Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la coopération économique franco-tunisienne, la définition d'un "espace de voisinage" euro-méditerranéen, la lutte contre les discriminations au travail, la politique d'immigration et la logique des quotas, Tunis le 31 janvier 2005.

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Circonstance : Voyage officiel en Tunisie les 30 et 31 janvier 2005. Forum économique "Pour un partenariat stratégique et durable", à Tunis le 31-réponses aux intervenants

Texte intégral

JEAN-PIERRE RAFFARIN
Merci beaucoup, à chacune et à chacun d'entre vous d'être là. Je voudrais saluer toutes les autorités qui sont ici présentes, Messieurs les ministres, Messieurs les ambassadeurs et je voudrais vous présenter les quatre ministres français qui sont avec moi : Gilles de ROBIEN le ministre de l'Equipement et de l'Aménagement du Territoire, François LOOS qui est le ministre du Commerce Extérieur, Patrick DEVEDJIAN qui est le ministre de l'Industrie et Renaud MUSELIER qui est au Quai d'Orsay, au Ministère des Affaires Etrangères. J'ai beaucoup d'admiration pour un poète qui s'appelle René CHAR. Parce que ce poète, pendant qu'on avait cette terrible montée du nazisme en Europe, alors que personne ne savait ce qui se passait, beaucoup de gens disaient, on ne sait pas, on ne croit pas ce qui se passe, lui, il disait ce qu'il allait se passer. Et René CHAR a eu une lucidité, la lucidité du poète qui est au devant de la réalité, qui marche devant la réalité - mais qui est clair. Et René CHAR dit, aimer, c'est vouloir que les choses soient ce qu'elles sont. C'est-à-dire à la fois vouloir et en même temps que les choses soient ce qu'elles sont. C'est-à-dire la rencontre entre une volonté et une situation.
Eh bien moi j'aime la Tunisie et les Tunisiens. C'est à la fois une volonté, mais aussi une situation et je suis très heureux d'avoir cette circonstance de répondre à vos questions. Je voudrais juste ajouter un mot qui me paraît très important. Dans votre pays, pays de culture s'il en est, ici où tout ce qui a pu servir les grandes idées qui ont construit nos civilisations se sont développées. Vous qui avez donc cette conscience de l'histoire, que vous soyez mobilisés aujourd'hui pour la science, pour les mathématiques et la physique, c'est très important. Et je crois que nous devons assumer, la Tunisie et la France, d'être des pays de culture, d'être des pays de l'art, d'être des pays de l'histoire, mais aussi de vouloir être des pays de la science. Etre des pays du progrès, des pays qui aident les citoyens à ne pas avoir peur de l'avenir. Ce qui me préoccupe le plus quand je vois le continent européen aujourd'hui c'est de voir quelquefois la population douter des progrès de la science. Douter de la capacité que peut avoir l'Humanité de trouver les solutions aux problèmes qui lui sont posés. Et pour cela il faut avoir confiance dans la science, confiance dans la capacité entre chacun de nous, confiance dans l'intelligence humaine, confiance dans ce potentiel scientifique qui nous mènera à bout d'un certain nombre de maladies. Qui nous mènera à bout d'un certain nombre de fléaux, c'est cela au fond la grande bataille de l'Humanité, montrer que les solutions sont en nous. Montrer que par la science, par la connaissance, par le savoir l'homme a la possibilité de résoudre les équations de son avenir. C'est pour cela que je suis très heureux ici, dans ce lieu plein d'histoire de rencontrer des jeunes qui ont confiance en la science, que ce soit les mathématiques ou la physique. Je suis à votre disposition.
INTERVENANT
Merci Monsieur le Premier ministre et maintenant Anice va se mettre donc en tampon entre vous et les élèves et je vous laisse avec les élèves et Anice alors.
QUESTION
Monsieur le Premier ministre bonjour, je vous souhaite encore la bienvenue de la part de tous les élèves présents ici. On va commencer avec un témoignage de Monsieur ZEMIZEOUI, (phon) un membre de l'Association tunisienne des grandes écoles.
MR ZEMIZEOUI
Bonjour à tous, donc je vais me présenter brièvement, donc je m'appelle ZEMIZEOUI et je suis actuellement associé au sein du cabinet d'audit et de concert managements ... en Tunisie. Il y a vingt ans je suis parti en France, c'était en 1983, donc bientôt 22 ans pour préparer une grande école, donc je suis passé par une classe préparatoire et j'ai intégré une école de commerce, qu'on appelle la plus parisienne des parisiennes, c'est l'Ecole supérieure de commerce de Paris. Et je crois que nous en avons un éminent représentant...
JEAN-PIERRE RAFFARIN
Vous avez le sens de l'accueil !
MR ZEMIZEOUI
Je crois vraiment pouvoir dire que c'est cette école là qui m'a donné des perspectives que je trouve excellentes, je n'ai pas la chance d'être Premier ministre, mais en fait je suis content du parcours par lequel je suis passé. Alors brièvement peut-être présenter ce que j'ai fait. Donc j'ai intégré une Ecole supérieure de commerce de Paris, ensuite j'ai préparé le diplôme français d'expertise comptable, tout en travaillant au sein d'une structure française qui ensuite est devenue internationale, qui est donc la structure Ernst Young, qui est un des leaders de l'audit et du conseil. J'ai intégré, donc j'ai travaillé chez Ernst Young en France pendant sept ans. Cela a été sept années extrêmement intenses et à l'aube de mes 30 ans, je me suis posé la question, comme tout Tunisien qui traverse la Méditerranée de savoir si ma place était en Tunisie, ou ma place finalement était en France ? Et j'ai fait le choix de dire qu'elle pouvait être les deux, donc j'ai fondé une famille franco-tunisienne et à l'âge de 30 ans donc je suis rentré en Tunisie. Très très riche je dirai de ce que j'avais vécu en France, puisqu'en totalité j'avais passé onze ans et ce ne sont pas les années les plus neutres de la vie - puisque de 18 à 30 ans, ce sont quand même des années extrêmement riches. Et donc depuis dix ans je travaille essentiellement sur le marché tunisien, mais avec un pied fort, une collaboration très très forte avec mes anciens collègues français.
Pour terminer ce témoignage je pense que j'ai gardé de ce passage en France deux éléments fondamentaux. Le premier élément c'est clairement, la France m'a permis d'avoir une double culture. Qui dit une double culture ne signifie pas que j'ai abandonné ma culture tunisienne, mais clairement c'est grâce à la France que j'ai pu avoir une deuxième culture et qui dit deuxième culture dit vraiment un facteur multiplicateur, puisque je pense maintenant que grâce à ces doubles cultures, j'ai accès à beaucoup plus que deux cultures - j'ai une capacité à comprendre l'autre et donc à m'ouvrir plus facilement à l'autre. Le deuxième élément positif que je tire de mon passage en France, outre bien sûr le fait que j'ai fondé une famille franco-tunisienne, c'est le réseau, puisque, grâce au contact professionnel que j'ai eu pendant sept ans en France. J'ai eu une relation de confiance qui est incroyable avec mes collègues en France et en fait on collabore et lorsqu'on s'appelle au téléphone pour préparer ou réaliser des interventions communes, c'est comme si on était ensemble encore hier. Et donc ça je dirai que ce passage par la France a permis de casser complètement les frontières et de faire que quelque part, je suis aussi bien en Tunisie qu'en France, merci.
INTERVENANT
On passe d'une génération à l'autre, on va avoir un témoignage de ... HARBI, élève à LIPES (phons) qui fera un témoignage sur son expérience LIBES.
ELEVE
Monsieur le Premier ministre c'est pour reprendre ce que vous avez dit concernant le pouvoir de la science de faire progresser l'Humanité, c'est pour cela que j'ai choisi d'intégrer LIPES et ce que j'espère c'est que la coopération entre la Tunisie et la France se solidifie, même devient de plus en plus forte pour que nous puissions, nous, élites de la Tunisie jouer le rôle des ambassadeurs de la Tunisie et du monde arabe en France - mais aussi être les porte-parole de la France ici.
INTERVENANT
On passe maintenant à la raison pour laquelle vous êtes venu ici c'est-à-dire répondre aux questions. On donne la parole à prime abord à Monsieur HAYMAN (phon)
MR HAYMAN
Je m'appelle HAYMAN Asten, je suis élève de l'Ecole normale supérieure de Tunis en lettres françaises. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie pour votre intérêt pour la jeunesse tunisienne et je voudrais savoir en fait, quelles sont les raisons qui encouragent, qui invitent la France à s'occuper des élites tunisiennes qui formeront sans doute les cadres de demain.
JEAN-PIERRE RAFFARIN
Beaucoup de choses dès maintenant. D'abord à mon camarade de l'ESCP, vous savez c'est rare qu'en politique je puisse dire camarade, donc j'en profite. Je voudrais dire que ce qui est en effet très important dans notre dynamique de formation, c'est cette idée d'identité et d'ouverture. Je crois que c'est un sujet très moderne, c'est un sujet qui nous concerne tous, parce qu'on a toujours peur que l'ouverture remette en cause notre identité. Je pense que c'est une grave erreur et au fond avoir conscience de son identité, aller au fond de sa connaissance de soi-même, aller au fond de son identité nationale, de son histoire, de ses propres valeurs. Si on y va vraiment, je dirai presque comme vous le faites, scientifiquement, honnêtement, objectivement avec ce qu'il y a dans notre histoire de positif et de ce qu'il y a dans notre histoire de plus difficile à supporter. Et quand on est français on a des fiertés et puis on a aussi des troubles. Le président de la République disait récemment des hontes. Et donc il y a dans toute notre histoire cette connaissance de l'identité. Cette connaissance de l'identité, elle n'est intéressante que quand elle conduit à la recherche de l'identité de l'autre. Et c'est ça qui est très intéressant dans ceux qui ont la chance de pouvoir développer deux langes, appartenir à deux cultures et donc d'être des promoteurs de cet échange. Car je suis vraiment convaincu que nous avons besoin d'identité dans notre monde aujourd'hui, car l'homme ne peut pas être déraciné. Mais nous avons besoin d'ouverture, l'identité...c'est le repli, à ce moment là ce qui est la richesse humaine c'est-à-dire l'échange est affaibli est... Et donc cette lueur, cette bougie qui aujourd'hui reste allumée, qui est celle de l'attention à l'autre elle passe par une connaissance de soi-même. Il est intéressant de se connaître que si on s'intéresse aux autres. Je crois que c'est très important, le " tu " est le but du jeu.
Deuxièmement je voudrais vous dire que ce qui est aussi important c'est les réseaux, mais là je vois que l'Association des Tunisiens des grandes écoles vous avez déjà résolu tous les problèmes et donc que vous connaissez l'importance des réseaux et je crois en effet que c'est très important dans un monde global de pouvoir avoir des réseaux qui sont des réseaux très ouverts et c'est le moyen d'appartenir à un monde plus ouvert. Entre, ce que vous avez dit sur la coopération entre la France et la Tunisie, soyez persuadés que nous allons faire de nouvelles avancées. Parce que je réponds à votre question sur l'intérêt qu'on peut porter à la jeunesse tunisienne. Je disais ce matin avec le Premier ministre qu'on a des raisons de s'aimer au fond, de se comprendre. On a tout ce qui est la sensibilité, tout ce qui est de l'ordre de l'émotion. Et c'est vrai qu'un français en Tunisie et un tunisien en France il a d'abord des émotions et que c'est un élément très important pour l'amitié entre les peuples. Et je disais c'est très important parce que c'est ça qui est d'abord populaire et ce n'est pas quelque chose qui concerne seulement les élites. C'est un choc émotif qui fait que les pays se comprennent, les pays sont sensibles à l'un et à l'autre, des peuples sont sensibles à l'un et à l'autre. Et je vous assure quand je vois tous les tunisiens qui sont morts pour la France comme je l'ai vu ce matin, tous ceux qui se sont battus pour la liberté au cours de la seconde guerre mondiale fait que notre destin est lié. Et donc au-delà de cette affection, il y a nécessairement cette réflexion sur notre devenir. La Tunisie seule ne peut envisager son avenir, sans partenariat. La France seule ne peut envisager son avenir sans partenariat, c'est pour cela que nous avons construit l'Union européenne et que nous sommes en train de la construire encore davantage. Mais évidemment cette Europe à elle seule ne peut pas s'enfermer sur ses frontières. Et c'est pour cela que je crois vraiment que nous sommes une communauté de destin. Nous avons Europe et Méditerranée, l'Europe et cette façade sud de la Méditerranée, nous sommes dans le même espace mondial. Nous avons au fond, la même adresse, ou habitez-vous, ou est-ce que j'habite ? Nous habitons dans l'espace euro méditerranéen, nous avons la même adresse mondiale. Nous ne sommes pas américains, nous ne sommes pas chinois, nous sommes euro méditerranéens, le même bassin de civilisation qui est celui de la Méditerranée, c'est ce qui nous rassemble. Et si on regarde le passé, on a mille raisons d'avoir des inquiétudes. Si on regarde l'avenir on est nécessairement ensemble et c'est pour ça que je crois que pour être ensemble, il ne suffit pas de s'aimer, de regarder ensemble dans la même direction, il faut bâtir ensemble. C'est pour ça qu'avec votre gouvernement je suis très mobilisé pour que, avec l'agence, avec Patrick DEVEDJIAN nous mettons en place sur les grands projets scientifiques et industriels - nous puissions avoir des grands projets scientifiques, industriels, qui associent, chercheurs, industriels, financiers français, tunisiens. Pour qu'ensemble on bâtisse des projets, c'est faire ensemble qui nous permettra d'assumer ce destin aujourd'hui que nous impose notre adresse. Parce que la mondialisation c'est en fait une organisation multipolaire de la planète. Et nous ne pouvons pas rester comme ça, sans capacité d'attractivité, de compétitivité. En ce qui nous concerne, notre destin est lié, nous sommes faits pour nous aimer. Il se trouve qu'on le veut bien, mais de toute façon il faut le faire.
INTERVENANT
Une question allez-y Madame ONANEBA (phon).
MME SEBA
Alors je m'appelle ...OSANEBA, je suis étudiante à l'Ecole normale supérieure de Tunis en section lettres françaises. Et Monsieur le Premier ministre vous avez parlé tout à l'heure de la construction européenne, donc je voulais savoir avec l'élargissement justement de l'Europe, est-ce que les accords entre les étudiants européens ne risquent pas de se multiplier. Je pense notamment au programme Erasmus au détriment un peu des échanges entre la France et les pays du Maghreb en général et la Tunisie en particulier.
JEAN-PIERRE RAFFARIN
Bon, j'ai répondu, très franchement, je comprends qu'on ait pu donner le sentiment à nos amis tunisiens que l'Europe s'occupait pendant ces derniers mois d'abord d'elle-même, de son élargissement et de sa constitution. Mais il est nécessaire aujourd'hui dans ce multilatéralisme dont je vous parlais que l'Europe se dote d'une vraie capacité, d'une vraie puissance, mais en même temps d'une existence politique. Je crois vraiment qu'il était nécessaire de réussir l'élargissement pour donner à l'Europe sa crédibilité mondiale, mais aussi de changer notre gouvernance européenne pour qu'à 25 on puisse trouver des règles de fonctionnement efficaces, humaines et politiques. Ce qui a manqué beaucoup à l'Europe que nous avons construite depuis Jean Monnet, Robert SCHUMAN et tous les pairs fondateurs qui rêvaient d'une Europe politique, c'est la dimension politique de l'Europe. Quand je discute avec votre président, quand je discute avec votre Premier ministre, ils me disent : attention, l'Europe a fait des promesses à Barcelone et au fond dans le dialogue euro Méditerranée nous sommes aujourd'hui quelque peu déçu. Ce message je l'ai ressenti profondément, il m'a été dit à plusieurs reprises avec l'élégance tunisienne, mais je l'ai pris comme quelque chose de sérieux, de grave. Ce message là, aujourd'hui à qui je le porte : à une commission, à un commissaire, à qui je le porte en Europe ? Qui a le poids politique aujourd'hui pour porter, je le porte au chef de l'Etat français, je le porte aux forces politiques françaises ? Mais je dois le porter aussi en Europe ! Eh bien avec notre nouvelle constitution avec un pouvoir politique en Europe, avec une présidence qui pourra durer cinq ans, avec un président, le jour où il sera interpellé sur un sujet comme ça, il ne pourra ne pas répondre. Comme quand il y a un dramatique raz-de-marée dans l'Océan Indien, l'Europe doit tout de suite réagir et le président qui est en charge de l'Europe n'a que quelques minutes pour organiser la réponse de l'Europe. Et donc je pense que l'organisation politique de l'Europe est une avancée considérable, une avancé historique. C'est pour ça que je souhaite vraiment que les peuples européens adhèrent à ces progrès. Mais il va de soi, tout comme tout à l'heure on parlait de l'identité, cette capacité de puissance de l'Europe, elle ne doit pas se tourner que sur elle-même et d'être enfermée à l'intérieur de ses frontières. Je dis souvent et c'est ma conviction profonde que mes parents, nos parents ont fait l'Europe d'aujourd'hui pour avoir la paix, la paix en Europe. Pour qu'on n'ait plus jamais ces démons du nazisme, du racisme, de l'antisémitisme que nous avons connus dans notre pays dans les années 40. Nous avons là fait l'Europe pour la paix dans nos frontières.
Aujourd'hui nous voulons faire l'Europe pour la paix du monde, pour être un facteur d'équilibre. Pour éviter le grand chambardement mondial. Et pour éviter ce grand chambardement mondial l'Europe doit être forte. Mais l'Europe ne doit pas être fermée sur elle-même, l'Europe doit être ouverte sur la Méditerranée et pouvoir avoir sa capacité d'action avec la Méditerranée. C'est pour ça que je crois qu'il faut que l'on reste fondamentalement ouvert aux étudiants, qu'on reste ouvert aux peuples et qu'on puisse avoir ce grand espace euro Méditerranée, qui est l'espace de notre influence mondiale. C'est utile pour nous, mais je crois que c'est aussi utile pour le monde. Parce que je crois que le monde a besoin de nos valeurs, il a besoin de nos histoires, il a besoin de notre culture pour pouvoir respecter les uns et les autres - pour pouvoir être un monde équilibré. La paix ne se fait pas par la hiérarchie, la paix ne se décrète pas, la paix se fait par un équilibre. Il n'y a pas d'équilibre sans un espace euro méditerranéen fort.
C'est pour ça que nous avons besoin d'étudiants qui viennent de la rive sud de la Méditerranée, qui viennent de Tunisie. Il y en a qui resteront chez nous, il y en a d'autres qui reviendront, participer au développement de leur pays. Il faut qu'on ait cette politique co-choisie, mais c'est une politique qui reste très importante. Et ne nous enfermons pas sur Erasmus à l'intérieur de l'Union, nous avons vraiment la volonté d'ouvrir avec la politique de voisinage, encore plus forte que ce qui est engagé aujourd'hui - pour que nous puissions affirmer ce qu'est notre mission aujourd'hui sur la planète, le rôle politique de l'espace euro méditerranéen.
MR ESSINE
Je m'appelle ... ESSINE de l'IPES, classe MP étoile. Donc l'Union européenne a établi une nouvelle politique dite de voisinage avec plusieurs pays euro méditerranéens dont la Tunisie. Cette nouvelle politique s'inscrit-elle dans le processus de Barcelone et quels sont les avantages ou privilèges accordés à la Tunisie par rapport aux autres pays qui ont conclu des accords d'association avec l'Union européenne ? Merci.
JEAN-PIERRE RAFFARIN
Question malicieuse. Cette politique doit tenir compte de l'engagement de la Tunisie, parce que la Tunisie a été le premier des pays de la rive sud à montrer sa volonté d'ancrage dans cet espace euro méditerranéen. Donc je crois que ce serait manquer de reconnaissance, manquer de clairvoyance que de ne pas reconnaître un statut spécial à la Tunisie. Car au fond la Tunisie a montré qu'elle avait son modèle spécifique, fidèle à ses traditions, mais en même temps avec la volonté d'intégrer ce grand espace. La politique de voisinage c'est cette politique de partenariat que nous voulons renforcer. C'est aller au-delà de ce que fait MEDA aujourd'hui, MEDA était lié au développement. La politique de voisinage c'est une politique plus globale et plus, je dirai quotidienne, c'est-à-dire qui touche plus à la proximité entre les territoires et les pays voisins de l'Europe et l'Union européenne. Donc nous sommes en train de bâtir cette politique de voisinage, les premières réunions ont eu lieu récemment - je crois que nous n'avons pas encore abouti complètement à ce que doit être cette politique de voisinage. Je pense que les frontières de l'Europe doivent être définies clairement. Donc, il ne faut pas laisser des incertitudes permanentes sur ce que seront les frontières de l'Europe. Et donc, il faut avoir un débat clair et notre pays a pris position en disant que les Français choisiront le moment venu, exactement les frontières de l'Europe, puisqu'ils participeront à ces choix par référendum. Mais je crois qu'il est très important de définir ce qu'est l'espace européen ? Et de définir autour de l'espace européen ce qu'est l'espace de voisinage et de proximité. Et il va de soi que dans cet espace là, il y a des coopérations qui vont au-delà de ce qu'était l'ambition de MEDA, précédemment, c'est une ambition plus globale à l'intérieur d'un même espace. On va avoir des zones de libre échange, il faut des zones de coopération politique et au fond l'idéal est de pouvoir constituer ce pôle euro méditerranéen qui est à côté du pôle du chinois, qui est à côté du pôle indien, qui est à côté du pôle américain, à côté d'un certain nombre de pôles peut exister. Cela passe évidemment par une ouverture de l'Europe, cela passe aussi par des progrès faits dans l'union du Maghreb arabe pour pouvoir constituer un espace mieux intégré capable d'avoir un dialogue coordonné avec l'Union européenne.
INTERVENANT
Il n'y aurait pas un élève de l'Institut préparatoire aux langues ici ?
QUESTION
Je m'appelle... ILOSELINE (phon) je suis étudiante à l'Institut préparatoire aux études littéraires et sciences humaines de Tunis. Monsieur le Premier ministre, quels sont les moyens dont s'est doté votre gouvernement pour faciliter le dialogue, effacer certains préjugés, établir une certaine égalité entre les citoyens des deux nations ? Merci.
JEAN-PIERRE RAFFARIN
Je pense que le sujet est vaste là, je crois qu'il n'y a pas de difficultés dans la relation entre la société française et la société tunisienne. Nous avons pour le peuple tunisien et de la reconnaissance et du respect et de la confiance. La question aussi concerne la société française et les Français d'origine tunisienne ou les franco tunisiens. Et là je pense qu'il est très important de développer une politique d'intégration, une politique au fond que nous préférons appeler d'égalité des chances. Car aujourd'hui nous avons un grand nombre de franco tunisiens, de tuniso-français qui sont parfaitement intégrés. Et donc nous avons là le devoir d'organiser dans la société française une égalité des chances, quelle que soit l'origine de la personne. Nous avons sur ce sujet plusieurs initiatives qui ont été engagées. D'abord nous avons mis en place une haute autorité contre les discriminations, de toutes formes. De manière à faire respecter la non-discrimination dans la société française. Nous avons aussi mené une politique active de nomination d'un certain nombre de responsables et d'ouvertures de la société de leadership de la société à des Français qui sont d'origine tunisienne, qui sont d'origine immigrée - qui sont des Français, de première ou deuxième ou troisième génération. Donc nous menons là un travail important, c'est encore difficile, mais nous avons un certain nombre de résultats. Aujourd'hui nous avons un jeune qui a fait l'Ecole normale supérieure et qui est à mon cabinet, il est d'origine tunisienne. Il anime lui-même un club d'un certain nombre de jeunes qui ont des responsabilités importantes dans la société française. Je crois que ça c'est très important de les aider à faire exister cet exemple, montrer que c'est possible. Et donc nous avons cette orientation là et jeudi prochain, je tiens une réunion avec les partenaires sociaux, avec les syndicats et le patronat sur les problèmes d'égalité des chances dans l'entreprise. Donc là, nous avons un certain nombre de propositions, j'avais demandé à l'un des chefs d'entreprise qui s'appelle Monsieur BEBEAR, du groupe AXA de nous faire un certain nombre de propositions pour l'intégration dans l'entreprise, pour l'égalité des chances dans l'entreprise. Et on s'aperçoit que nous avons là des progrès à faire dans la société française pour organiser la fluidité sociale et c'est un élément très important. Donc nous sommes déterminés, la société française a compris ce qu'elle était, ce qu'elle ne savait pas auparavant, maintenant elle a compris qu'elle avait un visage multiple et divers et donc qu'elle devait donner sa place à tout le monde. Nous avons eu une mutation sociale très importante dans les vingt dernières années.
Nous sommes conscients que cette mutation est un atout et donc il nous faut valoriser les principes d'égalité des chances et assumer la devise de la République qui n'est pas toujours assumée. Et c'est vrai que nous avons eu dans notre histoire récente un certain nombre de phénomènes qui nous ont montré que dans le passé il y a eu un échec de la politique d'intégration. Donc la nationalité française est une nationalité dont on va pouvoir être fier, tout comme la nationalité tunisienne, on peut avoir les deux. Mais en tous cas, l'origine de l'accès à la nationalité ne doit pas intervenir dans les droits de la nationalité. Tout Français a les mêmes droits ! Et donc à l'intérieur de la société française nous travaillons à cette égalité des chances. Et notamment je pense dans tout ce qui concerne l'emploi, le travail où il y a encore beaucoup de barrières à abaisser et de frontières à lever.
QUESTION
...Monsieur le Premier ministre, on entend parler ces derniers jours de quota pour l'immigration, Monsieur Dominique de VILLEPIN s'est notamment prononcé en faveur de quota pour les métiers. Est-ce que votre gouvernement instaurera un tel système et si oui, quelle place prévoyez-vous pour les ingénieurs tunisiens ? Merci
JEAN-PIERRE RAFFARIN
Pourquoi vous riez... ? L'idée de quota est une idée utile, mais pas suffisante. Je pense qu'il faut le quota réciproque, il faut la décision cochoisie, l'immigration cochoisie. Et donc je souhaite avoir avec le gouvernement tunisien et j'en ai parlé avec vos autorités, le ministre de l'Intérieur viendra dans votre pays bientôt pour travailler sur cette question. De manière, à ce que nous exprimions les besoins qui sont les nôtres, les attentes qui sont les nôtres et donc la politique que nous proposons. Et nous voulons discuter avec les autorités tunisiennes sur la politique qu'elles proposent et sur le choix qu'elles font. Dans les ingénieurs qui viennent en France, il y a ceux qui peuvent être destinés à rester en France, mais il y a ceux qui sont destinés à revenir en Tunisie. Il y a ceux qui peuvent à un moment ou à un autre d'ailleurs changer de position. Ce qui est très important dans cet échange là, c'est que nous puissions trouver, nous, les compétences dont notre pays a besoin. Mais nous ne voulons pas priver nos pays amis de leurs compétences. Donc il faut qu'il y ait cet équilibre de compétences et qu'on puisse discuter ensemble de la capacité que nous avons ensemble, à former les jeunes, à former un certain nombre de travailleurs, de salariés, d'ingénieurs, de docteurs, de l'ensemble des professions. Que nous soyons capables d'avoir la vision des deux pays simultanée. Donc moi je souhaite des accords d'immigration co choisie, c'est-à-dire une discussion ensemble. Par exemple, nous manquons d'infirmières, vous allez manquer d'infirmières, nous manquons d'infirmières, nous avons aujourd'hui les mêmes problèmes avec des curseurs qui sont différents - mais vous avez réussi à maîtriser votre démographie. Maîtriser la démographique, cela veut dire à un moment ou à un autre que la démographie va être vieillissante. Cela veut dire que comme nous, vous aurez un jour des problèmes de personnes dépendantes et donc vous aurez besoin des services à la personne. Vous aurez besoin d'aides soignantes, vous aurez besoin d'infirmières, tout comme nous. Donc nous, on ne peut pas dire, on a besoin d'infirmières et d'aides soignantes, allez on prend toutes vos infirmières et vos aides soignantes ! Il faut que dans la formation des infirmières et des aides soignantes, en Tunisie et en France on puisse organiser des flux qui soient des flux qui puissent être utiles aux deux pays. Et donc je pense que c'est vrai des ingénieurs, c'est vrai des chercheurs, c'est vrai des professeurs, c'est vrai de l'ensemble de ceux dont finalement, aujourd'hui nos pays ont besoin. Donc dans cette logique de quota, je ne voudrais pas qu'elle soit perçue comme le pays d'accueil qui définit ses propres besoins, et qui dit, comme il pourrait faire un appel d'offre à marchandise, voilà ce dont j'ai besoin, non ! Ce n'est pas un appel d'offre, c'est une discussion, c'est une négociation, c'est une réciprocité et je pense que c'est très dangereux. Nous avons besoin d'ingénieurs, mais la Tunisie a besoin d'ingénieurs, discutons ensemble comment nous gérons nos flux démographiques et comment ensemble nous pouvons avoir une politique cohérente. C'est je crois le respect mutuel et notamment si on peut bâtir des projets communs et nous avons des projets communs. Si on veut faire un grand pôle agroalimentaire, si on veut faire un grand cancéropole, si on veut faire des grands projets dont nous discutons et qui sont aujourd'hui des projets possibles de par le niveau scientifique en Tunisie, de par le niveau scientifique en France. Dans ces domaines là il faut avoir les compétences nécessaires, mais des compétences qui ont été construites de manière coordonnée. Donc je suis pour une programmation et une décision bilatérale et non pas une décision unilatérale. C'est pour ça que je comprends l'idée de quota, l'idée de quota c'est l'idée de dire, il y a 500.000 emplois vacants en France, donc faisons en sorte que les gens qui viennent correspondent plutôt à ces emplois, plutôt que de mettre des gens en situation de non-emploi. Donc l'idée est utile, mais il faut la prolonger, la prolonger par cette idée que nous devons avoir une analyse réciproque de nos perspectives d'emploi et de nos efforts de formation et de qualification. Car quelqu'un qui a passé quelques années en France, que ce soit dans l'industrie, que ce soit dans les services, dans l'agriculture, ou que ce soit en formation, certains seront destinés à rester en France, d'autres peuvent être destinés à revenir en Tunisie. Et peut-être d'autres peuvent avoir l'opportunité de choisir. Et donc, je souhaite vraiment qu'on ait cette vision qui soit une vision partagée des flux migratoires. Et non pas une vision qui à un moment ou à un autre apparaît une vision d'offre et de demande, ça c'est une vision qui n'est pas une vision humaniste. Les visions humanistes sont des visions réciproques où chacun respecte le besoin de l'autre.
ANNIE
Monsieur le Premier ministre, je pense que toutes les personnes ici présentes dans la salle ont pu voir votre faible pour René CHAR et aussi l'intérêt que vous portez pour la science - mais en tant qu'étudiante de lettres françaises, je voudrais savoir quel est votre livre de chevet, si possible et votre lecture préférée ? Merci.
JEAN-PIERRE RAFFARIN
Je lis à peu près une heure tous les soirs, pour tout vous dire, parce que cela change un peu les idées quand même et autre chose que les notes dans lesquelles les autres me disent ce que je dois penser. Ce qui est utile, mais qui a ses limites. Donc il y a plusieurs sujets qui m'ont intéressé récemment, il y a un livre d'Alain MINC où il parle justement des Etats-Unis " Pays monde " je crois que c'est une réflexion très importante à avoir. Sur ces sujets, sur le rôle des Etats-Unis et sur leur perception de la société américaine vue des Américains, ça c'est un point très important. Je ne voudrais pas que les Américains considèrent qu'ils sont le monde. Que finalement le monde est en Amérique et que donc l'Amérique est le monde et le monde est l'Amérique non. C'est vrai qu'ils ont réussi une politique d'intégration, c'est vrai qu'ils ont réussi le métissage, mais ils ne sont pas le monde et donc il faut qu'ils tiennent compte de l'ensemble du monde. Et donc Alain MINC décrit cela d'une manière assez intéressante. Il y a un autre livre que j'ai lu récemment qui est un débat entre Marcel GAUCHER et Luc FERRY sur l'humanisme justement, sur la religion sur dieu. Et vous savez, nous avons été très marqués dans notre Europe par le matérialisme historique. L'homme est déterminé, l'homme est au fond prédestiné, il est innocent de lui-même, il n'est pas vraiment responsable. Sa route est tracée par ses gênes, par la biologie, par l'alchimie qui détermine son propre parcours. Face à cela donc, Luc FERRY a essayé de penser, une réflexion humaniste, une réflexion dans laquelle il y a quelque chose de supérieur dans la dimension humaine. Alors est-ce que c'est dieu, est-ce que c'est l'homme ? Tout ceci est un débat ouvert, mais en l'occurrence dans le débat Marcel GAUCHER, Luc FERRY, je trouve que Luc FERRY a trouvé de bons arguments pour montrer une dimension spécifique de l'homme. Alors chacun pourra qualifier cette dimension spécifique, mais c'est une confiance dans la capacité humaine. Une confiance dans notre capacité de dépassement et cette confiance là, elle vaut la peine qu'on s'y attarde. Et qu'on l'appelle comme on voudra, chacun peut l'appeler comme il veut, mais c'est une dimension qui est plus grande que nous-même et elle [est] importante, je crois et il est bon que nous en ayons conscience. Donc ça c'est deux livres dont j'ai trouvé l'idée porteuse. Autrement il y a deux livres que je garde avec moi régulièrement c'est des livres de Jean-Claude GUILLEBOT, un qui s'appelle : " Le principe de l'Humanité " qui est très important, parce qu'il définit, ce que peut être aujourd'hui un humanisme moderne, le principe d'humanité. Le second justement pour les sciences et la culture, c'est " Le goût de l'avenir " et c'est de vouloir essayer de construire vraiment un espoir au fond dans le progrès, dans la capacité qu'à l'Humanité à se définir un avenir. Et finalement ne pas être en situation de pessimisme absolu. C'est ce goût de l'avenir que définit GUILLEBOT qui je crois dans mes lectures récentes me marque le plus et c'est un livre que j'ai toujours à portée de la main. Il est d'autant plus important pour un responsable politique, cela rejoint une des phrases de SAINT-EXUPERY : " On n'a pas le droit d'être responsable et désespéré " comme il se trouve que je suis responsable, je ne peux pas être désespéré !
INTERVENANT Depuis tout à l'heure il n'y a eu que des filles, il n'y aurait pas un garçon qui voudrait ... ? Et ce sera la dernière, malheureusement... ( coupure )
JEAN-PIERRE RAFFARIN
... Entre toutes les formes d'intégrisme, comme toutes les formes d'intolérance, contre toutes les formes qui n'acceptent pas l'identité de l'autre, c'est cet humanisme du 21ème siècle, c'est ces honnêtes femmes et ces honnêtes gens que nous devons être les uns, les autres. Merci en tout cas de donner de la jeunesse tunisienne cette image ouverte et cette image particulièrement mixte, féminisée. Et je voudrais dire à ces Demoiselles et à ces Messieurs toute ma reconnaissance pour leur accueil.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 9 février 2005)