Texte intégral
Ruth ELKRIEF : Bonsoir à tous et merci d'être fidèle au Grand Jury RTL-Le Monde - LCI. Notre invité ce soir est François BAYROU, le Président de l'UDF. Vous avez été discret dans un premier temps après l'élection présidentielle et puis vous avez programmé par petites touches votre retour au devant de la scène pour cette élection régionale qui approche. Dans 16 régions sur 22 vous avez choisi l'autonomie, la division, diront certains, auxquels vous allez répondre ce soir et avec Pierre-Luc SEGUILLON de LCI et Gérard COURTOIS du Monde donc nous allons donc vous demander de nous expliquer cette stratégie du bras de fer avec l'UMP et puis nous allons vous demander aussi d'aller peut-être au-delà de la critique et de nous expliquer ce que, sur le fond, vous apporter au débat national d'aujourd'hui sur la laïcité, sur la modernisation économique et sociale, sur l'avenir de l'Europe élargie.
Première question : on a tous lu je crois que vous étiez sur un petit nuage ces dernières semaines car votre stratégie a l'air de prendre mais que répondez-vous ce soir à Alain Juppé qui peut-être pour la première fois sort un peu de sa réserve, sort un peu du discours unitaire pour dénoncer la division et dit, sur Radio J donc, la division est toujours délétère. Nous aurions pu je pense marquer des points très importants si nous étions allés vers une union globale puisqu'il y a des accords dans quelques régions entre l'UDF et l'UMP, pourquoi est-ce que nous n'aurions pas pu le faire dans toutes les régions.
François BAYROU : Parce que ces régions où il y a des accords sont l'exception que nous avons voulu en raison non pas du risque objectif de victoire du Front National dans un scrutin à deux tours il n'y a pas de risque objectif de victoire du Front National. Mais en raison de l'émotion qui règne dans un certain nombre de régions causé par les gros scores ou la présence des candidats très importants.
Ruth ELKRIEF : On pense à PACA donc évidemment
François BAYROU : On pense à PACA et à Jean-Marie LE PEN. Nous avons voulu tenir compte de cette émotion. Pour le reste ma conviction de fond c'est que il n'y a qu'un moyen de faire reculer l'extrémisme et l'abstention et ce moyen c'est d'offrir aux électeurs une offre politique nouvelle. La soumission à l'intérieur de la majorité de tout le monde à l'UMP serait la plus mauvaise des choses que nous pouvions faire et le plus mauvais service que nous pourrions rendre, non seulement à la majorité mais à la démocratie en France.
Ruth ELKRIEF : C'est une offre nouvelle, l'UDF de François BAYROU d'aujourd'hui c'est une offre nouvelle ? Vous existez dans le paysage politique français depuis bien longtemps, sans vous vieillir pour autant.
François BAYROU : Oui, mais pas de cette manière. Pendant longtemps l'UDF s'est comporté avec une attitude de soumission. Au fond, elle acceptait que le RPR soit la force politique dominante et puis que on négocie avec elle pour obtenir des petits avantages personnels. Dieu sait que mes prédécesseurs et Giscard et Barre pourraient en dire beaucoup sur ce sujet, en ont soufferts. Et bien c'est fini.
Ruth ELKRIEF : Maintenant vous voulez faire souffrir à votre tour ?
François BAYROU : Non, ça ne se présente pas de cette manière. Et si l'on veut que des millions de français retrouvent l'espoir dans la politique, je dis un espoir c'est-à-dire un sentiment positif, alors il faut leur offrir quelque chose à quoi ils puissent croire. Et c'est cela qui est notre projet. Et comme vous le disiez, en effet le sondage que vous-mêmes vous avez publié cette semaine montre que les électeurs suivent ce projet et commencent à adhérer à cet espoir.
Pierre-Luc SEGUILLON : Quand vous parlez d'offres nouvelles, est-ce que ça signifie pour vous que l'UDF doit dans l'avenir devenir à l'intérieur de la droite un parti à peu près égal à ce qu'est aujourd'hui l'UMP.
François BAYROU : Pourquoi égal ?
Pierre-Luc SEGUILLON : Ou peut-être supérieur, pourquoi pas ou est-ce que vous estimez que l'offre nouvelle c'est un parti demain qui peut-être un parti charnière et fabriquer des majorités à droite ou à gauche comme par exemple le souhaitait Jacques DELORS qui était ici même il y a quinze jours et qui parlait de ses relations avec les centristes ?
François BAYROU : Ni l'un ni l'autre. Une offre politique nouvelle c'est une offre à ambition majoritaire. Ca n'est pas une offre à ambition strapontin ou à ambition charnière, si ce projet a un sens c'est pour un jour faire naître en France une majorité nouvelle.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais attendez, pour pouvoir juger de la possibilité de cette majorité nouvelle il faudrait que vous obteniez combien aux élections régionales pour vous dire " j'ai quelques chances d'ici aux présidentielles d'arriver à cet horizon que je viens de me fixer " ?
François BAYROU : Je ne fais pas de compte d'apothicaire. On sent bien s'il y a une dynamique ou pas.
Aujourd'hui cette dynamique commence à exister, du moins vous le dites. En tout cas les sondages le disent.
Ruth ELKRIEF : Alors je précise que ce sondage, c'est un sondage SOFRES - Le Monde - RTL et LCI.
François BAYROU : C'est-à-dire vous trois.
Ruth ELKRIEF : Vous confère 12 % des voix effectivement pour ces régionales, je précise 12 %.
Gérard COURTOIS : Est-ce qu'on peut revenir sur un point ? L'UMP s'est construite il y a deux ans sur l'hypothèse et sur le constat semble-t-il que les électeurs de droite souhaitaient l'union. Votre stratégie laisse penser qu'il y a au fond deux électorats à droite ?
François BAYROU : Il y a deux projets, il y a deux visions, il y a deux ambitions et donc il y a deux propositions aux français.
Gérard COURTOIS : Est-ce qu'il y a deux électorats ou bien est-ce qu'il y a un électorat de la droite de gouvernement parlementaire que vous souhaitez attirer vers l'UDF et faire au fond sortir du lit majoritaire, apparemment, l'UMP aujourd'hui ?
François BAYROU : Il y a beaucoup plus que deux électorats. Le temps où chacun était verrouillé à son camp, untel à gauche et untel à droite et que jamais on en changé, ce temps là est fini. Heureusement à mes yeux. Mais les gens ont vu l'échec cruel de la gauche et du PS, et ils ne sont pas prêts de leur rendre le pouvoir, y compris les gens de gauche ont mesuré la cruauté de cet échec et d'autres voient aujourd'hui les limites de l'UMP en partie unique voulant concentrer tous les pouvoirs entre les mêmes mains.
Cela ne satisfait pas les français, ni ceci ni cela, ni l'un ni l'autre ne satisfont les français et donc il ne reste que deux solutions devant ce constat de déception, ou bien on laisse dériver les choses et ça finira soit au triomphe de l'abstention soit au triomphe de l'extrémisme.
Ou bien on prend courageusement et à deux mains le problème en essayant de cerner les principales raisons des échecs que nous avons sous les yeux ou des difficultés que nous avons sous les yeux et on fait une proposition politique différente. Telle est mon intention et l'intention de l'UDF.
Gérard COURTOIS : Juste un mot, vous dites que vous voulez redonner espoir aux français dans la politique mais en réalité ce que vous pouvez espérer c'est de capter, vous le dites vous-mêmes, les déçus, soit du gouvernement, soit du PS
François BAYROU : Quelles différences y a-t-il entre des déçus et des gens qui veulent espérer ?
Ruth ELKRIEF : Tous les déçus.
Gérard COURTOIS : Dans un cas c'est positif, dans l'autre cas ça ne l'ait pas ?
François BAYROU : Non pas tous les déçus, tous ceux qui attendent autre chose. Jacques DELORS à cette même table, il y a quelques semaines, il y a deux semaines, vous a dit je crois ce que un grand nombre d'hommes et de femmes d'ouverture pensent c'est-à-dire que il y a là peut-être un espoir.
Ruth ELKRIEF : Ou mais enfin ce parti qui peut-être à inspirer Jacques DELORS, cette famille politique ça fait des décennies qu'elle n'a pas existé suffisamment en France et qu'elle n'a pas réussi ce projet. Donc c'est peut-être la démonstration qu'il n'est peut-être pas viable ?
François BAYROU : C'est à mon sens exactement le contraire. C'est parce que les responsables qui avaient la charge de porter cette famille s'étaient en réalité installer dans une situation de soumission intellectuelle de soumission et dans la négociation de quelques avantages puisque c'était la contrepartie, hein, c'était une soumission, comment dirais-je, charité bien ordonnée commence par soi-même. Et bien ceci est fini. Je voudrais simplement vous faire mesurer la différence qu'il y a entre des arrangements et une confrontation devant les français capables de changer le paysage politique. C'est cette proposition là.
Les 21 et 28 mars il y a deux enjeux, il y a un enjeu régional, classique, choisir un président pour les régions, c'est très important c'est la première fois que ce président sera élu au suffrage universel et ça donne naturellement à la région une dimension différente.
Ruth ELKRIEF : Je rappelle brièvement que vous êtes candidat, vous-mêmes dans la région Aquitaine.
François BAYROU : Et deuxième enjeu la possibilité pour les électeurs de changer le paysage politique.
Pierre-Luc SEGUILLON : Quand penserez-vous, le soir du deuxième tour, à quelles conditions penserez-vous que vous avez remporté le second enjeu. Qu'est-ce qu'il faut pour que vous vous disiez " j'ai réussi " ?
François BAYROU : Le second enjeu ? Oh je n'aurais pas besoin de me le dire, c'est vous et chacun des français qui le dira. Le temps n'est plus aux rodomontades, à annoncer qu'on va faire des scores comme j'ai vu mes camarades de l'UMP le faire depuis trop longtemps.
Pierre-Luc SEGUILLON : Attendez, si vous faites de mauvais scores, un certain nombre de vos amis iront comme c'est toujours logique dans ce genre de choses rejoindrent rapidement le parti que vous n'aimez pas qui est l'UMP.
François BAYROU : Non et bien je crois profondément que les français vont se saisir de cette chance. Ils ont besoin, de répondre à la question
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous avez le sentiment qu'ils se sont saisis de cette chance est-ce qu'il faudrait qu'au moins vous ayez gagné quatre, cinq régions, que vous ayez un score.
François BAYROU : Oh ben si on a gagné cinq régions, j'imagine que vous écrirez que c'est pas un succès mais un triomphe. Le 21 mars ou bien il apparaîtra qu'il n'y a que deux forces politiques, le PS et l'UMP avec l'extrémisme et l'abstention.
Ou bien il apparaîtra que les français ont voulu faire surgir une force politique nouvelle. Et il n'y a que l'UDF qui puisse être cette force politique nouvelle.
Ruth ELKRIEF : Mais vous avez parlé de confrontation, vous avez dit confrontation, j'ai bien entendu, ça veut dire concrètement est-ce que vous appartenez toujours à la majorité ou est-ce que vous, ce soir au grand Jury, ce soir devant nous, vous nous dites j'en sors puisque je veux me confronter, j'ai bien entendu ce mot, à l'UMP ?
François BAYROU : Je sais bien que c'est ce que vous souhaiteriez parce que ça arrangerait vos affaires. Mais il se trouve que tel n'est pas mon état d'esprit. Mon état d'esprit est celui de millions de français qui voudraient bien que la politique réussisse et qu'elle corresponde à leurs attentes, qui voudraient bien avoir leur mot à dire, eux citoyens, qui ne veulent pas qu'on décide dans leur dos et sans leur parler et qui aimeraient bien qu'il y ait une cohérence dans l'action.
Tout cela dépend de la réponse à cette question : " est-ce qu'il est sain qu'un seul parti dans la majorité est tout ou bien est-ce qu'on va leur imposer un équilibre ? ". Et je garantis que si cet équilibre est imposé le paysage ne sera plus jamais comme avant.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous éliminez d'un revers de main le risque d'une forte poussée du Front National grâce à des triangulaires, notamment aux deuxième tour ? Tout à l'heure vous avez dit " il y a aucun problème, aucun risque ".
François BAYROU : Ce que j'ai éliminé non pas d'un revers de main parce que je suis plus responsable que ça, j'espère, ce que j'ai éliminé c'est le risque de voir le Front National gagner une région dans un scrutin à deux tours. Parce que s'il y a scrutin à deux tours c'est pour que au deuxième tour on élimine, vous savez bien ce vieux principe républicain, au premier tour on choisit et au deuxième on élimine.
Pierre-Luc SEGUILLON : Et la victoire de la gauche, grâce au triangulaire ?
François BAYROU : Non, il est tout à fait possible qu'il y ait une poussée électorale dans un sens ou dans l'autre, ça c'est les électeurs qui en décident. Je veux dire, celui qui va amener les électeurs à voter pour quelque chose qu'il n'a pas envie de voir choisir, celui-là n'est pas né.
Alors cessons de parler de tactique électorale et de mode de scrutin, ce qui compte c'est que les électeurs aient réellement un choix. Ils l'auront.
Ruth ELKRIEF : François BAYROU, vous êtes en train de nous décrire l'UMP, comme, je ne sais pas, le parti unique en URSS stalinienne, enfin quelque chose d'extrêmement lourd et pesant.
Je veux juste vous citer la réponse d'Alain JUPPE là-dessus, toujours dans la même émission aujourd'hui " je n'ai jamais vu un parti dirigé d'une main de fer aussi puissante que le parti de François BAYROU, tous ceux qui veulent faire l'union avec l'UMP sont exclus, l'UMP elle pratique la diversité et la démocratie ".
Alors j'entends que vous répondez par un rire, mais encore ?
François BAYROU : Ecoutez les occasions de rigoler sont pas si nombreuses dans la politique française pour que je puisse me permettre de goûter celle-là. Voir le chef du RPR reprocher
Ruth ELKRIEF : L'UMP mais vous dites le RPR, c'est ça ?
François BAYROU : Vous aurez rectifié de vous-même, voire le chef du RPR reprocher à l'UDF d'avoir trop d'autorité à sa tête alors franchement c'est qu'on est entré dans une ère nouvelle.
Ruth ELKRIEF : Sur les régionales, est-ce que vous n'avez pas un peu poussé vos amis.
François BAYROU : Attendez vous voulez que je vous réponde ? Qu'est-ce qui se passe pour que ces archanges, ces êtres pleins de douceur et d'ouverture et de compréhension en soient tout d'un coup à ce point d'émotion.
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est que vous sanctionnez ceux qui veulent faire l'union avec l'UMP quand ils sont UDF.
François BAYROU : Qu'est-ce qui se passe ? Il se passe une chose très simple c'est que c'est la première fois depuis longtemps qu'ils ont une volonté en face d'eux et que ça peut changer tout et que en effet il en faut de la volonté et du courage pour
Pierre-Luc SEGUILLON : François BAYROU, votre volonté quand elle s'exerce à l'encontre de André BOURDANEL ou Pierre BEC qui font union avec l'UMP il est interdit de faire union avec l'UMP quand on appartient à l'UDF ?
Gérard COURTOIS : Cela fait deux raisons de rire semble-t-il ?
François BAYROU : Je vous aime bien. Ecoutez, c'est très simple. Quand l'UDF a décidé de faire une liste autonome s'il y en a dans ces rangs,
Pierre-Luc SEGUILLON : Il faut respecter les décisions des partis.
François BAYROU : S'il y en a dans ces rangs qui vont s'inscrire sur la liste des autres alors forcément ils ne peuvent plus être membres de l'UDF. C'est simple comme bonjour. Je dis pas que ça sera pour l'éternité ni que ça se fait avec des violons mais c'est comme ça.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors, question, pourquoi quand ? ? ? s'applique à l'intérieur de l'UMP c'est un effrayant parti autoritaire et quand elle s'applique à l'intérieur de l'UDF, c'est un parti particulièrement ouvert ?
François BAYROU : Pierre-Luc SEGUILLON, ne faites pas semblant de ne pas comprendre le sujet parce que vous le comprenez très bien. De quoi s'agit-il ?
Ruth ELKRIEF : C'est notre rôle d'être là à remettre en question un petit peu les postulats ?
François BAYROU : C'est votre rôle de faire semblant. L'UMP est bâti sur un principe qui est un principe malsain selon lequel un seul parti va représenter toutes les tendances à l'intérieur de la majorité et donc concentrer tous les pouvoirs. Que quand la décision
Pierre-Luc SEGUILLON : Il y a beaucoup de pays où ça se fait, démocratiques.
François BAYROU : Aucun, que quand la décision
Pierre-Luc SEGUILLON : Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ?
François BAYROU : Non aux Etats Unis il y a des primaires, aux Etats Unis le premier tour de nos élections est remplacé par les primaires. Après il y a un seul tour.
Ruth ELKRIEF : En Espagne ?
François BAYROU : En Espagne, c'est très différent parce que ce sont, vous avez des partis régionalisés, pays basque, catalogne, ce sont des partis régionaux donc il y a un parti national mais c'est pas du tout le même équilibre qu'en France et aucun autre pays et donc malsain est le postulat selon lequel un seul parti représente toutes les tendances et peut donc concentrer tous les pouvoirs.
Parce que ce jour là le citoyen n'a plus la garantie des contre-pouvoirs qui assurent sa liberté et sa force d'expression.
Ca c'est malsain. L'UDF donc refuse ce modèle et propose aux français de le rééquilibrer. Mais l'UDF ne veut pas représenter tous les pouvoirs.
Vous vous souviendrez peut-être qu'il y avait eu une réunion à Toulouse au début de l'UMP frémissante où j'étais allé dire..
Pierre-Luc SEGUILLON : Ca a été le début de votre frémissement dans les sondages.
François BAYROU : Exactement ce que je viens de vous dire là. Je vais vous dire quelque chose qui pourrait prêter à confusion. S'il advenait un jour que l'UDF puisse avoir la majorité toute seule et bien je pense que ce serait une erreur aussi. Il faut que dans une démocratie il y ait des contre-pouvoirs, quelle que soit l'inspiration du mouvement en question.
Pour que le citoyen ait la garantie qu'on va lui dire la vérité, qu'on ne dissimulera pas les choses, que il va avoir toutes les cartes entre les mains, et pour qu'il retrouve du pouvoir sur les événements, il faut qu'il ait en face de lui un pouvoir avec un équilibre en son sein. C'est le but que je me fixe.
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est l'équilibre entre des équipes, autrement dit il y a l'équipe UMP et puis il y a l'équipe UDF autour de François BAYROU, ce qui vaut d'ailleurs pour les prochaines présidentielles, on imagine que vous y songez pas seulement le matin, ou bien ce sont des projets différents ?
François BAYROU : Ce sont des projets différents.
Pierre-Luc SEGUILLON : Parce qu'on entend davantage ce que vous dites sur le premier point que ce qui apparaît sur le second.
Ruth ELKRIEF : On va en parler mais je voudrais juste
François BAYROU : Et bien, parlons-en. Un mot, parlons-en. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce qu'est le gouffre entre ceux qui veulent la concentration des pouvoirs et ceux qui veulent le pluralisme qui rend du pouvoir aux citoyens. Ceci est sur tout sujet y compris en économie à quoi vous vous intéressez, ceci est deux mondes, cela représente deux mondes différents. Ceux qui veulent qu'une réforme elle ne soit pas imposée parce qu'il y a eu une décision au sommet mais elle soit assurée par l'adhésion des citoyens.
Ceux qui veulent, par exemple, je vais prendre un exemple très simple. On est devant la réforme de la Sécu. Dieu sait que ça n'est pas facile. L'UMP est en train de concocter une disposition telle que naturellement les citoyens n'en seront pas saisis mais le Parlement lui-même n'aura pas le droit de l'examiner.
Gérard COURTOIS : Vous voulez dire la procédure par ordonnance ?
François BAYROU : La procédure par ordonnance. La procédure par ordonnance ça veut dire que même le Parlement n'a pas le droit d'examiner un texte. Et alors le citoyen en bout de chaîne, qu'est-ce qui lui reste ? Il lui reste à courber l'échine et à attendre qu'on est décidé en haut. Ceci n'est pas ma philosophie et n'est pas ma vision. Et ça n'est pas non plus l'attente des français. Et c'est pourquoi, oui, c'est bien de deux projets différents qu'il s'agit, Monsieur SEGUILLON.
Gérard COURTOIS : Je reviens d'un mot sur la question de Ruth tout à l'heure sur la confrontation. Vous diriez que vous êtes engagé dans une guerre de sécession comme vous le reproche certains à droite à l'UMP ou dans une guerre de succession, ou les deux ?
François BAYROU : Ni l'un, ni l'autre. Parce que la sécession le mot ne s'explique qu'à partir du principe du parti unique, on est sécessionniste que d'un organisme qui est unique et qui a tous les pouvoirs.
Et la succession ça ne s'explique que dans le chiraquisme auquel je n'ai jamais appartenu.
Gérard COURTOIS : Vous songez quand même à la succession ?
François BAYROU : Nullement.
Gérard COURTOIS : Vous ne songez pas à 2007 et à la présidentielle ?
François BAYROU : Nullement. A cet instant, nullement.
Gérard COURTOIS : Ca n'est pas le moteur même de votre stratégie. de crédibilité de l'UDF. ?
François BAYROU : En rien. La question qui se pose est celle de la manière dont la démocratie est organisée en France. Ca n'est pas en 2007 que ça va se jouer. Nous allons entrer dans une période de trois ans sans aucune élection. Si on a pas changé le paysage avant, ben ça veut dire qu'on a signé un chèque en blanc et que pendant trois ans vous allez voir s'appliquer dans sa superbe cette idée nuisible selon laquelle il suffit que tous les pouvoirs soient entre les mêmes mains pour que la République fonctionne. C'est le contraire.
Ruth ELKRIEF : François BAYROU, alors concrètement, si vous considérez que les journalistes reconnaissent que vous avez une victoire, un triomphe, enfin on verra bien, qu'est-ce que vous demandez ? Vous demandez à rentrer au gouvernement, vous demandez un ministère d'état, vous demandez des , qu'est-ce qui se passe, comment vous transformez ça ?
François BAYROU : Peut-être je suis le seul en France mais je ne suis pas candidat au gouvernement.
Gérard COURTOIS : Et vos amis ?
François BAYROU : On verra, ça c'est le Président de la République qui en décidera. Mais l'idée que je me fais du débat démocratique en France exige en effet qu'on mûrisse des projets, exige qu'on soit désintéressé. Je suis désintéressé.
Ruth ELKRIEF : Donc vous présiderez la région Aquitaine si vous êtes élu.
François BAYROU : Si je suis élu, je présiderais la région Aquitaine.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais attendez, par définition, tout candidat à la présidentielle est désintéressé parce qu'il veut le bien du pays, donc ce n'est pas illégitime que de vouloir le bien du pays en se présentant aux présidentielles ?
François BAYROU : Absolument.
Pierre-Luc SEGUILLON : Bon. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vous disent "finalement, quand on regarde de près la stratégie de François BAYROU c'est exactement celle qu'a utilisé pendant des années Jacques CHIRAC, d'abord à l'encontre de Valéry GISCARD D'ESTAING puis jusqu'à ce qui s'est passé en 81 et pour la suite". Ca vous choque ?
François BAYROU : Non. On peut aussi dire, d'autres disent que Valéry GISCARD D'ESTAING a lui-même assumé des responsabilités de cet ordre et on pourrait trouver d'autres exemples dans l'histoire. Pourquoi ? Parce que je crois que nous sommes à une fin de cycle, je crois qu'en effet bien des choses qui sont nées au début des années 70, des manières de gouverner, technocratiques, fermées, sûres d'elles-mêmes, je crois que tout cela, ce cycle là s'achève. Et je pense qu'il faut imaginer, penser, définir, rêver peut-être ou pragmatiquement dessiner le cycle nouveau et ça c'est la mission que je me suis fixé.
Alors c'est très difficile parce que vous bousculer naturellement l'UMP alors vous avez parlé de l'UMP beaucoup mais vous avez lu dans de très bons journaux que le PS a consacré toute une partie de ses réunions et ses argumentaires à expliquer que nous étions le pire des dangers qui guettait la France, en tout cas qui les guettait eux, le PS
Et bien je vais vous dire, ils ont raison. Parce que en effet il y a des millions et millions de français, de femmes, d'hommes, qui ne croient plus au PS et qui attendent de voir naître quelque chose de crédible qui soit marqué des deux qualités qui ont manqué au PS et peut-être manque à la période actuelle. Ils veulent quelque chose qui soit réaliste et qui soit juste.
Ils ont envie d'un idéal qui concilie réalisme et justice. Et ils ont envie de gens qui pour imposer cet idéal soient capables de dire non au système en place et c'est là qu'est je crois le crédit dont les français aujourd'hui nous entoure.
Gérard COURTOIS : Je reviens d'un mot sur le Front National. On peut se poser la question de savoir si votre stratégie n'est pas totalement contradictoire. Vous dites l'UDF est le meilleur rempart contre l'extrémisme et dans les trois régions où le Front National est le plus menaçant vous faites liste commune. Comment vous expliquez ça ?
François BAYROU : Vous n'avez pas complètement tort. Si j'avais été gouverné uniquement par la logique et par ma conviction nous aurions eu des listes autonomes partout mais ça aurait fait naître une émotion, un émoi, une inquiétude chez un grand nombre de français qui sont inquiets de l'extrême droite ou de l'extrémisme en général, et qui auraient eu le sentiment que on entendait pas leur inquiétude.
Et ces gens là j'y fais attention. Je ne me fie pas qu'à notre analyse, je veux aussi prendre en compte pour qu'on mesure quel est notre engagement, je veux aussi prendre en compte l'émotion de ceux qui me parlent et de ceux qui s'expriment dans ce débat.
Gérard COURTOIS : Pour l'avenir, la meilleure façon de combattre le Front National serait-il de mettre en place un dispositif par exemple avec une dose de proportionnelle aux législatives qui lui permettent d'être représenté et de ne pas être exclus de la vie politique parlementaire en tout cas ?
François BAYROU : Je soutiens cette idée, non pas tant pour combattre le Front National. Le Front National est un symptôme.
Ruth ELKRIEF : Qui là rentrerait quand même à l'Assemblée Nationale avec la proportionnelle ?
François BAYROU : Oui. Le Front National est un symptôme et il est le symptôme de quelle maladie, il est le symptôme d'une démocratie à laquelle on ne croit plus. Le Front National, moi je n'accepte pas l'idée qu'il y ait 20 % de fascistes, comme on dit, en France. Je crois pas ça du tout. Je crois qu'il y en a quelques uns mais je pense qu'il y a un tel fossé entre la vie politique qu'on voit à la télévision et ce que les gens vivent et ressentent dans leur vie, une incompréhension, une distance, des décisions qui tombent d'en haut sans qu'on sache pourquoi, une absence de prise en compte de leur vie qu'ils choisissent ce qu'il y avait jusqu'à maintenant pour secouer le système qui était le vote d'extrême droite. Et je préfèrerais avoir une vie politique notamment au Parlement qui soit sincère.
Est-ce que vous croyez qu'il est sincère de prétendre que l'UMP représente aujourd'hui 65 % des français. Ils sont 65 % des sièges et représentent peut-être selon votre sondage 23 % des français.
Gérard COURTOIS : Est-ce que vous espérez capter une partie de cet électorat lors des prochaines élections régionales, une partie significative ?
François BAYROU : Tous les électorats, tous les électorats qui cherchent à y croire à nouveau. C'est ceux là auxquels nous nous adressons.
Ruth ELKRIEF : François BAYROU vous nous avez expliqué pendant la première partie que finalement vous aviez des divergences au moins de méthode avec l'UMP sur la manière de gouverner la France. Nous allons voir dans un instant aussi peut être sur le fond, qu'est-ce qui vous sépare de l'UMP.
Mais deux toutes petites questions politiques, est-ce que Nicolas Sarkozy à la tête de l'UMP serait plus commode pour vous entre guillemets, plus facile à vivre qu'Alain Jupé, on parle beaucoup d'un axe Bayrou-Sarkozy.
Et, deuxième question, vous êtes très critique avec Jean-Pierre Raffarin, pourtant aujourd'hui il remonte doucement, tranquillement dans les sondages, est-ce qu'il ne serait pas plus solide que vous ne le prévoyiez ?
François BAYROU : Eh bien je le souhaite pour la France. Tant mieux. Et quant à Nicolas Sarkozy, vous me demandez est-ce que vous ne préfèreriez pas alors il ne vous aura pas échappé, j'imagine, depuis le début de cette émission, que j'ai refusé le principe même d'un parti unique dans lequel je rentrerais.
Et vous savez pourquoi, entre autre ? C'est pour ne pas avoir à répondre à ce genre de question. C'est l'affaire des militants de l'UMP ou des dirigeants de l'UMP, qu'ils règlent ces affaires entre eux. Il est plus sain à mes yeux d'avoir un débat de formation politique à égalité de sur des idées, se respectant mutuellement, confrontant leurs points de vue, ce qui ne s'est pas passé une seule fois depuis deux ans que l'UMP est au pouvoir, mais il serait infiniment plus sain que d'avoir ces guerres de clans internes. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis éloigné de ce genre de réflexion.
Pierre-Luc SEGUILLON : D'abord c'est ma première question : est-ce que vous partagez ou non le jugement que semble avoir formulé Jean-Louis Debré sur la manière de gérer la France de Jean-Pierre Raffarin, manière dont il dit qu'il gère la France comme un boutiquier sans ambition ?
François BAYROU : Sans vouloir employer aucun mot désagréable, franchement on a du mal à voir quel est le projet, dans quelle direction on va, quel horizon on s'est fixé, quel cap on suit ?
Non, mais la réforme en soi ça ne veut rien dire, il y a des réformes qui vont dans le bon sens et des réformes qui vont dans le mauvais sens.
Y'a pas de fétichisme de ce genre de mot et donc, je suis comme beaucoup de Français, oui je suis intéressé par savoir le cap que l'on suit, je ne le vois pas bien et Jean-Louis Debré a dit un mot plus cruel, Sarkozy aussi à sa manière a dit en mots plus cruels ce que je dis là et que je dis depuis longtemps vous me l'accorderez.
Pierre-Luc SEGUILLON : Sur la deuxième question, comment expliquez-vous une certaine complaisance qu'a Nicolas Sarkozy à votre endroit ?
Est-ce que tactiquement ça peut l'intéresser ?
François BAYROU : Peut-être il se dit simplement qu'on n'est pas obligé de se haïr les uns les autres méthodiquement. Que dans une génération politique on peut avoir des différences, et sans doute j'en ai d'importantes ou nombreuses avec lui, mais on pourrait aussi se respecter. Et c'est en tout cas moi le sentiment que j'éprouve, non seulement à son endroit, mais à l'endroit d'un certain nombre d'autres.
Pierre-Luc SEGUILLON : Et dans cette génération politique vous pensez avec lui que deux mandats présidentiels ça suffit ?
François BAYROU : Mais je ne le pense pas depuis aujourd'hui. J'ai déposé, l'UDF a déposé un amendement signé Valéry Giscard d'Estaing et Hervé de Charrette avec moi lorsqu'il s'est agi de discuter de la constitution. C'était longtemps avant aujourd'hui. On ne savait pas que Jacques Chirac serait réélu et donc que formuler ce genre de question ça aurait l'air sous la table d'aller saper son autorité. Mais la raison veut, dans un pays normal, que deux mandats de président de la République ça suffit. C'est comme ça aux Etats-Unis et pourtant le mandat n'y est que de quatre ans. Donc quatre et quatre ça fait huit, au bout de huit ans on dit écoutez ça suffit.
Eh bien en France c'est exactement la même chose. Je ne le dis pas pour Jacques Chirac, pour éviter toute interprétation, je le dis pour tous les présidents passés, présents et à venir.
Gérard COURTOIS : Depuis trois, quatre mois vous avez une critique majeure à l'égard du chef de l'Etat : son silence.
Depuis un mois il a parlé pratiquement plus en huit jours qu'en 18 mois, donc vous êtes rassuré. Il a parlé et il a dit au fond il a tracé le cap, donné la feuille de route.
François BAYROU : Eh bien je trouve que le fait que le président de la République parle ça ne devrait pas être un événement, ça devrait être tous les jours.
Gérard COURTOIS : Non mais ce que je veux dire c'est qu'il vous a entendu.
François BAYROU : C'est bien, je suis sûr que si on s'écoutait davantage, peut-être on prendrait des décisions plus justes. Mais sur le fond, vous dites ça y est il a tracé le cap, y'a plus qu'à obéir. Je ne participe pas si vous ne l'avez pas dit d'autres le disent à votre place et vous savez bien que c'est un des leitmotivs à l'intérieur du parti gouvernemental.
Eh bien il se trouve que je ne participe pas non plus de cette philosophie là. Je considère que la démocratie c'est égalité de responsabilité depuis le président de la République jusqu'au citoyen de base et que on ne doit pas exécuter, on doit réfléchir ensemble. Il y a bien des sujets sur lesquels on a le droit d'avoir des interrogations et des débats entre nous. Ca fait mûrir les choses. Ca n'est pas d'exécution d'une décision prise en haut qu'il s'agit, c'est tout un pays qui va mûrir une décision, choisir un cap et avancer et c'est très différent.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais est-ce que dans la philosophie de l'UDF on est d'accord aujourd'hui avec un phénomène qui est, semble-t-il, propre au passage de sept ans à cinq ans pour la présidentielle, c'est à dire qu'on arrive à une présidentialisation du régime et où le Premier ministre apparaît de plus en plus comme, je dirais, un exécutant du président ?
François BAYROU : Eh bien la philosophie de l'UDF ça n'est pas du tout ça, la philosophie de l'UDF c'est l'équilibre des pouvoirs.
Parce que je pense qu'il faut changer l'Assemblée nationale, lui rendre les pouvoirs qu'elle n'a pas, obliger à ce qu'elle compte dans la décision, lui donner une capacité de contrôle, lui garantir qu'elle participera au débat et faire en sorte que sa composition reflète mieux le pays qu'elle ne le fait aujourd'hui.
Ruth ELKRIEF : Alors parlons des thèmes un à un et évidemment le principal, et celui qui est un petit peu sur toutes les lèvres depuis plusieurs semaines : la loi sur les signes religieux.
Vous avez exprimé plusieurs fois des réserves sur cette loi, vous avez dit qu'elle serait inapplicable, vous avez dit qu'elle ferait le jeu des intégristes, mais vous n'avez pas dit clairement si vous la voterez ou non ?
François BAYROU : Eh bien j'attends d'abord de la connaître, comme vous, parce que nous ne la connaissons pas. Si je suis bien informé, elle est au Conseil d'Etat. Je ne sais pas quel texte va en sortir, je ne doute pas que le Conseil d'Etat, gardien du droit, ait beaucoup de choses à dire sur le sujet, et donc j'attends de voir quel texte nous sera soumis. Je suis en effet très inquiet.
Je pense que dans l'état actuel des choses les inconvénients l'emportent sur les avantages et donc je demande à ce qu'on y réfléchisse attentivement.
Oh ben vous allez voir si c'est botter en touche. Voyez cette semaine, les dérapages insensés auxquels on a assistés, discutant de l'interdiction de la barbe dans un certain nombre de cas, du turban des pauvres sikhs, personne n'avait jamais imaginé que les sikhs représentaient une menace pour l'équilibre de notre pays.
Sur tout un tas de dispositions qui, en réalité, apparaissent comme affaiblissant l'autorité, qui devraient être celle d'un chef d'établissement du ministre de l'Education nationale dans sa fonction ou de l'Etat et donc je vois, moi, beaucoup de risques.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais quand vous dites : il faut réfléchir, est-ce que ça signifie concrètement que vous estimez qu'il faut différer la discussion de cette loin, autrement dit entrer dans un débat encore plus long quitte à ouvrir la voie à une polémique qui ne cesse de s'enfler, ou au contraire est-ce qu'aller vite ça ne permet pas de clore le chapitre ?
François BAYROU : Ca permet de faire des bêtises qui durent moins longtemps dans la décision mais dont les conséquences durent très longtemps après. Voilà le risque exact que nous avons, au risque de voir monter les tensions, de voir un certain nombre de Française se prendre de passion acharnée les uns contre les autres.
De voir la position de la France affaiblie dans le monde, de voir une interrogation aux Etats-Unis, par exemple, autant que dans les pays musulmans, on dit mais quel est ce pays, vers quoi est-il guidé et le ministre des Affaires étrangères l'a dit et le ministre de la Défense l'a dit lors du récent séminaire gouvernemental, le ministre de la Justice, que je sache était contre, le ministre de l'Intérieur était contre et le ministre de l'Education était contre.
Ruth ELKRIEF : François BAYROU, en revanche il y a des gens à l'UDF qui sont très pour. Je crois savoir que Maurice Leroy qui est un de vos proches a même rédigé une proposition de loi.
François BAYROU : Bien sûr il y a des gens depuis longtemps en France, de toutes opinions et de tous partis qui sont pour une solution simpliste. Moi je crois qu'on ne peut pas résoudre tout par la loi. Je crois qu'il y a bien des sujets.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais est-ce que vous croyez, est-ce que l'UDF croit que ce qui a quand même caractérisé la laïcité républicaine est quelque chose qui doit être dépassée. Vous avez cité l'exemple des Etats-Unis qui n'ont pas du tout la même conception, c'est vrai.
François BAYROU : Peut-être faut-il rappeler qu'il n'y a qu'un texte aujourd'hui réglementaire qui s'applique à ce sujet, c'est une circulaire que j'ai rédigée en 94 et qui a fait baisser le nombre des voiles en cinq semaines de quelque 9 000 à 300. Et donc franchement, s'il y a quelqu'un qui a réfléchi à ce sujet et si est engagé, alors je prétends être celui-là. La question n'est pas celle-là. Il y avait un besoin de fermeté. Il y avait un rappel de règles. Il y avait des gens qui avaient besoin de repères ou d'être soutenus, la question est : fallait-il le faire par une loi ?
Ruth ELKRIEF : La circulaire suffit pour vous et elle empêche que les recours aboutissent ?
François BAYROU : Je pense qu'on n'a pas fait tout ce qu'il fallait pour que la circulaire et d'autres instruments juridiques que nous avions soient appliqués. On pouvait faire plus. Je vous cite un seul exemple : les chefs d'établissements disent tout de même vous pouvez pas nous laisser en première ligne devant toutes ces affaires. Ils ont sans doute raison, pourquoi n'a-t-on pas délégué aux recteurs l'autorité sur un sujet comme celui-là, que la hiérarchie prenne ses responsabilités. Et donc je pense qu'on pouvait faire marcher les instruments qu'on avait. C'est derrière nous, puisque maintenant on en est tout à fait à autre chose. Je vois les dangers et les risques, je pense qu'on aurait pu faire sans cela, et il y a, me semble-t-il, dans beaucoup d'esprits une interrogation qui est en train de surgir. Je connais beaucoup de gens, et peut-être vous aussi, qui étaient farouchement pour une loi il y a un mois, qui aujourd'hui disent est-ce que tout de même on n'est pas dans un risque. Ce risque, pour moi, il est réel.
Pierre-Luc SEGUILLON : Concrètement est-ce que le député que vous êtes demande qu'il y ait un report de la discussion de cette loi ?
François BAYROU : Je sais bien que ça n'aura pas lieu. Mais si on avait été raisonnable, en effet on aurait pris le temps de réfléchir aux conséquences de ce que nous allons faire.
Pierre-Luc SEGUILLON : Non mais là vous avez une position d'analyste, moi je vous pose la question acteur, qu'est-ce que vous dites aujourd'hui ?
François BAYROU : Je m'exprimerai à l'Assemblée nationale quand j'aurai le texte. Je ne veux pas être simpliste dans cette affaire à mon tour. Je sais les risques, par exemple.
Ruth ELKRIEF : Vous excluez de voter la loi ou bien au contraire vous envisagez de le faire ?
François BAYROU : En l'état actuel des choses je ne voterai pas la loi. Vous me permettez, parce que tout de même allons un peu plus loin. Quelle est la caractéristique d'une loi ? C'est qu'elle s'applique partout sur le territoire national. On va appliquer cette loi à Mayotte, musulmane à 99 %, on va appliquer cette loi à la Réunion, je n'en crois rien. Et quand il s'agira de discerner ce qui est porté ostensiblement barbe, turban colifichet, on est allé chercher la croix des pauvres.
Gérard COURTOIS : Si vous refusez la loi parce qu'elle serait inapplicable, est-ce que ça n'est pas une façon au fond d'admettre à l'avance que les intégristes, ou les islamistes les plus militants ont déjà gagné ?
François BAYROU : Mais on vient de faire aux islamistes et aux intégristes militants un cadeau en or massif. On vient de leur ouvrir un champ extraordinaire dont ils profitent d'ailleurs impudemment, éhontément, et dont j'étais pour l'exercice de l'autorité normale que une éducation nationale doit normalement exercer dans un pays comme la France. En disant écoutez ça c'est non. Pour autant on n'en fait pas une crise internationale, pour autant on n'en fait pas une loi, pour autant on ne va pas blesser le sentiment religieux qui est tout à fait autre chose que la discrimination à l'égard des femmes et je suis fâché que l'on confonde l'un et l'autre, pour autant on ne va pas mélanger le système pileux, les sikhs et je ne sais quoi d'autres, et les assyro-chaldéens.
Ruth ELKRIEF : Est-ce que vous rapprochez les deux attentats qui ont visé le préfet Dermouche de ce climat de tension. Est-ce que vous faites un rapprochement quelconque. Il y a eu un deuxième attentat aujourd'hui. Première question. Et, deuxième question vous avez dit les intégristes en profitent impudemment, est-ce que vous demandez l'interdiction du parti des musulmans de France qui a fait une manifestation il y a une semaine.
François BAYROU : Vous, vous êtes dans le médiatique, moi j'essaie d'être sage en face de tout ça. Donc un, est-ce que je rapproche le préfet et ces attentats ? je n'en sais fichtre rien, j'ai aucune information, aucune idée.
Je vois bien le climat de tension qui se renforce en France et tout citoyen normal il se dit mais il faudrait qu'on calme un peu tout ça et pas qu'on fasse sans cesse monter comme ça les affrontements communautaires entre eux. Donc je suis du côté des gouvernants sages dans un pays comme le nôtre, dans un monde comme celui dans lequel nous vivons. La sagesse des gouvernants est une qualité ou un atout extraordinaire. Je suis contre le gouvernement au sondage qui fait que, parce qu'on voit dans un sondage que 80 % des Français sont pour ça, aussitôt après on va faire une loi pour leur faire croire que qu'on va régler les choses et en fait on ne les règlera pas. Comme on le verra ça ne règlera rien. Il n'y aura aucun, rien ne sera facilité dans le traitement de ce genre de choses, puisqu'il faudra toujours qu'on arbitre entre ostensiblement ou pas ostensiblement. Les problèmes d'interprétation seront les mêmes. Mais nous aurons perdu beaucoup en montée des tensions. Voilà ce que je crains et je le dis. Donc je ne sais pas ce que le préfet a fait, dit, je ne sais pas ce qu'il y a dans cette affaire, mais je vois les tensions monter dans mon pays et je voudrais que la sagesse des gouvernants s'impose à la passion ou à l'excitation du moment.
Ruth ELKRIEF : Et sur le parti des musulmans de France, les organisateurs de la manifestation d'il y a une semaine.
Il y a des lois pour ça.
Pierre-Luc SEGUILLON : Vous parlez de la tension, mais qu'est-ce qui provoque cette tension, est-ce que c'est la perspective d'un projet de loi, interdisant les signes religieux, ou est-ce que sait, ce que certains considèrent comme une véritable offensive politique d'un certain nombre de mouvements islamistes ?
François BAYROU : Ce qui provoque cette tension et ce qui offre aux extrémistes et aux intégristes une chance extraordinaire, c'est que tous les musulmans de France , malgré toutes les déclarations, ajoutées les unes aux autres sur ce sujet, tous les musulmans de France pensent que la loi est faite contre le voile islamique. Et c'est la vérité. Bon, alors on ne dit pas les choses, mais ils sentent bien qu'il y a quelque chose qui bouillonne là-dessus. Et au lieu de dire clairement les raisons de tout ça, en disant nous français nous avons un problème avec ce que le voile dit du statut de la femme, pas nous avons un problème avec ce que le voile dit de la foi religieuse de l'islam,. Vous voyez comme on va tout de suite à l'excès, je dis sage, il aurait été véridique et sage de dire : nous France, nous avons un problème avec ce que le voile dit du statut de la femme, pas avec l'islam, pas avec le sentiment religieux, pas avec les assyro-chaldéens, pas avec les sikhs et pas avec les barbes, nous avons un problème avec ça. Et en terme d'éducation de le traiter, comme j'avais souhaité qu'on le fasse. J'avais pris une disposition qui est une circulaire, c'est à dire de discipliner d'autorité, nous avions avec Simone Veil recherché d'abord et nommé ensuite des médiatrices, nous avions fait oeuvre d'éducation, et je crois que cela suffisait. En terme de voile il y en a même plutôt moins qu'il n'y en avait à cette époque. Mais en terme d'offensive on a tous les instruments juridiques.
Pierre-Luc SEGUILLON : Comment expliquez-vous que la commission d'un homme qui est un sage, que vous connaissez bien, qui est Bernard Stasi ; qui est un de vos amis, qui a présidé cette commission, quand les membres de la commission se sont réunis au départ, ils étaient exactement sur votre position et c'est progressivement, en entendant les témoignages qui leur ont été apportés, qu'ils ont changé d'avis. Est-ce que ça ça ne signifie pas que contrairement à la situation que celle qui existait quand vous avez fait cette circulaire, la situation a changé et qu'ils se sont, ils ont découvert qu'il y avait une véritable offensive politique dans les collèges ?
François BAYROU : Mais l'offensive politique elle n'est pas d'aujourd'hui et on a tous les instruments pour la traiter. Deux réponses à ce que vous avez dit : 1èreme ils ont pris cette disposition parce que je crois personne ne leur a proposé, ou ils n'ont pas entendu une démarche opératoire pour répondre à l'inquiétude des enseignants et des chefs d'établissement. Ils ont été saisis par cette émotion que je comprends bien, j'en ai eu la charge. Deuxièmement, je ne m'en remets à aucune commission, composée de quelques esprits brillants, philosophes, que ce soit, c'est une affaire de citoyens. C'est une affaire de peuple, c'est une affaire de démocratie, et donc ça n'est pas parce que la commission a pris une orientation respectable que je me rends pieds et poings liés à cette orientation.
Je prétends qu'il y a des risques, et je veux finir de répondre à la question de M. Courtois, qui dit pourquoi les tensions montent-elles ? Parce que quand on confond un problème de discrimination avec le sentiment religieux, il y a des gens qui sont, qui se sentent offensés et de la même manière qu'il y a des gens qui se feraient couper en morceaux pour leurs sentiments ou pour leur conviction philosophique, il y a des gens qui peuvent se faire couper en morceaux, on l'a vu souvent dans l'histoire, ou qui peuvent aller loin dans le refus au nom de leurs sentiments religieux, conviction philosophique et conviction religieuse pour moi sont également respectables et donc il faut prendre le plus grand soin de ne pas les offenser parce qu'on a à traiter d'un problème en effet important qui est celui du statut de la femme.
Ruth ELKRIEF : Il nous reste cinq minutes et je voudrais qu'on vous pose une question sur l'emploi et deux questions finales. Vous vous voulez vous présenter un peu comme le Tony Blair français, c'est un peu un de vos modèles, néanmoins sur l'aspect social qui rentre dans votre discours, qui est présent dans votre discours, j'ai envie de dire vous êtes bien moins libéral que Tony Blair, vous êtes beaucoup plus l'héritier du modèle français, de l'état providence ?
François BAYROU : Non, pas de l'état providence du tout. Mais en effet je suis moins dans la ligne libérale de Mme Thatcher et de Tony Blair. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi. Qu'est-ce que c'est le modèle français ? Le modèle français jusqu'à maintenant il a été enfermé entre deux extrêmes ou deux tendances que je crois fausses l'une et l'autre. D'un côté le tout état, le tout assistance, l'état providence, comme vous dites, et de l'autre, par réaction, on a le sentiment que c'est en effet du tout marché sans le dire.
Eh bien moi je crois que le modèle français il est à la synthèse de ces deux sujets ou de ces deux attitudes. Le modèle français ça devrait être le progrès de l'économie, la réactivité de l'économie, la débarrasser des contraintes excessives, j'ai dis que les 35h étaient une erreur et je le maintiens. Et en même temps, lutter contre la précarité. Alors qu'on a l'impression que tout progrès se paye de précarité.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors pour que les choses soient claires, exemple le gouvernement veut lancer un contrat de projet ou un contrat de mission, qui ne sera ni un contrat à durée indéterminée, ni un contrat à durée déterminée. Est-ce que ça c'est quelque chose qui est à la synthèse du marché de la protection ?
François BAYROU : Eh bien il se trouve que le ministre des Affaires sociales vous a démenti, en disant qu'il n'était pas du tout sûr de retenir cette idée, qui a été proposée dans un rapport. Mais pour moi qui rencontre souvent des chefs d'entreprise et qui vit avec eux, jusqu'à ce jour je n'en ai trouvé aucun qui m'ait dit il nous manque un contrat de quatre ans. Aucun. Il y a sans doute des entreprises spéciales avec des fonctions spéciales, mais je vous assure qu'aucun d'entre eux ne m'a dit je voudrais embaucher pour quatre ans et puis après larguer ou me débarrasser de la personne que j'embauche.
Alors ce sont des cas spécifiques. Vous savez le rapport en question dit, par exemple, c'est pour des informaticiens qui voudraient installer un système informatique. Alors encore une fois est-ce qu'on n'est pas devant un problème faux sur lequel on va s'étriper alors que ça n'est pas vraiment le sujet. Mais si vous me demandez est-ce qu'on doit aller vers davantage de contrats et moins de loi ? Ma réponse est oui, on doit aller vers davantage de contrats et.
Gérard COURTOIS : Deuxièmes travaux pratiques services minimums proposés par le gouvernement, portés par Gilles de Robien, ministre UDF, bonne synthèse entre les obligations de services publics et le droit de grève ?
François BAYROU : Je suis favorable au service minimum dans les transports, comme je suis favorable au service minimum dans les hôpitaux. Et, en effet, il me semble que la démarche qui consiste à dire écoutez on vous donne x mois, c'est une orientation que les Français soutiennent largement, on vous donne x mois pour trouver un accord entre vous et si vous ne trouvez pas d'accord il y aura une loi, ceci me paraît une bonne démarche simple. On a besoin de sortir, oui des archaïsmes dans lesquels nous sommes ficelés depuis longtemps et je suis sûr que les syndicats peuvent le comprendre. Je pense qu'un certain nombre d'entre eux étaient acquis depuis longtemps à cette idée, mais qu'il leur est très difficile de l'assumer directement. Eh bien c'est une responsabilité qu'on va discuter avec eux, je trouve qu'en tout cas un pays moderne, un grand pays moderne tellement dépendant des transports dans une agglomération comme l'Ile de France doit avoir le courage de traiter ce sujet.
Ruth ELKRIEF : Vraie dernière question, le président chinois Hu Jintao va être reçu en grande pompe en France. Il va s'adresser aux députés, vous trouvez que c'est bien, c'est normal ou qu'on en fait trop ?
François BAYROU : Moi tout le temps qu'il parlera, je l'écouterai comme le responsable d'une très grande puissance, mais je n'oublierai pas les dissidents qui sont en prison.
Ruth ELKRIEF : Merci François BAYROU.
(Source http://www.udf.org, le 30 janvier 2004)
Première question : on a tous lu je crois que vous étiez sur un petit nuage ces dernières semaines car votre stratégie a l'air de prendre mais que répondez-vous ce soir à Alain Juppé qui peut-être pour la première fois sort un peu de sa réserve, sort un peu du discours unitaire pour dénoncer la division et dit, sur Radio J donc, la division est toujours délétère. Nous aurions pu je pense marquer des points très importants si nous étions allés vers une union globale puisqu'il y a des accords dans quelques régions entre l'UDF et l'UMP, pourquoi est-ce que nous n'aurions pas pu le faire dans toutes les régions.
François BAYROU : Parce que ces régions où il y a des accords sont l'exception que nous avons voulu en raison non pas du risque objectif de victoire du Front National dans un scrutin à deux tours il n'y a pas de risque objectif de victoire du Front National. Mais en raison de l'émotion qui règne dans un certain nombre de régions causé par les gros scores ou la présence des candidats très importants.
Ruth ELKRIEF : On pense à PACA donc évidemment
François BAYROU : On pense à PACA et à Jean-Marie LE PEN. Nous avons voulu tenir compte de cette émotion. Pour le reste ma conviction de fond c'est que il n'y a qu'un moyen de faire reculer l'extrémisme et l'abstention et ce moyen c'est d'offrir aux électeurs une offre politique nouvelle. La soumission à l'intérieur de la majorité de tout le monde à l'UMP serait la plus mauvaise des choses que nous pouvions faire et le plus mauvais service que nous pourrions rendre, non seulement à la majorité mais à la démocratie en France.
Ruth ELKRIEF : C'est une offre nouvelle, l'UDF de François BAYROU d'aujourd'hui c'est une offre nouvelle ? Vous existez dans le paysage politique français depuis bien longtemps, sans vous vieillir pour autant.
François BAYROU : Oui, mais pas de cette manière. Pendant longtemps l'UDF s'est comporté avec une attitude de soumission. Au fond, elle acceptait que le RPR soit la force politique dominante et puis que on négocie avec elle pour obtenir des petits avantages personnels. Dieu sait que mes prédécesseurs et Giscard et Barre pourraient en dire beaucoup sur ce sujet, en ont soufferts. Et bien c'est fini.
Ruth ELKRIEF : Maintenant vous voulez faire souffrir à votre tour ?
François BAYROU : Non, ça ne se présente pas de cette manière. Et si l'on veut que des millions de français retrouvent l'espoir dans la politique, je dis un espoir c'est-à-dire un sentiment positif, alors il faut leur offrir quelque chose à quoi ils puissent croire. Et c'est cela qui est notre projet. Et comme vous le disiez, en effet le sondage que vous-mêmes vous avez publié cette semaine montre que les électeurs suivent ce projet et commencent à adhérer à cet espoir.
Pierre-Luc SEGUILLON : Quand vous parlez d'offres nouvelles, est-ce que ça signifie pour vous que l'UDF doit dans l'avenir devenir à l'intérieur de la droite un parti à peu près égal à ce qu'est aujourd'hui l'UMP.
François BAYROU : Pourquoi égal ?
Pierre-Luc SEGUILLON : Ou peut-être supérieur, pourquoi pas ou est-ce que vous estimez que l'offre nouvelle c'est un parti demain qui peut-être un parti charnière et fabriquer des majorités à droite ou à gauche comme par exemple le souhaitait Jacques DELORS qui était ici même il y a quinze jours et qui parlait de ses relations avec les centristes ?
François BAYROU : Ni l'un ni l'autre. Une offre politique nouvelle c'est une offre à ambition majoritaire. Ca n'est pas une offre à ambition strapontin ou à ambition charnière, si ce projet a un sens c'est pour un jour faire naître en France une majorité nouvelle.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais attendez, pour pouvoir juger de la possibilité de cette majorité nouvelle il faudrait que vous obteniez combien aux élections régionales pour vous dire " j'ai quelques chances d'ici aux présidentielles d'arriver à cet horizon que je viens de me fixer " ?
François BAYROU : Je ne fais pas de compte d'apothicaire. On sent bien s'il y a une dynamique ou pas.
Aujourd'hui cette dynamique commence à exister, du moins vous le dites. En tout cas les sondages le disent.
Ruth ELKRIEF : Alors je précise que ce sondage, c'est un sondage SOFRES - Le Monde - RTL et LCI.
François BAYROU : C'est-à-dire vous trois.
Ruth ELKRIEF : Vous confère 12 % des voix effectivement pour ces régionales, je précise 12 %.
Gérard COURTOIS : Est-ce qu'on peut revenir sur un point ? L'UMP s'est construite il y a deux ans sur l'hypothèse et sur le constat semble-t-il que les électeurs de droite souhaitaient l'union. Votre stratégie laisse penser qu'il y a au fond deux électorats à droite ?
François BAYROU : Il y a deux projets, il y a deux visions, il y a deux ambitions et donc il y a deux propositions aux français.
Gérard COURTOIS : Est-ce qu'il y a deux électorats ou bien est-ce qu'il y a un électorat de la droite de gouvernement parlementaire que vous souhaitez attirer vers l'UDF et faire au fond sortir du lit majoritaire, apparemment, l'UMP aujourd'hui ?
François BAYROU : Il y a beaucoup plus que deux électorats. Le temps où chacun était verrouillé à son camp, untel à gauche et untel à droite et que jamais on en changé, ce temps là est fini. Heureusement à mes yeux. Mais les gens ont vu l'échec cruel de la gauche et du PS, et ils ne sont pas prêts de leur rendre le pouvoir, y compris les gens de gauche ont mesuré la cruauté de cet échec et d'autres voient aujourd'hui les limites de l'UMP en partie unique voulant concentrer tous les pouvoirs entre les mêmes mains.
Cela ne satisfait pas les français, ni ceci ni cela, ni l'un ni l'autre ne satisfont les français et donc il ne reste que deux solutions devant ce constat de déception, ou bien on laisse dériver les choses et ça finira soit au triomphe de l'abstention soit au triomphe de l'extrémisme.
Ou bien on prend courageusement et à deux mains le problème en essayant de cerner les principales raisons des échecs que nous avons sous les yeux ou des difficultés que nous avons sous les yeux et on fait une proposition politique différente. Telle est mon intention et l'intention de l'UDF.
Gérard COURTOIS : Juste un mot, vous dites que vous voulez redonner espoir aux français dans la politique mais en réalité ce que vous pouvez espérer c'est de capter, vous le dites vous-mêmes, les déçus, soit du gouvernement, soit du PS
François BAYROU : Quelles différences y a-t-il entre des déçus et des gens qui veulent espérer ?
Ruth ELKRIEF : Tous les déçus.
Gérard COURTOIS : Dans un cas c'est positif, dans l'autre cas ça ne l'ait pas ?
François BAYROU : Non pas tous les déçus, tous ceux qui attendent autre chose. Jacques DELORS à cette même table, il y a quelques semaines, il y a deux semaines, vous a dit je crois ce que un grand nombre d'hommes et de femmes d'ouverture pensent c'est-à-dire que il y a là peut-être un espoir.
Ruth ELKRIEF : Ou mais enfin ce parti qui peut-être à inspirer Jacques DELORS, cette famille politique ça fait des décennies qu'elle n'a pas existé suffisamment en France et qu'elle n'a pas réussi ce projet. Donc c'est peut-être la démonstration qu'il n'est peut-être pas viable ?
François BAYROU : C'est à mon sens exactement le contraire. C'est parce que les responsables qui avaient la charge de porter cette famille s'étaient en réalité installer dans une situation de soumission intellectuelle de soumission et dans la négociation de quelques avantages puisque c'était la contrepartie, hein, c'était une soumission, comment dirais-je, charité bien ordonnée commence par soi-même. Et bien ceci est fini. Je voudrais simplement vous faire mesurer la différence qu'il y a entre des arrangements et une confrontation devant les français capables de changer le paysage politique. C'est cette proposition là.
Les 21 et 28 mars il y a deux enjeux, il y a un enjeu régional, classique, choisir un président pour les régions, c'est très important c'est la première fois que ce président sera élu au suffrage universel et ça donne naturellement à la région une dimension différente.
Ruth ELKRIEF : Je rappelle brièvement que vous êtes candidat, vous-mêmes dans la région Aquitaine.
François BAYROU : Et deuxième enjeu la possibilité pour les électeurs de changer le paysage politique.
Pierre-Luc SEGUILLON : Quand penserez-vous, le soir du deuxième tour, à quelles conditions penserez-vous que vous avez remporté le second enjeu. Qu'est-ce qu'il faut pour que vous vous disiez " j'ai réussi " ?
François BAYROU : Le second enjeu ? Oh je n'aurais pas besoin de me le dire, c'est vous et chacun des français qui le dira. Le temps n'est plus aux rodomontades, à annoncer qu'on va faire des scores comme j'ai vu mes camarades de l'UMP le faire depuis trop longtemps.
Pierre-Luc SEGUILLON : Attendez, si vous faites de mauvais scores, un certain nombre de vos amis iront comme c'est toujours logique dans ce genre de choses rejoindrent rapidement le parti que vous n'aimez pas qui est l'UMP.
François BAYROU : Non et bien je crois profondément que les français vont se saisir de cette chance. Ils ont besoin, de répondre à la question
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous avez le sentiment qu'ils se sont saisis de cette chance est-ce qu'il faudrait qu'au moins vous ayez gagné quatre, cinq régions, que vous ayez un score.
François BAYROU : Oh ben si on a gagné cinq régions, j'imagine que vous écrirez que c'est pas un succès mais un triomphe. Le 21 mars ou bien il apparaîtra qu'il n'y a que deux forces politiques, le PS et l'UMP avec l'extrémisme et l'abstention.
Ou bien il apparaîtra que les français ont voulu faire surgir une force politique nouvelle. Et il n'y a que l'UDF qui puisse être cette force politique nouvelle.
Ruth ELKRIEF : Mais vous avez parlé de confrontation, vous avez dit confrontation, j'ai bien entendu, ça veut dire concrètement est-ce que vous appartenez toujours à la majorité ou est-ce que vous, ce soir au grand Jury, ce soir devant nous, vous nous dites j'en sors puisque je veux me confronter, j'ai bien entendu ce mot, à l'UMP ?
François BAYROU : Je sais bien que c'est ce que vous souhaiteriez parce que ça arrangerait vos affaires. Mais il se trouve que tel n'est pas mon état d'esprit. Mon état d'esprit est celui de millions de français qui voudraient bien que la politique réussisse et qu'elle corresponde à leurs attentes, qui voudraient bien avoir leur mot à dire, eux citoyens, qui ne veulent pas qu'on décide dans leur dos et sans leur parler et qui aimeraient bien qu'il y ait une cohérence dans l'action.
Tout cela dépend de la réponse à cette question : " est-ce qu'il est sain qu'un seul parti dans la majorité est tout ou bien est-ce qu'on va leur imposer un équilibre ? ". Et je garantis que si cet équilibre est imposé le paysage ne sera plus jamais comme avant.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous éliminez d'un revers de main le risque d'une forte poussée du Front National grâce à des triangulaires, notamment aux deuxième tour ? Tout à l'heure vous avez dit " il y a aucun problème, aucun risque ".
François BAYROU : Ce que j'ai éliminé non pas d'un revers de main parce que je suis plus responsable que ça, j'espère, ce que j'ai éliminé c'est le risque de voir le Front National gagner une région dans un scrutin à deux tours. Parce que s'il y a scrutin à deux tours c'est pour que au deuxième tour on élimine, vous savez bien ce vieux principe républicain, au premier tour on choisit et au deuxième on élimine.
Pierre-Luc SEGUILLON : Et la victoire de la gauche, grâce au triangulaire ?
François BAYROU : Non, il est tout à fait possible qu'il y ait une poussée électorale dans un sens ou dans l'autre, ça c'est les électeurs qui en décident. Je veux dire, celui qui va amener les électeurs à voter pour quelque chose qu'il n'a pas envie de voir choisir, celui-là n'est pas né.
Alors cessons de parler de tactique électorale et de mode de scrutin, ce qui compte c'est que les électeurs aient réellement un choix. Ils l'auront.
Ruth ELKRIEF : François BAYROU, vous êtes en train de nous décrire l'UMP, comme, je ne sais pas, le parti unique en URSS stalinienne, enfin quelque chose d'extrêmement lourd et pesant.
Je veux juste vous citer la réponse d'Alain JUPPE là-dessus, toujours dans la même émission aujourd'hui " je n'ai jamais vu un parti dirigé d'une main de fer aussi puissante que le parti de François BAYROU, tous ceux qui veulent faire l'union avec l'UMP sont exclus, l'UMP elle pratique la diversité et la démocratie ".
Alors j'entends que vous répondez par un rire, mais encore ?
François BAYROU : Ecoutez les occasions de rigoler sont pas si nombreuses dans la politique française pour que je puisse me permettre de goûter celle-là. Voir le chef du RPR reprocher
Ruth ELKRIEF : L'UMP mais vous dites le RPR, c'est ça ?
François BAYROU : Vous aurez rectifié de vous-même, voire le chef du RPR reprocher à l'UDF d'avoir trop d'autorité à sa tête alors franchement c'est qu'on est entré dans une ère nouvelle.
Ruth ELKRIEF : Sur les régionales, est-ce que vous n'avez pas un peu poussé vos amis.
François BAYROU : Attendez vous voulez que je vous réponde ? Qu'est-ce qui se passe pour que ces archanges, ces êtres pleins de douceur et d'ouverture et de compréhension en soient tout d'un coup à ce point d'émotion.
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est que vous sanctionnez ceux qui veulent faire l'union avec l'UMP quand ils sont UDF.
François BAYROU : Qu'est-ce qui se passe ? Il se passe une chose très simple c'est que c'est la première fois depuis longtemps qu'ils ont une volonté en face d'eux et que ça peut changer tout et que en effet il en faut de la volonté et du courage pour
Pierre-Luc SEGUILLON : François BAYROU, votre volonté quand elle s'exerce à l'encontre de André BOURDANEL ou Pierre BEC qui font union avec l'UMP il est interdit de faire union avec l'UMP quand on appartient à l'UDF ?
Gérard COURTOIS : Cela fait deux raisons de rire semble-t-il ?
François BAYROU : Je vous aime bien. Ecoutez, c'est très simple. Quand l'UDF a décidé de faire une liste autonome s'il y en a dans ces rangs,
Pierre-Luc SEGUILLON : Il faut respecter les décisions des partis.
François BAYROU : S'il y en a dans ces rangs qui vont s'inscrire sur la liste des autres alors forcément ils ne peuvent plus être membres de l'UDF. C'est simple comme bonjour. Je dis pas que ça sera pour l'éternité ni que ça se fait avec des violons mais c'est comme ça.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors, question, pourquoi quand ? ? ? s'applique à l'intérieur de l'UMP c'est un effrayant parti autoritaire et quand elle s'applique à l'intérieur de l'UDF, c'est un parti particulièrement ouvert ?
François BAYROU : Pierre-Luc SEGUILLON, ne faites pas semblant de ne pas comprendre le sujet parce que vous le comprenez très bien. De quoi s'agit-il ?
Ruth ELKRIEF : C'est notre rôle d'être là à remettre en question un petit peu les postulats ?
François BAYROU : C'est votre rôle de faire semblant. L'UMP est bâti sur un principe qui est un principe malsain selon lequel un seul parti va représenter toutes les tendances à l'intérieur de la majorité et donc concentrer tous les pouvoirs. Que quand la décision
Pierre-Luc SEGUILLON : Il y a beaucoup de pays où ça se fait, démocratiques.
François BAYROU : Aucun, que quand la décision
Pierre-Luc SEGUILLON : Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ?
François BAYROU : Non aux Etats Unis il y a des primaires, aux Etats Unis le premier tour de nos élections est remplacé par les primaires. Après il y a un seul tour.
Ruth ELKRIEF : En Espagne ?
François BAYROU : En Espagne, c'est très différent parce que ce sont, vous avez des partis régionalisés, pays basque, catalogne, ce sont des partis régionaux donc il y a un parti national mais c'est pas du tout le même équilibre qu'en France et aucun autre pays et donc malsain est le postulat selon lequel un seul parti représente toutes les tendances et peut donc concentrer tous les pouvoirs.
Parce que ce jour là le citoyen n'a plus la garantie des contre-pouvoirs qui assurent sa liberté et sa force d'expression.
Ca c'est malsain. L'UDF donc refuse ce modèle et propose aux français de le rééquilibrer. Mais l'UDF ne veut pas représenter tous les pouvoirs.
Vous vous souviendrez peut-être qu'il y avait eu une réunion à Toulouse au début de l'UMP frémissante où j'étais allé dire..
Pierre-Luc SEGUILLON : Ca a été le début de votre frémissement dans les sondages.
François BAYROU : Exactement ce que je viens de vous dire là. Je vais vous dire quelque chose qui pourrait prêter à confusion. S'il advenait un jour que l'UDF puisse avoir la majorité toute seule et bien je pense que ce serait une erreur aussi. Il faut que dans une démocratie il y ait des contre-pouvoirs, quelle que soit l'inspiration du mouvement en question.
Pour que le citoyen ait la garantie qu'on va lui dire la vérité, qu'on ne dissimulera pas les choses, que il va avoir toutes les cartes entre les mains, et pour qu'il retrouve du pouvoir sur les événements, il faut qu'il ait en face de lui un pouvoir avec un équilibre en son sein. C'est le but que je me fixe.
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est l'équilibre entre des équipes, autrement dit il y a l'équipe UMP et puis il y a l'équipe UDF autour de François BAYROU, ce qui vaut d'ailleurs pour les prochaines présidentielles, on imagine que vous y songez pas seulement le matin, ou bien ce sont des projets différents ?
François BAYROU : Ce sont des projets différents.
Pierre-Luc SEGUILLON : Parce qu'on entend davantage ce que vous dites sur le premier point que ce qui apparaît sur le second.
Ruth ELKRIEF : On va en parler mais je voudrais juste
François BAYROU : Et bien, parlons-en. Un mot, parlons-en. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce qu'est le gouffre entre ceux qui veulent la concentration des pouvoirs et ceux qui veulent le pluralisme qui rend du pouvoir aux citoyens. Ceci est sur tout sujet y compris en économie à quoi vous vous intéressez, ceci est deux mondes, cela représente deux mondes différents. Ceux qui veulent qu'une réforme elle ne soit pas imposée parce qu'il y a eu une décision au sommet mais elle soit assurée par l'adhésion des citoyens.
Ceux qui veulent, par exemple, je vais prendre un exemple très simple. On est devant la réforme de la Sécu. Dieu sait que ça n'est pas facile. L'UMP est en train de concocter une disposition telle que naturellement les citoyens n'en seront pas saisis mais le Parlement lui-même n'aura pas le droit de l'examiner.
Gérard COURTOIS : Vous voulez dire la procédure par ordonnance ?
François BAYROU : La procédure par ordonnance. La procédure par ordonnance ça veut dire que même le Parlement n'a pas le droit d'examiner un texte. Et alors le citoyen en bout de chaîne, qu'est-ce qui lui reste ? Il lui reste à courber l'échine et à attendre qu'on est décidé en haut. Ceci n'est pas ma philosophie et n'est pas ma vision. Et ça n'est pas non plus l'attente des français. Et c'est pourquoi, oui, c'est bien de deux projets différents qu'il s'agit, Monsieur SEGUILLON.
Gérard COURTOIS : Je reviens d'un mot sur la question de Ruth tout à l'heure sur la confrontation. Vous diriez que vous êtes engagé dans une guerre de sécession comme vous le reproche certains à droite à l'UMP ou dans une guerre de succession, ou les deux ?
François BAYROU : Ni l'un, ni l'autre. Parce que la sécession le mot ne s'explique qu'à partir du principe du parti unique, on est sécessionniste que d'un organisme qui est unique et qui a tous les pouvoirs.
Et la succession ça ne s'explique que dans le chiraquisme auquel je n'ai jamais appartenu.
Gérard COURTOIS : Vous songez quand même à la succession ?
François BAYROU : Nullement.
Gérard COURTOIS : Vous ne songez pas à 2007 et à la présidentielle ?
François BAYROU : Nullement. A cet instant, nullement.
Gérard COURTOIS : Ca n'est pas le moteur même de votre stratégie. de crédibilité de l'UDF. ?
François BAYROU : En rien. La question qui se pose est celle de la manière dont la démocratie est organisée en France. Ca n'est pas en 2007 que ça va se jouer. Nous allons entrer dans une période de trois ans sans aucune élection. Si on a pas changé le paysage avant, ben ça veut dire qu'on a signé un chèque en blanc et que pendant trois ans vous allez voir s'appliquer dans sa superbe cette idée nuisible selon laquelle il suffit que tous les pouvoirs soient entre les mêmes mains pour que la République fonctionne. C'est le contraire.
Ruth ELKRIEF : François BAYROU, alors concrètement, si vous considérez que les journalistes reconnaissent que vous avez une victoire, un triomphe, enfin on verra bien, qu'est-ce que vous demandez ? Vous demandez à rentrer au gouvernement, vous demandez un ministère d'état, vous demandez des , qu'est-ce qui se passe, comment vous transformez ça ?
François BAYROU : Peut-être je suis le seul en France mais je ne suis pas candidat au gouvernement.
Gérard COURTOIS : Et vos amis ?
François BAYROU : On verra, ça c'est le Président de la République qui en décidera. Mais l'idée que je me fais du débat démocratique en France exige en effet qu'on mûrisse des projets, exige qu'on soit désintéressé. Je suis désintéressé.
Ruth ELKRIEF : Donc vous présiderez la région Aquitaine si vous êtes élu.
François BAYROU : Si je suis élu, je présiderais la région Aquitaine.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais attendez, par définition, tout candidat à la présidentielle est désintéressé parce qu'il veut le bien du pays, donc ce n'est pas illégitime que de vouloir le bien du pays en se présentant aux présidentielles ?
François BAYROU : Absolument.
Pierre-Luc SEGUILLON : Bon. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vous disent "finalement, quand on regarde de près la stratégie de François BAYROU c'est exactement celle qu'a utilisé pendant des années Jacques CHIRAC, d'abord à l'encontre de Valéry GISCARD D'ESTAING puis jusqu'à ce qui s'est passé en 81 et pour la suite". Ca vous choque ?
François BAYROU : Non. On peut aussi dire, d'autres disent que Valéry GISCARD D'ESTAING a lui-même assumé des responsabilités de cet ordre et on pourrait trouver d'autres exemples dans l'histoire. Pourquoi ? Parce que je crois que nous sommes à une fin de cycle, je crois qu'en effet bien des choses qui sont nées au début des années 70, des manières de gouverner, technocratiques, fermées, sûres d'elles-mêmes, je crois que tout cela, ce cycle là s'achève. Et je pense qu'il faut imaginer, penser, définir, rêver peut-être ou pragmatiquement dessiner le cycle nouveau et ça c'est la mission que je me suis fixé.
Alors c'est très difficile parce que vous bousculer naturellement l'UMP alors vous avez parlé de l'UMP beaucoup mais vous avez lu dans de très bons journaux que le PS a consacré toute une partie de ses réunions et ses argumentaires à expliquer que nous étions le pire des dangers qui guettait la France, en tout cas qui les guettait eux, le PS
Et bien je vais vous dire, ils ont raison. Parce que en effet il y a des millions et millions de français, de femmes, d'hommes, qui ne croient plus au PS et qui attendent de voir naître quelque chose de crédible qui soit marqué des deux qualités qui ont manqué au PS et peut-être manque à la période actuelle. Ils veulent quelque chose qui soit réaliste et qui soit juste.
Ils ont envie d'un idéal qui concilie réalisme et justice. Et ils ont envie de gens qui pour imposer cet idéal soient capables de dire non au système en place et c'est là qu'est je crois le crédit dont les français aujourd'hui nous entoure.
Gérard COURTOIS : Je reviens d'un mot sur le Front National. On peut se poser la question de savoir si votre stratégie n'est pas totalement contradictoire. Vous dites l'UDF est le meilleur rempart contre l'extrémisme et dans les trois régions où le Front National est le plus menaçant vous faites liste commune. Comment vous expliquez ça ?
François BAYROU : Vous n'avez pas complètement tort. Si j'avais été gouverné uniquement par la logique et par ma conviction nous aurions eu des listes autonomes partout mais ça aurait fait naître une émotion, un émoi, une inquiétude chez un grand nombre de français qui sont inquiets de l'extrême droite ou de l'extrémisme en général, et qui auraient eu le sentiment que on entendait pas leur inquiétude.
Et ces gens là j'y fais attention. Je ne me fie pas qu'à notre analyse, je veux aussi prendre en compte pour qu'on mesure quel est notre engagement, je veux aussi prendre en compte l'émotion de ceux qui me parlent et de ceux qui s'expriment dans ce débat.
Gérard COURTOIS : Pour l'avenir, la meilleure façon de combattre le Front National serait-il de mettre en place un dispositif par exemple avec une dose de proportionnelle aux législatives qui lui permettent d'être représenté et de ne pas être exclus de la vie politique parlementaire en tout cas ?
François BAYROU : Je soutiens cette idée, non pas tant pour combattre le Front National. Le Front National est un symptôme.
Ruth ELKRIEF : Qui là rentrerait quand même à l'Assemblée Nationale avec la proportionnelle ?
François BAYROU : Oui. Le Front National est un symptôme et il est le symptôme de quelle maladie, il est le symptôme d'une démocratie à laquelle on ne croit plus. Le Front National, moi je n'accepte pas l'idée qu'il y ait 20 % de fascistes, comme on dit, en France. Je crois pas ça du tout. Je crois qu'il y en a quelques uns mais je pense qu'il y a un tel fossé entre la vie politique qu'on voit à la télévision et ce que les gens vivent et ressentent dans leur vie, une incompréhension, une distance, des décisions qui tombent d'en haut sans qu'on sache pourquoi, une absence de prise en compte de leur vie qu'ils choisissent ce qu'il y avait jusqu'à maintenant pour secouer le système qui était le vote d'extrême droite. Et je préfèrerais avoir une vie politique notamment au Parlement qui soit sincère.
Est-ce que vous croyez qu'il est sincère de prétendre que l'UMP représente aujourd'hui 65 % des français. Ils sont 65 % des sièges et représentent peut-être selon votre sondage 23 % des français.
Gérard COURTOIS : Est-ce que vous espérez capter une partie de cet électorat lors des prochaines élections régionales, une partie significative ?
François BAYROU : Tous les électorats, tous les électorats qui cherchent à y croire à nouveau. C'est ceux là auxquels nous nous adressons.
Ruth ELKRIEF : François BAYROU vous nous avez expliqué pendant la première partie que finalement vous aviez des divergences au moins de méthode avec l'UMP sur la manière de gouverner la France. Nous allons voir dans un instant aussi peut être sur le fond, qu'est-ce qui vous sépare de l'UMP.
Mais deux toutes petites questions politiques, est-ce que Nicolas Sarkozy à la tête de l'UMP serait plus commode pour vous entre guillemets, plus facile à vivre qu'Alain Jupé, on parle beaucoup d'un axe Bayrou-Sarkozy.
Et, deuxième question, vous êtes très critique avec Jean-Pierre Raffarin, pourtant aujourd'hui il remonte doucement, tranquillement dans les sondages, est-ce qu'il ne serait pas plus solide que vous ne le prévoyiez ?
François BAYROU : Eh bien je le souhaite pour la France. Tant mieux. Et quant à Nicolas Sarkozy, vous me demandez est-ce que vous ne préfèreriez pas alors il ne vous aura pas échappé, j'imagine, depuis le début de cette émission, que j'ai refusé le principe même d'un parti unique dans lequel je rentrerais.
Et vous savez pourquoi, entre autre ? C'est pour ne pas avoir à répondre à ce genre de question. C'est l'affaire des militants de l'UMP ou des dirigeants de l'UMP, qu'ils règlent ces affaires entre eux. Il est plus sain à mes yeux d'avoir un débat de formation politique à égalité de sur des idées, se respectant mutuellement, confrontant leurs points de vue, ce qui ne s'est pas passé une seule fois depuis deux ans que l'UMP est au pouvoir, mais il serait infiniment plus sain que d'avoir ces guerres de clans internes. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis éloigné de ce genre de réflexion.
Pierre-Luc SEGUILLON : D'abord c'est ma première question : est-ce que vous partagez ou non le jugement que semble avoir formulé Jean-Louis Debré sur la manière de gérer la France de Jean-Pierre Raffarin, manière dont il dit qu'il gère la France comme un boutiquier sans ambition ?
François BAYROU : Sans vouloir employer aucun mot désagréable, franchement on a du mal à voir quel est le projet, dans quelle direction on va, quel horizon on s'est fixé, quel cap on suit ?
Non, mais la réforme en soi ça ne veut rien dire, il y a des réformes qui vont dans le bon sens et des réformes qui vont dans le mauvais sens.
Y'a pas de fétichisme de ce genre de mot et donc, je suis comme beaucoup de Français, oui je suis intéressé par savoir le cap que l'on suit, je ne le vois pas bien et Jean-Louis Debré a dit un mot plus cruel, Sarkozy aussi à sa manière a dit en mots plus cruels ce que je dis là et que je dis depuis longtemps vous me l'accorderez.
Pierre-Luc SEGUILLON : Sur la deuxième question, comment expliquez-vous une certaine complaisance qu'a Nicolas Sarkozy à votre endroit ?
Est-ce que tactiquement ça peut l'intéresser ?
François BAYROU : Peut-être il se dit simplement qu'on n'est pas obligé de se haïr les uns les autres méthodiquement. Que dans une génération politique on peut avoir des différences, et sans doute j'en ai d'importantes ou nombreuses avec lui, mais on pourrait aussi se respecter. Et c'est en tout cas moi le sentiment que j'éprouve, non seulement à son endroit, mais à l'endroit d'un certain nombre d'autres.
Pierre-Luc SEGUILLON : Et dans cette génération politique vous pensez avec lui que deux mandats présidentiels ça suffit ?
François BAYROU : Mais je ne le pense pas depuis aujourd'hui. J'ai déposé, l'UDF a déposé un amendement signé Valéry Giscard d'Estaing et Hervé de Charrette avec moi lorsqu'il s'est agi de discuter de la constitution. C'était longtemps avant aujourd'hui. On ne savait pas que Jacques Chirac serait réélu et donc que formuler ce genre de question ça aurait l'air sous la table d'aller saper son autorité. Mais la raison veut, dans un pays normal, que deux mandats de président de la République ça suffit. C'est comme ça aux Etats-Unis et pourtant le mandat n'y est que de quatre ans. Donc quatre et quatre ça fait huit, au bout de huit ans on dit écoutez ça suffit.
Eh bien en France c'est exactement la même chose. Je ne le dis pas pour Jacques Chirac, pour éviter toute interprétation, je le dis pour tous les présidents passés, présents et à venir.
Gérard COURTOIS : Depuis trois, quatre mois vous avez une critique majeure à l'égard du chef de l'Etat : son silence.
Depuis un mois il a parlé pratiquement plus en huit jours qu'en 18 mois, donc vous êtes rassuré. Il a parlé et il a dit au fond il a tracé le cap, donné la feuille de route.
François BAYROU : Eh bien je trouve que le fait que le président de la République parle ça ne devrait pas être un événement, ça devrait être tous les jours.
Gérard COURTOIS : Non mais ce que je veux dire c'est qu'il vous a entendu.
François BAYROU : C'est bien, je suis sûr que si on s'écoutait davantage, peut-être on prendrait des décisions plus justes. Mais sur le fond, vous dites ça y est il a tracé le cap, y'a plus qu'à obéir. Je ne participe pas si vous ne l'avez pas dit d'autres le disent à votre place et vous savez bien que c'est un des leitmotivs à l'intérieur du parti gouvernemental.
Eh bien il se trouve que je ne participe pas non plus de cette philosophie là. Je considère que la démocratie c'est égalité de responsabilité depuis le président de la République jusqu'au citoyen de base et que on ne doit pas exécuter, on doit réfléchir ensemble. Il y a bien des sujets sur lesquels on a le droit d'avoir des interrogations et des débats entre nous. Ca fait mûrir les choses. Ca n'est pas d'exécution d'une décision prise en haut qu'il s'agit, c'est tout un pays qui va mûrir une décision, choisir un cap et avancer et c'est très différent.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais est-ce que dans la philosophie de l'UDF on est d'accord aujourd'hui avec un phénomène qui est, semble-t-il, propre au passage de sept ans à cinq ans pour la présidentielle, c'est à dire qu'on arrive à une présidentialisation du régime et où le Premier ministre apparaît de plus en plus comme, je dirais, un exécutant du président ?
François BAYROU : Eh bien la philosophie de l'UDF ça n'est pas du tout ça, la philosophie de l'UDF c'est l'équilibre des pouvoirs.
Parce que je pense qu'il faut changer l'Assemblée nationale, lui rendre les pouvoirs qu'elle n'a pas, obliger à ce qu'elle compte dans la décision, lui donner une capacité de contrôle, lui garantir qu'elle participera au débat et faire en sorte que sa composition reflète mieux le pays qu'elle ne le fait aujourd'hui.
Ruth ELKRIEF : Alors parlons des thèmes un à un et évidemment le principal, et celui qui est un petit peu sur toutes les lèvres depuis plusieurs semaines : la loi sur les signes religieux.
Vous avez exprimé plusieurs fois des réserves sur cette loi, vous avez dit qu'elle serait inapplicable, vous avez dit qu'elle ferait le jeu des intégristes, mais vous n'avez pas dit clairement si vous la voterez ou non ?
François BAYROU : Eh bien j'attends d'abord de la connaître, comme vous, parce que nous ne la connaissons pas. Si je suis bien informé, elle est au Conseil d'Etat. Je ne sais pas quel texte va en sortir, je ne doute pas que le Conseil d'Etat, gardien du droit, ait beaucoup de choses à dire sur le sujet, et donc j'attends de voir quel texte nous sera soumis. Je suis en effet très inquiet.
Je pense que dans l'état actuel des choses les inconvénients l'emportent sur les avantages et donc je demande à ce qu'on y réfléchisse attentivement.
Oh ben vous allez voir si c'est botter en touche. Voyez cette semaine, les dérapages insensés auxquels on a assistés, discutant de l'interdiction de la barbe dans un certain nombre de cas, du turban des pauvres sikhs, personne n'avait jamais imaginé que les sikhs représentaient une menace pour l'équilibre de notre pays.
Sur tout un tas de dispositions qui, en réalité, apparaissent comme affaiblissant l'autorité, qui devraient être celle d'un chef d'établissement du ministre de l'Education nationale dans sa fonction ou de l'Etat et donc je vois, moi, beaucoup de risques.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais quand vous dites : il faut réfléchir, est-ce que ça signifie concrètement que vous estimez qu'il faut différer la discussion de cette loin, autrement dit entrer dans un débat encore plus long quitte à ouvrir la voie à une polémique qui ne cesse de s'enfler, ou au contraire est-ce qu'aller vite ça ne permet pas de clore le chapitre ?
François BAYROU : Ca permet de faire des bêtises qui durent moins longtemps dans la décision mais dont les conséquences durent très longtemps après. Voilà le risque exact que nous avons, au risque de voir monter les tensions, de voir un certain nombre de Française se prendre de passion acharnée les uns contre les autres.
De voir la position de la France affaiblie dans le monde, de voir une interrogation aux Etats-Unis, par exemple, autant que dans les pays musulmans, on dit mais quel est ce pays, vers quoi est-il guidé et le ministre des Affaires étrangères l'a dit et le ministre de la Défense l'a dit lors du récent séminaire gouvernemental, le ministre de la Justice, que je sache était contre, le ministre de l'Intérieur était contre et le ministre de l'Education était contre.
Ruth ELKRIEF : François BAYROU, en revanche il y a des gens à l'UDF qui sont très pour. Je crois savoir que Maurice Leroy qui est un de vos proches a même rédigé une proposition de loi.
François BAYROU : Bien sûr il y a des gens depuis longtemps en France, de toutes opinions et de tous partis qui sont pour une solution simpliste. Moi je crois qu'on ne peut pas résoudre tout par la loi. Je crois qu'il y a bien des sujets.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais est-ce que vous croyez, est-ce que l'UDF croit que ce qui a quand même caractérisé la laïcité républicaine est quelque chose qui doit être dépassée. Vous avez cité l'exemple des Etats-Unis qui n'ont pas du tout la même conception, c'est vrai.
François BAYROU : Peut-être faut-il rappeler qu'il n'y a qu'un texte aujourd'hui réglementaire qui s'applique à ce sujet, c'est une circulaire que j'ai rédigée en 94 et qui a fait baisser le nombre des voiles en cinq semaines de quelque 9 000 à 300. Et donc franchement, s'il y a quelqu'un qui a réfléchi à ce sujet et si est engagé, alors je prétends être celui-là. La question n'est pas celle-là. Il y avait un besoin de fermeté. Il y avait un rappel de règles. Il y avait des gens qui avaient besoin de repères ou d'être soutenus, la question est : fallait-il le faire par une loi ?
Ruth ELKRIEF : La circulaire suffit pour vous et elle empêche que les recours aboutissent ?
François BAYROU : Je pense qu'on n'a pas fait tout ce qu'il fallait pour que la circulaire et d'autres instruments juridiques que nous avions soient appliqués. On pouvait faire plus. Je vous cite un seul exemple : les chefs d'établissements disent tout de même vous pouvez pas nous laisser en première ligne devant toutes ces affaires. Ils ont sans doute raison, pourquoi n'a-t-on pas délégué aux recteurs l'autorité sur un sujet comme celui-là, que la hiérarchie prenne ses responsabilités. Et donc je pense qu'on pouvait faire marcher les instruments qu'on avait. C'est derrière nous, puisque maintenant on en est tout à fait à autre chose. Je vois les dangers et les risques, je pense qu'on aurait pu faire sans cela, et il y a, me semble-t-il, dans beaucoup d'esprits une interrogation qui est en train de surgir. Je connais beaucoup de gens, et peut-être vous aussi, qui étaient farouchement pour une loi il y a un mois, qui aujourd'hui disent est-ce que tout de même on n'est pas dans un risque. Ce risque, pour moi, il est réel.
Pierre-Luc SEGUILLON : Concrètement est-ce que le député que vous êtes demande qu'il y ait un report de la discussion de cette loi ?
François BAYROU : Je sais bien que ça n'aura pas lieu. Mais si on avait été raisonnable, en effet on aurait pris le temps de réfléchir aux conséquences de ce que nous allons faire.
Pierre-Luc SEGUILLON : Non mais là vous avez une position d'analyste, moi je vous pose la question acteur, qu'est-ce que vous dites aujourd'hui ?
François BAYROU : Je m'exprimerai à l'Assemblée nationale quand j'aurai le texte. Je ne veux pas être simpliste dans cette affaire à mon tour. Je sais les risques, par exemple.
Ruth ELKRIEF : Vous excluez de voter la loi ou bien au contraire vous envisagez de le faire ?
François BAYROU : En l'état actuel des choses je ne voterai pas la loi. Vous me permettez, parce que tout de même allons un peu plus loin. Quelle est la caractéristique d'une loi ? C'est qu'elle s'applique partout sur le territoire national. On va appliquer cette loi à Mayotte, musulmane à 99 %, on va appliquer cette loi à la Réunion, je n'en crois rien. Et quand il s'agira de discerner ce qui est porté ostensiblement barbe, turban colifichet, on est allé chercher la croix des pauvres.
Gérard COURTOIS : Si vous refusez la loi parce qu'elle serait inapplicable, est-ce que ça n'est pas une façon au fond d'admettre à l'avance que les intégristes, ou les islamistes les plus militants ont déjà gagné ?
François BAYROU : Mais on vient de faire aux islamistes et aux intégristes militants un cadeau en or massif. On vient de leur ouvrir un champ extraordinaire dont ils profitent d'ailleurs impudemment, éhontément, et dont j'étais pour l'exercice de l'autorité normale que une éducation nationale doit normalement exercer dans un pays comme la France. En disant écoutez ça c'est non. Pour autant on n'en fait pas une crise internationale, pour autant on n'en fait pas une loi, pour autant on ne va pas blesser le sentiment religieux qui est tout à fait autre chose que la discrimination à l'égard des femmes et je suis fâché que l'on confonde l'un et l'autre, pour autant on ne va pas mélanger le système pileux, les sikhs et je ne sais quoi d'autres, et les assyro-chaldéens.
Ruth ELKRIEF : Est-ce que vous rapprochez les deux attentats qui ont visé le préfet Dermouche de ce climat de tension. Est-ce que vous faites un rapprochement quelconque. Il y a eu un deuxième attentat aujourd'hui. Première question. Et, deuxième question vous avez dit les intégristes en profitent impudemment, est-ce que vous demandez l'interdiction du parti des musulmans de France qui a fait une manifestation il y a une semaine.
François BAYROU : Vous, vous êtes dans le médiatique, moi j'essaie d'être sage en face de tout ça. Donc un, est-ce que je rapproche le préfet et ces attentats ? je n'en sais fichtre rien, j'ai aucune information, aucune idée.
Je vois bien le climat de tension qui se renforce en France et tout citoyen normal il se dit mais il faudrait qu'on calme un peu tout ça et pas qu'on fasse sans cesse monter comme ça les affrontements communautaires entre eux. Donc je suis du côté des gouvernants sages dans un pays comme le nôtre, dans un monde comme celui dans lequel nous vivons. La sagesse des gouvernants est une qualité ou un atout extraordinaire. Je suis contre le gouvernement au sondage qui fait que, parce qu'on voit dans un sondage que 80 % des Français sont pour ça, aussitôt après on va faire une loi pour leur faire croire que qu'on va régler les choses et en fait on ne les règlera pas. Comme on le verra ça ne règlera rien. Il n'y aura aucun, rien ne sera facilité dans le traitement de ce genre de choses, puisqu'il faudra toujours qu'on arbitre entre ostensiblement ou pas ostensiblement. Les problèmes d'interprétation seront les mêmes. Mais nous aurons perdu beaucoup en montée des tensions. Voilà ce que je crains et je le dis. Donc je ne sais pas ce que le préfet a fait, dit, je ne sais pas ce qu'il y a dans cette affaire, mais je vois les tensions monter dans mon pays et je voudrais que la sagesse des gouvernants s'impose à la passion ou à l'excitation du moment.
Ruth ELKRIEF : Et sur le parti des musulmans de France, les organisateurs de la manifestation d'il y a une semaine.
Il y a des lois pour ça.
Pierre-Luc SEGUILLON : Vous parlez de la tension, mais qu'est-ce qui provoque cette tension, est-ce que c'est la perspective d'un projet de loi, interdisant les signes religieux, ou est-ce que sait, ce que certains considèrent comme une véritable offensive politique d'un certain nombre de mouvements islamistes ?
François BAYROU : Ce qui provoque cette tension et ce qui offre aux extrémistes et aux intégristes une chance extraordinaire, c'est que tous les musulmans de France , malgré toutes les déclarations, ajoutées les unes aux autres sur ce sujet, tous les musulmans de France pensent que la loi est faite contre le voile islamique. Et c'est la vérité. Bon, alors on ne dit pas les choses, mais ils sentent bien qu'il y a quelque chose qui bouillonne là-dessus. Et au lieu de dire clairement les raisons de tout ça, en disant nous français nous avons un problème avec ce que le voile dit du statut de la femme, pas nous avons un problème avec ce que le voile dit de la foi religieuse de l'islam,. Vous voyez comme on va tout de suite à l'excès, je dis sage, il aurait été véridique et sage de dire : nous France, nous avons un problème avec ce que le voile dit du statut de la femme, pas avec l'islam, pas avec le sentiment religieux, pas avec les assyro-chaldéens, pas avec les sikhs et pas avec les barbes, nous avons un problème avec ça. Et en terme d'éducation de le traiter, comme j'avais souhaité qu'on le fasse. J'avais pris une disposition qui est une circulaire, c'est à dire de discipliner d'autorité, nous avions avec Simone Veil recherché d'abord et nommé ensuite des médiatrices, nous avions fait oeuvre d'éducation, et je crois que cela suffisait. En terme de voile il y en a même plutôt moins qu'il n'y en avait à cette époque. Mais en terme d'offensive on a tous les instruments juridiques.
Pierre-Luc SEGUILLON : Comment expliquez-vous que la commission d'un homme qui est un sage, que vous connaissez bien, qui est Bernard Stasi ; qui est un de vos amis, qui a présidé cette commission, quand les membres de la commission se sont réunis au départ, ils étaient exactement sur votre position et c'est progressivement, en entendant les témoignages qui leur ont été apportés, qu'ils ont changé d'avis. Est-ce que ça ça ne signifie pas que contrairement à la situation que celle qui existait quand vous avez fait cette circulaire, la situation a changé et qu'ils se sont, ils ont découvert qu'il y avait une véritable offensive politique dans les collèges ?
François BAYROU : Mais l'offensive politique elle n'est pas d'aujourd'hui et on a tous les instruments pour la traiter. Deux réponses à ce que vous avez dit : 1èreme ils ont pris cette disposition parce que je crois personne ne leur a proposé, ou ils n'ont pas entendu une démarche opératoire pour répondre à l'inquiétude des enseignants et des chefs d'établissement. Ils ont été saisis par cette émotion que je comprends bien, j'en ai eu la charge. Deuxièmement, je ne m'en remets à aucune commission, composée de quelques esprits brillants, philosophes, que ce soit, c'est une affaire de citoyens. C'est une affaire de peuple, c'est une affaire de démocratie, et donc ça n'est pas parce que la commission a pris une orientation respectable que je me rends pieds et poings liés à cette orientation.
Je prétends qu'il y a des risques, et je veux finir de répondre à la question de M. Courtois, qui dit pourquoi les tensions montent-elles ? Parce que quand on confond un problème de discrimination avec le sentiment religieux, il y a des gens qui sont, qui se sentent offensés et de la même manière qu'il y a des gens qui se feraient couper en morceaux pour leurs sentiments ou pour leur conviction philosophique, il y a des gens qui peuvent se faire couper en morceaux, on l'a vu souvent dans l'histoire, ou qui peuvent aller loin dans le refus au nom de leurs sentiments religieux, conviction philosophique et conviction religieuse pour moi sont également respectables et donc il faut prendre le plus grand soin de ne pas les offenser parce qu'on a à traiter d'un problème en effet important qui est celui du statut de la femme.
Ruth ELKRIEF : Il nous reste cinq minutes et je voudrais qu'on vous pose une question sur l'emploi et deux questions finales. Vous vous voulez vous présenter un peu comme le Tony Blair français, c'est un peu un de vos modèles, néanmoins sur l'aspect social qui rentre dans votre discours, qui est présent dans votre discours, j'ai envie de dire vous êtes bien moins libéral que Tony Blair, vous êtes beaucoup plus l'héritier du modèle français, de l'état providence ?
François BAYROU : Non, pas de l'état providence du tout. Mais en effet je suis moins dans la ligne libérale de Mme Thatcher et de Tony Blair. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi. Qu'est-ce que c'est le modèle français ? Le modèle français jusqu'à maintenant il a été enfermé entre deux extrêmes ou deux tendances que je crois fausses l'une et l'autre. D'un côté le tout état, le tout assistance, l'état providence, comme vous dites, et de l'autre, par réaction, on a le sentiment que c'est en effet du tout marché sans le dire.
Eh bien moi je crois que le modèle français il est à la synthèse de ces deux sujets ou de ces deux attitudes. Le modèle français ça devrait être le progrès de l'économie, la réactivité de l'économie, la débarrasser des contraintes excessives, j'ai dis que les 35h étaient une erreur et je le maintiens. Et en même temps, lutter contre la précarité. Alors qu'on a l'impression que tout progrès se paye de précarité.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors pour que les choses soient claires, exemple le gouvernement veut lancer un contrat de projet ou un contrat de mission, qui ne sera ni un contrat à durée indéterminée, ni un contrat à durée déterminée. Est-ce que ça c'est quelque chose qui est à la synthèse du marché de la protection ?
François BAYROU : Eh bien il se trouve que le ministre des Affaires sociales vous a démenti, en disant qu'il n'était pas du tout sûr de retenir cette idée, qui a été proposée dans un rapport. Mais pour moi qui rencontre souvent des chefs d'entreprise et qui vit avec eux, jusqu'à ce jour je n'en ai trouvé aucun qui m'ait dit il nous manque un contrat de quatre ans. Aucun. Il y a sans doute des entreprises spéciales avec des fonctions spéciales, mais je vous assure qu'aucun d'entre eux ne m'a dit je voudrais embaucher pour quatre ans et puis après larguer ou me débarrasser de la personne que j'embauche.
Alors ce sont des cas spécifiques. Vous savez le rapport en question dit, par exemple, c'est pour des informaticiens qui voudraient installer un système informatique. Alors encore une fois est-ce qu'on n'est pas devant un problème faux sur lequel on va s'étriper alors que ça n'est pas vraiment le sujet. Mais si vous me demandez est-ce qu'on doit aller vers davantage de contrats et moins de loi ? Ma réponse est oui, on doit aller vers davantage de contrats et.
Gérard COURTOIS : Deuxièmes travaux pratiques services minimums proposés par le gouvernement, portés par Gilles de Robien, ministre UDF, bonne synthèse entre les obligations de services publics et le droit de grève ?
François BAYROU : Je suis favorable au service minimum dans les transports, comme je suis favorable au service minimum dans les hôpitaux. Et, en effet, il me semble que la démarche qui consiste à dire écoutez on vous donne x mois, c'est une orientation que les Français soutiennent largement, on vous donne x mois pour trouver un accord entre vous et si vous ne trouvez pas d'accord il y aura une loi, ceci me paraît une bonne démarche simple. On a besoin de sortir, oui des archaïsmes dans lesquels nous sommes ficelés depuis longtemps et je suis sûr que les syndicats peuvent le comprendre. Je pense qu'un certain nombre d'entre eux étaient acquis depuis longtemps à cette idée, mais qu'il leur est très difficile de l'assumer directement. Eh bien c'est une responsabilité qu'on va discuter avec eux, je trouve qu'en tout cas un pays moderne, un grand pays moderne tellement dépendant des transports dans une agglomération comme l'Ile de France doit avoir le courage de traiter ce sujet.
Ruth ELKRIEF : Vraie dernière question, le président chinois Hu Jintao va être reçu en grande pompe en France. Il va s'adresser aux députés, vous trouvez que c'est bien, c'est normal ou qu'on en fait trop ?
François BAYROU : Moi tout le temps qu'il parlera, je l'écouterai comme le responsable d'une très grande puissance, mais je n'oublierai pas les dissidents qui sont en prison.
Ruth ELKRIEF : Merci François BAYROU.
(Source http://www.udf.org, le 30 janvier 2004)