Discours de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, sur le rôle de l'État dans la protection des origines et la démarche qualité en direction des pays tiers, à Paris le 12 janvier 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration du nouveau siège de l'INAO (Institut national d'appellation d'origine) à Paris le 12 janvier 2005

Texte intégral

Monsieur le Président de l'INAO,
Messieurs les Présidents des conseils nationaux,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai accepté votre invitation qui m'offre l'occasion d'un premier contact avec l'Institut National d'Appellation d'Origine et ses responsables. Je me réjouis de la concrétisation de cette installation de l'Institut dans de nouveaux bâtiments ; elle fut rendue possible grâce à un accord conclu avec mon prédécesseur dans le cadre de mes fonctions antérieures au ministère du budget.
Le début de l'année est traditionnellement le moment des voeux que je veux vous exprimer chaleureusement. Que 2005 vous apporte bonheur personnel et réussite professionnelle. Je formule aussi des voeux pour l'Institut, doté aujourd'hui d'un outil remarquable pour promouvoir les produits de nos terroirs.
L'inauguration de notre nouveau siège de l'Institut National d'Appellation d'Origine (INAO) constitue une occasion exceptionnelle pour nous réunir. L'événement est d'autant plus heureux qu'il intervient pour le double anniversaire :
· d'une part, de la loi du 1er août 1905 précisant les zones dont les productions agricoles peuvent bénéficier d'une appellation d'origine, définissant la notion de produit loyal et fixant les règles de production ;
· d'autre part, de la création de l'INAO et de la reconnaissance des appellations d'origine contrôlée, l'AOC, par le décret-loi du 30 juillet 1935.
Au-delà de l'anniversaire qui souligne la continuité de l'action entreprise en faveur des produits du terroir, ce rappel de deux dates marquantes incite aussi à porter son regard vers l'avenir. Les enjeux dans le cadre des négociations internationales, l'équilibre dans le développement de nos territoires, les attentes tant des producteurs que des consommateurs devront trouver des réponses prochainement, notamment dans la rédaction du projet de loi d'orientation agricole.
Je rappellerai le rôle essentiel joué par l'Etat dans la protection des origines. Cette action de la puissance publique doit être pérennisée et même amplifiée dans un contexte international et dans le cadre d'attentes sociales en profonde mutation. J'évoquerai ensuite ses motivations, principalement une action au service de notre patrimoine, de l'économie et des producteurs, enfin, des consommateurs.
I - Soutien de l'Etat aux appellations
L'Etat a apporté un soutien financier et défini le cadre législatif et réglementaire des appellations d'origine et indications géographiques.
I -A Le soutien financier
En premier lieu, je tiens à vous féliciter pour vos locaux. Ils sont modernes, remarquables par leur situation géographique et constitueront une vitrine pour les produits protégés. Vous avez fait part de projets supplémentaires comme l'aménagement d'un auditorium. Je ne peux que vous encourager à vous doter de moyens susceptibles de faire connaître nos savoir-faire et notre culture.
Ce site qui a, vous l'avez rappelé, reçu l'appui de Hervé GAYMARD et bénéficié de l'arbitrage du Premier Ministre, accueille aujourd'hui l'INAO grâce au soutien de l'Etat. Vous permettrez à l'ancien Secrétaire d'Etat au budget de se réjouir non seulement des choix budgétaires qui ont permis à l'opération de se réaliser mais encore du suivi du projet en raison de mes fonctions nouvelles. Une telle continuité mérite d'être soulignée !
Le soutien financier de l'Etat se traduit par un engagement annuel qui représente près des trois quarts du budget de l'INAO, sous forme d'une dotation versée par le Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et de la Ruralité. La quotité restante provient des droits et redevances acquittés par les producteurs d'Appellation d'Origine et d'Indications Géographiques Protégées.
I-B Le dispositif réglementaire et législatif des appellations protégées
Le soutien de l'Etat aux produits du terroir remonte à la loi du 1er août 1905 motivée par la répression des fraudes sur les produits agro-alimentaires. Ces dispositions législatives sont complétées par le décret-loi de 1935 qui porte création des appellations d'origine contrôlées au moment de graves crises agricoles.
Un établissement public, chargé de la reconnaissance et de la réglementation des appellations d'origine et disposant d'un pouvoir de proposition auprès des ministères, est institué ; il précède l'INAO qui, créé en 1990, a vu ses compétences étendues à l'ensemble des produits agricoles ou alimentaires bruts ou transformés à appellation d'origine contrôlée (AOC). En 1999, ses attributions intègrent les Indications Géographiques Protégées (IGP).
En regroupant les compétences liées aux AOC et IGP sous l'égide de l'INAO, l'Etat a accru la cohérence de cette politique de préservation du patrimoine de nos terroirs. Il apporte compréhension et sécurité pour les consommateurs comme pour les producteurs en précisant le cadre régalien de toutes les appellations.
I-C La LOLF, nouveau cadre des relations budgétaires
Pour l'avenir, sécuriser les ressources budgétaires de l'INAO est une question majeure. Le nouveau cadre de la loi organique relative aux lois des finances (LOLF) nous permet, à travers l'outil des contrats d'objectif, de concrétiser cette réflexion ; des plans d'actions sont en cours d'élaboration. Une gestion pluriannuelle efficace devrait éviter les mouvements erratiques des ressources de l'Institut ; aussi suis-je prêt à entrer avec vous dans cette logique.
Je note aussi que l'INAO a su développer ses ressources propres. Face au développement des usurpations d'appellation, les organisations professionnelles et l'INAO sont appelés à trouver les modalités de cofinancements, suivant des règles arrêtées par le Conseil permanent, de façon à trouver des réponses adaptées et à financer les actions nécessaires.
J'ai souhaité par ailleurs la mise à disposition d'un agent qui renforcera l'INAO, notamment dans la perspective des négociations internationales. Il sera chargé de coordonner et de participer à des actions concrètes de coopérations communautaires et internationales.
Au fil des ans et de l'extension des missions de votre institut, vous avez su faire évoluer les concepts pour créer les meilleures conditions possibles de l'expression de la qualité grâce à l'association, au sein de l'ensemble des comités nationaux, entre professionnels, consommateurs et pouvoirs publics. Vous participez ainsi activement à la formulation d'un enjeu stratégique au coeur des politiques publiques, enjeu qui relève d'un intérêt général défendu au plan national, au plan communautaire et au plan international.
II L'action de l'Etat au service des appellations : une vocation patrimoniale, un souci économique, la protection des consommateurs
Je veux évoquer les axes d'une intervention de l'Etat en faveur des appellations d'origine et indications géographiques. Trois orientations sont essentielles :
· une vocation patrimoniale,
· un souci économique,
· la protection des consommateurs.
II-A Les appellations : un patrimoine à protéger et qui protège
S'agissant de la vocation patrimoniale, l'INAO jouit désormais d'une tradition séculaire qui le fait rentrer dans le patrimoine national au même titre que les appellations et indications réglementées.
En accordant une valeur patrimoniale à celles-ci, l'Etat affirme son engagement pour des productions, des pratiques qui sont autant de points de repère culturels pour les Français comme pour l'étranger. Ces appellations et indications représentent la France tant sur notre territoire qu'à l'étranger.
Au-delà de ces aspects de protection, l'appellation d'origine constitue un véritable outil de développement économique et social. Ce système permet en effet de préserver, dans des conditions de concurrence loyale, certaines productions qui en l'absence d'encadrement et d'identification ne trouveraient plus leur place sur le marché. Je suis convaincu que les appellations permettent de maintenir des productions, qui seraient abandonnées, sur des territoires dont l'exploitation est difficile.
Cette représentation de la France, vous la manifestez en déclarant l'année 2005 " année des terroirs ". Je ne peux comme Ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et de la Ruralité que me féliciter de ce tour de France qui parcourt tous les territoires et correspond bien à la vision du Président de la République et du Gouvernement d'une France diverse - rurale, urbaine - mais unie. Elle a motivé le projet de loi sur le développement des territoires ruraux prochainement adopté.
II-B Un souci économique
Dans cette tâche de protection des appellations, les préoccupations économiques ne sont pas étrangères. Qui s'en fâcherait ? Nous avons vocation à nous réjouir et à être fiers de nos atouts et de notre histoire. Les productions protégées représentent 19 milliards d'euros de chiffre d'affaires et constituent un avantage indéniable dans un marché souvent banalisé.
La qualité des produits, leur spécificité sont des signes que le marché valorise. Dans le domaine de la distribution, la notoriété des produits qui portent une appellation ou une indication géographique constitue également un atout pour accroître les revenus. Le quart des exploitants est concerné, soit 140 000 producteurs avez-vous dit. Les conséquences directes ou indirectes en terme d'emplois sont donc importantes. Enfin, les appellations contribuent au prestige de la France et, ainsi, à son excédent commercial. Bien souvent, pour un produit protégé, la part de la production exportée est déterminante.
C'est pourquoi je me réjouis de constater le dynamisme et le volontarisme des responsables de l'INAO dans l'énoncé de leurs priorités. Soyez assurés que je veillerai aussi dans les instances de décision compétentes à protéger notre patrimoine d'appellations. Vous serez sollicités lors des négociations internationales auprès de la Commission, de l'OMC ou bien dans le cadre de relations bilatérales. Le statut d'établissement public de l'INAO et la possibilité prévue par la loi de le consulter sur toute question concernant les indications géographiques font de l'INAO un expert privilégié associé au travail du gouvernement au sein des organisations internationales et des institutions communautaires en matière de protection des indications géographiques. L'achèvement du cycle de DOHA lors de la conférence de CANCUN en septembre prochain constitue une échéance essentielle : outre les discussions sur l'abandon des noms génériques par certains pays ou la mise en uvre du registre pour les produits viticoles, l'enjeu des discussions est l'extension de la protection spécifique aux vins à l'ensemble des produits agricoles. Les progrès réalisés comme l'abandon de l'utilisation du nom Champagne par les Australiens en appellent d'autres, la mention " méthode champenoise " s'y étant substituée.
Des démarches de valorisation de la qualité liée à l'origine des produits doivent être entreprises en direction des pays tiers. Il s'agit de créer un effet d'entraînement pour le développement et la reconnaissance des indications géographiques dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce en gagnant des partenaires susceptibles de soutenir nos positions.
II-C La protection des consommateurs
Enfin, notre action vise à protéger les consommateurs. Cette orientation s'entend de manière multiple. Le premier souci est bien entendu d'assurer la sécurité sanitaire des aliments. Pour autant, le respect obligé de cette condition ne saurait suffire aux consommateurs. Les produits mis sur le marché doivent respecter un double critère : être sains et de qualité.
Lorsqu'ils bénéficient de la reconnaissance conférée par une appellation ou une indication géographique, ils peuvent, à juste titre, être plus onéreux. En retour, le consommateur attend une qualité supérieure. J'ajoute que l'exemplarité des productions d'origine exerce un effet d'entraînement positif sur la qualité de l'ensemble des productions agricoles françaises.
Ensuite, il faut garantir aux consommateurs qui choisissent des produits aux appellations protégées la réalité du produit acheté. La problématique se rapproche des débats bien connus sur la contrefaçon dans d'autres secteurs.
Enfin, il faut permettre aux consommateurs de se repérer dans le maquis des étiquettes. Sans lisibilité, les distinctions deviennent inutiles. Or, la multiplicité des signes distinctifs - signes officiels de qualité ou mentions liées aux démarches " qualité " des distributeurs -rendent l'ensemble peu lisible pour le consommateur. D'autre part, la crise que subissent certains produits sous signe officiel de qualité, je pense en particulier aux vins d'appellation d'origine, nous appelle à maintenir notre effort de rigueur sur les dispositifs existant. Nous devons aussi approfondir notre réflexion sur ce sujet et l'inscrire parmi les thèmes forts de la future loi d'orientation.
En effet, si la première mission de l'agriculture reste la production de biens alimentaires, les conditions de cette production doivent répondre aux attentes du citoyen et du consommateur. Ces attentes s'enracinent dans la tradition culturelle française de qualité gastronomique des produits alimentaires et de diversité des terroirs ; elles traduisent également les grands mouvements de fond qui traversent la société aujourd'hui. Elles conduisent à des exigences croissantes concernant le goût et la relation au terroir, la traçabilité et la sécurité sanitaire, la protection de l'environnement et les considérations éthiques comme le bien être animal.
Je rapprocherai également le critère de lisibilité de celui de transparence qui s'étend aussi aux contrôles. La puissance publique est bien entendu un atout parce qu'elle est impartiale. Voilà qui accroît les exigences des consommateurs à notre égard.
Je conclurai sur deux points. D'abord, vous avez souligné le travail remarquable réalisé par l'INAO, appréciation que je partage. Vous exercez une mission difficile mais passionnante, une véritable mission au service du public et du patrimoine de notre pays. J'apprécie le fait que vous soyez des acteurs de proximité et je vous en remercie.
Ensuite, je crois que la loi d'orientation agricole est la bienvenue pour redessiner l'agriculture française ; elle ne fera pas l'économie d'une réflexion sur les signes officiels, la transparence et l'indépendance des contrôles, la cohérence entre les organismes de reconnaissance (syndicats, INAO, organismes agréés). Le dispositif des signes doit être évolutif. Trois principes guident cette réflexion : l'accessibilité de la démarche pour les producteurs, sa lisibilité pour les consommateurs et sa simplicité, tout en préservant sa crédibilité par les contrôles adéquats. Des propositions ont été formulées ; sur ces bases, les premières concertations, auxquelles vous avez contribué, ont eu lieu. Quoi qu'il en soit, cette réflexion doit poursuivre les buts déjà évoqués : préservation de notre patrimoine de terroirs, impératif économique et souci du consommateur.
A ce stade, beaucoup reste à définir et je souhaite que l'INAO prenne toute sa place dans cette entreprise. L'inauguration de vos nouveaux locaux intervient 100 ans après la loi de 1905. Que cette anniversaire soit l'occasion de franchir une nouvelle étape pour l'INAO et ses missions.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 14 janvier 2005)