Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, sur la situation de l'industrie chimique française et la politique d'aide gouvernementale envisagée en sa faveur, notamment concernant la réglementation, l'innovation et la modernisation de ce secteur industriel, Paris le 6 décembre 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture des Etats généraux de la chimie à Paris le 6 décembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Il y a six mois, peu après mon arrivée au ministère de l'industrie, je participais aux rencontres parlementaires sur la chimie. J'y disais que la situation de la chimie dans notre pays justifiait qu'on définisse une véritable stratégie industrielle pour ce secteur majeur de l'industrie française.
Je suis particulièrement heureux de cette manifestation qui me donne l'occasion de pouvoir faire aujourd'hui avec vous un point d'étape de ce qui a été fait pour et avec les acteurs de vos professions.
L'enjeu, tout d'abord, mérite d'être rappelé : ce qui nous réunit aujourd'hui est l'avenir d'une branche industrielle essentielle pour l'économie française.
Par son impact direct sur l'économie, tout d'abord : Les chiffres le montrent clairement : 240 000 emplois directs, 500 000 emplois induits, 86 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2003, un 5e rang mondial en production et un flatteur 3e rang mondial en exportation.
Il faut au passage remarquer que la contribution des petites et moyennes entreprises à ces résultats n'est absolument pas négligeable, contrairement à l'idée reçue qui ne voit dans la chimie qu'une affaire de multinationales.
Mais l'industrie chimique est aussi importante par son impact indirect sur l'ensemble des autres activités économiques :
Parce qu'elle se situe en amont de la plupart des autres, elle a une importance déterminante pour l'activité de nombreuses branches industrielles, telles que l'aéronautique, les cosmétiques, le textile ou la pharmacie. Cette importance pour l'ensemble de l'économie n'est pas seulement liée à la nécessaire disponibilité des produits qui sont aujourd'hui aisément transportés. Il y a en fait entre clients et fournisseurs une interdépendance beaucoup plus étroite, dans laquelle ils sont amenés à co-développer des produits spécifiques, précisément adaptés à telle ou telle situation industrielle. Cette stratégie de co-développement est bien sûr beaucoup plus aisée quand les équipes sont géographiquement proches.
La pérennisation d'un tissu industriel chimique dynamique et innovant sur notre territoire est donc un impératif pour le développement de l'ensemble de l'industrie française et de sa capacité d'innovation.
Qu'en est-il aujourd'hui de l'industrie chimique, en France et dans le monde ? Le constat est celui d'une industrie fortement concurrentielle, dans laquelle la France a aujourd'hui une position fragile.
La chimie est une industrie relativement jeune par rapport à de nombreuses autres. Elle a connu dans la seconde moitié du vingtième siècle des phases d'expansion forte, tant sur le plan de l'outil industriel que sur celui de l'innovation des produits.
Mais elle doit aujourd'hui faire face à une nouvelle situation : Le taux de croissance de l'industrie chimique est aujourd'hui moins élevé que celui de l'ensemble de l'économie. L'innovation reste un élément clé, mais elle ne conduit plus à ces ruptures conceptuelles qui ont fait la fortune de grands groupes industriels dans les années 60-70.
La chimie connaît en effet un ciseau prix-coûts puissant, qui voit sa facture en matières premières et énergie augmenter de 2,3 % par an tandis que les prix de vente des produits chimiques baissent de 0,5 % par an. On voit immédiatement tout ce que cela implique comme gains de productivité pour maintenir un appareil productif à flot.
Dans ce nouveau contexte, l'innovation et la croissance restent essentiels mais la productivité devient un facteur clé.
Toute la difficulté, pour les " vieilles nations chimistes " dont nous faisons partie, est de savoir s'adapter au plus vite aux nouvelles conditions d'exercice du métier dans le monde.
Notre pays est bien sûr l'un des berceaux de la chimie, scientifique comme industrielle, mais cette ancienneté peut aujourd'hui le desservir s'il n'anticipe pas les évolutions nécessaires. La chimie française est une chimie d'inventeurs et d'entrepreneurs ; ils ont façonné le paysage industriel en créant et implantant des unités répondant aux besoins spécifiques de telle ou telle production.
L'enjeu des prochaines années pour notre pays est maintenant la modernisation et le renouvellement de cet outil industriel.
La plupart des analystes convergent vers l'idée que la chimie mondiale doit faire face à une évolution profonde, très différente des cycles qu'elle avait jusqu'à présent l'habitude d'affronter.
La chimie française doit aborder ce tournant délicat et ces États généraux de la chimie donnent la mesure du caractère exceptionnel de votre mobilisation.
Le Gouvernement est également conscient des défis qui se présentent et qui ne peuvent être relevés que dans le cadre d'une stratégie pleinement concertée avec l'ensemble des acteurs. J'ai pris l'initiative en septembre dernier de constituer un comité stratégique, placé sous la présidence du député Daniel GARRIGUE, qui doit me rendre des propositions pour fin janvier. Ce groupe, dont vous avez du entendre parler au cours de cet après-midi, rassemble des chefs d'entreprise, des syndicalistes, et des experts.
Cette réflexion est importante et elle est pour moi l'illustration d'une véritable méthode de conduite de la politique industrielle, qui consiste à prendre le temps de clarifier les enjeux, d'en parler avec tous les acteurs, et de dessiner une politique cohérente, jouant sur tous les leviers possibles.
Le champ d'intervention de l'État n'est à l'évidence plus celui des années 70, et ses moyens d'action ne sont pas les mêmes. La puissance publique ne cherche plus à imposer ses vues à l'industrie, et c'est une bonne chose.
L'idée est de se rassembler pour construire une stratégie partagée : il ne s'agit pas d'une stratégie défensive consistant à aligner, au fur et à mesure que les problèmes se posent, des mesures prises par réaction à des problèmes ponctuels, mais au contraire de construire une vision globale et prospective.
J'attends beaucoup de la mission, et de ce qu'elle proposera au Gouvernement. Je sais que son travail a déjà beaucoup progressé en trois mois. Elle aura sans doute aussi beaucoup tiré en plus des débats de cet après-midi.
Je voudrais pour ma part donner quelques éclairages sur des sujets qui me paraissent d'ores et déjà particulièrement importants, à savoir la réglementation, l'innovation, et la modernisation de l'outil industriel.
Sur la réglementation tout d'abord, et, en l'occurrence le règlement européen " REACH " qui constitue le texte majeur des années à venir pour votre industrie. Nous sommes entrés dans une période de débat technique au plan européen, qui va sans doute durer tout au long de l'année 2005. Dans cette discussion, la France compte parmi les pays les plus soucieux de l'applicabilité et la praticabilité du règlement. En une phrase, " oui à une meilleure connaissance des substances chimiques, parce que l'enjeu est de taille, mais non à la perte inutile de compétitivité ".
Cette vision des choses nous conduit à défendre un système progressif, avec des clauses de rendez-vous, n'essayant pas de régler l'ensemble des problèmes dès le départ. C'est au nom aussi de l'efficacité nous plaidons pour une agence européenne des produits chimiques forte, plutôt que pour un système décentralisé mettant en concurrence les agences nationales.
La France, en grand pays de la chimie, a un devoir de vigilance dans ce domaine, et ne doit pas craindre d'être parfois isolée, puisqu'elle défend un secteur que beaucoup d'autres nations ont perdu, ou n'ont jamais eu. Dans cette période de négociation détaillée du texte, j'attends des organisations professionnelles de la chimie un appui méthodologique fort pour proposer des solutions alternatives raisonnables, pour transformer, sur chaque sujet, les grandes orientations politiques en propositions d'amendements.
Je souhaite aussi très rapidement lancer un travail spécifique sur l'impact de REACH sur les PME. Autant l'impact macro-économique sur l'ensemble du secteur a été bien documenté, au moyen de nombreuses études, d'ailleurs pas toujours concordantes, autant il apparaît très nettement que nous n'avons pas assez approfondi l'étude des effets du règlement sur les PME, qui produisent souvent en faibles quantités mais seront quand même soumises aux exigences de la réglementation européenne. Nous devons remédier à cette lacune.
Enfin, j'aimerais sur ce sujet de l'impact sanitaire des produits chimiques appeler à un débat serein et technique. Exacerber les enjeux, donner de cette activité une vision caricaturale, celle d'un secteur arc-bouté sur le profit au mépris de la santé de ses concitoyens n'est pas la solution. Car si la réglementation peut être source de handicaps, le rejet de cette activité par nos concitoyens peut être plus grave encore, en empêchant les sites fermés de se moderniser ou de se renouveler.
Ceux qui lancent des anathèmes contre la chimie se défendent de vouloir sa mort. Mais ils doivent se rendre compte que c'est, de fait, à cela qu'ils mèneront, même s'ils ne le demandent pas. La chimie doit aujourd'hui supporter deux poids en même temps du fait de REACH : un poids économique et un poids médiatique.
Le premier est justifié par des gains sanitaires et environnementaux, le second est un coup inutile porté à cette activité.
REACH est important, et j'en ai parlé longuement, mais l'industrie chimique doit se garder de focaliser son attention sur ce seul sujet défensif. Négocier un règlement REACH acceptable et applicable est essentiel mais les défis à affronter vont bien au-delà de la seule réglementation technique.
Cette remarque mène presque naturellement au deuxième sujet que je souhaitais aborder, celui de l'innovation.
Dans ce domaine, le temps presse car la chimie jouera un rôle majeur au 21e siècle au point de devenir, encore plus qu'aujourd'hui, la science centrale. Ses nouvelles découvertes façonneront la vie quotidienne des générations futures.
Certaines réalisations sont déjà en chantier, d'autres sont prévues, d'autres enfin restent totalement imprévisibles, la recherche ne cessant d'évoluer.
Il faut que notre pays soit davantage présent sur le front scientifique, et que les indicateurs d'investissements, d'une part, et de recherche et développement, d'autre part, en témoignent.
Les méthodes de production de la chimie et ses fondements scientifiques ont peu évolué depuis le début du 20e siècle. Même si les améliorations des performances au sein des technologies connues en chimie minérale et organique ont été considérables, on peut parler d'une véritable persistance des procédés industriels.
Or ces procédés semblent avoir atteint aujourd'hui des limites liées non seulement aux technologies utilisées mais également aux matières premières qui leur servent de base et à l'énergie pour obtenir les résultats escomptés. Une attente s'exprime pour qu'avant dix ans, des découvertes scientifiques significatives permettent de sortir des schémas actuels totalement dépendants du pétrole, du gaz et de l'énergie à fort volume pour entrer dans des systèmes de production plus économes en matières premières, donnant lieu à des rejets encore réduits et bénéficiant d'autres sciences telles que les biotechnologies.
Il faut répondre à cette attente. Toutes les pistes d'innovation méritent d'être étudiées, en particulier la chimie verte, et ses apports bénéfiques sur le plan environnemental, et la nano-chimie dans ce qu'elle peut représenter comme saut technologique pour la catalyse notamment.
Le gouvernement a fortement renforcé son dispositif de soutien à l'innovation en 2004, et continuera de le faire en 2005, avec quatre cibles correspondant à quatre voies d'innovations différentes :
- Les chercheurs en premier lieu, à travers la réforme de la recherche, qui devrait contribuer à intensifier les ponts entre la recherche publique et la R D privée ;
- Les PME ensuite, à travers la fusion de l'ANVAR et de la BDPME, qui permettra d'allier le levier du financement à celui du soutien à l'innovation ;
- Les pôles de compétitivité, qui associeront entreprises et centres de recherche autour de projets innovants, et au soutien desquels nous consacrerons pas moins de 700 M d'euros dans les trois ans à venir ;
- Enfin, les grandes entreprises, pour lesquelles une mission a été confiée à M. Beffa en vue de la définition de grands projets industriels, mission dont les résultats seront rendus au Président de la République en janvier.
La chimie doit montrer comment elle peut prendre sa place dans ce grand effort de soutien à l'innovation que nous engageons. Je souhaite demander à la mission Garrigue de mettre un accent tout particulier sur cette question dans ses travaux et de faire des propositions qu Gouvernement.
Dernier sujet, celui de la nécessaire modernisation de notre paysage industriel.
Il ne fait pas de doute que l'industrie chimique française va connaître des évolutions importantes dans les prochaines années. La dernière décennie a déjà vu des redistributions des cartes importantes entre grands acteurs nationaux.
L'année 2004 a été riche en évènements, avec le redressement de Rhodia et la création d'Arkema.
Je constate avec plaisir que nous disposons maintenant de deux groupes en ordre de bataille pour aller de l'avant et participer à d'éventuelles recompositions de portefeuille dans la chimie européenne et mondiale. Cela n'allait pas de soit il y a deux ans.
Il est vrai que l'effet de taille n'est pas le seul élément dans la chimie. D'autres facteurs comme la structure des portefeuilles de produits comptent également. J'engage cependant les équipes dirigeantes de nos deux leaders français à regarder avec attention ce qu'elles peuvent faire ensemble, et aussi ce qu'elles peuvent faire avec leurs homologues allemands, car c'est un domaine industriel dans lequel la coopération entre les deux nations historiques de la chimie européenne fait bien sûr sens.
Le Gouvernement sera bien sûr très attentif à la façon dont ces mutations s'organiseront.
En conclusion, je voudrais que vous reteniez à quel point je suis attaché à une politique industrielle centrée sur la préparation de l'avenir et l'anticipation de la nouvelle donne économique dans laquelle notre industrie, votre industrie, doit trouver et occuper toute sa place. Toute mon action est orientée en ce sens.
Mesdames et Messieurs, Monsieur le Président, je tiens à remercier l'UIC d'avoir organisé ces États généraux. C'est une bonne occasion de montrer que la chimie bouge, et qu'elle ne mérite pas le relatif désamour qu'on constate dans la population et dans les filières de formation.
L'intention du gouvernement, vous l'avez compris, est d'aider ce secteur industriel majeur à prendre le virage difficile qui l'attend. Des actions ont déjà été entamées en ce sens, dans le domaine de la réglementation ou de l'innovation. C'est maintenant au comité stratégique sur l'avenir des industries chimiques, présidé par Daniel Garrigue, de nous aider à franchir une étape supplémentaire.
Mais c'est aussi à vous tous, acteurs de la chimie, qui vous êtes mobilisés ce soir pour l'avenir de votre industrie, de prolonger cette mobilisation et d'en faire un atout pour la France.
Je vous remercie.

(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 7 décembre 2004)