic ; et je pense que nous devrions être entendus.
Parce que tous ces dirigeants ont l'avenir de leur peuple, des nouvelles générations, entre les mains.
Q - Concernant la visite du président Bush, qui pensez-vous qu'il devrait pouvoir rencontrer ici à l'OTAN ? Le Secrétaire général ? Ses homologues ?
R - Je n'ai pas le sentiment que cette question soit tranchée pour l'instant. Il y a plusieurs niveaux de représentation, de dialogue, possibles. Je ne peux pas me prononcer sur ce point aujourd'hui.
Q - Je voudrais savoir si vous partagez l'avis de quelques pays que l'accord aujourd'hui sur l'Irak est un succès ? Jusqu'à présent, il y avait quelques chiffres sur le nombre d'hommes devant rejoindre d'une façon immédiate l'Irak, et ces chiffres ont changé ; alors il y a un peu de confusion. Quel est votre avis sur ce sujet ? C'est succès ou pas ?
R - Je ne sais pas s'il faut qualifier de succès ou d'échec ce qui consiste simplement à faire ce qu'on a dit il y a quelques mois déjà à Istanbul. Je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de nouveau, sauf que cela aurait pu être fait plus tôt. Il faut être pragmatique compte tenu des circonstances difficiles à Bagdad. Pour l'instant, ce qui est en cause, c'est simplement l'activation d'une décision prise en matière de formation de forces de sécurité, dans les conditions que j'ai rappelées pour les pays qui ont décidé de ne pas y participer, c'est le cas de mon pays, sur place.
Je redis que nous ne sommes pas opposés à aider à la formation des forces de sécurité ou notamment des gendarmes en dehors du territoire irakien si la demande nous en est faite. Ce n'est pas de cela dont il s'agit, ce qui est en cause, ce qui a été confirmé aujourd'hui, c'est une première étape concrète dans la mise en oeuvre d'une décision prise à Istanbul.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2004)
(Entretien avec France inter à Bruxelles le 9 décembre 2004) :
Q - Colin Powell s'en va, est-ce une page qui se tourne ?
R - Oui, c'est une page qui se tourne, ce sont les Américains qui la tournent à la suite de la réélection de George Bush et, au-delà de toutes les considérations politiques, sur le plan humain, sur le plan personnel, c'est un moment important, nous l'avons tous ressenti comme cela aujourd'hui à Bruxelles.
J'ai moi-même eu l'occasion d'adresser à Colin Powell, avec lequel j'ai eu des relations amicales depuis 8 mois, très franches mais amicales, un témoignage de reconnaissance parce qu'il a fait preuve, tout au long de cette période difficile, où nous n'avons pas toujours été d'accord, nous Français et Américains, notamment à propos de l'Irak, il a fait preuve, toujours, d'une intelligence des situations et des hommes.
C'est un homme qui a une longue expérience militaire, politique, diplomatique et c'est un homme qui est extrêmement chaleureux et très cordial.
Il y avait donc une ambiance très particulière à l'occasion de son départ.
Q - L'arrivée de Mme Condoleezza Rice est-ce plus qu'un changement de style simplement ?
R - Ce sont deux personnalités différentes et Condi Rice est une femme de caractère, chacun le sait. J'aurai d'ailleurs l'occasion de la rencontrer prochainement pour la connaître, au-delà des quelques contacts que nous avons eus lorsque le président Bush est venu sur les plages de Normandie pour la commémoration du Débarquement.
Je ne crois pas que la politique américaine va changer avec un nouveau secrétaire d'État. C'est le président Bush qui fixe la ligne et, s'il y a des changements, ils seront liés à la volonté du président Bush et aux nouvelles circonstances. Probablement, avec cette page qui se tourne, il y a aussi des nouveaux problèmes, des nouveaux enjeux et notamment au coeur de notre relation transatlantique. Pour moi, le premier enjeu aujourd'hui est celui du conflit israélo-palestinien. Voilà, si nous voulons donner une réalité et un nouvel élan à cette relation entre Américains et Européens, un vrai sujet c'est, ensemble, d'obtenir que l'on fasse repartir le Processus de paix, dont cette région, dont les enfants de Palestine, dont les enfants d'Israël ont tant envie et tant besoin, depuis si longtemps. En tout cas, c'est ma priorité aujourd'hui.
Q - Comment expliquer la solidarité nationale à laquelle vous faites appel, vis-à-vis des compatriotes rapatriés de Côte d'Ivoire ?
R - Comment imaginer qu'il en soit autrement ? Il y a, au fronton de toutes nos mairies, des mots qui veulent dire quelque chose : "Égalité, Liberté, Fraternité".
Nous avons simplement donné une preuve de cette fraternité entre des Français qui se trouvaient dans de très grandes difficultés. Ils ont été soutenus, secourus, protégés par nos soldats et tous ont exprimé un vrai témoignage de reconnaissance pour l'attitude de l'armée française sur place en Côte d'Ivoire. Ils ont été accueillis de manière formidable par beaucoup de volontaires, par l'administration à Paris, j'ai moi-même eu l'occasion d'être là, à l'arrivée des avions à Roissy. Et puis, nous allons continuer de les aider comme autrefois nous avons voulu aider les rapatriés d'Algérie. C'est le sens de la décision qu'a prise le Premier ministre avec une loi ancienne, pour faire jouer ce mouvement de fraternité et de solidarité.
Q - Que répondez-vous aux gens qui disent qu'au fond, le parallèle avec l'Algérie est peut-être un peu malheureux ?
R - Les situations ne sont pas comparables. Simplement, il y a une loi qui existe et qui prévoyait des dispositifs particuliers pour aider des Français, encore une fois dans des circonstances très différentes, qui ont été obligés de "se rapatrier", de revenir dans la mère patrie si je puis dire.
C'est aujourd'hui le cas de beaucoup de nos compatriotes de Côte d'Ivoire qui ont tout perdu dans ces moments tragiques et donc, c'est le même esprit si je puis dire, même si les circonstances en effet sont très différentes.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2004)